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Colette, La maison de Claudine

Vers la cinquantaine – c’est l’âge habituel – l’auteur se penche sur son passé. C’est que la guerre de quatre ans et des millions de morts par boucherie est passée par là, ramenant chacun à l’essentiel de son existence. Que sa fille Bel-Gazou grandit et lui rappelle sa propre enfance. Que son mari Henry de Jouvenel est accaparé par ses affaires diplomatiques. Que son beau-fils aîné Bertrand, 16 ans et demi, au bord de la mer en Bretagne, à Rozven, fait parler la belledoche : « Pourquoi ne racontes-tu pas ton enfance, puisque tu l’as aimée ? »

De fil en aiguille naissent ces contes de l’enfance de Claudine/Colette. Le frère aîné qui, à 13 ans, composait des cercueils et leurs épitaphes deviendra étudiant en médecine… La belle-sœur aînée aux longs cheveux qui lisait tant et plus des romans deviendra mère de famille et fâchée avec Sido. Les chiens et les chattes sont de la famille.

La mère, Sidonie, prend peu à peu de l’importance, révélée par les souvenirs qui affluent. Elle s’est mariée avec « le Sauvage », le capitaine Colette. Elle bouffe du curé mais va de ce pas sonner à sa porte… pour se faire offrir une bouture de pélargonium qu’elle convoitait. Elle ne manque aucune messe, mais avec son chien. Quand le curé lui fait remontrance, elle rétorque « qu’est-ce que vous craignez donc qu’il apprenne ? ». Le chien se lève et s’asseoit comme les fidèles – sauf qu’il grogne à l’élévation. « Mais certainement ! (…) Un chien que j’ai dressé pour la garde et qui doit aboyer dès qu’il entend une sonnette ! » Sido est une femme qui pleure à la mort de son mari le Capitaine cul de jatte, mais qui ne peut s’empêcher de rire le soir même devant le jeune minet qui fait des cabrioles, fou comme un chat au printemps.

« Minet-Chéri », ainsi l’appelait sa mère, est une enfant garçon à la sensualité de bête. Elle aime les plantes, les animaux, les gens. Elle les regarde avec tendresse et ironie. Telle cette « petite Bouilloux », trop belle pour tous, promise par les commères à un destin de dévergondée qui fait tourner les têtes mâles et oriente les queues vers le ballon – et qui pourtant deviendra ouvrière, dansera mais ne se donnera pas, restera vieille fille, aigrie parce que nul ne lui convient tant on lui a monté la tête. Ou ce clerc de notaire dont elle a « oublié le nom », célibataire mal habillé, mal nourri, à figure triste, dont se moquent les petites adolescentes abêties par les hormones le midi – les copines de Colette au village. Un jour, le clerc est en retard, le saute-ruisseau de l’office notarial est déjà assis sur le banc de pierre à bouffer son pain. Lorsqu’il surgit, affairé, il porte un journal et confie au gamin : « Ybañez est mort. Ils l’ont assassiné. » C’était un coup du cardinal de Richelieu dans le feuilleton du jour…

La scandaleuse Colette passe un nouveau pacte avec ses lecteurs ; elle met en avant sa jeunesse pure et familiale, les valeurs conservatrices prisées de ceux qui lisent. Des textes propices à donner en « rédaction » aux élèves du primaire (je n’y ai pas échappé). Même si l’enfant est une enfant, donc « marquée par la malice originelle », comme le note un critique en référence à la Bible.

Colette, La maison de Claudine, 1922, Livre de poche 1978, 158 pages, €7,70, e-book Kindle €4,99

Colette, Œuvres tome 2, édition Claude Pichois, Gallimard Pléiade 1986, 1794 pages, €69,44

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