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Jean-Louis Curtis, Les forêts de la nuit

L’auteur, né en 1917 à Orthez, avait donc 23 ans en 1940. Il a subit la Défaite et l’Occupation humiliante due à la chienlit des bourgeois catholiques confits en militarisme figé en 14. Il a été mobilisé dans l’armée de l’Air et envoyé au Maroc, où il a été démobilisé en 40. Il enseigne à Bayonne puis à Laon avant de participer à la Libération dans le corps franc pyrénéen Pommiès. Il connaît donc très bien son sujet, vécu au ras de l’actualité. Sa façon réaliste de décrire l’Occupation dans une petite ville du sud-ouest, Saint-Clar, lui vaudra le prix Goncourt en 1947. L’auteur est mort en 1995, ce pourquoi il est bien oublié aujourd’hui. Michel Houellebecq lui rend cependant hommage – et moi aussi.

Curtis saisit les Français du sud-ouest en 1942, au pire moment de l’Occupation triomphante de l’Europe par les armées du Reich. Les gens ont été sidérés, puis ont fait confiance au sénile maréchal, avant de se résigner à vivre avec. Les Allemands, après tout, ne sont pas si mauvais ; ils sont « Korrect », ils payent ce qu’ils mangent et celles qu’ils baisent. Les paysans sont ravis et opulents, les bourgeois rassurés par l’ordre qu’ils mettent, les intellos souvent séduits par l’Europe nouvelle.

Mais pas Francis, garçon de 16 ans élevé chez les curés qui s’élève d’un coup contre un prof qui déclare que la Défaite est un prix à payer pour les péchés du pays. « C’est votre génération qui a failli, pas la nôtre, nous n’y sommes pour rien. » Il sera puni évidemment, car on ne critique pas en public les vieux cons, même s’ils se révèlent bien cons. Mais il s’engagera naturellement dans des activités de résistance. Pas grand-chose, mais une aide au passage en zone libre, tant qu’elle existe encore, vers les Pyrénées et l’Espagne tout proches. En 1942, il a 17 ans et est beau comme un éphèbe grec, mais timide et réservé avec les filles comme il se doit dans la génération catho coincée. Dommage pour lui, il ne connaîtra de l’amour que la version éthérée angélique qui rend les gens idiots si cela dure trop longtemps.

Son père est un vieux nobliau qui affecte la profession d’avoué mais pontifie en citant des Classiques. Il ne comprend pas le siècle, sa génération est larguée. Sa mère est une femme au foyer, ignare des choses du monde. Même Hélène, sa grande sœur de dix ans plus âgée, est restée niaise. Elle vit un grand amour avec Jean, passé en Espagne pour rejoindre à Londres la France libre. Elle ne le verra pas durant deux ans et son « amour » éthéré et angélique s’évanouit de fait lorsqu’elle est séduite à Paris, où elle travaille après sa licence de chimie, par le physique viril et charnel du jeune Philippe, un copain de son frère Francis, à peine 18 ans. Elle succombe dans ses bras et jouit de désir fiévreux. Elle se sent coupable et écrit une lettre à Jean par sincérité de confession, pour briser leur union virtuelle. Ce message brutal tuera le jeune homme tout simplement : il se lancera avec son Spitfire sur une batterie de DCA boche comme un kamikaze.

Quant à Francis, il sera trahi par une bonne femme du bled qui jalouse sa prestance et sa classe, et amené par son copain Philippe à s’engouffrer dans une voiture de la Gestapo française qui le torturera avant de les descendre et de le laisser, tout nu et mutilé, dans un fossé. Philippe, à qui l’on avait promis seulement une discussion et pas de toucher au frère de son amante, largue les gestapistes et fuit à Paris. Il se vengera du petit pédé sadique qui aime torturer les très jeunes hommes et s’engagera dans l’armée de libération, où il se fera tuer volontairement, entraînant le suicide dans le gave de sa mère, une vieille putain encore belle et amoureuse incestueuse de lui.

Hélène fréquentera les zazous pour s’oublier, se résignera à n’être que la maîtresse de Jacques, fils d’industriel riche de Saint-Clar et déjà marié à Gisèle. Il veut lui faire un fils et garder son existence cachée, comme Mitterrand le fera. C’était dans l’air de cette génération.

A la Libération, l’hypocrisie se révèle. Ceux qui n’ont rien fait ou pas grand-chose se posent en sauveurs « pour faire barrage » au communisme des hordes soviétiques tandis que les vrais résistants restent humbles et rasent les murs. La bassesse des gens n’a jamais de limites quand leur intérêt égoïste est en jeu. Curtis décrit très bien cette amertume qui a dû le saisir en 1945, lorsqu’il est revenu au pays. Les paysans restent antisociaux, les bourgeois aveugles et méchants, les commères du peuple ignares et viles. « Il y a quelque-chose de détraqué », se rend compte Philippe. Une description d’un humour féroce de la pâte humaine.

Roman prix Goncourt 1947

Jean-Louis Curtis, Les forêts de la nuit, 1947, Julliard, €9,87, e-book Kindle €8,99, ou d’occasion en lot de 5 romans, €24,99

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Jean Rouaud, Les champs d’honneur

Jean Rouaud est né en Loire-Inférieure (depuis renommée « Atlantique »). Dès ses premiers chapitres, il montre les intempéries, la pluie incessante, la flotte qui tombe inexorablement, venue depuis l’océan. A se demander comment tous les Français rêvent d’aller s’installer à Nantes, sur les bords de l’estuaire ou en Vendée…

Mais tel n’est pas son propos. Ce diplômé de lettres écrit une histoire familiale au hasard des mots. Il prend prétexte du climat pour évoquer le grand-père en 2CV, voiture péniche qui tangue, hurle et n’avance pas, percée de toutes parts et qui prend eau. Ce grand-père maternel est Alphonse, ancien tailleur à « Riancé » (en réalité Riaillé). Le jeune garçon qu’est alors le narrateur préfère la DS, beaucoup plus confortable, que son père Joseph a acheté mais dont il n’aura profité que trois mois. Il meurt lui aussi, trop tôt, à peine à 40 ans. Suit dans la tombe sa grand-tante Marie du côté de son père, une ancienne institutrice dont les règles se sont arrêtées à 26 ans lorsque son propre frère Émile est mort gazé durant la bataille d’Ypres lors de la guerre de 14, de même que Joseph, frère d’Émile, tous deux « morts dans les champs d’honneur. »… Aline et Pierre, les parents de son père, sont morts en 1940 et 1941.

Il n’y a que les morts pour marquer le premier tome d’une série de cinq livres autobiographiques, que des Français moyens, des vies banales mais qu’il faut dire. Suivront Des hommes illustres, Le Monde à peu près, Pour vos cadeaux et Sur la scène comme au ciel. La mémoire ne se fixe qu’à la mort, tout le reste est anecdote. Ainsi le gamin de 2 ou 3 ans qui court tout nu dans le mas du sud, répugnant à se laisser habiller, ne serait-ce que d’un simple slip. C’est un petit fait vrai que j’ai pu constater sur certains bambins. Mais les anecdotes servent à tisser le fil d’une histoire, donc à dérouler à l’envers la trame du temps, comme ce dentier de métal, incongru, abandonné dans un saladier fourre-tout, qui servira ensuite de presse-papier aux documents de famille.

Depuis ce premier roman d’une langue riche et imagée, l’auteur a beaucoup écrit sans être vraiment connu. Il tient aujourd’hui une chronique hebdo à L’Humanité.

