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Un homme idéal de Yann Gozlan

Mathieu (Pierre Niney, 26 ans au tournage) est le Julien Sorel moderne. Comme le héros de Stendhal, il part de rien, au bas de la société, et veut arriver par les lettres. Il veut conquérir la femme et la fortune pour être enfin quelqu’un. Sauf qu’il n’a pas de talent véritable et que les romans qu’il écrit sont insipides et lassants ; ils sont tous refusés par les éditeurs. Machines à fric, ces derniers se contentent de la lettre administrative standard pour refuser les manuscrits (qui ne sont pas rendus). Or Mathieu voudrait bien savoir pourquoi ce qu’il écrit ne fonctionne pas. Sa femme plus tard lui livrera la clé : « La différence entre un bon auteur et un mauvais auteur c’est le discernement. Un bon auteur quand c’est mauvais il jette. »

Déménageur au noir chez son oncle, il survit de petits boulots qui lui font quelques muscles et lui assurent la matérielle, mais il voudrait émerger. Lors d’un enlèvement de colis dans un lycée, il entend quelques minutes la conférence d’une jeune bourgeoise lettrée, Alice (Ana Girardot), qui évoque les parfums comme réveillant la mémoire dans le roman. Il en est subjugué.

Lorsqu’un beau jour il découvre le cahier manuscrit d’un ancien appelé en Algérie entre 1956 et 1958, il tient là de quoi publier : un modèle. Son auteur est mort sans héritier et les déménageurs mettent tout à la benne. Mais, parce qu’il veut arriver vite, Mathieu fait ce que tous les jeunes de sa génération (10 ans en 2000) font avec leur CV ou leurs mémoires et thèses : il triche (les grandes écoles usent de logiciels anti-plagiat contre ça). Il aurait pu présenter le texte et le publier en l’absence d’héritiers ; il aurait pu s’en inspirer pour en faire un roman en modifiant les noms et les dates… Mais non : il s’approprie le texte brut et le signe de son nom ; il n’invente même pas le titre, Sable noir, qu’il trouve en marge du manuscrit.

Il croit seulement mettre un pied dans la porte pour publier ensuite ses propres romans, une fois son nom reconnu. Mais le succès surgit, imprévu, et cela le dépasse. Il doit gérer les interviews et les cocktails mondains qui ne sont pas de son monde. Il se documente à la bibliothèque et sur le net, va au plus facile (les livres illustrés pour enfants) et aux résumés wikipèdes. Il apprend par cœur quelques dates et événements pour faire croire. Ainsi que quelques citations sur l’écriture trouvées sur YouTube pour briller devant les critiques (dont une de Romain Gary).

Il obtient le prix Renaudot (comme Matzneff), un prix de journalistes et de copains. Voilà Mathieu Vasseur lancé comme jeune espoir de la littérature en France. Il écrit sec, direct, attentif aux petits détails. Du moins le cahier volé est-il ainsi rédigé – car lui ne parvient pas à imiter son modèle ; il n’essaie même pas, se contentant de retravailler son manuscrit refusé.

Il se marie avec Alice mais, trois ans plus tard, l’éditeur s’impatiente : le montant des à-valoir dépassent le budget et Mathieu n’a toujours pas livré de second roman. En vacances dans la villa sur la côte d’Azur des parents d’Alice, Mathieu s’acharne mais rien ne vient. C’est l’angoisse de l’écran bleu (version moderne de la page blanche). D’autant que le succès le poursuit, l’empêchant de se concentrer. Lors d’une dédicace en librairie de la ville, un homme, Vincent (Marc Barbé) se présente comme ayant connu le véritable auteur du cahier ; il a le matin même envoyé à la villa une photo de l’appelé en Algérie. Il fait chanter le juvénile et fragile Mathieu à peine de le dénoncer publiquement devant ses riches beaux-parents et devant la presse avide de scandale (et de trainer dans la boue ceux qu’elle vient d’adorer).

