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Steven Saylor Le Jugement de César

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Steven Saylor est un Américain qui rend ridicule les caricatures. Un Texan qui plus est. Mais il n’a rien à voir avec la famille Bush, ni par le sang ni par l’esprit : il n’ignore pas le reste du monde, il ne s’intéresse pas aux affaires, la tradition occidentale plus que la Bible lui tient lieu de guide. Diplômé d’histoire, ex-journaliste, il est devenu écrivain. Son dada est le roman policier historique avec pour cadre la Rome de César. C’est documenté, réaliste, stoïcien.

Gordianus est un vieil avocat, citoyen romain, qui a eu l’occasion de côtoyer durant ses huit précédentes enquêtes les grands de ce monde-là : César, Pompée et tant d’autres. Il est pris malgré lui dans les intrigues du pouvoir, les filets des passions et les cruautés du temps. A l’aube de ce roman, le destin détourne son navire du phare d’Alexandrie pour le rejeter à l’est du delta du Nil. Son épouse Bethseda, égyptienne d’origine, a une étrange maladie dont elle est sûre de guérir en allant se retremper dans les eaux primordiales du Nil. Le couple voyage avec Rupa, jeune hercule muet et libre, adopté sur promesse à sa sœur décédée, et deux jeunes esclaves, Mopsus et Androcles, de 10 à 12 ans.

Sur cette côte déserte d’Egypte, le bateau est capturé par… les Romains. Tout serait pour le mieux si la guerre ne faisait rage entre César et Pompée. Ce dernier vient d’être battu à Pharsale et cherche dans la province du Nil de quoi se refaire. Le problème est que Gordianus et Pompée se sont déjà rencontrés et qu’ils ne s’apprécient guère. C’est même de haine dont il s’agit. Et ce n’est pas sans trembler que Gordianus est fortement convié à rejoindre la galère du Magnus…

L’action est ainsi enlevée, dans un décor sobrement brossé qui fait le lecteur y croire. La douceur du Nil, la splendeur des palais d’Alexandrie, la foule vivace et émotive des quartiers, tout est croqué à traits vifs, presque cinématographiques. Les éclats, les sons, les odeurs, sont disséminés pour habiller les heures et colorer les sentiments. Les personnages ne sont pas des pantins, ils vivent : du soudard couturé qui étrangle de ses propres mains un espion tremblant sur ordre de son maître, à la belle prêtresse d’Isis toute dévouée à sa maîtresse. Nous assistons en direct à la mort de Pompée, nous avons une interview avec le frêle roi Ptolémée qui n’a pas 15 ans, nous voyons surgir dans un coup de théâtre sa sœur intrigante Cléopâtre, nous sommes conviés par César et nous ne l’admirerons pas autant que le fit l’histoire. Nous visitons le tombeau d’Alexandre, contemplons le grand phare d’Alexandrie dont le feu se voit de très loin, nous baignons dans le Nil fertile et doux, explorons avec les gamins les passages secrets du palais hellénistique.

Il y a du poison, du poignard et des lances, des navires de guerre et des armées, des trônes et des alcôves. L’époque et le lieu furent propices aux intrigues shakespeariennes et Gordianus-dit-le-Limier se doit d’être à la hauteur de sa réputation. D’où cette étonnante rencontre avec Vénus, une Aphrodite de marbre aux yeux de lapis, descendante d’Isis et « tout entière à sa proie attachée »…

Mais il y a une intrigue. Qui a voulu tuer César ? Pompée, certes, mais par-delà la mort ? Qui d’autre ? Ptolémée, éphèbe émotionné de puberté, jaloux des sentiments du grand César pour sa sœur ? Cléopâtre, qui veut attirer par politique le général sur sa couche ? Un chambellan de l’un ou une suivante de l’autre, jaloux de ses attentions pour leurs dieux vivants ? Un très intime de César qui mesure – enfin – l’hubris du maître ? C’est de tout cela dont il s’agit, petit polar au milieu de la grande politique. Car l’Egypte n’est plus gouvernée ; la guerre civile entre le frère et la sœur – pourtant officiellement « époux » selon la tradition – oblige Rome à intervenir. Qui César va-t-il privilégier ? S’il se veut neutre au départ, les circonstances vont évoluer et le forcer à choisir. Cornélien dilemme.

Autant dire qu’outre l’exotisme de l’époque et du décorum, qu’outre l’action qui ne manque pas et l’affection que nous éprouvons très vite pour les facéties des garçons et du chat Alexandre, la psychologie humaine garde ses droits. Les humains sont complexes et fort bien analysés par l’auteur américain. Nous ne sommes pas vraiment dans Corneille, pas non plus dans Racine, encore que… plutôt quelque part du côté de Shakespeare. Et c’est passionnant.

