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Daniel Pennac, Chagrin d’école

L’auteur été un cancre, il en a fait un livre. Tout petit déjà, il a passé un an sur la lettre A. Les majuscules lui faisaient peur. Ses instituteurs lui disaient qu’il était nul et c’était pire au collège. Les appréciations des bulletins scolaires étaient toujours les mêmes, dépréciative. Mais le petit Daniel devenu grand a réussi à passer quand même le bac, en deux années, puis a enchaîné la licence et la maîtrise de lettres modernes. Sans passer le CAPES ni l’agrégation, il est devenu professeur de collège privé. C’est ce qui lui donne le droit et l’expérience d’écrire sur les élèves et l’enseignement.

Il mêle les souvenirs autobiographiques et les réflexions sur la façon d’enseigner. L’école dysfonctionne ; les professeurs « ne sont pas préparés pour ça ». Il s’interroge sur le « ça ». C’est un élément indéfini dans lequel le professeur met tout ce qui ne va pas, tout ce qu’il devrait faire, tout ce qu’il ne sait pas faire. Le « ça » est l’abîme qui sépare le savoir de l’ignorance. Mais cet abîme, le professeur ne le connaît pas. Il semble être né en ayant déjà tout appris, sans s’apercevoir que l’élève est justement celui qui ne sait riens et doit tout apprendre.

Oh, évidemment, il y a la société, les problèmes économiques, la crise, le chômage, l’immigration, les banlieues, les réseaux sociaux, l’attrait du téléphone mobile, la drogue, les fringues, et l’incivilité qui va, au cinéma comme dans le rap, et que la « bonne » société se complaît à reproduire, par snobisme. Mais les adolescents restent des adolescents, que ce soit au début de l’école publique à la fin du XIXe siècle, ou dans l’école publique massifiée du début du XXIe siècle. Ils sont aux prises avec la difficulté d’être de l’adolescence, le bouleversement des hormones et du corps, le regard des autres, l’identité, leur place dans la société et le jugement adulte. Le cancre, celui qui refuse l’école, la morale et le système, se replie au fond dans sa coquille parce qu’on ne le regarde pas tel qu’il est. Reconnaître l’individu est la première tâche du pédagogue. Nul professeur ne pourra enseigner un quelconque savoir s’il ne parle pas à un élève en particulier plutôt qu’au plafond dans sa classe.

Pour cela, il faut habiter son enseignement, attirer l’attention, faire jouer les élèves. Non pas en chahut post–68, mais pour leur faire assimiler par eux-mêmes, et en interaction de groupe, ce qui est la matière enseignée. Ainsi l’orthographe, que le professeur Pennac fait apprendre en donnant à corriger les copies des secondes aux petits de quatrième. Ou la grammaire, qu’il dissèque à partir d’une phrase spontanée d’un élève, évidemment mal formulée et générale, pour lui donner tout son sens particulier et correct. Les enfants sont curieux de nature, et il suffit de peu de choses pour qu’ils s’intéressent à ce qu’on leur propose. La première chose est de leur porter attention, la seconde est de reconnaître ce qu’ils réussissent, la troisième est de les encourager à faire par eux-mêmes.

Le professeur Daniel Pennacchioni, de père général et polytechnicien d’origine corse, est le dernier de quatre frères, dont deux ingénieurs et un officier. Il a été aimé durant son enfance, mais cela ne suffit pas. Seuls quelques rares professeurs ont réussi à l’intéresser à leur matière, en lettres, en histoire, en mathématiques, en philosophie. Mais c’est l’amour que lui ont porté deux filles qui l’ont, selon lui, fait mûrir et enfin assimiler le savoir. Il a dès lors « travaillé » pour passer ses diplômes. Il a enseigné 25 ans avant de laisser l’enseignement pour continuer d’écrire ses livres. Mais Il continue à intervenir dans les collèges et lycées pour transmettre sa passion des lettres.