Mathieu perd prise ; il ne contrôle plus rien, tout part à vau-l’eau : il doit trouver 50 000 € pour contenter le maître chanteur, fournir un manuscrit terminé à son éditeur, couvrir ses dettes auprès de son banquier, penser à Alice qui se déclare enceinte !… Sauver les apparences en étouffant l’incendie là où il se déclare est la seule façon de rester ancré dans la réalité car le rêve est terminé. On ne devient adulte qu’à ce prix. Or Mathieu est entre-deux, encore adolescent par son corps fluet et nerveux, ses grands yeux expressifs, son émotion à fleur de peau et son long décolleté imberbe. Comme Alain Delon jadis dans Plein soleil, ou La piscine, Pierre Niney exprime une violence latente par tout son corps. Il est en pleine tension du désir : aimer, écrire, arriver. Mais, comme Julien Sorel, il est pris dans l’engrenage de la fatalité, chaque initiative entraînant son lot de conséquences.

Ainsi simule-t-il une agression pour justifier auprès de son éditeur la perte du nouveau manuscrit sur son ordinateur détruit.

Ainsi vole-t-il des pistolets de collection du beau-père pour l’équivalent des 50 000 € du chantage. Mais il les cache dans la maison en attendant le rendez-vous avec l’homme et Stanislas (Thibault Vinçon), le filleul du beau-père, le découvre. Il soupçonne Mathieu d’être un imposteur dès l’origine, probablement parce qu’il n’a pas les codes de son milieu bourgeois et qu’il est un brin jaloux de la préférence d’Alice et de l’admiration de son parrain. Dans la lutte, Mathieu le frappe d’un coup de crosse – et le tue. Cela non plus n’était pas prévu et il doit encore improviser, s’enfonçant un peu plus dans le mensonge au risque d’y perdre son âme. Il ficelle le corps dans une bâche comme un rôti et va le jeter en mer. Las ! des pêcheurs le prennent dans leurs filets car il n’est pas allé assez loin : il ne va jamais assez loin dans l’escroquerie mais pare au plus pressé, en naïf encore immature. Son ADN va parler mais il retarde le prélèvement.

Ainsi invite-t-il son maître chanteur qui lui demande encore de l’argent à venir avec lui dans la villa que les parents ont quitté pour Londres quelques jours. Il introduit une pièce de monnaie dans le mécanisme de la ceinture de sécurité pour qu’elle soit inutilisable puis fonce avec la BMW du beau-père dans une paroi de terre. Lui s’en sort, ceinture et airbag, pas son voisin. Il l’installe alors à sa place de conducteur, lui met son portable dans la poche et sa montre au poignet puis brûle le véhicule. La police, candide ou préoccupée d’autre chose, admet la thèse de sa mort. Le maître chanteur, bien que disparu, ne gêne personne : telles sont les invraisemblances de la fin, un brin acrobatique, de ce thriller pourtant bien mené.

Mathieu devient alors une non-personne : il retourne travailler au noir et se cache de ceux qui l’ont connu célèbre (pas son oncle ni ses ouvriers qui se moquent des livres comme de leur premier slip). Il aurait pourtant pu orienter autrement sa vie : Alice, en lui disant être enceinte, stimule en lui la maturité et lui permet d’accoucher d’un roman aussi de lui que son enfant. Sous le titre Faux-Semblant, il y conte directement son histoire de faussaire, dans le même style direct de l’appelé d’Algérie. Parler de ce qui vous arrive est plus facile que d’inventer des personnages. Ayant démêlé l’écheveau de son destin, il aurait pu être adulte, père, écrivain et bourgeois des lettres arrivé ; ce n’est passé qu’à un cheveu, comme dans Match point. Mais s’il ressurgit, son ADN parlera dans l’enquête sur la mort de Stanislas et, le corps calciné n’étant pas le sien, il sera accusé d’un second crime avec préméditation.

