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Printemps

L’hiver s’éloigne, le printemps naît.

Depuis toujours, depuis au moins que les humains se sont posés pour cultiver la terre et élever les bêtes, le printemps est la saison du renouveau. Le soleil revient, la douceur de l’air, l’herbe pousse et les oiseaux chantent.

La nature tout entière est en joie et l’eau, hier ralentie par le gel, se remet à couler tout comme le sang dans les veines et les hormones chez les adolescents.

Plus belles sont les filles, plus fleuris les garçons. Leur peau au printemps semble refléter la lumière, tels les pétales tout neuf qui s’ouvrent au soleil.

Les fleurs communes, chaque année, me font le même effet qu’étant petit : ils me ravissent. La germination est comme une religion et le printemps non seulement un âge de la vie mais un émerveillement pour toute la vie.

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Macron peut renouveler la gauche si…

Au début du mois je formulais l’hypothèse qu’Emmanuel Macron pouvait renouveler la gauche moribonde, SI François Hollande décidait de ne pas se représenter, et S’IL désignait volontairement le jeune ex-ministre comme son dauphin, avec tout son soutien.

Évidemment, sans le soutien présidentiel ni le vote de la primaire à gauche, rien ne se fera. Macron ne possède aucun réseau de taille et n’a jamais été élu d’une circonscription. Et tout reste possible avant les primaires de droite et de gauche, y compris l’égocentrisme du président qui ne peut croire qu’un autre puisse être président… cette mégalomanie est bien arrivée à Sarkozy, elle peut toucher Hollande par imitation.

Macron a été pour Hollande celui qui pouvait dire tout haut ces « horreurs économiques » que la gauche étatiste, autoritaire et jacobine considère comme des péchés mortels : l’inamovibilité de la fonction publique, les 35 h, l’impôt massif pour une redistribution massive, la conservation bec et ongles des zacquis sociaux même si l’Allemagne, le Canada et la Scandinavie les ont adaptés, même si la globalisation exige de la compétitivité, la haine irrationnelle de l’argent, de la prospérité, de la richesse, la méfiance viscérale envers l’initiative, l’entreprise, la prise en main par les travailleurs, les communes, les associations, les collèges, de ce qui apparaît comme un privilège d’État…

Macron a été l’autre voix de Hollande un moment, celle qu’il aurait bien voulu avoir sans jamais l’oser. D’où ce « coup » possible de désigner un dauphin aux suffrages des sympathisants de gauche (bien plus vastes et plus ouverts que les esprits étroits du parti socialiste).

Mais Hollande est double ; il veut aussi copier Mitterrand, son bon maître, bien plus politique et bien plus cultivé que lui, sauf sur l’économie. Mitterrand a piégé Rocard, qui représentait cette deuxième gauche adaptée au monde que le jacobinisme socialiste rejetait. Mitterrand n’était pas vraiment socialiste, il était même à la mode de sa jeunesse Camelot du Roy, c’est-à-dire catholique monarchiste ; il n’a pas vraiment été contre Pétain à Vichy ; il a été un ministre de la IVe République qui a défendu « l’Algérie française ». Mais Mitterrand a toujours su nager et son impérieux orgueil lui a toujours donné le sens du vent. Hollande n’en est que la très pâle copie – sauf qu’il peut lui aussi, par un sursaut d’orgueil, se représenter et piéger Macron comme Mitterrand avait piégé Rocard.

Nul doute que, s’il veut « rester dans l’histoire » comme il le proclame, le président actuel ferait un beau geste en adoubant le jeune Macron contre les trop mûrs usés qui se présentent. Comme le montre un sondage Odoxa, institut créé par un ancien directeur-général adjoint de BVA,  sur 999 personnes choisies selon la méthode des quotas, interrogées entre le 15 et le 16 septembre, les Français veulent des hommes neufs en politique. Le candidat idéal à la présidentielle devrait pour 71% des interrogés être honnête et sincère, ayant des idées nouvelles.

Et devinez qui arrive en tête à la question « parmi les responsables politiques suivants, lequel est selon vous le meilleur candidat pour représenter la gauche à la présidentielle de 2017 ? » – Emmanuel Macron pour 28%, 10 points devant Mélenchon (18%) ou Manuel Valls (17%)… et seulement 8% Hollande !