Prix Goncourt 1990

Jean Rouaud, Les champs d’honneur, 1990, Éditions de Minuit collection Double 1996, 192 pages, €8,00

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Nicolas Mathieu, Leurs enfants après eux

C’est la guerre de 14-18 que raconte l’auteur : l’adolescence. La guerre des élans, des mélancolies et des colères des mineurs juste sortis d’enfance que la société laisse en friche, surtout dans la France périphérique déclassée par la désindustrialisation et le chômage. Seules les classes aisées parviennent à socialiser les adolescents en associations, sports et autres engagements ; pour les classes populaires, hier il y avait les scouts (pas toujours très catholiques mais aussi laïques et mixtes comme les Eclaireurs) ; dès les années Mitterrand ils sont laissés à eux-mêmes. Ils passent de bébés à BBB, cette trilogie ado de bière, bite et baston. Sortis de l’œuf, les meufs et la teuf. Pour faire comme les autres, pour exister, pour apprendre à être un homme – ou une femme. Car les filles ne sont pas en reste pour l’alcool et la baise, loin de là. Elles sont même pires que les mecs comme langues de pute, se moquant des autres filles et comparant les attributs des mecs qu’elles ont testé, en se faisant baiser « dans tous les sens ».

Sur les frontières de l’est, dans l’ancien bassin minier de la métallurgie sinistrée des années 1980, « Heillange » et « Métalor » (ces noms inventés mais transparents) constituent l’univers borné des fils d’ouvriers licenciés. L’été, cette période de vacance d’école, est un vide passé dans la cité ou au bord du lac, à tenir les murs ou à glander. L’auteur saisit Anthony sur le grill du sable brûlant dans le plus simple appareil. Il a eu « tout juste 14 ans » (en mai). Il va, avec « le cousin » de deux ans plus âgé, emprunter un canoë pour aller mater sur « la plage des culs nus ». Que faire d’autre quand on ne part pas en congés et que l’orage des hormones vous pousse à tout ? « Anthony filait tout schuss, pris de frissons, jeune à crever » dit l’auteur d’une phrase ciselée par l’émotion p.39. L’émotion, d’ailleurs affleure durant toute la première partie ; Nicolas Mathieu manifeste une tendresse pour ce vilain petit canard de 14 ans tout empli de contradictions, un autre lui-même peut-être qui ôte son tee-shirt toutes les trois pages. A moins que ce soit pour « Oscar » à qui ce roman est dédié. Les autres parties prennent plus de distance, racontées à la façon d’un entomologiste sur ces drôles d’animaux ados.

Mais pour tomber les filles, il faut être sexy, « mignon » disent-elles. A 14 ans, on est laid, difforme, dégingandé, le torse étroit, les membres démesurés, une « démarche de racaille ». Anthony admire chez le cousin les muscles fins, dessinés, et l’assurance qu’il n’a pas encore. 1992 : 14 ans ; 1994 : 16 ans ; 1996 : 18 ans – et 1998 : 20 ans, une partie superfétatoire qui gâche l’ensemble. L’auteur a voulu à toute force faire entrer la coupe de foot à l’acmé de l’ère Chirac (sous gouvernement Jospin), pour illustrer une thèse : que le 14 juillet, les congés payés et le foot-spectacle sont les hauts fourneaux du métal républicain, fusionnant à fort degré les origines d’aloi divers. Rien de pire qu’un roman à thèse, heureusement cantonné dans cette dernière partie croupion, la plus courte et la plus amère, comme une retombée d’acide. Or les personnages doivent pouvoir s’épanouir sans les contraintes de la théorie, laissez-les vivre !

Ils vivent par bonheur durant 493 pages sur 559. Anthony grandit, évolue, se forme. Il embrasse à 14, baise avant 16, se muscle à la perfection à 18. Fils de chômeur reconverti dans l’autoentreprise de bricolage, jardinage et nettoyage – un brin porté sur l’alcool – et d’une mère comptable, il est unique. Couvé par sa mère car il ressemblait au Grégory de « l’affaire » étant petit, il a mis du temps à s’étoffer. Son rival est Hacine, fils d’immigré marocain qui occupait le poste voisin de son père à l’usine. Hacine est aigri d’origine car mal intégré, entre un père moralisateur et autoritaire à l’ancienne et les nouvelles normes de la France moderne. Il vit son adolescence de petits vols et trafics, fumant de la beuh et rêvant de monter son business de trafiquant de haut vol, go-fast et réseau exploité selon le marketing. Il terminera employé dans une entreprise de démolition ; Anthony s’engagera dans l’armée. Avant que la dernière partie, décidément malvenue, ne remette tout en question.

Quant aux filles, Vanessa, Clem, Steph, l’une deviendra mère pondeuse, l’autre commencera médecine, la troisième entrera à l’ESSEC par rage de quitter ce bled de pauvres et de bornés où, si l’on se laisse aller, on devient vite « cassos » (cas social). Dans ce monde qui meurt, il faut vivre ; dans ce monde qui change sans cesse, il faut éviter de reproduire l’identique. La jeunesse s’adapte. Encore faut-il se sortir des déterminismes de son milieu, de « l’effroyable douceur d’appartenir » comme termine l’auteur, adepte des fins de chapitre fignolées. Le titre du roman est tiré d’un poème de Jésus Ben Sira dit le Siracide, dans un livre non canonique du Talmud.

Mais qu’en est-il de cette jeunesse un brin hors sol, revisitée par le souvenir ? Anthony a exactement l’âge de son auteur, né dans les Vosges fils unique de parents ouvrier et comptable. Nicolas Mathieu en tire une image d’Epinal dans laquelle les filles ne sont pas violées, les garçons jamais pédés, où nul jeune ne va au cinéma pour se peloter ni ne connait d’accident ou la case redressement, où ne sévit ni le sida ni la grossesse à 15 ans. L’orage adolescent passe aussi vite que ceux d’été dans le climat continental ; les ados deviennent adultes naturellement.

« Ces gens-là », petits blancs ouvriers à manies, vivotent et leurs enfants après eux. « Leurs idées sur tout, simples, honnêtes, d’éternels cocus. Cette probité benoîte qui les laissait toujours interdits devant le cours du monde. Les trois ou quatre idées fortes qu’ils tenaient de l’école communale ne leur servaient à rien pour comprendre les événements, la politique, le marché du travail, les résultats truqués de l’Eurovision ou l’affaire du Crédit lyonnais. Avec ça, ils ne pouvaient que se scandaliser pauvrement, dire c’est pas normal, c’est pas possible, c’est pas humain. (…) Et pourtant, alors que la vie contredisait sans cesse leurs pronostics, décevait leurs espérances, les dupait mécaniquement, ils restaient vaillamment dressés sur leurs principes de toujours. Ils continuaient à respecter leurs chefs, à croire ce que racontait la télé, ils s’enthousiasmaient quand il faut et s’indignaient sur commande » p.510.

Ce deuxième roman publié est une vraie réussite dans le réalisme social, sans misérabilisme ni idéologie, ce qui n’est pas si courant pour un Goncourt. Ton qui déplaît à certaines lectrices qui ne se sentent pas prises, préférant le bon vieux bien et mal des séries télé yankees. Les dialogues sont en langage d’époque. Sauf la dernière partie, qui peut n’être pas lue, j’ai bien aimé ce roman d’une époque vécue, celle de la génération des fils.

Prix Goncourt 2018.

