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Sylvain Forge, Tension extrême

Le prix du Quai des Orfèvres 2018, dont il faut rappeler qu’il est décerné par un jury de professionnels du monde policier à des manuscrits anonymes, va cette année à un polar futuriste. Ou plutôt déjà présent, mais avec l’accumulation encore inconnue des conséquences logiques du monde numérique et des interconnexions qui explosent chaque jour un peu plus sans que l’on en prenne conscience.

Deux hommes décèdent à Nantes, l’un dans sa voiture parce qu’il heurte une pile de pont et l’autre dans son appartement fermé de l’intérieur, et sans cause apparente. Ces deux hommes sont jumeaux et dirigeants d’une entreprise de technologie convoitée par les Américains ; ils ont tous deux une malformation cardiaque et portent des pacemakers. Sauf que ces prothèses très utiles sont désormais connectées afin que le médecin traitant puisse suivre en direct l’évolution du cas. Ce que les policiers de Nantes vont découvrir, est que les jumeaux sont morts au même moment, et que leur pacemaker en est la cause… Il ne s’agirait donc pas d’accident.

C’est le début d’une traque à rebondissements où le numérique affronte les humains, l’expertise informatique les méthodes traditionnelles. Je ne vous dirai pas qui va gagner, ni comment, mais l’auteur, expert en cybersécurité auprès des entreprises, en connait un rayon sur les failles des systèmes. C’est que le matériel a été conçu il y a quelques années, avant que la prolifération de l’informatique ne fasse des objets connectés de véritables bombes en puissance.

Nous entrons dans un autre monde… Et sans aucune expérience. Les machines prennent la main, puisqu’on leur donne, et la machine est, comme la langue depuis Esope, la meilleure et la pire des choses. Ce qui est utile peut servir au mal, ce qui est divertissement peut aboutir au chantage, ce qui est mémoire permet de faire pression. Nous ignorons être environnés d’appareils de plus en plus connectées au « réseau », du Smartphone à la machine à café, du pacemaker à l’étiquette du vêtement, de la carte bancaire à paiement sans contact à la carte de transport à puce… Et lorsque tout est mis dans le même « sac » par un hacker particulièrement habile à exploiter les failles de sécurité dues à la négligence ou à l’ignorance, il n’est pas loin d’être le maître du jeu, sinon du monde. Surtout si l’intelligence artificielle (IA) l’assiste !

Car payer en bitcoins des tueurs recrutés via le darknet est à la portée du premier venu passant quelque temps sur le sujet. Effacer ses traces ou n’en laisser aucune grâce aux messageries cryptées ou au brouillage d’IP via le logiciel Tor est un jeu d’enfant. Les cyberattaques paralysent la PJ de Nantes parce que les deux femmes à la tête du service d’investigation approchent de trop près une vérité bonne à taire. Facebook et YouTube sont utilisés, comme les listes piratées de stagiaires de la police, pour cibler des représailles… mortelles.

Et si une petite fille est en couverture du livre, ce n’est pas par hasard. Le lecteur s’apercevra que c’est bien autour d’elle que tourne ce polar échevelé.

Il se lit en haletant, phrases courtes, chapitres ramassés, chutes à suspense. Ce roman policier est très bien monté. Mieux construit qu’écrit car la langue est basique, allant directement au but, et les personnages à peine esquissés à cause du rythme. La psychologie est sommaire et le décor standard ; l’intrigue se passe à Nantes mais on ne reconnait pas la ville, ce pourrait être à Brooklyn ou dans une banlieue quelconque. Ce qui fait que, lorsque vous reprenez le livre après quelques heures, vous ne savez plus trop qui est Isabelle ou Ludivine et de quel « commissaire » on parle, celui de la PJ ou celui d’un autre service. Dramaturge mais pas écrivain, l’auteur va au galop et vous garde suspendu à son clavier comme au cinéma. L’intérêt premier de ce polar est qu’il aborde le monde tout neuf des TIC (technologies de l’information et de la communication) sous l’angle criminel.