Il donne quelques méthodes, comme faire apprendre un texte chaque semaine à ses élèves, portant sur une morale ou un sentiment, leur faisant analyser le pourquoi et l’enchaînement des idées plutôt que du simple apprentissage par cœur. On retient le mieux ce que l’on reconstitue en esprit. L’un de ses collègues de banlieue, en proie à des « racailles » illettrées et immatures, leur a fait, à chacun en particulier à 15 ans, tourner un film où ils interrogeaient un autre de leurs camarades. En passant puis repassant ces films devant tout le groupe, il leur a fait comprendre combien l’interviewé comme l’intervieweur jouait chacun un rôle, se la pétait, frimait, en bref n’étaient pas eux-mêmes. Dès lors, il leur a fait recommencer l’interview, et les adolescents se sont enfin révélés tels qu’ils étaient, sans les oripeaux des fringues de marque, des intonations provocatrices, des gestes imités de la rue. C’est page 237 et vaut son pesant d’émotion.

Au fond, plutôt que de se lamenter constamment sur les moyens ou de le nombre d’élèves, ou la formation jamais suffisante, ce qui compte est : « la seule chose sur laquelle nous pouvons personnellement agir et qui, elle, date de la nuit des temps pédagogiques : la solitude et la honte de l’élève qui ne comprend pas, perdu dans un monde où tous les autres comprennent » p.39. Plutôt que stigmatiser, respect !

Le cancre n’est pas de prédestination, ni la nullité un destin, mais dépend des rencontres et de l’attention. Chacun réclame sa part d’amour en ce monde et, parfois, certains professeurs peuvent le donner, repêcher un l’élève nul pour en faire un être pensant.

Un bien beau livre, malgré quelques délayage.

Prix Renaudot 2007

Daniel Pennac, Chagrin d’école, 2007, Folio 2009, 305 pages, €9,40

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Tics de langage

Rien ne m’agace plus que les tics de langage. Quand on n’a rien à dire, autant la fermer.

Au contraire ! Ceux qui n’ont justement rien à dire sont aussi ceux qui sont incapables de maîtriser un jargon ou une langue de bois. Ils usent de subterfuges ineptes comme les « euh !… » pour garder la parole, les adverbes mal à propos et les termes valises.

La dernière mode est « du coup ». Pour dire « et » ou bien « donc », pour enchaîner, la bêtise ambiante a adopté le « du coup » qui fait popu dans les cercles branchés. On se demande de quel mauvais coup il s’agit.

Juste après, déjà presque ancien et toujours aussi nul, est « voilà ». Le voilà de qui ne signifie rien et ne sait surtout pas comment le dire. Le débile jette son « voilà » pour signifier : démerdez-vous pour comprendre tout seul, hein, voilà ! Il a tout dit quand il n’a rien, dit, signe insigne d’une très haute pensée inexprimable.

Reste l’inénarrable « je veux dire », parfois décliné en « je dirais » : eh ! dis-le donc au lieu de l’annoncer, ducon ! « Hein, voilà, je veux dire… » Tout un tas de mots qui ne font que du vent, qui occupent l’antenne, qui meublent l’absence abyssale de propos sensés. Ou la bêtise faite ondes.

Subsiste toujours le vieux « au jour d’aujourd’hui », qu’un certain animateur radio du matin traduit en « le site France Culture de France Culture : franceculture.com »… comme s’il en avait plein la bouche, comme s’il se prosternait devant sa station, qu’il en bégayait du cuculturel, du rance, France, cul, culture, quoi, hein, bon, voilà, enfin !

D’autres émettent des « en fait » à tout bout de champ, sans aucun fait à présenter. Un terme sorti peut-être inconsciemment pour ces « amphèt » dont ils se sont bourrés ?