Steven Saylor, Le jugement de César, 2004, collection Grands Détectives 10/18, 2007, 413 pages, €11.65

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Christian Jacq, Le dernier rêve de Cléopâtre

Christian Jacq Le dernier rêve de Cléopâtre

L’auteur français le plus lu de la planète, docteur en archéologie égyptienne et auteur de près de 90 ouvrages, nous livre ici sa version romancée de la prise de pouvoir de Cléopâtre, fille du pharaon Ptolémée XII, avec l’aide de César, vainqueur de Pompée à Pharsale. C’est bien écrit, en chapitres courts, qui ne prennent cependant tout leur rythme qu’à la moitié du livre. Dès la première phrase, le ton est donné : « La reine était nue » ; la dernière phrase n’est pas moins révélatrice : « Vous avez dû rêver ». Entre les deux, le roman. Un brin sentimental, un brin politique, un brin action.

L’historien érudit offre les matériaux à l’auteur de romans policiers et de fresques historiques. Christian Jacq est séduit par l’Égypte, depuis l’âge de 13 ans, dit-on. Plus par la longévité de cette civilisation du Nil, les mystères des dieux et des temples, et par la sagesse accumulée dans les bibliothèques de papyrus que par les êtres. L’auteur a fréquenté la franc-maçonnerie, curieux des rites multimillénaires nés en Égypte… Il nous en offre un faible aperçu par le personnage d’Hermès, mage des temples et du désert, qui survient toujours à point nommé pour aider Cléopâtre. Le vrai Hermès sera philosophe et médecin, le mythique sera nommé Trismégiste, fusion gréco-égyptienne des dieux Thot et Hermès. Il deviendra peut-être Moïse, puis le père de l’alchimie… Nous sommes en pleine multiculture, sauce antique.

Les seuls portraits de Cléopâtre, César et Ptolémée XIII en gamin de 14 ans sont fouillés ; les autres sont un peu sommaires. On trouve François Hollande dans l’un des personnages : « Connaître les dédales de l’administration alexandrine, formée de milliers de fonctionnaires jouissant d’un nombre incalculable de privilèges, nécessitait une solide expérience, beaucoup d’habileté et un cynisme à toute épreuve. Ces qualités-là, l’eunuque Photin les possédait au plus haut point » p.19. Plus loin, Hermès pourfend le socialisme hollandais : « Ton monde est celui de la corruption et de la perversion, le criminel est préféré à l’homme droit, les intrigues politiques remplacent la bonne gouvernance. Les puissants ne songent qu’à leur profit, méprisent le peuple et l’oppressent en l’écrasant d’impôts. (…) Incapables de percevoir l’harmonie secrète de l’univers, privilégiant le savoir à la connaissance, se vantant de leur philosophie qui détruit l’intuition créatrice, de leurs discours creux et de leurs interminables débats ne menant à rien » p.45.

Nous sommes bien loin des modèles : César, « intelligent, rusé, impitoyable, adoré de ses légionnaires » qui « ignorait la défaite » p.131 ; Cléopâtre, « alliant vivacité d’esprit, culture et beauté » p.202, s’adressant à lui d’égal à égal. Selon Plutarque, la reine n’était en rien parfaite, ni même remarquable, mais elle avait un indéniable charme et un sens aigu du pouvoir. Elle parlait au moins sept langues et était instruite en mathématiques et astronomie. Christian Jacq la cueille à 21 ans en pleine fleur.

Cleopatre tombe Djeserkaraseneb

En Égypte, c’est la crise. Alexandrie règne à la grecque sur un pays resté traditionnel, écrasé de taxes. Le roi conjoint Ptolémée XIII, 14 ans, est capricieux, gourmand, et veut s’affirmer comme petit mâle. Il est manipulé par les eunuques avant de lui-même manipuler sa seconde sœur Arsinoé contre sa reine conjointe Cléopâtre. Car ces deux enfants aînés du pharaon Ptolémée XII règnent ensemble, et Rome est chargée d’y veiller par testament. Pompée, vaincu, cherche refuge en Égypte mais est décapité sur ordre des eunuques pour plaire à César. Celui-ci méprise cette vilenie et n’aura de cesse de chasser les castrés, de mater l’adolescent irascible et d’établir Cléopâtre seule reine d’Égypte. Il en tombera amoureux, lui fera un fils, Césarion, et l’associera à son triomphe à Rome (Césarion sera tué par Octave à 17 ans). Mais, entre temps, il devra survivre, avec ses quelques légions arrivées avec lui par bateau, face à l’armée entière de Ptolémée…

C’est avec talent que Christian Jacq conte la bataille, en pleine ville, des Romains aidé des Juifs d’Alexandrie contre les Gréco-égyptiens. Il ajoute quelques personnages inventés pour égayer le roman comme le Vieux, amateur de bon vin, et son âne Vent du nord qui parle avec les oreilles. Il parsème l’action de pauses dans les temples d’Égypte, tel Hermonthis où réside le dieu taureau Boukhis, Dendera le sanctuaire de la déesse Hathor, ou Héraklion, lieu du dieu caché Amon. La douceur du printemps sur les rives du Nil ou les couchers de soleil sur la Méditerranée vus des palais d’Alexandrie sont un bien beau décor pour ces personnages d’exception qui font l’histoire.

Un roman de délassement agréable, qui manque un peu de vigueur au début.

Christian Jacq, Le dernier rêve de Cléopâtre, octobre 2012, éditions XO, 410 pages, €20.80

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