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Non seulement le rejet de Hollande reste massif, mais les tribuns à La Mélenchon, Valls ou Montebourg séduisent peu : des promesses, toujours des promesses…

Bien sûr, les zélites autoproclamées des médias et du vieux parti socialiste voient toujours une impossibilité à introniser « le diable » : aucun des éditorialistes soi-disant « spécialistes » du marigot ne prend en compte l’hypothèse Macron. Car les sympathisants de gauche préfèrent la grande gueule Mélenchon, seule apte selon eux à faire poids égal à la grande gueule Le Pen. Non seulement c’est bien le signe qu’ils ont déjà perdu la présidentielle dans leurs têtes, mais ils ont en outre relégué leur champion « naturel » François Hollande à 18% – 6 points derrière le partisan de la Terreur et chaud soutien du président Chavez ! Quand on voit dans quel état Chavez a mis le Venezuela, on peut douter du « désir d’avenir » que peut représenter un Mélenchon même à gauche, même au-delà du parti socialiste… Emmanuel Macron apparaît quand même à 15%, juste derrière Valls à 16% – sachant que la marge d’erreur pour tous ces chiffres et de 2.5%.

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Donc mon hypothèse – dont je rappelle qu’il s’agit d’une supposition cohérente qui a vocation à être testée (donc peut-être infirmée) par l’expérience – reste d’actualité.

Quatre obstacles à la réalisation d’une candidature Macron (je ne parle même pas d’une élection) :

1/ Le poids de l’entourage, qui va flatter l’orgueil présidentiel, dans le style « moi ou le chaos ». Tous les imbus d’un quelconque pouvoir se sentent toujours indispensables ;

2/ La lâcheté intellectuelle dont Hollande a déjà donné maintes preuves (« mon ennemi la finance », « je vais renégocier le traité avec Merkel », « la déchéance de nationalité pour les terroristes »). Il peut très bien croire que Macron ferait gagner la gauche – mais en même temps céder au vieux parti socialiste pour ne pas assumer sa volonté – montrant une fois de plus qu’il n’est pas le président « de tous les Français » mais de l’étroite clique qui le supporte ;

3/ La grosse caisse des ringards de la gauche, minoritaires dans le parti même, mais avec le battage médiatique le plus fort, la gauche jacobine ayant toujours su faire entendre sa ligne au détriment de la gauche réformiste, libérale et décentralisatrice, de Mendès-France à Rocard ;

4/ Dire son inclination pour une candidature ne signifie pas voter in fine pour un candidat, nombreuses ont été les personnes sympathiques aux Français mais pour qui ils n’ont jamais votés, préférant les logiques d’appareil : Barre, Rocard et Balladur entre autres. Alain Juppé pourrait d’ailleurs à droite être dans ce cas.

Il y a donc beaucoup de « si » à l’hypothèse Macron. Mais la balayer d’un méprisant revers, sous le prétexte que ce n’est pas écrit dans les journaux, me paraît un peu léger. Penser par soi-même plutôt que penser comme la horde, n’est-ce pas user de sa raison, donc être un digne citoyen ?

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L’ouverture comme état d’esprit

Ouvert, fermé, un esprit occidental ne conçoit pas qu’il puisse en être autrement – imaginez une porte. Noir ou blanc, bien ou mal, 1 ou 0 – l’Occident ne fait pas dans la nuance, peut-être parce qu’il se croit « à l’image de Dieu » et que tout le reste est vile matière…

Quand la porte est fermée tout va bien : on est dans son domaine, au chaud, entre soi.

Dès que la porte s’ouvre commence la crainte, le frisson, l’aventure. Qu’y a-t-il donc au-delà de la porte ouverte ? La jeunesse est curieuse, elle désire y aller voir, explorer ; elle réagit par l’excitation. L’âge rassis est revenu de tout, il aspire au repos, à surtout que rien ne change ; il réagit par le refus. Réactif ou réactionnaire, il faut choisir.

pierre bonnard fenetre

Une fenêtre ouverte ? – ce n’est pas l’air du printemps, c’est le rhume qui rentre !