A sa lecture, vous frémirez de vous être laissés aller à publier votre vie en fesses-book (trop tard pour vous) ou tout autre réseau « social » – où les asociaux peuvent glaner à l’envi comme le gamin dans le pot de confiture. Vous vous méfierez des « pièces jointes » anodines annexées à un message d’un ancien ami (mettez ça au féminin ou au neutre si ça vous chante – pour ce que ça change…). Car ces pièces véhiculent parfois un virus redoutable et invisible qui prend la main sur tous vos appareils. Vous vous rendrez compte combien les caméras de surveillance publique, les alarmes incendie, les puces électroniques de vos cartes, le micro et la caméra même éteints de votre téléphone dernier cri, votre bracelet de performance au jogging – combien tout cela vous trace, vous révèle, vous rend vulnérable à qui voudrait vous faire du mal !

Nous ne sommes pas dans un thriller international ni dans l’univers de James Bond mais dans celui, le plus banal, d’une moyenne ville de province où la police de base enquête sur des soupçons de meurtre, avec ses moyens limités et ses connaissances standard. Nous sommes dans le quotidien : le nôtre. Et ce qu’il nous dit de ce qui pourrait survenir est terrifiant.

Oui, la tension est extrême dans ce très bon livre – à la pointe de notre présent. A conseiller pour entrer dans le nouveau monde.

Sylvain Forge, Tension extrême, 2017, Fayard poche, 395 pages, €8.90 e-book format Kindle €6.99

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Chroniques urbaines

chroniques urbaines

Quand les éditions numériques mûrissent, elles s’installent dans le papier. C’est le cas de France-Culture, de certains blogueurs qui se voient du talent – mais aussi des éditions Le texte Vivant. Christine Claude, Stéphane Garnier, Jean-Yves Duchemin et Alexandre Feraga ont été publiés en bits ; ils sont désormais en pages, sages comme des images, bientôt primés car imprimés. De ces originalités, vous me direz des nouvelles : il y a des chroniques de tous les styles, des regards issus de toutes les personnalités, de l’observation pour tous les goûts.

Des Facéties d’une vie de gamin de Jean-Yves Duchemin j’ai déjà parlé, lorsqu’il n’était encore que numérique. En tout cas, il aime Marseille et les livres. Ses récits enlevés, véridiques et enflés, sont d’une gaminerie réjouissante.

Stéphane Garnier ne dit pas à sa mère qu’il est chauffeur de bus à Toulouse ; elle le croit chauffeur de locomotive pour avoir écrit Haut le pied ! « La lente monotonie des journées busiennes regorge de mille et une péripéties que petit à petit je me suis amusé à relater, dans ma tête d’abord, puis sur papier. » Contemplatif, haut sur roue, il observe. Ses congénères, le paysage urbain, les mille vies de la ville. « Vous, je vous apprécie, car vous êtes le seul qui ne regarde pas mes nichons quand je monte », lui assène une cliente. Hum ! Il suffisait juste qu’elle attire son attention sur son 95b à ne pas rater.

Les rues atteNantes d’Alexandre Feraga évoquent cette ville de Premier ministre et Notre-Dame des glandes. « J’ai trouvé Nantes tout de suite, en quelques minutes. Une évidence. Je m’y suis senti bien dès les premières respirations entre randonnées en montagne ou escapades à Belle-Isle-en-Mer. » Ce travailleur du social connaît bien l’espèce humaine. Ainsi de la Gêneuse, genre crevarde illettrée qui borborygme trop fort dans son mobile avec le jargon branché fait d’onomatopées, emmerdant tous le wagon. Chacun s’y reconnaîtra.