Nicolas Mathieu, Leurs enfants après eux, 2018, Babel poche 2020, 559 pages, €9.90 e-book Kindle €9.49

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Il y a un siècle, le prix Goncourt

Le 10 décembre 1919, il y a un siècle exactement, le prix Goncourt a été attribué à Marcel Proust, 48 ans, né quelques mois seulement après la Commune de Paris. Il est en concurrence avec le célèbre livre de Roland Dorgelès, Les croix de bois, sur la guerre de 14 qui vient de se terminer. Mais les gens en ont assez de la guerre, de l’industrie de la poudre, de la boucherie industrielle, des miasmes des blessures. Le second volume d’A la recherche du temps perdu, intitulé A l’ombre des jeunes filles en fleurs apparaît plus séduisant. Six voix emmenées par Léon Daudet contre quatre lui accordent le prix.

Les salons parisiens puis la petite ville balnéaire normande de Balbec (imaginaire) sont loin du front et de l’univers mâle. Encore que… Rosemonde, Andrée, Albertine, on l’apprendra plus tard dans les archives, sont des garçons. Marcel, qui aimait les hommes, a travesti ses amours en femmes pour écrire les romances que chacun attendait à son époque.

La Lettre de la Pléiade de février, numéro 65, raconte sous la plume de Thierry Laget, auteur d’un Proust prix Goncourt, comment cette annonce fut reçue par le grand malade qu’était Marcel.

« L’équipe de la Nouvelle revue française – Gaston Gallimard, Jacques Rivière et Jean-Gustave Tronche – s’est installée encore plus près, à une table au rez-de-chaussée de Drouant » [le jury Goncourt ripaille et décide dans un salon privé à l’étage] « Les trois hommes sont donc les premiers informés et se précipitent chez Proust, suivis de peu par Léon Daudet, qui saute dans un taxi, direction 44 rue Hamelin. Contraint de quitter son précédent logement, Proust a échoué là le 1er octobre. C’est, au cinquième étage sans ascenseur, ce qu’il appelle un ‘taudis’, ‘un meublé aussi modeste qu’exorbitant de prix’ – seize mille francs ! » [Mais nous sommes dans le 16ème arrondissement… Proust y mourra trois ans plus tard, le 18 novembre 1922, à 51 ans].

« Ce jour-là, il se réveille en début d’après-midi. Les jours de brouillard, il respire plus mal encore. Il a terminé sa fumigation, pris son café et vient de s’assoupir de nouveau lorsque la sonnette retentit. Céleste – ‘grande femme plate ensommeillée’ – va débarricader la porte. Sur le palier, la maison Gallimard, essoufflée d’avoir monté les cinq étages. Conciliabule dans l’antichambre. (…) Gallimard déclare qu’il doit parler à Proust sans tarder. Les trois hommes sont introduits dans le salon et s’installent dans des fauteuils de velours rouge, tandis que la gouvernante va voir si son maître peut recevoir. (…)

« Il règne là un froid de caveau : les calorifères sont fermés, on ne fait jamais de feu. On n’ouvre ni fenêtres ni contrevents. »

« Céleste réveille Proust. C’est la première fois qu’elle ne respecte pas la consigne et se permet d’entrer chez lui sans avoir été appelée. « Monsieur, lui dit-elle, j’ai une grande nouvelle à vous annoncer, qui va sûrement vous faire plaisir… vous avez le prix Goncourt ! » Le laconisme de Proust trahit son émotion ; lui, d’habitude si éloquent, ne parvient à articuler à cet instant-là que la phrase la plus brève de sa vie : « Ah ? »

(…) « Céleste demande si elle peut introduire Gallimard, Rivière et Tronche qui sont « dans un état d’excitation terrible » et veulent lui parler. Proust leur fait dire qu’il n’est pas en état de les recevoir, qu’il les prie de repasser plus tard, dans la soirée ou le lendemain. Céleste transmet le message, mais Gaston insiste. Il doit prendre un train pour Deauville afin d’être, dès le matin, à pied d’œuvre chez (…) son imprimeur d’Abbeville. (…) Céleste explique cela à son maître, qui consent à accueillir les visiteurs. »

« Marcel est couché, tout habillé, dans son lit à barreaux de fer. (…) Il règne dans la pièce une odeur d’oreiller, de renfermé, de pénombre, de fumigations antiasthmatique. (…) Jacques Rivière a noté la joie que Proust éprouve, ce jour-là. « Certainement il aimait sa gloire et en quêtait les moindres signes. » Céleste confirme qu’il est ravi, mais ne le montre pas, car « il était toujours ainsi, égal et maître de lui en toutes circonstances, et ne sortant jamais de son harmonie ». (…)

« Proust congédie enfin ses visiteurs, qui ne sont restés qu’un bref instant dans sa chambre. Puis il appelle Céleste : « Il est probable que l’on va sonner beaucoup à notre porte, car on finira bien par me trouver, dit-il. Je ne veux recevoir personne, surtout pas les journalistes ni les photographes… ils sont dangereux et ils en veulent toujours trop. Mettez tout le monde à la porte. Proust est épuisé. Il fait une crise d’asthme ‘abominable’. »

C’est ainsi que Marcel Proust, probablement le plus grand écrivain français du XXe siècle, a reçu le prix Goncourt qui consacrait le second volume de sa Recherche.

Mais presque aussitôt, les « associations » et la presse se déchaînent. Les anciens combattants, les pacifistes, les réactionnaires comme les révolutionnaires trouvent répugnant que l’on couronne un livre qui ne soit pas du temps présent mais du temps perdu. Que l’on se mette à rêver aux « jeunes filles » alors que tant de jeunes gars se sont fait tuer sur le front. Comme toujours, l’émotion de l’extrême-actualité se croit génie qui va durer. Il n’en est rien. On se souvient de Roland Dorgelès et de ses croix parce que la guerre de 14 reste dans les mémoires ; mais on se souvient bien plus encore de Proust et de ses fleurs, car elles sont littérairement éternelles.

Thierry Laget, Proust prix Goncourt : une émeute littéraire, Gallimard 2019, 272 pages, €19.50 e-book Kindle €13.99

Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, Folio Gallimard, €6.80 e-book Kindle €6.49

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Au revoir là-haut d’Albert Dupontel

Adaptation du prix Goncourt 2013 de Pierre Lemaitre, que je n’ai pas lu (la qualité long terme des Goncourt étant faible), le film résume et caricature un message : quelle çonnerie la guerre ! Toute cette fanfare sur « la Victoire » après quatre ans de boucherie et de trahisons, quelle célébration !

Deux soldats de base en bleu horizon, qui ont fait copain sur les cotes à défendre, se retrouvent après l’épreuve démobilisés de tout dans la vie civile. Albert Maillard (Albert Dupontel) était comptable avant la guerre ; il se retrouve « dans la publicité », porte-enseigne des rues pour une marque de cigarettes ou un parfum. Son copain Edouard Péricourt (Nahuel Pérez Biscayart) a eu la gueule cassée en sauvant Albert d’un trou où il était enseveli par une bombe avec un cheval. Il a honte de sa laideur et de son incapacité sociale à manger sans tube et il veut d’abord mourir avant de se créer des masques – dont la morphine que lui procure Albert en volant les autres ingambes et mutilés. Son copain déniche dans les archives un mort de l’Assistance que personne ne va réclamer, Eugène, et laisse croire qu’Edouard est mort « au champ d’honneur » (dans la boue et la putréfaction). Décidément, quelle connerie, la guerre !