Il y a des « effectivement » à la pelle, des « absolument » pour dire oui, des « vraiment » pour dire je vais vous dire un mensonge, des « naturellement » pour tout ce qui, justement n’a rien de naturel. Chirac était passé maître dans le « naturellement » qui disait qu’il ‘avait jamais considéré une autre idée que celle qu’il émettait, comme s’il avait la science infuse, lui le grand Fout-Rien.

Je passe sur le « et/ou », qui n’a aucuns sens logique dans le langage parlé. Il est plus répandu à l’écrit mais il passe parfois l’oral pour dire qu’il ne sait pas dire. En tous cas il n’a aucune logique, il se veut branché informatique mais son auteur n’a jamais lu Aristote (la Logique) ni Platon (les dialogues). Un humain n’est pas une ligne de code et le « et/ou » ne signifie rien. C’est soit « et » englobant, soit « ou » excluant ; on ne peut avoir – malgré son vif désir – les deux « en même temps ».

Peut-être est-ce le tic du « et/ou » qui a conduit au « en même temps » présidentiel ? Mais à ne pas savoir choisir et décider, à vouloir tout englober sans discerner, ne se prépare-t-on pas des surprises dans la réalité ? Non, les humains ne sont pas des animaux-machines et on ne leur parle pas comme à des ordinateurs. Il n’y a pas de « et/ou » qui tienne, mais le avec – ou le soit.

Tous ces tics méritent la trique. Les entendre déconsidère leurs émetteurs. On ne peut plus les croire, eux qui ne savent pas causer.

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Jules Verne dans la Pléiade

Vous avez quinze jours pour le faire, en librairie ou par Internet.

Du 15 au 31 mai la collection de la Pléiade, chez Gallimard, propose gratuitement un album relié cuir aux acheteurs de trois volumes de la collection. Justement, le duo des Œuvres romanesques de Virginia Woolf vient de paraître, de même qu’un recueil de Romans, récits et nouvelles de Pierre Drieu la Rochelle. Quoi qu’on pense de ces deux personnes, leur œuvre littéraire reste. D’autant que le catalogue comprend de nombreux autres auteurs tels Milan Kundera ou les Nouvelles d’Henry James.

L’album Jules Verne présage la parution en deux volumes fin mai de romans du populaire auteur, dont on s’étonnait de l’absence malgré Alexandre Dumas déjà dans la collection. Il est vrai que la servilité commerciale envers ce qui est dans le vent l’emporte sur tout le reste. Duras a été plébiscitée car « de gôch, féministe et cinéphile », au détriment du grand Kessel, qui aurait bien mérité mais qui ne figure TOUJOURS PAS dans la Pléiade. Telle est la mode, n’est-ce pas ? Le talent compte peu au regard du socialement adulé politiquement correct. A ce compte, Flaubert aurait été ignoré en faveur de son ami tellement plus apprécié des salons (pourtant aujourd’hui largement tombé dans l’oubli) Maxime du Camp !

Vous me direz que Jules Verne a été « antisémite », volontiers dreyfusard contre les puissances de la banque et de l’argent cosmopolite. La belle affaire ! Nous étions au XIXème siècle, pas au XXème. Il ne s’agissait pas de camps d’extermination mais de mépris catholique-aristocrate envers le matériel, le numéraire, les affaires. Plus le mépris nationaliste de la gauche radicale à l’époque, les Juifs étant volontiers « allemands » d’origine. D’autant que Jules Verne a toujours abhorré l’esclavage (voir L’île mystérieuse). Quiconque confond les époques est nul et devrait se recycler (il existe une collection complète « pour les nuls » dans tous domaines, même François Hollande s’est fait surprendre à lire L’histoire de France pour les nuls…). Est-ce qu’on osera dire que la répulsion socialiste et gauchiste d’aujourd’hui « contre les puissances de la banque et de l’argent cosmopolite » présage DEJÀ des lendemains de camps pour la race des riches, exilés suisses, juifs américains ou patrons français ?

