Album Flaubert

Le 12 décembre prochain naîtra Flaubert, il y a deux cents ans – le premier Napoléon vient de mourir et le troisième abdiquera avant sa mort. Né sous la monarchie, Gustave verra trois révolutions et quatre régimes avant de quitter ce monde sous la République. Il vivra ce bouleversement sans précédent de l’autre révolution, l’industrielle, de la presse et du feuilleton, de l’essor des théâtres au détriment des poèmes, de la photographie au détriment de la peinture réaliste, et du roman comme savoir-faire français. Né vingt ans après le siècle, Flaubert est mort vingt ans avant l’Exposition universelle du Progrès et de la Science, le 8 mai 1880, à 58 ans et demi – d’une « attaque ».

J’aime beaucoup Flaubert, ce Normand parisien, ce grand nerveux épileptique qui vivait littéralement les scènes qu’il imaginait pour les écrire, qui somatisait les affres de ses personnages. Outre sa Correspondance en cinq tomes, qui est un délice sur le temps et les hommes, mon œuvre préférée reste Un cœur simple, touchant portrait de la générosité humaine sous la bêtise ignorante, de la maternité par procuration sans espoir de retour, d’amour aveugle d’une obstination de brute. Ce qui m’ennuyait au collège lorsque nous devions l’étudier me ravit aujourd’hui tant le style est épuré et précis, sans un mot de trop, sans aucun jugement de la part de l’auteur qui décrit, comme détaché, démiurge.

Quant à Madame Bovary, elle fut Gustave comme le dit un mot apocryphe, imaginant toujours autre chose que le réel, désirant s’évader sans cesse de son milieu campagnard, de sa condition bourgeoise et de sa soumission de femme de notable. Bovaryser est passé dans le langage courant (cultivé). C’est s’illusionner sur ce qui pourrait être, rêver au prince charmant, à l’amour impossible, à l’ailleurs paradisiaque. Non sans une certaine hystérie, refoulement des pulsions sexuelles qui ne demandent qu’à s’assouvir, sublimation parfois, débauche brutale souvent. Les femmes y étaient plus aptes lorsqu’elles étaient cheptel bourgeois ; les hommes y sont sujets depuis qu’ils ont été dévalorisés par l’égalité des sexes. C’est aujourd’hui le Disney mièvre des stars, les plages de cocotiers, le club Med pour femmes seules – ou l’ecstasy de la jeunesse avide d’extase, la « croyance » qui légitime un soi minable, la fausse aventure des télé-réalités où l’on se met en scène, les paillettes cocaïne et ciné… Toujours être autre que soi-même, vivant un enchantement, une illusion, couvert du voile de Maya.

Yvan Leclerc signe un court album très illustré, où figurent des dessins du Croisset disparu et les rares photos du grand Flaubert, lui qui fuyait la représentation de soi et les images pour ne laisser au public que ses œuvres : la Littérature. Ce pourquoi il contraignait sa plume, réécrivait sans cesse, gueulait ses phrases pour vérifier comme elles sonnent. Plus de 4500 pages pour Madame Bovary qui n’en compte qu’un dixième. Tout doit passer par les mots. Une illustration, une photo, ce sont des faits précis qui s’imposent tandis qu’une description littéraire, un portrait psychologique, c’est tout un être qui surgit, avec son aura de milieu et d’époque. Ecrire pour recréer le monde dans l’imaginaire, plus vrai que nature – voilà ce que voulait Flaubert.

D’où son réalisme cru sans tomber dans le voyeurisme excité à la Zola, ou son lyrisme panthéiste devant le spectacle total de la nature ou d’un paysage. Il n’est pas romantique, il n’est pas naturaliste, mais entre deux. Il sera le modèle des écrivains fin de siècle et il reste l’un des grands du sien.

Yvan Leclerc, Album Flaubert, 2021 Gallimard la Pléiade, 252 pages et 189 illustrations, offert pour l’achat de trois livres de la Pléiade – ou en vente pour €35 sur les sites

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