« Tout le monde, sauf ma grand’mère qui trouvait que « c’est une pitié de rester enfermé à la campagne » et qui avait d’incessantes discussions avec mon père, les jours de trop grande pluie, parce qu’il m’envoyait lire dans ma chambre au lieu de rester dehors. « Ce n’est pas comme cela que vous le rendrez robuste et énergique, disait-elle tristement, surtout ce petit qui a tant besoin de prendre des forces et de la volonté » (Marcel Proust, Du côté de chez Swann, 1).

ouverture chemise

Une chemise qui s’entrouvre ? – c’est obscénité adolescente, âge qui ne sait pas se tenir, sans cesse travaillé du dedans. Swann s’émeut de l’ouverture du corsage d’Odette lorsqu’il lui refixe ses fleurs de catleya :

« Pendant quelque temps, ne fut pas changé l’ordre qu’il avait suivi le premier soir, en débutant par des attouchements de doigts et de lèvres sur la gorge d’Odette et que ce fut par eux encore que commençaient chaque fois ses caresses; et, bien plus tard quand l’arrangement (ou le simulacre d’arrangement) des catleyas, fut depuis longtemps tombé en désuétude, la métaphore «faire catleya», devenue un simple vocable qu’ils employaient sans y penser quand ils voulaient signifier l’acte de la possession physique—où d’ailleurs l’on ne possède rien—survécut dans leur langage, où elle le commémorait, à cet usage oublié » (id. 2. Un amour de Swann).

Une porte qui s’ouvre ? – et voilà le dehors qui s’instille, l’étranger, le virus, le différent qui remet en cause, inocule le mal et bouleverse !

« Puis, nous poursuivions notre route jusque devant leur porte cochère où un concierge différent de tout concierge, et pénétré jusque dans les galons de sa livrée du même charme douloureux que j’avais ressenti dans le nom de Gilberte, avait l’air de savoir que j’étais de ceux à qui une indignité originelle interdirait toujours de pénétrer dans la vie mystérieuse qu’il était chargé de garder et sur laquelle les fenêtres de l’entresol paraissaient conscientes d’être refermées, ressemblant beaucoup moins entre la noble retombée de leurs rideaux de mousseline à n’importe quelles autres fenêtres, qu’aux regards de Gilberte » (id. 3. Nom de pays).

Alors un esprit qui s’ouvre, parlez ! – c’est la remise en cause, l’hérésie, le chamboulement des façons de penser, en bref « le mal ».

« Les deux sœurs de ma grand’mère, vieilles filles qui avaient sa noble nature mais non son esprit, déclarèrent ne pas comprendre le plaisir que leur beau-frère pouvait trouver à parler de niaiseries pareilles. C’étaient des personnes d’aspirations élevées et qui à cause de cela même étaient incapables de s’intéresser à ce qu’on appelle un potin, eût-il même un intérêt historique, et d’une façon générale à tout ce qui ne se rattachait pas directement à un objet esthétique ou vertueux. Le désintéressement de leur pensée était tel, à l’égard de tout ce qui, de près ou de loin semblait se rattacher à la vie mondaine, que leur sens auditif — ayant fini par comprendre son inutilité momentanée dès qu’à dîner la conversation prenait un ton frivole ou seulement terre à terre sans que ces deux vieilles demoiselles aient pu la ramener aux sujets qui leur étaient chers — mettait alors au repos ses organes récepteurs et leur laissait subir un véritable commencement d’atrophie » (Du côté de chez Swann, 1).

Le latin populaire, d’où vient le mot, dit bien le sentiment d’effroi de « l’ouverture » : un trou béant. Une image de l’enfer pour ces gens du bas-empire subissant invasion sur invasion, délitement de l’État et querelle des chefs. C’est fou ce qu’un pays peut conserver d’histoire lointaine dans son mental.

  • Ce n’est qu’au « beau 13ème siècle », en ce temps optimiste d’explosion démographique, que le mot « ouverture » va désigner l’action d’ouvrir, toute simple.
  • Ce n’est qu’au « siècle des découvertes », ce 15ème siècle optimiste où la terre se dilate et où l’on découvre des hommes différents, que le mot « ouverture » va prendre son sens abstrait d’aborder un sujet, d’entreprendre, de négocier – tout ce qui « commence ».
  • L’« ouverture d’esprit », elle, ne date que de l’extrême fin du 17ème siècle, juste lorsque commence ce « siècle d’or de la pensée française », optimiste, qui donnera les encyclopédistes et les libéraux, puis entraînera la chute des vieilleries d’Ancien Régime.
  • L’ouverture ne s’appliquera aux successions qu’au « siècle bourgeois », vers 1835, lorsque les paysans enrichis par la spéculation sur les biens du clergé, et confortés par le Code Civil Napoléon, prendront la mentalité d’accumuler… C’est fou ce qu’un pays peut conserver d’histoire sociale dans sa langue.