Les pieds de la femme boutonnière est une histoire qui se passe rue Lepic, vers Montmartre à Paris pour ceux qui ne sont jamais « montés » à la capitale comme on monte en maison. Raconté par un livreur en mobylette curieux de cette femme bariolée qui coud des boutonnières pour costumes de scène, parfois pour de grands couturiers. Pieds nus quelle que soit la saison, Ma est routarde, boutiquière, trahie. Ma est son nom, qui se confie au gamin grandi. Elle évoque ces petits métiers de grand-mère en petites-filles, qui rassurent après avoir routé le monde dans la dèche. C’est doux-amer, nostalgique du « Paris d’avant », humain du Paris d’aujourd’hui où – mais oui – la vie de quartier subsiste. L’auteur, Christine Claude, est d’origine capitale mais navigue entre la Bretagne et le Maroc, cet orient à la porte des années 70.

L’ensemble est réaliste et surréaliste, classique et rock, social et urbain. En tout cas profondément humain – comme on aime. Ces petits bouts de vie, jamais édités en papier encore, font un cadeau original.

Chroniques urbaines – nouvelles, novembre 2013, éditions Le texte vivant, 289 pages, €13.30

Site de l’éditeur : www.letextevivant.fr

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Peter Tremayne, La colombe de la mort

‘La colombe de la mort’ est la suite du ‘Concile des maudits’. Nous avions laissé sœur Fidelma et son mari frère Eadulf revenir d’Autun, en Bourgogne, où se tenait un concile pour faire plier les églises chrétiennes à la règle de Rome. Le couple embarque à Naomed (Nantes), sur un navire pour l’Irlande qui transporte du sel de Guérande. Ils sont impatients de retrouver le royaume de l’ouest et leur fils Alchù, petit garçon qui ne voit guère ses géniteurs. Las ! Au large de l’île du Caneton (Hoëdic), le navire se fait attaquer par des pirates et nos héros ne doivent la vie qu’à un plongeon dans les vagues.

Le dernier tome n’était donc pas le dernier. L’auteur, historien irlandais, s’est laissé convaincre par ses amis bretons de Sarzeau de situer la nouvelle intrigue de l’avocate Fidelma dans cette région du Morbihan. La petite mer intérieure recèle des dizaines d’îles où un navire peut se cacher à l’aise, des rochers à fleur d’eau et de forts courants de marée. Je l’ai exploré jadis, à la seule voile, avec mes compagnons des Glénan. Les abords sont gardés par la forteresse de Brilhac et flanqués du monastère Saint-Gildas-de-Ruys. Les Bretons d’aujourd’hui seront fiers d’explorer le paysage actuel selon les lieux de l’intrigue médiévale, cet été 670.

Recueillis par un moine à voile, Eadulf et Fidelma font la connaissance de l’abbé Maelcar, rigide intrigant misogyne, de frère Metellus originaire de Rome, de la veuve Aourken qui parle latin, du fermier Barbatil, des jumeaux Macliau et Trifina fils et fille adolescents du seigneur Canao, du petit chien Albiorix, de Iuna intendante princesse, du roi breton Alan Veur et de sa reine Riwaon, des chefs guerriers Budic et Bleidbara – beaux spécimens de mâles aux yeux bleu complaisamment détaillés, qui font rêver les filles. Sans parler du mystérieux Héraclius, apothicaire détenteur du secret du feu liquide, et de ce capitaine juvénile et sans pitié, entièrement vêtu de blanc, qui poignarde d’un même élan le cousin de Fidelma, le capitaine du bateau et quelques marins rebelles pour faire bonne mesure… Seul le mousse Wenbrit en réchappe, ainsi que son chat noir Luchtigern.