Il ne peut que se faire oublier. Mais pour combien de temps ? Est-il condamné à rester non-existant sans jamais se faire repérer, sans pouvoir officiellement travailler, sans jamais qu’on lui demande ses papiers ? Il voulait être quelqu’un et il n’est plus personne – ou plutôt il n’est que ce qu’il laisse derrière lui : une publication devenue célèbre sous son nom, un second roman de lui qui semble réussir et une petite fille. Comme Achille, comme Julien Sorel, il aura eu une vie courte et brillante plutôt que longue et terne. Deux ans plus tard… mais je vous laisse découvrir le choix qui sera fait. .

Pierre Niney porte le suspense de bout en bout, blanc-bec et décidé, ambitieux et amoral, mais pas complètement : il se sait imposteur et ne parvient pas à incarner le mal entièrement. Le spectateur le trouve alternativement sympathique et antipathique, sans talent mais inventif, inabouti et courageux. Au fond, tout est vanité sociale dans la comédie humaine : briller, c’est se brûler les ailes ; être soi-même, c’est être rejeté par la horde légère de celles et ceux qui font l’opinion – sauf si l’on a du talent. Mais le travail ne suffit pas à le créer, contrairement aux promesses de la méritocratie bourgeoise… Cette découverte du candide 2015 au mitan de sa vingtaine rend le personnage attachant.

DVD Un homme idéal, Yann Gozlan, avec Pierre Niney, Ana Girardot, André Marcon, Valeria Cavalli, Thibault Vinçon, Marc Barbé, TF1 studio 2015, 1h33, €7.16 blu-ray €4.49 

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Gustave Flaubert, Voyage en Orient

flaubert voyage en orient
L’Orient (moyen) était le rêve romantique, le voyage d’une vie. Maxime Du Camp était parti en Orient en 1844, l’année où il est devenu l’ami de Flaubert. Gustave s’est mis à en rêver, surtout après avoir voyagé en Italie en 1845. En 1847, il randonne à pied et en voiture trois mois en Anjou, Bretagne et Normandie avec Maxime Du Camp. L’amitié se consolide, le rêve se développe, un long voyage est désormais envisageable. Maxime veut repartir en Orient pour photographier, ce qui est neuf en ce temps ; Gustave, à 28 ans, veut en être. Non pour publier (il gardera ses carnets pour lui) mais pour « la sensation ». Voir et sentir valent mieux que tous les livres et l’on sent bien plus fort quand on est jeune. L’Orient lui inspirera les romans et contes qui révéleront son talent : Salammbô, la Tentation de saint Antoine version 2, Hérodias

Il lui faudra un an pour convaincre sa mère, six mois de préparation, nécessitera six cents kilos de bagages, un domestique appelé Sassetti, deux ordres de mission des ministères de l’Instruction publique et de l’Agriculture pour favoriser les autorisations locales de visites – et durera pour Flaubert 19 mois. Les compères visiteront Egypte, Liban-Palestine (Syrie), Rhodes, Asie mineure (Turquie), Grèce, Italie. Mais pas la Perse, pourtant prévue au départ, mais dangereuse d’accès ; Flaubert y renoncera sur les instances de maman… Il est vrai qu’il est sujet à des « crises nerveuses », en fait une épilepsie due à une ancienne syphilis. Ce qui ne l’empêchera pas de coïter avec enthousiasme les almées, courtisanes et autres putains d’Egypte et d’ailleurs. Il tombera même amoureux de Kuchiuk-Hanem, célèbre fille de joie dans la trentaine qu’il baisera plusieurs fois la même nuit (« coup » puis « recoup », écrit-il sobrement). De quoi choquer les lecteurs de la première édition (posthume) en 1910, aussi prudes et coincés que les islamistes rigoristes aujourd’hui. L’éditeur Conard – c’est son vrai nom – a expurgé soigneusement ces baisades et autres allusions au sexe.