Evgeny Mokhorev famille a la fenetre

Ouvrir déplace ce qui empêche le libre passage. Telle est la définition « dès les premiers textes (1080) » que relève le Robert historique de la langue française dirigé par Alain Rey (1998). C’est aussi, notez-le bien, la définition du libéralisme dès sa fameuse devise première : « laissez faire, laissez passer ». L’inverse d’ouvrir est « fermer » : fermer les frontières, fermer l’accès au pouvoir, fermer les négociations, fermer les yeux, fermer son esprit. Déplorons-le, c’est trop souvent la pensée de « la gauche » en France, qui ne rêve de « changer la vie » que pour mieux enfermer l’homme dans la chimère de « l’homme nouveau ». Cela sous la contrainte d’État, guidé par la Morale et inspiré par quelques textes « gravés dans le marbre » (sinon « scientifiques »). Point d’ouverture à qui connaît de soi La Vérité ! Pravda jamais ne ment, foi de Lénine.

Aujourd’hui (cela n’a pas toujours été le cas), la gauche apparaît figée en politique, protectionniste en économie, conservatrice dans le domaine social malgré des réformettes, sans idée autre que de suivre aveuglément le gai et le spontané dans le domaine des mœurs. A l’inverse, c’est la droite (sauf l’extrême) qui prône la rupture, l’ouverture, la réforme. N’est-ce pas drôle ?

De quoi dérider ces fronts trop sérieux des cléricaux de tous bords. Barbus, austères, économes – chez les cohortes socialistes, ça ne rigole pas ! Dommage car, répétons-le, l’ouverture est l’apanage de la jeunesse, tout ce qui donne du neuf : le jour, l’entrée, la brèche, la lumière, l’orifice, le passage, l’échancrure, la vue.

« Un réveil d’enfants, c’est une ouverture de fleurs », disait Victor Hugo dans Quatre-vingt-treize.

La gauche manque d’être jeune, la droite se renouvelle-t-elle ? A quand la relève ?

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Temple du Ciel

Nous nous rendons l’après-midi au Temple du Ciel. Il date de 1420 à l’apogée des Ming. Il est entouré de murs et coiffé de tuiles vernissées d’un bleu sombre – couleur de ciel d’orage – qui lui donnent un aspect superbe. Deux fois par an l’empereur venait y faire sacrifice : au printemps pour assurer une récolte propice ; au solstice d’hiver, pour se charger des fautes de son peuple.

temple du ciel Tertre circulaire 1530

Il neige toujours et les terrasses de marbre brillent. L’autel de la Voûte Céleste a son extérieur carré (terre) et son intérieur rond (ciel) ; l’autel s’élève sur trois terrasses de marbre circulaires, conçues par des mathématiciens et des astronomes.

temple du ciel

Les trois terrasses symbolisent l’homme, la terre et le ciel. L’architecture du temple exprime la hiérarchie cosmique. J’admire sans réserve la beauté des pavillons de bois décoré, les plafonds à caissons de couleur vert et or, les perspectives des temples et des jardins. Les balustrades portent 360 piliers, autant que de jours en une année chinoise (lunaire).

temple du ciel voute celeste imperiale 1530

Tout est multiple de neuf, nombre céleste : les marches des escaliers, les cercles de dalles, les balustrades… Le neuf représente la puissance du yang à son maximum, ce principe de dissipation énergétique. Le yin n’est pas son contraire, il est sa part obscure, sa polarité opposée. Trois volées de marches montent au temple dont le corps est composé de trois cercles qui se superposent en millefeuille. Le dernier, surmonté d’une boule, fait couvercle de théière. Les tuiles vernies, bleu sombre, brillent d’un éclat énigmatique sous le ciel neigeux.

