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Michel del Castillo, Tanguy

Né en 1933 en Espagne, Michel porte le nom de sa mère issue d’une riche famille espagnole car son père, Français, n’a pas voulu de lui et s’est séparé. Maman est républicaine sans être « communiste » (injure facile de ce temps d’intolérance et de haine) mais elle est forcée à fuir en France à cause des républicains pour s’être inquiétée du sort des prisonniers faits par eux. Aidée un temps par le père de son enfant, elle ne résiste pas à l’attrait du militantisme et est internée en camp de républicains espagnols en France, avec son fils. A l’arrivée des Allemands, elle veut fuir au Mexique mais laisse le gamin au passeur catalan avant de joindre Madrid, d’où elle se désintéressera de son sort.

Tanguy est un double de Michel, sans être tout à fait lui, ainsi que le dit l’auteur dans sa longue et bavarde préface de 1994, bien loin du style du roman paru en 1957. Je prie le lecteur de ne lire ce pensum préfacier qu’après avoir lu le texte lui-même, car il aurait une mauvaise impression.

Tanguy est un enfant sensible qui n’a connu que des ruptures affectives, ce pourquoi il aime sans condition et accepte l’amour sans condition – y compris celui des garçons. Son père était trop lâche, imbu de « respectabilité » sociale, pour accepter ce fils qu’il n’a pas désiré ; sa mère était trop lâche, imbue de « justice sociale » (pour les autres mais pas pour son enfant) et trop emplie de haine de classe pour être tout simplement humaine. Lui n’a pas répondu aux appels au secours de Tanguy ; elle l’a abandonné de ses 9 ans à ses 18 ans sans même chercher à savoir ce qu’il était devenu dans la tourmente de la guerre. Et c’est Tanguy qui l’a recherchée, après avoir trouvé son père.

Son destin est simple : pris avec des Juifs, lui qui ne l’était pas, il a été interné en camp de concentration en Allemagne malgré ses 9 ans. Il n’a dû son salut qu’à l’amour de Günther, jeune et « très beau » prisonnier allemand interné avec les autres car probablement homosexuel, en tout cas pas dans les normes de la Nouvelle Allemagne aryenne et nazie. Libéré à 13 ans, le garçon a été renvoyé en Espagne après un trop bref séjour en France parce que son père, ne l’ayant pas reconnu, n’en a pas fait un Français. Là, fils de républicaine « rouge », il a été enfermé au bagne des Frères, une maison de redressement tenue par des prêtres catholiques férus de fouetter nus les garçons dans les douches, de les punir sadiquement, et de violer les 8 à 13 ans qui leur plaisaient en piquant l’un ou l’autre au gré des soirées. Tanguy va s’évader à 16 ans avec Firmin, un « parricide », qui a fait la peau de son père, ivrogne sans travail qui battait sa femme et son fils, incitant ce dernier à se prostituer pour rapporter de l’argent. Tout un univers ancien régime de mâle dominant et pervers, où femmes et enfants ne sont que des objets, situation bénie alors par la sainte Église et par le régime autoritaire.

L’attrait de Tanguy est que l’enfant traverse les épreuves comme immunisé contre le mal. Il ne le voit pas, le ressent à peine dans sa chair. Il est comme les gamins de Dickens, miraculeusement au-delà des travers et méchancetés humaines pour ne garder que l’amour – qui existe aussi parmi les hommes. Quant à Dieu… N’en déplaise aux croyants, l’hypothèse de son existence n’a aucune utilité dans sa vie. Mieux vaut un padre réel qui écoute ou une veuve humaine qui compatit. A Tanguy qui avouait au Père jésuite qu’il n’était pas sûr de croire en Dieu, l’homme bon a répondu : « Laisse en paix ses histoires !… Mange, dors, joue, étudie, ne mens pas, sois bon avec tes camarades, travaille, agis loyalement. Quand tu auras fait toutes ces choses, et qu’en plus tu te sentiras capable d’aimer ton prochain jusque dans tes actes, alors demande-toi si tu crois en Dieu ; pas avant. La plupart de nos « croyants » cessent de se comporter en croyants dès qu’il s’agit de donner 1000 pesetas »  p.251.

Une parole de sagesse, qui est le bon sens même, bien meilleure que ce « moralisme chrétien, dolent et sentimental » inculqué alors par la société catholique, selon l’auteur (p.12). Le mal existe, la jouissance de la souffrance des autres et de leur humiliation, des nazis en camp aux pères catholiques en maison de redressement, de papa qui refuse son rôle à maman qui néglige le sien. Une naïveté qui fait la fraîcheur de ce roman, une sorte de mythe impossible à vivre dans la vraie vie.