L’Orient représente à l’époque cet espace de liberté sexuelle que l’Europe a réduit et Gustave comme Maxime en profitent, avides d’expériences avec, pour Flaubert, le goût des gens. Contrairement à ce que croient certains, Flaubert n’a eu qu’une ou deux expériences homosexuelles « pour voir » avec un jeune garçon de bain en Égypte ; il ne l’évoque pas dans ces carnets « sérieux » mais en passant dans sa Correspondance à ses amis masculins. Il relate en revanche pour la couleur locale les anecdotes piquantes qu’il a recueillies : « Il y a quelque temps un enfant sur la route de Choubra [5 km au nord du Caire] se faisait enculer par un singe » (p.624 Pléiade). Ou encore à Damas, raconté par le supérieur des Lazaristes : « M. Guyot a surpris, ces jours derniers, deux de ses élèves, âgés de douze ans environ, qui s’entreculaient à la porte du couvent ; l’un d’eux avait appris la chose d’un chrétien qui l’avait dépucelé moyennant la somme de vingt paras. Selon le supérieur, la pédérastie est ici excessive » p.793. Il semble que les psys aient aujourd’hui remplacés les curés en faisant du traumatisme l’équivalent scientifique du péché originel, mais l’interdit social à l’expérimentation sexuelle des adolescents reste sans changement. Gustave préfère les femmes, il aura même le coup de foudre pour une inconnue en Italie (p.1012). Ce ne sont que descriptions du visage, de l’allure, des seins à demi découverts pour l’allaitement de celles qu’il rencontre. Êtres vivants ou statues, Flaubert ne voit que les femmes – en Égypte, en Grèce, en Italie, les hommes, les vieillards et les éphèbes ne lui sautent pas aux yeux.

Il a beaucoup lu avant de partir mais cite peu ses références durant le voyage (contrairement à Maxime qui les confirme, les infirme ou les complète en érudit). Flaubert préfère le vivant, le matériau brut, la sensation. Ce pourquoi il décrit longuement visages ou paysages, statues ou monuments, comme si la photo n’avait pas été inventée. « J’ai vu une petite fille de douze ans environ, nue, charmante, avec son petit caleçon de cuir battant sur ses cuisses et ses petites mèches tressées tombant sur ses épaules – ses yeux d’émail souriaient – ses reins cambrés – elle avait un petit collier rouge et des bracelets à grains bleus. Elle portait un panier dans une pauvre maison et elle en est ressortie » p.671. C’est parfois fastidieux à lire, mais c’était surtout pour lui un aide-mémoire, pour affiner sa plume, un exercice de précision, de concision et d’exactitude. D’où le ton parfois détaché qu’il prend pour décrire les turpitudes, la misère des mômes, la bêtise brutale des muletiers envers un chien ou la crasse des femmes dans les montagnes d’Asie mineure. D’où l’aspect parfois « peinture », chaque mot étant un trait de pinceau pour composer un ensemble en couleurs.

1849 sphinx egypte maxime du camp

Il a aimé en Égypte les chameaux (« la première chose [que j’ai vue] sur la terre d’Égypte » p.613 ; ils apparaissent hiératiques comme des vaisseaux de haut bord chaloupant au-dessus du khamsin, ce vent qui soulève le sable au ras du sol, leur face a parfois des ressemblances risibles avec des personnages connus. Il a ressenti une intense émotion en découvrant le Sphinx : « il nous regarde d’une façon terrifiante » p.626. Il a vécu une jouissance indicible devant Thèbes, qu’il tente pourtant d’exprimer en mots dérisoires : « C’est alors que jouissant de ces choses, au moment où je regardais trois plis de vagues qui se courbaient derrière nous sous le vent, j’ai senti monter du fond de moi un sentiment de bonheur solennel qui allait à la rencontre de ce spectacle ; et j’ai remercié Dieu dans mon cœur de m’avoir fait apte à jouir de cette manière. Je me sentais fortuné par la pensée, quoiqu’il me semblât pourtant ne penser à rien – c’était une volupté intime de tout mon être » p.658. Il a aimé les couchers de soleil fulgurants sur le Nil, avec les nuances du rouge vif au bleu pâle du ciel ; le dégradé d’ombre des montagnes au Liban. Bon vivant, blagueur et bien accepté, il n’hésite pas à « régaler de Vénus nos trois bourriquiers moyennant la somme de soixante paras » (p.643) – autrement dit à leur payer des putes.