temple du ceil galerie

Je constate l’affection pour une symétrie « à la française » de cette civilisation impériale chinoise qui, comme la nôtre, aimait à tout codifier, à tout aménager suivant des « normes ». Elle avait ainsi l’illusion de contrôler la nature et les hommes, voire les lois du monde. Nos jacobins ne conservent-ils pas cette illusion, qui nous paraît désormais si naïve ?

temple du ciel pont des marches vermillon

Le retour voit un arrêt rituel – et interminable – dans une boutique de soieries et autres « souvenirs » qui n’ont pour moi aucun intérêt. Nous rentrons à l’hôtel où je prends me requinque avec un whisky, suivi d’un thé et d’un peu de lecture, avant le rendez-vous de la soirée : « l’opéra » de Pékin.

pere et fils pekin 1993

Rien à voir avec notre opéra. Il s’agit plutôt d’un spectacle de cabaret qui dure une heure et demi. Les spectateurs sont assis à des tables où sont servis thé et petits gâteaux. Sur la scène, des acteurs miment beaucoup et chantent peu, si bien que même des étrangers peuvent s’amuser. Trois scènes se succèdent : un acteur seul ; puis une jeune fille et un vieux pêcheur ; enfin le roi des neiges combattant dix guerriers. Les costumes sont chatoyants, les maquillages soignés, le réglage des scènes très professionnel. Nous ne nous y ennuyons pas.

temple du ciel mandarin

Nous dînons de raviolis chinois dans le restaurant Setchuan de l’hôtel. Ce n’est pas se mêler à la population mais, comme disait Trucmuche, « en Chine, plus on est d’fous, moins y’a d’riz ! ».

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Herman Melville ou la sagesse

« Vieux moi-même, j’affectionne la vieillesse des choses ; c’est pour cette raison, principalement, que j’apprécie tant le vieux Montaigne, le vieux fromage, le vin vieux, et que j’évite les jeunes gens, les petits pains encore chauds, les nouveaux livres et les pommes de terre nouvelles ; et que j’éprouve une telle tendresse pour mon vieux fauteuil aux pieds de griffon, pour mon voisin au pied bot, White le diacre, et pour cet autre voisin plus proche encore, mon vieux pampre noueux qui, les soirs d’été, appuie son coude sur le rebord de ma fenêtre, cherchant une amicale compagnie, tandis qu’à l’intérieur je fais de même pour aller à sa rencontre – et surtout, surtout, pour ma vieille cheminée et son immense manteau. »

« Ma femme, au contraire, du fait de son incurable juvénilité, n’a de goût que pour la nouveauté ; et c’est pour cette raison, principalement, qu’elle aime le cidre nouveau en automne et, qu’au printemps, comme si elle était la fille de Nabuchodonosor, elle se jette avidement sur toutes les variétés de salades, d’épinards, et plus particulièrement sur les concombres verts (bien que la nature fasse savoir avec obstination qu’elle réprouve ces juvéniles et inconvenantes envies chez une personne de son âge, en lui rendant la digestion de ces nourritures malaisée), et se passionne pour les belles théories d’invention récente (pourvu qu’on n’y voie nul cimetière à l’arrière plan), les idées de Swedenborg, la philosophie des esprits frappeurs et autres vues nouvelles sur toutes choses aussi bien naturelles que surnaturelles et, animée d’un inaltérable désir, ne cesse de composer de nouveaux parterres de fleurs, même du côté nord de la maison, où le vent glacé des montagnes permet à peine à l’herbe rude qu’on appelle plantain de prendre pied pour de bon, et plante au bord du chemin de simples rejets de jeunes ormes, bien qu’il n’y ait aucun espoir d’en recevoir aucune ombre, sinon sur les tombes en ruines de ses arrière-petites-filles, et refuse de porter un bonnet, mais tresse ses cheveux gris, et lit le ‘Magazine des modes’, et achète toujours son nouvel almanach un mois avant le Nouvel an, et se lève à l’aube, et du plus chaleureux coucher de soleil se détourne froidement, et travaille sans discontinuer jusqu’à des heures indues, son nouveau cours d’histoire, son français, sa musique, et se complaît dans la compagnie des jeunes gens, et s’offre à monter de jeunes poulains, et pique de jeunes surgeons dans le verger, et ne cache pas son animosité contre les gentils coups de coude de mon vieux pampre, contre mon vieux voisin au pied bot et mon vieux fauteuil aux pieds de griffon, et surtout, surtout, poursuit d’une haine mortelle ma vieille cheminée à l’immense manteau. »

Dans cet intéressant paragraphe, formé de deux phrases seulement, Herman Melville oppose mâle et femelle, sage et juvénile, ancien et moderne, vieille Europe et jeune Amérique, réflexion et réflexe, fatigue et vitalité. C’est pourquoi il nous paraît tant d’actualité !