Ce pourquoi notre société qui refuse le réel le conseille en lecture aux collégiens, poursuivant l’irénisme béat du tout-le-monde-il-est-beau-et-gentil qui sévit trop volontiers dans l’éducation « nationale ». En témoignent les « réactions » à la mort d’un professeur de collège, Dominique Bernard, tué trois ans après Samuel Paty : on se propose de discuter, « échanger » (quoi ?), de blablater sans fin dans des communions collectives de lamentations et de « recueillements » face aux fanatiques qui tuent au couteau – au lieu de se demander quelles solutions concrètes et efficaces il y aurait lieu de prendre. Mais surtout « ne pas » ! Ne pas assimiler, ne pas exagérer la réponse, ne pas humilier, ne pas… Donc on ne fait rien, en « priant » (laïquement) qu’en laissant tout en l’état rien de grave n’arrive plus – jusqu’au prochain meurtre.

C’est pourquoi ma lecture de ce roman célèbre est mitigée. Jeune, j’ai adhéré dans l’émotion et l’empathie aux malheurs de ce petit garçon jeté aux lions ; mûr, je me demande si la morale de l’histoire est la bonne, si la moraline chrétienne d’ambiance est encore de mise. Le monde est dur, la société se durcit, les humains se murent dans leur ego et leur nationalisme. Ni l’Occident, ni les États, ni les sociétés éclatées ne sont plus en mesure d’imposer une morale saine. Il faut voir les situations et les gens tels qu’ils sont, leurs ressentiments, leur haine attisée par des trublions trotskistes convertis à l’islamisme par tactique électoraliste comme Mélenchon. Le Tchétchène Ingouche expulsable en 2014 et dont « les zassociations » ont eu pitié, a tué en 2023, pour « commémorer » le Tchétchène islamiste qui a égorgé Samuel Paty. Les zassociations de pauvres âmes – pas si belles qu’elles le croient – sont responsables ; tout comme les fonctionnaires des diverses administrations qui se contentent de fonctionner au prétexte que « la loi » les empêche d’agir. A quoi cela sert-il, le « fichage S », s’il y a plus de 10 000 noms dans les fichiers ?

C’est tout cela qu’évoque finalement Tanguy aujourd’hui, ce roman d’une autre époque. Sa candeur un peu niaise envers le mal, qu’il accepte comme un destin, doit nous faire réagir.

Michel del Castillo, Tanguy, 1957 revu 1995, Folio 1996, 338 pages, €9,20

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Jean Dutourd, Henri ou l’éducation nationale

Académicien français résistant et deux enfants, ex-Grosse tête gaulliste et chevènementiste qui s’est éteint en 2011, Jean Dutourd est né en 1920 mais, en ce roman au vitriol, il se met dans la peau d’un Henri de 20 ans en 1974. L’occasion pour lui de vilipender la mode « moderne » issue des campus américains et la chienlit née de 1968 dans l’Éducation nationale. Car son éducation est en résistance complète à ce qu’on cherche à lui faire ingurgiter : la haine de soi, la culpabilité héréditaire des « bourgeois » et l’avènement comme le Messie de l’Histoire prolétarienne.

Ce livre, qui a eu son succès d’estime à sa parution sous la gauche illusoire des premières années Mitterrand, n’est bizarrement pas réédité alors qu’il est, à sa relecture, pleinement actuel. Les gens « nés entre 1950 et 1955 » – soit la première tranche du baby-boom – se reconnaîtront pleinement dans cette jeunesse brutalement déboussolée à l’âge de la révolte adolescente, passant de l’autoritarisme ringard et obtus de l’avant 68 au laxisme le plus matérialiste et sexuel de l’après 68. « La fameuse révolution de mai ne m’émut guère. Je la pris aussitôt pour ce qu’elle était : une espèce de vaste rigolade, que nulle grande pensée n’animait, à quoi nul danger réel ne donnait de noblesse » p.181.

Henri Chevillard a 17 ans en 1971, année pour lui du bac. Dans sa famille guimauve, rien n’est interdit – sauf de gêner ses géniteurs. Il peut baiser, découcher, tout le monde s’en fout ; son père même l’y encourage en libidineux qui projette ses propres frustrations : « la débauche, moyen infaillible, disait-il, de s’ouvrir l’esprit ! » p.236. Mais que la grande sœur (prénommée snob Ségolaine) tombe enceinte à 19 ans alors qu’existe la pilule, avalée chaque matin au petit déjeuner (sauf effets indésirables) avec la bénédiction de la mère qui en achète des tubes entiers, voilà qui fait scandale. Non pas de s’être déchaînée au sexe durant des années, « depuis l’âge de 13 ans » pour certaines de ses copines (la Springora n’a rien inventé), mais de mettre ses parents dans l’embarras. « Je sentis que ma sœur était une personne très malheureuse, qu’elle avait vécu jusqu’à ce moment dans un mensonge permanent composé d’idées à la mode, de sentiments artificiels, de préoccupations fausses, de crétineries qu’elle prenait pour des choses primordiales. La vérité venait de lui tomber dessus comme une pierre, sous la forme de ce bébé dont elle savait irréfutablement, depuis une quinzaine de jours, qu’il était dans son ventre » p.220. Que faire du polichinelle ? Considéré comme une chose indésirable, un inconvénient comme une grippe, le mieux est de s’en débarrasser. Sauf que l’avortement est encore interdit en France. La bourgeoisie part donc en Hollande où tout se passe « naturellement » dans la médicalisation moderne des affects.