Surtout que leur lieutenant des tranchées est une ordure, aristocrate et affairiste, macho et dominateur, grand baiseur de femmes, dont Madeleine (Émilie Dequenne), la propre sœur d’Edouard qu’il a rencontrée lorsqu’elle a voulu se recueillir sur la tombe présumée de son frère, et à qui il colle illico un polichinelle dans le buffet. Portant beau, Henri d’Aulnay-Pradelle (Laurent Lafitte), dont on se demande pourquoi il n’est que lieutenant, est un personnage détestable, outré – peu crédible dans la réalité. Mais c’est probablement ce qui plaît à notre époque inapte à toute nuance, sur le modèle hystérique Mélenchon, qui préfère adorer ou détester plutôt que les nuances du penser par soi-même et du jugement mesuré en bon sens.

Le père d’Edouard, Marcel, est brossé à même gros traits en grand bourgeois habitant un hôtel sur les Champs-Elysées, tutoyant les ministres et président d’une grosse firme qui a fait ses affaires durant la « grande » guerre (Niels Arestrup). Depuis l’enfance, il a toujours voulu « dresser » son fils pour le rendre conforme à son image, requin des affaires apte à prendre sa succession à la tête de l’entreprise. Mais Edouard a toujours résisté ; d’un tempérament artiste, il n’a cessé de dessiner. Dont son père en « gros con » lorsqu’il avait une dizaine d’années. Il dessinait encore dans les tranchées, entre deux salves d’obus ou deux attaques suicidaires à la baïonnettes commandées par le lieutenant qui n’hésitait pas à envoyer deux poilus « en reconnaissance » en plein jour (!) vers les lignes allemandes avant de leur tirer dans le dos – pour motiver « ses » hommes, désireux alors de venger leurs copains. Je m’étonne qu’Albert, qui l’a vu, n’ait pas tiré sur le lieutenant, cela se faisait volontiers pour les ordures durant ces quatre années de guerre imbécile où le pire de l’humanité ressortait.

Albert et Edouard, aidés de Louise la gamine gavroche de Paris (Heloïse Balster) qui accepte sans juger la gueule cassée, vont monter une arnaque pour se venger de la société qui les rejette malgré leur courage à la guerre. Edouard va dessiner un catalogue de monuments aux morts, qu’il veut proposer aux maires de France suivant la volonté de Clemenceau qui préconise d’en doter toutes les communes. Il ne s’agira pas de les réaliser, seulement de les dessiner – d’empocher l’argent et de partir aux colonies pour y vivre inconnus.

Le père d’Edouard s’y laisse prendre, sommant le maire niais du huitième arrondissement (Philippe Uchan) de lancer un concours dont il financera intégralement l’œuvre. Comme pour le lieutenant, le maire est une caricature de nigaud mielleux à laquelle on ne croit pas un instant. « Mais oui, je suis bête » dit le benêt à propos d’une chose qu’il a oubliée. « Oui », répond le président. C’est drôle et c’est con. Ces personnages impossibles à croire font toute la faiblesse du film.

Mais le père aimait secrètement son rejeton (oh, le mélo !) et il a été affecté par sa mort. Il regarde les dessins d’Edouard, apportés par Albert, puis le convie à dîner dans son hôtel particulier en présence de sa fille pour en savoir plus, notamment sur les derniers moments. Une émotion sincère, mais bienvenue, empêche Albert de trop mentir sur la fin présumée et il apparaît socialement gauche et franc à la fois, ce qui permet au président de lui proposer un poste pistonné de comptable à la banque. Comme Edouard a besoin d’argent pour éditer son catalogue, il pratique ce qu’on appelle « la pyramide de Ponzi » (que l’auteur appelle d’un autre nom) : faire signer un reçu d’un montant inférieur à celui apporté, puis créditer sous trois jours le compte de la somme manquante par un autre « emprunt », courant toujours plus vite que les contrôles. La « morale » de notre époque veut qu’Albert, foncièrement honnête, n’arnaque que les profiteurs de guerre.

Le catalogue édité, le monument choisi, l’argent versé, les compères fêtent cela à l’hôtel Lutétia avant de partir pour le Maroc. Entre temps Albert, bouleversé d’avoir vu le lieutenant marié à la sœur d’Edouard lutiner la bonne dont il est amoureux, le suit jusqu’à son chantier, le grand cimetière militaire où il compte à l’Etat de multiples cercueils remplis parfois de terre ou de débris sans toujours de nom. Il le menace d’un pistolet mais le lieutenant finit au trou, tombant au travers de planches qui couvraient bien mal une fosse avant d’être enseveli, comme les hommes qu’il envoyait en première ligne durant la guerre. Ce pourquoi Albert est arrêté au Maroc par les militaires français.

Il explique au colonel qui l’interroge toute son histoire. D’où ce poncif des flash-backs film et une fin que je vous laisse découvrir, édifiante comme il se doit dans notre époque de niaiserie à la Disney.

Au revoir là-haut n’est pas à mon avis un grand film, même si Albert Dupontel joue son rôle de façon réaliste et prenante et si l’on compatit aux affres de son copain gueule cassée. Les scènes cocasses ne manquent pas, comme le lieutenant qui marche sur les tombes ou le jeu de massacre des vieilles badernes au Lutétia. Les uniformes et le Paris paysan des arrondissements périphériques sont reconstitués avec soin. Mais tout est trop en noir et blanc dans cette histoire pourtant sophistiquée, reflet du monde d’hier qui créait des brutes avant que la guerre ne brutalise plus encore les hommes. Nous sommes avec le livre dans le feuilleton, pas dans la littérature ; avec le film dans le divertissement mélo, pas dans la psychologie. Le spectateur ne s’ennuie pas mais il oublie vite ce genre d’œuvre, seulement « jolie » selon le mot d’Albert : une fois vu, au revoir le film.

DVD Au revoir là-haut, Albert Dupontel, 2017, avec : Albert Dupontel, Emilie Dequenne, Niels Arestrup, Mélanie Thierry, Nahuel Pérez Biscayart, Laurent Lafitte, 1h52, Gaumont 2018, standard €9.99 blu-ray €20.56

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Pascal Quignard, Les ombres errantes

Ni essai, ni roman, ce texte fait de morceaux ciselés comme des « citations » pour la postérité, évoque les bienfaits de l’ombre contre la logique et la modernité, la mort toujours au bout de chaque vie, l’oubli vite venu des personnages qui se croient grands, le passé qui ne passe pas et s’impose – sans oublier les abîmes de l’écrivain qui se sent au bout d’un fil.

Les quelques trente premières pages sont assez laborieuses et déconcertent, on saute du chevalier Le Cerf qui sévissait en 1618 à Wen Bigu dans le Jin Ping Mei et au bombardement de Pearl Harbor avant de retrouver la vie de Rancé puis la légende de saint Brice… Enfin vient « le dernier roi des Romains », qui a beaucoup plus aux incultes qui découvraient la Gaule après les barbares et a valu le prix Goncourt à l’auteur en 2002. Syagrius fut vaincu par Clovis, dont le nom signifie Louis mais qui s’appelait Chlodovecchus. Evidemment, Chlodo fait moins chic que Louis.

Et la littérature dans tout ça ? Point de récit ni de héros mais le temps qui réfléchit sur l’auteur dont la mémoire submerge la plume. C’est érudit, cultivé, précisément tracé. Mais aussi indocile à tout ordre formel et obsédé du jadis. Le chemin est vite dit : « lire c’est errer » et le lecteur est invité à l’errance. Le charme de la petite musique finit par opérer, surtout lorsque les chapitres deviennent plus longs que des aphorismes, ce qui survient à peu près vers la moitié.