L’intrigue est belle dans ce paysage marin, cette famille féodale, cette Bretagne en lutte contre les Saxons sur mer et les Francs sur terre. Les habitants parlent un celte qui a dérivé de celui d’Irlande, mais presque tous latin – grâce à l’éducation romaine. Les filles n’ont pas froid aux yeux, bien que le tropisme méditerranéen commence à imposer leur soumission aux mâles par la religion, la culture et la loi. On dit cependant que si le roi breton n’a pas de descendant digne, une descendante peut être choisie. Justement, le voilà qui surgit au château de Brilhac, dominant le golfe du Morbihan…

Le seigneur du lieu est parti chasser avec lui, son ami, depuis deux semaines et c’est justement durant ce temps que se multiplient les exactions contre les paysans, viols, tuerie, incendie, et les actes de piraterie contre les navires marchands. A chaque fois, le mystérieux capitaine juvénile donne les ordres et le navire arbore la bannière blanche à la colombe de la maison Brilhac. Les enfants restés au château ont beau jurer qu’ils n’y sont pour rien, le garçon Macliau, qui aime fort le vin et les filles, manque de peu de se faire écharper par les paysans en colère. Il n’est sauvé que par Fidelma qui impose la justice, bien que ne parlant pas la langue.

Étrangère, naufragée, ignorante de la loi locale, on ne se méfie pas d’elle… Erreur ! Elle garde son acuité d’enquêtrice et son bon sens logique. Elle mettra donc au jour, devant le roi, les seigneurs et les paysans assemblés, la trame de l’intrigue et le pourquoi des nombreux meurtres survenus sur mer, sur la lande et dans le château même. Le lecteur croit un personnage coupable, et puis non, et puis si, et puis… Disons sans déflorer la fin que tout s’éclaire in extremis sans que jamais l’on s’en soit douté. Même si des indices probants ont été semés ici ou là.

Peter Tremayne est au sommet de son art. Il sait comme nul autre brosser à grands traits le paysage médiéval en filigrane à l’actuel, les coutumes du temps, les caractères des personnes. Il resitue l’histoire sur la durée, entre les menées saxonnes, l’ambition franque et l’imposition religieuse de Rome. Vous y apprendrez comment réaliser un menu médiéval, soupe de moules aux poireaux et à la crème qui se fait toujours, anguille au sel, lapin au cidre produit sur place, assaisonné d’échalote, d’ail sauvage, d’herbes et d’amandes pilées. Cela tandis que les filles ambitieuses et les bogoss musclés du temps échangent des regards – comme encore aujourd’hui. Même les chats savent nager.

Et Fidelma de conclure devant Eadulf, sur le navire qui les emporte cette fois pour de bon vers Muman : « Voyager, rencontrer des gens, vivre avec eux des expériences passionnantes, fait aussi partie des richesses de la vie, non ? » p.374. Une saine lecture, bretonne, marine et ventée, presque bio…

Peter Tremayne, La colombe de la mort (The Dove of Death), 2009, 10-18 avril 2012, 380 pages, €7.69 

Tous les romans policiers historiques de Peter Tremayne chroniqués sur ce blog 

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Jules Verne dans la Pléiade

Vous avez quinze jours pour le faire, en librairie ou par Internet.

Du 15 au 31 mai la collection de la Pléiade, chez Gallimard, propose gratuitement un album relié cuir aux acheteurs de trois volumes de la collection. Justement, le duo des Œuvres romanesques de Virginia Woolf vient de paraître, de même qu’un recueil de Romans, récits et nouvelles de Pierre Drieu la Rochelle. Quoi qu’on pense de ces deux personnes, leur œuvre littéraire reste. D’autant que le catalogue comprend de nombreux autres auteurs tels Milan Kundera ou les Nouvelles d’Henry James.

L’album Jules Verne présage la parution en deux volumes fin mai de romans du populaire auteur, dont on s’étonnait de l’absence malgré Alexandre Dumas déjà dans la collection. Il est vrai que la servilité commerciale envers ce qui est dans le vent l’emporte sur tout le reste. Duras a été plébiscitée car « de gôch, féministe et cinéphile », au détriment du grand Kessel, qui aurait bien mérité mais qui ne figure TOUJOURS PAS dans la Pléiade. Telle est la mode, n’est-ce pas ? Le talent compte peu au regard du socialement adulé politiquement correct. A ce compte, Flaubert aurait été ignoré en faveur de son ami tellement plus apprécié des salons (pourtant aujourd’hui largement tombé dans l’oubli) Maxime du Camp !