Jules Verne, qui a enchanté maintes enfances, va donc paraître en collection de prestige. Cet album raconte sa vie, richement illustrée. Né à Nantes (ville socialiste fondée sur le trafic d’esclaves) d’un père juriste du Beaujolais et d’une mère aristocrate apparentée aux Écossais, le petit Jules se voit bientôt flanqué d’un frère Paul, de seize mois plus jeune, qu’il aimera plus que tout. La ville catholique bourgeoise l’ennuie fort en ses enfances et adolescences (« des sots bâtissant sur le sable, en affaires peu scrupuleux », écrira-t-il des Nantais) mais l’air du large et l’agitation industrielle comblent son goût pour l’aventure (« le mouvement maritime d’une grande ville de commerce, point de départ et d’arrivée de nombreux voyages au long cours »). Il tombe amoureux de sa cousine et se fait éconduire ; il s’exile à Paris pour y faire son droit jusqu’à la licence. Mais c’est le théâtre et la littérature qu’il préfère. Il écrit des pièces qui font un four, mais des nouvelles qui sont appréciées des revues. Il deviendra écrivain.

Tout d’abord pour enfant lorsqu’il rencontre Hetzel, génial éditeur spécialisé dans la jeunesse. Mais très vite ses romans vont conquérir un plus vaste public. Jules Verne a la plume directe et le sens dramatique, il fait aimer la science appliquée, l’exploration géographique et le positivisme républicain. Ses héros ont quinze ans ou trente, capitaines courageux ou misanthropes réfléchis. Ils sont lui fantasmé, petit blond fluet captivé d’aventures et hyperactif à 8 ans. Ils sont Michel, son fils difficile, érotomane dès la puberté, qu’il a fallu mettre en collège fermé, puis engager comme matelot pour deux ans. Ils sont coureurs de mers, comme lui en mieux sur les Saint-Michel I, II et III. Jules Verne habitera vite Amiens, ville à l’époque culturelle, à la fois proche de Paris et proche de la mer, où il ancre son bateau au Crotoy.

Ses héros osent. Ils sont l’humanité entière en quelques caractères ; ils reconstituent toute l’expérience humaine depuis les origines dans ces îles désertes ou industrielles dans lesquelles le hasard ou la nécessité les jette. Vingt mille lieues sous les mers est un palace sous-marin, Robur le conquérant un palace volant, La maison à vapeur un palace automobile, Cinq semaines en ballon un havre aérien, La jangada un radeau microcosme, L’école des robinsons une île véritable, comme L’île mystérieuse et Deux ans de vacances… Ou bien les héros sont seuls face à une nature (et à des indigènes) hostiles. Michel Strogoff dans les immensités de la Russie, Le tour du monde en 80 jours malgré les aléas, Kéraban le têtu véritable tête de Turc, Voyage au centre de la terre

Mon goût pour explorer le monde est venu de Jules Verne. Ma foi envers l’ingéniosité humaine aussi. Comme mon optimisme républicain des Lumières. Voyage au centre de la terre, Deux ans de vacances et L’île mystérieuse le prouvent à l’envi, qui sont mes préférés. Vient enfin l’hommage mérité de la prestigieuse collection à un véritable écrivain.

Jules Verne, Album Jules Verne établi par François Angelier, volume relié pleine peau sous coffret illustré, format : 105 x 170, 320 pages, 318 illustrations, collection « Album de la Pléiade » n° 51, offert par les libraires pour tout achat de 3 volumes de la Pléiade, du 15 mai au 31 mai 2012.

Jules Verne, Voyages extraordinaires : Les Enfants du capitaine Grant, Vingt mille lieues sous les mers / L’Île mystérieuse, Le Sphinx des glaces, 2 volumes Pléiade sous coffret illustré, 1488 et 1264 pages, 505 illustrations de la collection Hetzel, parution fin mai, Gallimard.

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