Pascal Quignard est un écrivain, mais la liste de ses 39 livres publiés avant celui-ci depuis 1969 laisse rêveur. Est-ce une œuvre ou une dispersion au gré de la plume au vent ?

Pascal Quignard, Les ombres errantes – Le dernier royaume, tome 1, 2002, Folio 2004, 208 pages, €6.60

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François Weyergans, Trois jours chez ma mère

Un tissu d’anecdotes banales écrites d’un ton plat par un angoissé dépressif – tel est, en bref, le « meilleur » de la littérature française contemporaine selon ce Prix Goncourt 2005 ! Désolé, je ne suis pas…

J’ai trouvé ce livre dans un hôtel italien, abandonné parmi nombre de romans anglo-saxons dans la bibliothèque du salon. La page 62 était cornée et le reste, immaculé – signe que le lecteur (ou plus probablement la lectrice, puisque les femmes lisent plus de romans que des hommes), en était resté là. Il/elle n’a pas eu le désir d’aller plus loin avant d’abandonner le livre au hasard des autres. Moi si : je suis allé jusqu’à la page 145, au moment où un roman dans le roman inaugure une nouvelle ère de platitudes. Et puis j’ai survolé, profondément ennuyé par cette prose sans goût.

Vous avez un personnage fictif qui se dit Weyergans mais intitule ce vague récit roman pour fabuler à l’aise, sauf que la fabulation ne décolle pas. Il insère donc un certain Weyergraf, qui est lui dans un état second, manuscrit avorté qu’il a eu peine à lancer.

Pas d’histoire, pas de style, pas de musique – ou très faible, au début. La leçon de cuisson d’un homard (vivant) au four retient l’attention (p.31). Sadisme latent qui saisit à la lecture. Il s’agit d’une recette de l’auteur pour sa mère, ce qui laisse entrevoir un abîme de non-dit et de pulsion assassine. Mais rien de cela n’est mis en scène, ni développé. L’auteur ne cesse de répéter, lancinant, qu’il a du mal à écrire, qu’il ne le fait que laborieusement, poussé par le fisc et par son propriétaire pour payer impôts et loyers. Cela se voit beaucoup trop…

Bien qu’il dote ses « filles » de roman de prénoms bobos impossibles, Zoé et Woglinde (p.13), bien qu’il saisisse au vol tous les mots qui surgissent au fil de son monologue interminable pour s’efforcer d’en extirper de laborieuses évocations à la Proust, l’ensemble est raté.

Quand je pense que François Weyergans a été élu en 2009 à l’Académie française, je me demande comment la littérature en est arrivé là. Lecteur, si m’en croyez, fuyez ce roman, les Goncourt et toute cette sorte de publications encensées des critiques officiels !

Je ne suis pas le seul à n’aimer point ce genre de bouquin et je vous livre un critère objectif : il n’y a pas moins de 108 exemplaires de Trois jours chez ma mère disponibles en occasion sur Amazon en septembre 2017, à 1 centime d’euros. Et je vous passe le meilleur des commentaires…

François Weyergans, Trois jours chez ma mère, 2005, Folio 2007, 231 pages, €8.20, e-book format Kindle €7.99

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Recentrer sa bibliothèque

Les livres, avec le temps, finissent par envahir l’espace. Ils s’accumulent, déjà lus ou à lire, et sans cesse les « nouveautés viennent s’y ajouter. Si l’on veut.

Car le propos de ce texte est justement de dire non. Comme avec les gens, il faut trier. Nul ne peut tout connaître, tout lire et baiser toutes les femmes (sans parler du reste pour les bi). Les « amis » ne sont pas les « camarades », encore moins les « collègues ». Les amis restent, les autres passent, soit avec l’activité, soit avec le métier. Il vous faut faire de même avec les livres.

Il y a vos amis, qui resteront toujours. De ceux « à emporter sur une île déserte » (sans Internet ni portable qui capte, comme disait un ado) aux compagnons agréables que l’on a plaisir à consulter ou relire – un temps.

Et il y a les autres, les passables (à donner) ou les jetables (à recycler). Car, comme avec les gens, les livres sont toujours récupérables, mais plus ou moins. Ils peuvent plaire à d’autres, ils peuvent porter témoignage, servir aux études. Mais ceux-là, pourquoi les garder ?

Mon critère unique pour conserver les livres est la réponse à la question : aimerais-je les relire ? Si oui je les garde, qu’ils soient classiques ou de divertissement ; sinon, je les donne ou les jette.

Cela pour le présent – mais il faut tenir compte aussi de l’histoire personnelle.

Les livres sont des expériences humaines en papier ; ils vous sont propres parce qu’ils ont, un jour, déclenché votre imagination, fait vibrer vos passions, titillé vos sens. Ces expériences-là sont personnelles et uniques, nul ne peut les reproduire à l’identique, pas même un clone de vous – parce qu’il n’aurait pas la même histoire dans un environnement à l’identique.

Ce pourquoi le tri que vous faites est aussi un tri historique.

Vos livres d’enfant sont en général transmis à vos enfants ou neveux ou filleuls, ou donnés à d’autres enfants – s’ils lisent encore… Vous ne gardez que les plus chers, ceux qui vous ont impressionnés pour la vie. Comme Jules Verne ou Alexandre Dumas, mais aussi les Six compagnons, Michel, le Prince Eric ou Bob Morane. Pour ma part, j’ajoute Kim Carnot, mais très peu s’en souviennent.

Vos livres d’étudiant ne restent quasi jamais dans votre bibliothèque, sauf éventuellement passé la licence – parce qu’alors le sujet vous intéresse. Les étudiants d’aujourd’hui n’en achètent pas ; ils les téléchargent, les empruntent ou les photocopient partiellement en bibliothèque. Ce qu’il y a dans les livres est pour eux du passé et ne sert qu’à étayer des références exigées leurs propres travaux. Il est vrai que les manuels sont souvent bien mal écrits et trop immergés dans la mode idéologique – même dans les sciences dites « dures », les dogmes prennent trop de place pour n’être pas vite dépassés par l’avancée de la recherche. Je n’ai gardé pour ma part que les livres sur les sujets qui continuent de me passionner, en histoire, en idées politiques, en art.

Les essais passent trop vite pour ne pas les lire en médiathèque, ou pour ne les acheter qu’en poche, voire d’occasion ou – bénie soit la technique ! – sur liseuse de type Kindle. Vite lus, vite dépassés, ce ne sont que des articles plus fouillés – mais qui remplacent très avantageusement le blabla usuel du journaliste ! Les médias font de moins en moins leur métier d’enquêter et de réfléchir avant de gloser – les livres d’actualité prennent donc leur place. Ce pourquoi je les consomme comme hier les journaux : gardés un temps, revendus ou détruits ensuite.

Je réserve mon espace limité aux classiques pour la culture (on y revient toujours…), aux romans pour le plaisir (si j’ai envie de les relire) et à l’histoire pour le savoir (sans cesse renouvelé).

Mes lectures « professionnelles » sont traitées comme les essais : lues une fois, gardées parfois, éliminées souvent. Qui se souvient encore des prix Goncourt, une fois l’année passée ? Alors les romans des nouveaux auteurs… Ils doivent passer le temps pour être acceptés, relus, faire partie de votre existence : bien rares sont ceux qui le sont. Et comme l’espace n’est pas extensible, sauf à acheter un château au fin fond d’une province pour en peupler les murs de livres à l’infini… la sélection culturelle s’impose.