A 20 ans, Henri Chevillard se veut Henri Brulard et, comme Stendhal, grimpe son Janicule. Sauf que Paris n’est pas Rome et que le Sacré-Cœur fait minable avec la ville grisâtre sous la pluie à ses pieds. Ces premières pages du roman font cuistre avec les années. Il faut attendre le second chapitre pour que les souvenirs s’engrènent et que la plume courre à vif. Le lecteur ne lâche plus alors le bouquin jusqu’à la fin. L’adolescent est certes un brin bavard, mais il réussit à brosser le portrait d’une époque, celle du début des années 1970 juste avant que la gauche ne parvienne au pouvoir. Nous assistons à l’effondrement de la bourgeoisie et des cadres de pensée, faits sociaux que nous payons encore aujourd’hui. Non que cela eût été mieux avant mais, par bien des côtés, ce fut pire ensuite.

S’il était « interdit d’interdire » sous les pavés de mai, les marxistes de toutes obédiences se sont engouffrés dans la brèche pour imposer avec force leur seule conception du monde, considérée comme Vérité d’absolu à l’égal d’une religion. J’en fus personnellement témoin, jouant à citer Marx pour dépasser la moyenne en histoire sous le règne, au lycée J.B. Corot de Savigny-sur-Orge, d’une prof communiste, boiteuse et « juive » de surcroît – ainsi qu’elle nous l’avait appris pour se faire plaindre ou respecter, c’est ambivalent. Tout était dévalué et il fallait faire allégeance pour être comme les autres, avoir de bonnes notes en classe, être reconnu par ses pairs et baiser les filles (éminemment orthodoxes en tout ce qui « doit » se faire). Ce nouveau conformisme révolte notre Henri par construction, puisqu’il atteint justement à l’âge où l’on conteste tout ce qui est établi.

Son prof de philo – fils de notaire provincial – se veut plus socialiste que la gauche et considère les élèves de 17 ans habitant le 16ème arrondissement (où il enseigne) comme des « fascistes » parce qu’ils continuent à l’appeler Monsieur et non pas Jean-Loup. Après « un rapport » du prof, Henri va trouver le proviseur qui n’en peut mais, « minimise » et pleurniche sur sa carrière menacée s’il prend une quelconque position « à cause des syndicats ». La lâcheté des institutions n’a pas changé, il faut faire comme tout le monde même si le monde entre en délire et renie mille ans de culture pour des aberrations.

Les parents, les profs, les filles, rien ne va plus. Plus d’amour parce plus d’autorité ni de respect. « Les punitions (…) expriment toujours de l’estime, ou encore quelque admiration déçue et qui se venge, tandis que l’universelle indulgence, la facilité générale où suffoquent les enfants de 1974 ne traduisent que du mépris. Il ne faut pas chercher ailleurs que dans ce mépris, conscient ou non, de nos parents la cause de toutes vaurienneries que l’on met sur le dos de la jeunesse actuelle » p.277. Le malaise des banlieues, dont allait tant parler vingt ans plus tard après vingt ans de gauche au pouvoir, n’a pas eu d’autre cause. Les enfants ne sont plus « élevés » mais enfoncés dans leur fange où ils se vautrent avec les autres, sans délices mais sans espoir de s’en sortir.

La mauvaise foi règne en maître, ce qui n’est pas étonnant puisqu’elle est la « manifestation caractéristique du droit du plus fort. Le plus fort décrète qu’il a raison, et que le plus faible a tort ; il arrange le passé à sa manière, il récrit l’histoire, il truque tous les procès » p.257. Ce que la gauche marxiste a appris aux égoïstes libertariens de Trump est incommensurable : en serait-on là aujourd’hui si la servilité socialiste n’avait pas aplani le terrain ?

Un livre au galop qui pétille de remarques justes et de traits acérés. Bien qu’ancré dans la réalité des années 1970, il est une borne miliaire pour qui veut reconstituer le pourquoi d’aujourd’hui. Comment en sommes-nous arrivés là ? Lisez Henri et son éducation nationale sans majuscule : elle montre sa faillite.

Jean Dutourd, Henri ou l’éducation nationale, 1983, Flammarion 1983, 316 pages, occasion €0.90 e-book Kindle €7.99

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