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Église d’Odzoun et monastère de Kobayr

Excellente nuit au calme malgré une envie de pisser qui vient de l’habitude de boire beaucoup alors que la chaleur a disparue. Depuis quelques jours en effet, tous les villages pour les filles s’appelaient Achadeau… Malgré la plomberie fantaisiste (fuite, pas d’eau chaude), l’étape est agréable. Des bâtiments annexes sont à peine terminés au fond du jardin, façades en pierre de basalte du pays et toits couleur olivine. Les repas sont particulièrement soignés et l’accueil chaleureux.

Au village agricole d’Odzun, nous visitons la fameuse église du VIe siècle. Elle séduit par la simplicité de ses formes. Sa lumière tombant de lucarnes soigneusement orientées donne une atmosphère à ce lieu de pierre. Des peintures religieuses colorées lui donnent vie, tout comme les cierges maigres qui élèvent leur flamme orange qui font danser les ombres.

Le prêtre massif, en soutane noire et barbe, chante à la fin de notre visite une louange à Dieu. Il a la voix profonde et ses vibrations emplissent l’église, forçant le silence. Façon pour lui de rappeler que ce monument touristique est un lieu où le sacré demeure. Sa croix pectorale luit au bout d’une chaîne.

A l’extérieur, sur le parvis devant l’église, trône un édicule de l’époque soviétique, comme si le régime avait voulu « communiser » le lieu (comme on dit christianiser). Il ressemble à une chapelle mais l’étoile ajourée au fronton, la faucille et le marteau gravés sur les côtés, montrent son dessein édifiant…

Notre dernière randonnée du séjour commence parmi les fermes du village, sous les yeux des vieilles femmes qui sourient en nous regardant passer. Elles sont heureuses si nous photographions les enfants, leur fierté, leur richesse.

Un gamin passe et repasse, affairé. Il n’a pas la tenue d’école mais le short, le débardeur et les tongs de l’été. Il veut probablement nous observer sans en donner l’air. D’autant que l’école est fermée jusqu’à fin septembre pour cause de vacances scolaires… De très jeunes filles suivent la rue en robes à volants dans le chic des années soixante, mais elles ont les gros mollets des habituées des pentes.

Le sentier de chèvres suit la gorge de Débèd, on en voit même deux troupeaux. Nous ne tardons pas à le quitter pour aller longer la falaise plus haut, dans l’herbe rarement foulée. C’est là que le sentier se fait peu large, penchant vers le fond à quelques centaines de mètres.

Nous apercevons la triple voie de communication de la route, du chemin de fer et de la rivière qui bouillonne tout en bas. Buissons verts, fleurs champêtres et graminées jaunes. L’herbe sèche couchée est parfois glissante et l’un de nous l’apprend à ses dépends, lui qui a déjà mal de calculs dans les reins. Le soleil efface les quelques nuages et nous marchons sous la chaleur.

En fin de parcours, une forêt de noyers, hêtres et chênes nous rafraichit. Une lumière d’un vert d’aquarium repose les yeux tandis que le nez est sensible aux parfums des herbes et à l’humidité de l’eau. Une source coule, canalisée en plein milieu du sentier.

Ce dernier, à peine tracé, aboutit brutalement au monastère de Kobayr, en surplomb d’une falaise. Son nom signifie « caverne de pierre » car de nombreuses cavernes existaient dans les parois. Il date du XIIe siècle mais est tellement ruiné que la population a entrepris de le restaurer.

Une équipe d’ouvriers nous regarde arriver, un peu étonnée, gâchant lentement le plâtre et montant au palan des pierres au sommet. Un tout jeune homme bénévole est avec eux sans vraiment travailler, cherchant de l’eau, portant des tubes. Il porte un débardeur rouge étroit, un jean noir de noir et des chaussures de foot jaunes. Il n’a rien de la tenue prolétaire des autres mais l’air d’avoir quatorze ans.

Le pique-nique nous attend là, avec notre guide arménienne et le chauffeur qui a garé son bus en contrebas sur la route. Le monastère domine en effet la vallée, la chapelle forteresse sur l’à-pic de la falaise, au-dessus du vide, et l’église Sainte-Mère de Dieu réduite au chœur et aux fondations. Subsistent dans le chœur des fresques du Christ et des apôtres. Nous faisons le tour des ruines après déjeuner.

Nous rejoignons le bus en bord de route par une descente raide en escalier. Mais les pierres sont naturelles, c’est un escalier bio ! L’adolescent nous dépasse en bondissant comme une chèvre. Il n’a pas oublié quelque chose au village, s’il va vite c’est pour nous observer encore un peu. Nous le trouvons en effet installé au bord de la route face au bus, aux côté des femmes qui proposent des mûres, des pommes et autres fruits.

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Filles et garçons au Japon

Nul doute que la société japonaise change : je l’ai vu en 15 ans. Il suffit de revoir par exemple le film d’Ozu, « Le goût du saké » qui date de 1962, pour constater que ce changement n’est pas nouveau mais constant, avec le monde.