Vous me direz que Jules Verne a été « antisémite », volontiers dreyfusard contre les puissances de la banque et de l’argent cosmopolite. La belle affaire ! Nous étions au XIXème siècle, pas au XXème. Il ne s’agissait pas de camps d’extermination mais de mépris catholique-aristocrate envers le matériel, le numéraire, les affaires. Plus le mépris nationaliste de la gauche radicale à l’époque, les Juifs étant volontiers « allemands » d’origine. D’autant que Jules Verne a toujours abhorré l’esclavage (voir L’île mystérieuse). Quiconque confond les époques est nul et devrait se recycler (il existe une collection complète « pour les nuls » dans tous domaines, même François Hollande s’est fait surprendre à lire L’histoire de France pour les nuls…). Est-ce qu’on osera dire que la répulsion socialiste et gauchiste d’aujourd’hui « contre les puissances de la banque et de l’argent cosmopolite » présage DEJÀ des lendemains de camps pour la race des riches, exilés suisses, juifs américains ou patrons français ?

Jules Verne, qui a enchanté maintes enfances, va donc paraître en collection de prestige. Cet album raconte sa vie, richement illustrée. Né à Nantes (ville socialiste fondée sur le trafic d’esclaves) d’un père juriste du Beaujolais et d’une mère aristocrate apparentée aux Écossais, le petit Jules se voit bientôt flanqué d’un frère Paul, de seize mois plus jeune, qu’il aimera plus que tout. La ville catholique bourgeoise l’ennuie fort en ses enfances et adolescences (« des sots bâtissant sur le sable, en affaires peu scrupuleux », écrira-t-il des Nantais) mais l’air du large et l’agitation industrielle comblent son goût pour l’aventure (« le mouvement maritime d’une grande ville de commerce, point de départ et d’arrivée de nombreux voyages au long cours »). Il tombe amoureux de sa cousine et se fait éconduire ; il s’exile à Paris pour y faire son droit jusqu’à la licence. Mais c’est le théâtre et la littérature qu’il préfère. Il écrit des pièces qui font un four, mais des nouvelles qui sont appréciées des revues. Il deviendra écrivain.

Tout d’abord pour enfant lorsqu’il rencontre Hetzel, génial éditeur spécialisé dans la jeunesse. Mais très vite ses romans vont conquérir un plus vaste public. Jules Verne a la plume directe et le sens dramatique, il fait aimer la science appliquée, l’exploration géographique et le positivisme républicain. Ses héros ont quinze ans ou trente, capitaines courageux ou misanthropes réfléchis. Ils sont lui fantasmé, petit blond fluet captivé d’aventures et hyperactif à 8 ans. Ils sont Michel, son fils difficile, érotomane dès la puberté, qu’il a fallu mettre en collège fermé, puis engager comme matelot pour deux ans. Ils sont coureurs de mers, comme lui en mieux sur les Saint-Michel I, II et III. Jules Verne habitera vite Amiens, ville à l’époque culturelle, à la fois proche de Paris et proche de la mer, où il ancre son bateau au Crotoy.