La France vieillit, se lasse, aspire au repos. Alors que le monde très jeune devient un tourbillon de vitalité et d’entreprise, elle désire la retraite, la tour d’ivoire. Non plus l’Europe puissance dans un monde globalisé, mais l’Europe forteresse en grande Suisse protégée du dehors.

Montaigne est un philosophe qui s’intéresse à lui-même et tente de bien vivre – il ne désire ni à refaire le monde, ni changer les hommes.

Vieux vin et vieux fromages ressortent de la tradition séculaire des produits du terroir, élaborés lentement par des artisans peu au fait de la standardisation ni du marketing. Au contraire, les pains chauds, les pommes de terre nouvelles et le cidre nouveau flattent le palais mais ne durent pas en bouche, adaptés au zapping d’une jeunesse avide de toujours neuf. De même les nouveaux livres, à la mode qui trotte mais qui ne passent le plus souvent pas le cap des années.

Les voisins, les plantes qu’on a vu grandir, qu’on voit refleurir et faire des fruits chaque année, la cheminée qui donne chaud les soirs d’hiver, cœur de la maison, foyer familial et ‘home’ pour l’homme déçu de la société – tout cela s’oppose au dehors, au grand large, aux jeunes gens aussi écervelés et esclaves de leurs sens que les oiseaux chanteurs. Faut-il s’agiter pour s’agiter, comme sa femme qui plante au nord et repique des surgeons qui ne donneront pas un arbre avant un siècle ? Faut-il suivre la mode, les idées dont tout le monde parle (à son époque le spiritisme), ne lire que des magazines éphémères (aujourd’hui gazouiller sur Twitter) et suivre toute sa vie des « cours » sur tout et n’importe quoi ?

C’est avec humour et un certain ronchonnement sympathique que Melville nous livre cette simple philosophie, tirée de son expérience propre.

Il était en effet en butte à son épouse qui le poussait à délaisser la plume, qui ne rapportait rien, pour prendre un poste lucratif. Il se sentait de plus en plus étranger à cette société américaine avide de toujours plus (plus loin, plus neuf, plus riche) et qui ne considérait plus aucune chose ni aucune valeur de tradition.

  • La jeunesse est une étape de l’existence – pas un état d’esprit.
  • Le féminisme une revendication parmi d’autres – pas une nouvelle domination.
  • L’évocation des esprits et le tropisme sentimental une faiblesse – pas l’épanouissement de la raison.
  • Le zapping et la tyrannie de la mode une tare qui passe – pas le dernier état de la philosophie.

Le monde change, pas les humains, ce pourquoi ces deux phrases de Melville restent étonnamment actuelles. Les propos sur l’inanité de la Génération Y ou de ses petits frères et sœurs de la Génération Z sont à méditer d’après cette sagesse séculaire…

Herman Melville, Moi et ma cheminée, 1856, Œuvres tome 4, Gallimard Pléiade p.557 

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Haruki Murakami, Après le tremblement de terre

Non il ne s’agit pas de celui de 2011, l’écrivain n’écrit pas aussi vite que son ombre. Il s’agit du tremblement de terre de Kobe, en janvier 1995. Murakami n’était pas au Japon mais à Princeton aux États-Unis. Comme il est né à Kobe, la catastrophe bouleverse en lui quelque chose. Il sent qu’il a besoin de ses racines. Les six nouvelles du livre viennent de là. Elles décrivent ce qu’a produit Kobe dans le cœur des Japonais lambda : il a bouleversé leur vie.