Le film montre un Japon de la fin des années cinquante, défait militairement, devenu productiviste et consommateur. La jeunesse ne rêvait alors que d’individualisme, d’appareils ménagers et de clubs de golf. Les traditions se perdaient et les vieux maîtres n’étaient plus reconnus ni récompensés dans leur vieillesse. Les familles éclataient déjà. Chacun tendait à vivre seul – hantise des hommes japonais dont toute l’éducation a été à l’inverse : maternés durant leur enfance, servis dans l’entreprise comme au bar, servis chez eux par leur femme et leur fille mineure, au pouvoir dans la société. Or, le modernisme, dès 1962, faisait que leurs secrétaires les quittaient pour se marier, leurs filles aussi : rien n’allait plus… Ozu est un bon sociologue.

Le visiteur constate le changement en observant garçons et filles dans leur comportement aujourd’hui. A Nara, Horyu ji, ce sont des centaines de collégiens des deux sexes, de quatrième et troisième selon nos classifications, qui envahissent les allées. Ils sont divisés par classes numérotées de 1 à 4 matérialisées par des panneaux portés par des accompagnatrices. Toujours l’appartenance au groupe, ainsi proclamée. Mais les filles sont mêlées aux garçons sur un pied d’égalité, pas comme dans le film d’Ozu un demi-siècle avant.

Les traditions des années cinquante subsistent, mais la jeunesse joue avec. Si le pantalon noir des garçons ne peut avoir pour seule fantaisie que d’être parfois « taille basse », à la mode, la chemise blanche se porte sous toutes ses formes : avec ou sans tee-shirt, avec ou sans cravate, le col ouvert d’un bouton discret ou débraillé jusqu’à quatre.

Un gavroche à visière a la chemise sortie du pantalon. C’est un moyen pour lui d’affirmer son identité à l’intérieur des uniformes. Aujourd’hui, les normes officielles sont relâchées et le « déviant » est accepté officiellement (ce qui veut dire par le gouvernement et par les professeurs, sous la pression de la société). Mais dans certaines limites : pas question de cheveux jaunes ou de téléphones portables, ni de chaînes au cou à l’école, ni le droit de porter autre chose que les éléments indispensables de l’uniforme, chemise blanche et pantalon noir ou jupette pour les filles. La cravate, en revanche, n’est pas exigée.

Elle l’est même tellement peu que le boutonnage de la chemise des garçons est laissé à l’appréciation du climat et des hormones.  Ou de la mode américaine du décolleté pour laisser admirer son teint de pêche et sa peau de bébé. Les Asiatiques sont à l’aise dans cette norme de l’éphèbe : bronzé naturellement et sans poils. Le stoïcisme d’être peu vêtu dans le frais ou sous la pluie est apprécié au Japon, trait culturel de « virilité ». Le Franciscain portugais Luis Frois, qui a vécu plus de 30 ans dans le pays au XVIe siècle, constatait déjà que les enfants « d’Europe sont élevés avec beaucoup de câlins et de douceur, de la bonne nourriture et de bons vêtements ; ceux du Japon à moitié nus et presque privés de tendresse et d’attentions » (Traité de Luis Fros, 1585, traduction française éd. Chandeigne 1993).

Les filles sont toujours habillées de façon plus stricte, plus « tenues » par une société qui reste machiste, mais elles aiment aussi « souffrir » et « transpirer » comme les garçons, selon les valeurs de discipline japonaise. Midori, la petite amie du héros de « La ballade de l’impossible » de l’écrivain Haruki Murakami (1987), explique pourquoi elle a eu le tableau d’honneur à l’école : « justement parce que je détestais cette école à en mourir. C’est pour cela que je n’ai jamais manqué. Je ne voulais pas m’avouer vaincue. Je me suis dit que ce serait la fin si j’abandonnais. » (p.97) Serrer les dents, voilà du stoïcisme moins physique que rester en chemise sous la pluie, mais non moins révélateur d’un trait de la personnalité japonaise, valable pour les deux sexes. Ce qui n’empêche pas les filles d’avoir des gestes que les garçons n’auront jamais, même les mignons efféminés. La conscience des limites existe ici plus qu’ailleurs.

Aujourd’hui, les jupettes plissées noires des collégiennes ne tolèrent aucune fantaisie, le corsage blanc ne dégage pas le cou mais reste noué par un lacet. Elles portent de grosses chaussettes dont le noir tente d’amincir leurs mollets arqués peu esthétiques. Ces jambes arquées, que les garçons n’ont pas, seraient dues à la position assise, socialement seule acceptable pour les filles : à genoux. Les garçons peuvent s’asseoir en tailleur, le sexe toujours protégé de short ou pantalon – pas les filles, dont la jupe reste ouverte. D’où cette déformation des jambes.

Sorties de l’âge ingrat, nettement plus sévère au Japon pour les filles que pour les garçons (c’est l’inverse en Angleterre), les jeunes femmes peuvent être très belles,. Vers 17 ou 18 ans elles arborent le corps souple d’une liane et les traits fins. d’une miniature d’ivoire Elles sont souvent séduisantes dans leur façon de parler et de s’intéresser à vous, comme la jeune aubergiste de Dorogawa qui a flirté quelques minutes avec chacun des mâles du voyage – ou presque.

Ozu, Le goût du saké, DVD

Haruki Murakami, La ballade de l’impossible (1987), Points Seuil

Traité de Luis Fros, 1585, traduction française éd. Chandeigne 1993

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