Ses héros osent. Ils sont l’humanité entière en quelques caractères ; ils reconstituent toute l’expérience humaine depuis les origines dans ces îles désertes ou industrielles dans lesquelles le hasard ou la nécessité les jette. Vingt mille lieues sous les mers est un palace sous-marin, Robur le conquérant un palace volant, La maison à vapeur un palace automobile, Cinq semaines en ballon un havre aérien, La jangada un radeau microcosme, L’école des robinsons une île véritable, comme L’île mystérieuse et Deux ans de vacances… Ou bien les héros sont seuls face à une nature (et à des indigènes) hostiles. Michel Strogoff dans les immensités de la Russie, Le tour du monde en 80 jours malgré les aléas, Kéraban le têtu véritable tête de Turc, Voyage au centre de la terre

Mon goût pour explorer le monde est venu de Jules Verne. Ma foi envers l’ingéniosité humaine aussi. Comme mon optimisme républicain des Lumières. Voyage au centre de la terre, Deux ans de vacances et L’île mystérieuse le prouvent à l’envi, qui sont mes préférés. Vient enfin l’hommage mérité de la prestigieuse collection à un véritable écrivain.

Jules Verne, Album Jules Verne établi par François Angelier, volume relié pleine peau sous coffret illustré, format : 105 x 170, 320 pages, 318 illustrations, collection « Album de la Pléiade » n° 51, offert par les libraires pour tout achat de 3 volumes de la Pléiade, du 15 mai au 31 mai 2012.

Jules Verne, Voyages extraordinaires : Les Enfants du capitaine Grant, Vingt mille lieues sous les mers / L’Île mystérieuse, Le Sphinx des glaces, 2 volumes Pléiade sous coffret illustré, 1488 et 1264 pages, 505 illustrations de la collection Hetzel, parution fin mai, Gallimard.

Tous les romans de Jules Verne chroniqués sur ce blog

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Jules Verne, Deux ans de vacances

Lorsque j’étais enfant, j’aimais beaucoup Jules Verne. Parmi ses œuvres, « Deux ans de vacances », écrit en 1888, était l’une de mes préférées. Non que je n’aimasse point l’école, mais l’aventure me semblait une école plus réaliste de la vie. J’étais heureux de cette atmosphère de groupe, cette fraternité de bande qui régnait dans le roman. Jules Verne a bien rendu cet âge entre 8 et 15 ans.

Quinze préados et ados sont entraînés par la tempête durant leur sommeil hors du port d’Auckland où ils étaient amarrés, à 1800 lieues de là. Ils échouent sur une île déserte comme Robinson. Sauf qu’ils sont encore des enfants et qu’ils sont plusieurs. Sur ce thème, l’amoureux de jeunesse qu’est Jules Verne va déployer ses talents. Il a le sens de la mise en scène, le style enlevé qui ne craint pas les clins d’œil au lecteur, les caractères tranchés. S’ajoutent à ces ingrédients de base l’encyclopédisme « fin de siècle », l’hymne au savoir du positivisme d’époque et la morale patriotique de rigueur aux débuts de la IIIème République.

Le groupe d’enfants réunit ce que l’Occident produit de mieux à la fin du 19ème siècle : des Anglais, un Américain, deux Français. Plus un Noir de 12 ans, Moko, qui est mousse. L’aîné du groupe, Gordon, a 14 ans et est Américain. Ses deux seconds sont le français Briant et l’anglais Doniphan, 13 ans tous deux – donc en concurrence. Les autres gravitent autour de ces deux-là, les petits en faveur de Briant qui les aime et s’occupe d’eux, les autres en faveur de Doniphan dont ils admirent la prestance physique et l’aisance intellectuelle. Chacun des trois « grands » incarne à lui seul une vertu et manque des autres. Gordon est la prudence, Briant le dévouement, Doniphan l’intrépidité. Les caractères nationaux prennent des proportions métaphysiques. Le cœur, bien sûr, devant l’emporter à terme, « à la française ».

Gordon, l’Américain, est orphelin comme sa nation l’est de sa marâtre Angleterre. Self-made man, « esprit pratique, méthodique, organisateur », il a le goût « naturel » de fonder une colonie qui deviendra sa famille. Surnommé « le Révérend », élu premier chef démocratique de l’île, il est – à l’américaine – la religion et la loi. Il sera toujours le médiateur, en bon sens et raison.