C’était l’un de mes rêves d’enfant que ce château bibliothèque – mais l’enfance passe, la raison l’emporte. Entre les murs exigus d’un appartement en ville (même d’un grand), la place des livres est limitée. Si nombre de ceux d’hier sont utilement remplacés par Internet (les encyclopédies, la plupart des dictionnaires, les livres « pratiques » et de santé), la culture ne cesse de croître et il est nécessaire de faire des choix.

Gouverner sa bibliothèque exige de la recentrer sur vous, ce que vous aimez et ce qui vous caractérise. Le critère de relecture est alors le meilleur : si vous avez envie de relire, alors gardez – sinon, donnez ou jetez !

Un exemple de partage : la bibliothèque des champs sur ce blog

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Jérôme Ferrari, Le sermon sur la chute de Rome

jerome ferrari le sermon sur la chute de rome
Neuvième roman d’un prof de philo licencié de la Sorbonne et né Corse en 1968, qui a obtenu en 2012 le prix Goncourt. Je retiens l’écriture envoûtante, mais la teinture philosophique appuyée, un rien prétentieuse. L’auteur n’aime pas notre monde, ni la société actuelle : il se venge en caricaturant les comportements français et le localisme corse. Il va même plus loin, effectuant un parallèle entre la chute de l’empire romain et le nôtre, via Saint-Augustin. Ferrari gronde que l’homme, du seul fait de naître, porte en lui sa destruction et que Leibniz est un méchant con avec son « meilleur des mondes possibles », de même que Dieu n’est pas « bon » mais indifférent (p.101).

Il le démontre par les échecs personnels répétés de ses personnages, par l’échec de la société d’aujourd’hui, réduite au commercial et qui monnaie toute culture, par l’échec de la culture elle-même qui, coloniale, a voulu s’imposer au monde entier. Mais ne considère-t-il pas lui-même être au-dessus de tout cela ? Ni Corse faisant commerce des touristes, ni colonisateur enseignant la haute culture aux ignares en Algérie ou à Abu Dhabi, ni bien dans sa peau, bon époux, bon père et bon citoyen ? Je ne connais pas l’auteur mais je connais l’expatriation ; l’exil volontaire est souvent une fuite qui permet d’être mieux considéré ailleurs que chez soi, pardonné d’être seul par la distance, missionné pour porter la bonne parole aux étrangers.

Reste que ce roman est lisible, malgré ses personnages pitoyables (Matthieu) ou grotesques (Annie la branleuse, Virgile obsédé de testicules, Aurélie la sœur amateur de baise exotique). Aux phrases parfois interminables sur une page entière avec incidentes, virgules et subordonnées, se voient parfois succéder une phrase courte, sèche et percutante. L’ironie acerbe pour ses contemporains est un plaisir de lecture qui ajoute à l’envoûtement. « Son professeur d’éthique était un jeune normalien extraordinairement prolixe et sympathique qui traitait les textes avec une désinvolture brillante jusqu’à la nausée, assénant à ses étudiants des considérations définitives sur le mal absolu que n’auraient pas désavouées un curé de campagne, même s’il les agrémentait d’un nombre considérable de références et citations qui ne parvenaient pas à combler leur vide conceptuel ni à dissimuler leur absolue trivialité. (…) Il était absolument manifeste que l’Université n’était pour lui qu’une étape nécessaire mais insignifiante sur un chemin qui devait le mener vers la consécration des plateaux de télévision où il avilirait publiquement, en compagnie de ses semblables, le nom de la philosophie, sous l’œil attendri de journalistes incultes et ravis, car le journalisme et le commerce tenaient maintenant lieu de pensée » p.60. Trop d’adjectifs, mais le ton y est.

Certes, l’écriture se sépare du langage parlé (ce qui fait bondir les zappeurs immatures contemporains), mais elle se comprend et se goûte. Faites un test : quittez ce livre après plusieurs chapitres, ne le reprenez que plusieurs jours après. Vous aurez oublié quelque peu les personnages (plutôt insignifiants) mais vous rentrerez immédiatement dans l’ambiance grâce à l’écriture ; elle vous enveloppe et vous entraîne.

Alors l’histoire importe peu au fond, tant le style possède. L’idée pessimiste qui sous-tend le roman est la critique que Nietzsche fait au platonisme repris par le christianisme puis le marxisme : « le monde persistait à contrarier ses rêves au moment même où ils devenaient réels » p.135. Croire au monde idéal est une contradiction dans les termes ; refuser d’accepter que ce monde-ci est irrémédiablement mêlé, bon et mauvais, amour et manque, rêves et comptabilité, est une lâcheté.

Mais l’auteur a-t-il compris la critique de l’idéalisme par Nietzsche, s’il l’a jamais étudié ? En quoi Saint-Augustin, évêque confit en Dieu après une jeunesse débauchée, répond-t-il à la question ? Est-il avéré qu’un travail lucratif déforme l’être, que le commerce contamine les mentalités ? « Un boulot qui rend con. Tu ne peux pas vivre de la connerie humaine ». Pourquoi ne peut-on pas ? « Parce que tu deviens toi-même encore plus con que la moyenne » p.184. Ah bon ?

C’est ne pas faire confiance aux êtres qui peuvent jouer avec la bêtise en conservant leur quant à soi, être efficaces au travail et gagner de l’argent sans vendre leur âme. Mais cette conception utilitariste de l’existence échappe au fonctionnaire français formaté Éducation nationale qui reste enplatonisé d’idéal, à ne réaliser que par et pour l’État qui sait tout mieux que vous, qui peut tout grâce aux « moyens » taxés de force aux citoyens, infantilisant un peu plus ces mêmes citoyens assistés et empêchés par une multitude de préceptes de la moraline « progressiste », de règlements minutieux et de contrôles tatillons.

L’auteur, malgré son exil, est contaminé par cette façon de voir le monde et les êtres – et c’est bien dommage car ses personnages auraient pu prendre une figure plus tragique, à la Camus, avec un zeste de contradictions et de complexité. Son roman aurait pu s’élever au présent éternel, sans la caution douteuse de Saint-Augustin.

Le roman se lit, mais se relit-il ?

Jérôme Ferrari, Le sermon sur la chute de Rome, 2012, Babel 2013, 207 pages, €7.70

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Maxence Van der Meersch, Gens du nord

maxence van der meersch gens du nord

Le lecteur curieux des humains se plongera avec délices dans cette anthologie de romans chtis des années 30. Maxence Van Der Meersch, fils de comptable né à Roubaix et devenu avocat et écrivain, est né en 1907 et mort en 1951. Il est tombé dans l’oubli, malgré son prix Goncourt 1936 pour L’empreinte du dieu, une histoire de mariage, d’amour et de jalousie. Nous sommes dans le populaire, un Zola qui ne serait pas entomologiste mais plein d’empathie, un style littéraire repris depuis par Gilbert Cesbron, Louis Guilloux, Bernard Clavel et d’autres. Du réalisme pour l’édification, le vrai au travers de la réalité.