C’est un jeune homme que sa femme vient de quitter. Il est vide, n’a envie de rien. Sa femme est restée toute une semaine devant la télé à regarder les reportages sur le tremblement de terre. Et puis elle est partie, elle ne pouvait plus vivre comme avant, comme si de rien n’était. Son mari lui paraît vain, qui vit sans se soucier. Komura, le jeune homme, prend une semaine de vacances pour se remettre. Un ami lui demande d’aller porter une boite à sa sœur dans le nord du Japon. Il y va. Il ne sait pas ce que contient cette boite. Peut-être son propre vide… C’est le voyage qui forme la jeunesse, pas l’installation dans la vie toute faite.

Deux êtres solitaires, dans la nouvelle suivante, allument des feux de camp sur la plage. Un vieux de 45 ans, ancien boy-scout, et une jeunette de 17 ans qui en avait assez des études. Le feu une fois éteint, qui sait ce qui arrivera ? Peut-être la mort, douce et désirée, peut-être pas. C’est que ces deux là sont des marginaux au Japon : ils pensent qu’ils ont un passé et que l’avenir ne leur dit rien. Le contraire du Japonais positif, comme le petit ami de la fille, Keisuke : « c’est que moi je me moque complètement de ce qui se passait il y a cinquante mille ans, ou de ce qui se passera dans cinquante mille ans. Mais alors complètement. L’important, c’est maintenant. MAINTENANT. Le monde peut s’arrêter n’importe quand, comment peut-on penser au futur ? L’important, c’est de manger à ma faim maintenant, et de bander maintenant, tu vois » p.30. On ne saurait mieux dire le Japon contemporain.

Il y a le bâtard qui est simplement « fils de Dieu » puisqu’il n’a pas de père. Il sait danser, comme les autres. Car tout fait partie du grand rythme de la terre, ses tremblements comme ses bâtards.

La nouvelle intitulée Thaïlande est une jolie histoire d’une femme devenue professeur spécialiste de médecine et qu’une histoire d’amour mal terminée, jadis, a empêché d’avoir des enfants et une vie heureuse depuis lors. Cela a eu lieu à Kobe et la nouvelle du tremblement de terre bouleverse au fond d’elle la boue noyée sous les années. Elle porte une pierre dont elle doit se débarrasser pour enfin vivre. Son délicat chauffeur thaï lui fait rencontrer une vieille qui dit la bonne aventure et lit les signes. C’est la nouvelle qui m’a le plus touché.

Les deux dernières mettent en scène des animaux imaginaires qui parlent aux humains. Le premier est Crapaudin, qui doit vaincre Lelombric, ver géant qui fait trembler la terre une fois tous les dix ans. Et c’est à un petit bonhomme chétif et insignifiant, recouvreur pour une succursale de banque, que s’adresse le matamore pour qu’il aide en imagination. Tokyo ne sera pas détruite.

Le second animal est un ours qui récolte et vend son miel aux humains. Mais il s’agit là d’un personnage inventé par un ami pour leur petite fille de trois ans qui a du mal à dormir. Il a connu le père et la mère à l’université où tous trois formaient un solide trio d’amis. Chacun est tombé amoureux de la même fille mais le plus hardi l’a emporté. Et puis il s’est laissé mener par son destin qui est de toujours trouver du neuf. C’est la plaie du modernisme dont Kobe fait ressentir tout ce qu’il a d’artificiel. Le fidèle a ses chances alors, surtout que les nouvelles télévisées font imaginer un vilain bonhomme Tremblement qui veut mettre la petite fille en boite chaque nuit. A lui l’ami, le père de substitution, de rassurer et protéger fille et mère contre ce coup du destin. J’aime beaucoup cette nouvelle aussi, parce qu’elle m’évoque des souvenirs personnels.

Vous l’aimerez aussi, comme les autres, écrites simplement, librement, avec le franc style de Murakami. Ses personnages sont jeunes, discrets, rebelles aux conventions tellement japonaises mais sans vouloir faire de vague. Ils sont décalés, découvrant de petits faits vrais parmi les signes que leur envoie le destin. Cela avec un gentil hédonisme, aimant la musique, le vin, les bonnes choses, baiser et être ami. « Mlle Shimano lui pinça légèrement le bout ses seins. – Tu as dit que ta femme t’avait laissé un mot ? » p.25 – tel est l’art de l’ellipse Murakami : léger, sensuel, profond.

Haruki Murakami, Après le tremblement de terre, 2000, 10-18 2003, 158 pages, €6.17

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