Briant, le Français, est fils d’ingénieur, bourgeon idéalisé de l’auteur. Grand frère d’un petit Jacques trop expansif et turbulent, très protecteur avec les « petits », heureux de les voir rire, il est proche aussi du mousse qu’il respecte et protège « malgré » sa race (nous sommes fin 19ème). Peu laborieux mais intelligent, Briant assimile vite et retient fort. Il apparaît audacieux, entreprenant, adroit. Il est vif et serviable, vigoureux et plutôt rebelle. Toujours actif, bon garçon, débraillé, très inventif, il est l’idéal en herbe du Français positiviste qui croit en la Science.

Doniphan, c’est la morgue anglaise. Avec ses immenses qualités d’opiniâtreté, de stoïcisme et d’exemple ; et ses immenses défauts d’orgueil, d’excessive discipline et d’arrivisme. Fils de riche propriétaire de Nouvelle-Zélande, élégant, soigné, distingué, il se croit né pour commander. Intelligent et studieux, il tient à ne jamais déchoir. Son orgueil de caste le pousse à toujours être le meilleur, autant par désir de prouver que pour s’imposer. Impérieux avec ses camarades, il se croit – comme à l’époque – issu de la race élue pour guider les autres. Churchill s’en moquera un demi-siècle plus tard, ayant connu semblable enfance. Passionné de sport, très habile au fusil, il est intrépide par excellence, d’instinct chasseur et guerrier.

Comme à la scène, nous avons les trois nations incarnées dans un type : le prêcheur juriste (Gordon), l’entraîneur sportif (Doniphan), le politique sentimental et organisateur (Briant). De ces trois ordres, on voit le Français réduit au tiers-état par tradition révolutionnaire. La morgue aristocratique anglaise apparaît comme l’obstacle principal à la démocratie, vertu américaine et française. La bande est formée d’égaux sur l’île. Seuls l’âge et le savoir hiérarchisent les enfants – mais bien moins qu’à terre et que dans les pensions anglaises, puisque tous sont embarqués « sur le même bateau ». L’île (déserte) n’est qu’un bateau de terre ferme. La distinction de nature ou de classe cède le pas à la réalité des choses : les qualités humaines indispensables à la survie de groupe – dont Briant semble pourvu plus que les autres.

L’initiative enseignée dans les pensions anglaises, l’affectivité du tempérament français, le souci d’ordre de l’Américain orphelin, vont devenir les piliers de la colonie. « Que tous les enfants le sachent bien – avec de l’ordre, du zèle, du courage, il n’est pas de situations, si périlleuses soient-elles, dont on ne puisse se tirer. » Telle est la morale du livre, tirée dans les dernières pages, pour édifier les jeunes cervelles enfiévrées d’aventures. L’ordre Gordon, le zèle Briant, le courage Doniphan : tous complémentaires.

Briant, le « grand frère » de tous, est bel et bien « brillant ». Son nom n’est pas un hasard… L’histoire veut d’ailleurs que Jules Verne ait ainsi honoré le collégien Aristide Briand qu’il aimait bien et connaissait dans sa ville de Nantes (il deviendra 11 fois président du Conseil). Sa rivalité avec Doniphan, bourré lui aussi de qualités, suscite la passion du jeune lecteur. C’est dire si leur réconciliation est un moment fort du livre, au 22ème chapitre sur les 30.

Mais mon plaisir ultime, enfant, fut de découvrir sur un atlas que l’île Chairman où s’échouèrent les enfants existait bel et bien ! Elle porte le nom d’île Hanovre et est située dans un archipel au large des côtes sud du Chili, à 30 milles à peine du continent, au débouché ouest du détroit de Magellan.

Pourquoi les enfants d’aujourd’hui ne seraient –ils pas enthousiasmé comme je le fus, s’ils aiment encore lire ?

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