Les cinq romans ici repris parlent de contrebande de tabac dans ces confins de Flandres, entre la France et la Belgique ; des conséquences d’une grève ouvrière décidée par les syndicats sur les ménages ouvriers partagés entre la volonté de se battre et la misère de ne plus toucher de sous ; de la hantise du mariage socialement requis, de la jalousie et de l’amour ; de la pauvreté depuis l’enfance qui marque à jamais dans sa chair et ses mœurs. La hantise est le sexe, découvert très tôt brutalement, filles comme garçons troussés dès 12 ou 13 ans par les contremaîtres ; l’angoisse de « tomber » enceinte, d’être abandonnée à sa misère avec le bimbin à nourrir sans pouvoir travailler, de ne jamais pour voir « se ranger » dans le mariage pour avoir « fauté ». Les hommes ne pensant qu’à cauchier pour queutcher, coucher pour copuler comme on dit là-haut. L’autre hantise est l’argent qui peut tout, qui sait tout, pour qui on se compromet sans vergogne. La bourgeoisie, aux yeux de Van der Meersch, est coupable d’abandon, de rejeter pour se hausser du col, d’exploiter et de se croire tout permis. Tous les patrons ne sont pas pourris, il en existe de paternalistes, catholiques et traditionnels, mais souvent bien mal récompensés.

La fille pauvre, dernier roman en trilogie de l’auteur et largement autobiographique, comprend bien des longueurs et était déjà archaïque lors de sa parution, l’État-providence ayant pris la place du destin depuis la guerre, mais il ne sombre jamais dans le misérabilisme, malgré les tentations. Denise, c’est Gavroche femelle, dévouée aux autres, tout amour, une réincarnation du Christ sans le savoir. L’auteur a la morale teintée de christianisme, très fort dans le Nord. Adhérent aux idées de la gauche socialiste sur la misère ouvrière, rêvant d’utopie sociale, il n’est militant dans ses romans que par la réalité crue qu’il présente, pour laisser le lecteur juge.

Le plus intéressant pour nous, aujourd’hui, est sans conteste Invasion 14, qui conte Lille et sa région occupée par les Allemands de 1914 à 1918. L’année 2014 va probablement nous bassiner au travers des médias et des fonctionnaires de la culture pour « commémorer » la boucherie industrielle chauvine de 1914. C’est une autre vision, à ras de peuple, que nous offre Van der Meersch. Les vainqueurs sont arrivés fringants dans le Nord, ont pillé et réquisitionné sans vergogne, ont maté toute velléité de résistance. Et puis la guerre s’est installée, le front à une dizaine de kilomètres. Les soldats allemands revenaient à l’arrière s’y refaire, assommés d’obus, blessés, des horreurs plein les yeux. A la fin du conflit, d’autres, très jeunes allemands de 16 à 18 ans, montaient au front dans la terreur, blonds et roses, encore tendres et épris d’affection. Les Français ont agi selon leur tempérament, rendu célèbre par la guerre suivante : l’égoïsme, la délation, le trafic, la putasserie, la trahison. Il y eût, comme d’habitude, très peu de « résistants » – et souvent ignorés, anonymes.

maxence_van_der_meersch photo

Nous rencontrons les habituels fonctionnaires stupides, envoyant l’ordre d’évacuation par la poste et non par télégraphe, alors que l’armée ennemie est en marche forcée ; les sempiternels « élus » démagogues qui veulent se faire bien voir de tout le monde, surtout des plus forts ; les patrons réalistes donc collabos, d’autres arcboutés sur l’honneur et la résistance ; les ralliés de la dernière heure, collaborateurs et traîtres qui postulent à la Légion d’honneur dès la guerre terminée ; les ménagères de 50 ans qui font l’opinion, tour à tour hostiles aux Boches, puis coulantes avec les filles qui fraient, avant de se rengorger dans leur honneur sexuel quand tout est fini – et de tondre les filles ayant fauté, haïssant l’enfant né de l’ennemi.

L’auteur pointe le racisme déjà présent en 1914 parmi les Allemands : « il y mettait une sorte de chauvinisme, cet orgueil de race, cette fierté d’appartenir au sang germanique qu’on leur inculquait à tous depuis si longtemps » p.518. Ceux qui ont « découvert » l’obsession raciale nazie 30 ans plus tard sont vraiment des naïfs ! Ils avaient la volonté de ne surtout pas voir, le culte ancré du déni.

Il montre aussi la brutalisation engendrée par la guerre et les conditions d’existence occupée. « Il était d’ailleurs profondément changé depuis son retour ici. Il avait trop souffert. Il était aigri, amer. Il ne parlait guère, n’avait pas d’ami, n’aidait personne et ne demandait l’aide de personne (…) Il avait rejeté avec une espèce de fureur tout ce à quoi il avait cru. Il en était venu à un désespoir tranquille et muet. Il avait trop vu la réalité de l’existence, les forts opprimant les faibles, les injustes triomphant, une universelle férocité chez les Français comme chez l’ennemi, l’envie, les haines, les égoïsmes d’un troupeau de misérables qui n’arrivaient pas même à s’aimer, à se secourir l’un l’autre » p.548.

Une suite datée, située, mais bien écrite, dans un français très pur. Qui s’intéresse aux autres et pas à son nombril comme les parutions d’aujourd’hui.

Maxence Van der Meersch, Gens du nord (La maison dans la dune 1932, Quand les sirènes se taisent 1933, Invasion 14 1935, L’empreinte du dieu 1936, La fille pauvre 1934-1955), édition et préface Jacques Duquesne, Omnibus 2010, 1221 pages, €24.70

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Il y a un siècle, 1913

Il y a un siècle… Mes grand-pères avaient 19 et 16 ans. L’année est surtout connue pour précéder 1914, début de la Grande guerre. Mais elle était déjà grosse de ce qui allait venir. Leçon pour le futur ? Impossible de dire quel possible devient réalité, et pourtant…

Alors que Freud publie en juin Totem et Tabou, l’Allemagne prépare la guerre et les socialistes sont très contents d’eux. La loi de juillet 1913 renforce l’armée d’active de 621 000 à 820 000 hommes. Au congrès du parti social-démocrate allemand à Iéna en septembre, la grève générale en cas de guerre est condamnée et les députés socialistes sont approuvés pour avoir votés les crédits militaires. L’empereur Guillaume II annonce en octobre au roi Albert 1er de Belgique que la guerre contre la France est inévitable. Le 25 octobre, signe du temps, naît Klaus Barbie, chef de la Gestapo de Lyon pendant la Seconde Guerre mondiale. Pendant ce temps, Niels Bohr présente la mécanique quantique où les électrons ne peuvent se trouver que sur certaines orbitales définies – et Hans Geiger crée le compteur de radioactivité devenu célèbre. L’hiver 1913, la crise économique en Allemagne est due à l’argent cher (ce que nous venons d’éviter en 2010-2011) ; elle va précipiter la guerre.

ado allongeLa France n’est pas en reste, qui prépare la revanche. Elle vote le 19 juillet la loi des trois ans sur le service militaire (comme le feront les socialistes durant la guerre d’Algérie). Le 17 janvier, Raymond Poincaré est élu président de la République et remplace Armand Fallières. La gloire de la France, qu’elle ne développera longtemps que pour la beauté du geste, est l’aviation. Le 11 mars, Perreyon bat le record d’altitude en avion, 5 880 mètres sur un Blériot, le 9 septembre, Maurice Prévost porte le record du monde de vitesse en aéroplane à 204 km/h et le 23 septembre Roland Garros effectue la première traversée de la Méditerranée en avion. Côté industrie, Peugeot lance au 1er juillet la Bébé, voiturette dessinée par Ettore Bugatti ; 45 000 voitures seront produites en France en 1913. Maurice de Broglie détermine le spectre des rayons X.

