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Guy Rachet, Cléopâtre le crépuscule d’une reine

Guy Rachet n’est pas archéologe, bien qu’il ait conduit des fouilles gallo-romaines sur un seul chantier ; Guy Rachet n’est pas égyptologue bien qu’il ait beaucoup lui, beaucoup rencontré et beaucoup écrit sur l’Egypte antique. Guy Rachet est écrivain. Cancre scolaire à Narbonne et autodidacte à Paris, il a toujours fait ce qu’il a voulu. Pour le bonheur du lecteur.

Sa Cléopâtre est fondée sur des sources citées largement en fin de volume, mais romancée pour les périodes de sa vie non documentées. Notamment sa jeunesse, lorsque mariée à 18 ans avec son frère de 13, Ptolémée XIII, comme cela se faisait à l’époque sans remuer les indignations des frigido-médiatiques, elle est victime d’une tentative d’assassinat de la part des précepteurs ambitieux qui manipulent (dans tous les sens du terme) le jeune roi adolescent. Cléopâtre descend des Grecs, ce pourquoi sa chevelure est blonde. Ses représentations en cheveux noirs sont l’artifice d’une perruque. Si elle se vêt d’une tunique translucide plissée, elle vaque le plus souvent nue dans son palais, comme les régnants et les enfants d’Egypte. Nous apprenons ainsi beaucoup de choses sur la vie quotidienne en ce temps-là, bien plus qu’à l’école où ces sujets sont tabous depuis l’emprise des religions du Livre.

C’est donc à poil que Cléopâtre va s’échapper à la nage de son palais investi par les conjurés. Elle émerge nue de la vague, comme une nouvelle Aphrodite, sur les rochers en face et se fond dans la nuit. Mais où aller, solitaire et dévêtue, dans la ville d’Alexandrie ? Le quartier des putes est celui où une femme à poil couverte de bijoux a le moins de chance d’être repérée. Cléopâtre s’installe donc et entreprend la conversation avec les filles qui attendent le client. Elle parle de multiples langues, y compris l’argot d’Alexandrie. C’est alors que ses aventures commencent…

Une fille l’invite à dormir chez elle, lui fait boire une infusion revigorante de miel parfumé aux herbes… et Cléopâtre se retrouve au matin attachée, dépouillée de tous ses bijoux, et vite violée par le mac de la fille, un Romain qui veut la vendre sur le marché aux esclaves. Ce qui est fait, toujours à poil pour allécher les chalands. Un cueilleur musclé de papyrus des marais la veut mais il doit payer en monnaie, pas en papier ; un couple de paysans l’achète pour leur âne intelligent. Ils veulent les accoupler dans leur naïveté comme Léda et le cygne, croyant que l’âne est un dieu qui doit se révéler dans le coït avec une belle mortelle. L’âne se couche mais ne consomme pas. Il y a de l’humour chez l’auteur qui invente.

Le cueilleur, qualifié « d’Ethiopien » pour sa peau noire du sud de l’Egypte, vient la voler et l’emporte dans sa hutte ; ils baisent. Mais des galères du palais la cherchent et leur enquête remonte aux paysans floués ; elle n’y échappe que parce que Memnon, serviteur d’un précepteur, la viole en lui promettant double jeu. Nageant vers la terre ferme, Cléopâtre rencontre un vigneron chargé de grappes qui l’incite à venir travailler dans ses vignes pour la saison des vendanges. Elle y fait la connaissance du bel Apollodore, Grec de Sicile beau, bien bâti et entièrement nu, qui l’aide à fouler le raisin en cuve à ses côtés. Le soir, elle couche avec lui. Avec ses gains, elle peut s’acheter une tunique.

Puis de péripéties en aventures, baisant ici ou là pour l’intérêt ou le plaisir mais toujours libre d’elle-même, elle parvient jusqu’au temple de Memphis où elle s’installe une nuit comme pute sacrée avant d’être retrouvée par les sbires des précepteurs. Elle réussit à fuir dans le saint des saints avec ses amis, le bel Apollodore et la toute jeune Iras encore vierge. C’est interdit sauf aux prêtres et à la reine d’Egypte. Elle se fait donc reconnaître…

C’est alors que débute la seconde partie, cette fois historique et renseignée par les sources romaines. Elle est livrée par Apollodore à César empaquetée dans un tapis pour tromper les précepteurs ? Elle veut rencontrer et séduire le nouveau maître de l’Egypte, parvenu à Alexandrie avec ses légions. Ce qui fut fait derechef, jusqu’à lui faire un fils, Césarion, qui sera tué à 15 ans par Octave, l’adopté de César et futur Auguste, hypocrite, cruel et donc parfait politique, au prétexte « qu’il ne peut y avoir deux Césars ».

Cléopâtre laissera éliminer son frère et mari lors d’une bataille perdue, se mariera avec le frère suivant pour la forme car trop jeune pour baiser, séduira Marc-Antoine le rival d’Octave et lui fera trois bébés, avant qu’Octave ne parvienne à rester vainqueur en raison de l’impulsivité brouillonne d’Antoine.

La reine va donc en terminer volontairement avec la vie grâce à un panier de figues sous lesquelles dort un aspic qui lui mordra le sein, selon l’image d’Epinal. Fin d’une belle aventure emplie de fastes, d’intrigues politiques, de sensualité délicate et d’hédonisme. Nous sommes à l’acmé de l’écriture post-68 où la « libération » sexuelle est quasi complète. C’est enlevé, érotique et permet une évasion romantique dont on aurait tort – homme ou femme – de se priver malgré les glapissements indignés, forcément indignés, des harpies.

Guy Rachet, Cléopâtre le crépuscule d’une reine, Criterion 1994, 359 pages, €6.48

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