Paraissent en littérature L’Argent de Charles Péguy (hostile au bénéfice), Alcools de Guillaume Apollinaire (qui mourra à la guerre), Jean Barois de Roger Martin du Gard (fresque humaniste qui sera ringardisée par la boucherie), La Colline inspirée de Maurice Barrès (nationalisme qui connaîtra un destin), Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier (qui deviendra le symbole pacifique du monde d’avant), La Prose du Transsibérien de Blaise Cendrars (qui poursuivra le surréalisme des voyages), et enfin Du côté de chez Swann de Marcel Proust (qui ne sera reconnu qu’après 14-18)… Lorsque l’on se remémore les prix de l’année 1913, on ne peut qu’être effaré de leur inanité : prix Goncourt Le Peuple de la mer de Marc Elder, prix Femina La Statue voilée de Camille Marbo. Qui diable s’en souvient encore ? La mode et le politiquement correct d’époque passe aussi vite que les rassis installés qui les délivrent. Pour préparer le siècle, naissent Albert Camus et Claude Simon, tous deux futurs prix Nobel de littérature, Paul Ricœur, philosophe, Jacqueline de Romilly, académicienne et helléniste, Mouloud Feraoun, écrivain algérien, Charles Trenet, chanteur et Jean Marais, acteur.

Les États-Unis ne sont pas encore la première puissance de la planète, rôle qu’ils n’acquerront qu’après la chute de la livre sterling dans les années 30 et surtout durant la Seconde guerre mondiale. Mais le 3 février, le XVIème amendement de la Constitution américaine crée l’impôt fédéral sur le revenu et le 23 décembre, le Federal Reserve Act instaure la Fed, banque centrale, chargée de contrôler le système bancaire et d’émettre la bonne quantité de monnaie. C’est aussi en 1913 qu’Henry Ford crée le 10 août la première chaîne de montage dans ses usines automobile. La productivité augmente de 400 % et Ford Motor Company vend 178 000 automobiles en 1913 avant 248 000 en 1914 (45 % de la production nationale). Le pays attire parce qu’il est pragmatique. Le psychologue américain John Broadus Watson développe sa théorie du behaviorisme et 376 776 Italiens débarquent aux États-Unis. C’est l’année où naissent Richard Nixon, futur président, et Robert Capa, photographe américain d’origine hongroise.

A son sud, si le canal de Panama était fini de percer le 10 octobre, le général Victoriano Huerta, chef de l’armée mexicaine fait assassiner le président Madero et prend le pouvoir. Pancho Villa, Álvaro Obregón, et Emiliano Zapata attirent les paysans désireux de récupérer leurs terres dans une révolte qui sera matée dans le sang.

La Russie était déjà ce pays gros de promesses et destiné à le rester. Le 13 mai a lieu le premier vol d’un quadrimoteur géant construit par le russe Igor Sikorsky, mais Joseph Staline est arrêté pour banditisme révolutionnaire et exilé en Sibérie. La Russie célèbre le tricentenaire de la maison Romanov sur le trône impérial ; le tsar Nicolas II se croit populaire comme Poutine. Maxime Gorki publie L’Enfance, misérabilisme sympathique mais qui empêche d’avancer.

Au Moyen-Orient, la Turquie décline, ce qui incite le 23 janvier les Jeunes-Turcs au coup d’État. Le traité de Londres du 30 mai qui met fin à la première guerre balkanique fait perdre à la Turquie, vaincue, la plus grande partie de ses territoires européens. Grecs, Bulgares et Serbes doivent se partager la Macédoine, d’où aussitôt ces querelles de chiffonniers qui engendrent la seconde guerre balkanique dès juillet. Le siècle n’a pas fini ces querelles de bac à sable, et l’arriération due au joug ottoman durant des siècles perdure toujours en Grèce. Mais le retrait turc permet à certains membres du Parti de la décentralisation administrative ottomane du Caire des contacts avec l’Organisation sioniste qui auraient pu aboutir avec le temps, si la Seconde guerre mondiale et l’horreur des camps d’extermination n’avaient conduits à imposer l’État d’Israël. En 1913, une immigration juive en Palestine était admise sous condition d’égalité de droits entre Arabes et Sionistes.

L’Asie était loin mais présente. En mars 1913, la Chine se dote d’une armée de l’air et passe commande de 12 appareils à la France. Les 8 janvier, le 13ème Dalaï-lama déclare publiquement l’indépendance du Tibet, déjà formulée en 1912 dans une lettre au Chinois Yuan Shikai. Le 6 octobre, une conférence réunit à Simla des représentants des autorités britanniques, chinoises et tibétaines qui aboutit à une convention provisoire harmonisant les relations mutuelles et les frontières (ligne Mac-Mahon). La convention prévoit l’autonomie du Tibet et la souveraineté chinoise sur le Tibet intérieur mais l’accord, signé en avril 1914, n’est jamais ratifié par la Chine. Et aujourd’hui le problème demeure…

C’est en Inde que le poète philosophe Rabindranath Tagore reçoit le prix Nobel de littérature.

Reste l’Afrique où le docteur Albert Schweitzer arrive à Lambaréné au Gabon pour installer un hôpital tandis que sont promulguées le 19 juin en Afrique du Sud les premières lois d’apartheid. Deux approches occidentales vis-à-vis des Noirs qui ne seront levées qu’à la toute fin du siècle. Un soulèvements antiportugais a lieu en Angola tandis qu’au Kenya naît le culte mumbo. Un grand serpent sorti du lac Victoria aurait adressé un message à un homme, lui enjoignant de prêcher contre le christianisme et les Européens, prédisant la fin prochaine de la domination des Blancs. Aujourd’hui, l’islam intégriste a pris la place mais le continent reste dans l’anarchie militaire, la corruption des pouvoirs et la croyance.

Freud profilLes équilibres d’alors sont-ils changés un siècle plus tard ? Pas vraiment… L’Allemagne domine toujours l’Europe, les États-Unis restent gérés par la monnaie, la Chine assoit sa puissance mondiale, l’Inde demeure discrètement un continent de longue culture, la Russie est toujours velléitaire et le reste du monde ballote entre coups d’État, prises de pouvoir populaire et tentatives d’essor économique. Hors l’informatique et les fusées, nous n’avons rien créé de vraiment neuf depuis l’automobile et les avions. Le Net lui-même n’est pour l’instant qu’une radio amplifiée, pas une révolution. Va-t-il le devenir ? Les tenant des cycles Kondratiev par grappes d’innovations le croient : c’est possible mais cela va-t-il devenir réel ?

Car l’humanité reste entre totem et tabou. Dans de nombreuses sociétés la figure du Père tout-puissant limite de plus en plus « l’accès aux femmes » (à la morale ou aux biens de consommation) : le Parti en Chine, Poutine en Russie, les ligues de vertu et les Big Brothers du net aux États-Unis, le Président et la coterie Saint-Germain des Prés en France, Kim en Corée, Chavez au Venezuela ou Castro à Cuba, les islamistes un peu partout… La horde primitive se contente de brailler, s’épuisant en rites obsessionnels destinés à écarter l’angoisse. Ces primitifs croient encore en la toute-puissance de leur pensée, la pensée magique : un Autre monde est possible, demain on rase gratis, il suffirait de remplacer Sarkozy ou Bush ou Moubarak. Il n’y a pas d’âge adulte culturel, seulement de la jouissance chez nos bobos intellos. Faudrait-il pour comprendre 2013 relire le Freud 1913 ? Trois générations seulement ont passé.

Merci à Wikipedia pour sa recension de l’année 1913.

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