Il est aussi capable d’impatience, de spleen, de mélancolie de l’exil ou de la destinée, d’ennui qui le saisit et l’empêche de faire quoi que ce soit. Jérusalem, après un émerveillement devant ses murailles, le déçoit. Cette ville arabe est d’une crasse indicible : « Jérusalem me fait l’effet d’un charnier fortifié – là pourrissent silencieusement les vieilles religions – on marche sur des merdes et on ne voit que des ruines – c’est énorme de tristesse » p.754. De même au Saint-Sépulcre : « Ce qui frappe le plus (…) est la séparation de chaque église, les Grecs d’un côté, les Latins, les Coptes – c’est distinct, retranché avec soin – on hait le voisin avant toute chose – c’est la réunion des malédictions réciproques, et j’ai été rempli de tant de froideur et d’ironie que m’en suis allé sans songer à rien plus ». D’ailleurs « les clés sont aux Turcs, sans cela les chrétiens de toutes sectes se déchireraient » p.758. En revanche, Bethléem l’enchante, malgré l’excès baroque des bondieuseries : « Rien n’est suavité plus mystique et d’une splendeur plus douce que l’entrée de la crèche par le côté gauche : l’œil se perd dans l’illuminement des lampes qui brillent au milieu des ténèbres, on en voit devant soi une longue enfilade – à droite et à gauche et au fond » p.761.

1849 le caire egypte maxime du camp

Les Européens sont mal vus en Orient, surtout dans l’empire turc après l’indépendance de la Grèce. Un racisme latent éclate parfois en mimiques ou en coups de fusil, auquel se mêle une xénophobie religieuse envers les chrétiens mécréants. En Asie mineure au village de Bordall (ou Bodzal) : « Rencontré deux Grecs, le gamin est à cheval et le jeune homme à pied. L’enfant de douze ans qui est l’aide de notre moucre (muletier), resté en arrière avec Sassetti, lui propose de couper le cou aux Grecs, et comme il ne comprend pas il lui fait signe avec son couteau » p.845. La haine ethnique n’est pas un vain mot en Turquie musulmane. La corruption et la dépravation non plus, comme en témoigne un jeune derviche : « autour de lui il ne voit que putains : ‘Qu’est-ce que fait un Turc ? Il prend une femme, la baise trois jours ; puis il voit un jeune garçon, lui soulève son bonnet, le prend chez lui et quitte la femme, qui se fait enfiler par le jeune garçon !’ » p.860.

Mais la politique laisse les deux amis indifférents, ils ne s’intéressent en rien à la question d’Orient. Et Flaubert n’est pas raciste, il ne se sent pas supérieur parce qu’il est Blanc venu d’un pays développé, il juge seulement de la beauté des visages et de la vertu des âmes. « Le regard n’est ni sémitique ni nègre, il est doux et malicieux », dit-il par exemple des hommes du Sennahar en Haute-Egypte (p.678). Il décrit le rameur du Nil Mohammed : « J’ai avec moi un petit raïs de quatorze ans environ, Mohammed ; il est de couleur jaune, une boucle d’oreille d’argent à l’oreille gauche ; il ramait avec une vigueur plaine de grâce, il criait, chantait en passant les courants, menant tout le monde, – ses bras étaient d’un joli style, avec ses biceps naissants. Il a ôté sa manche gauche, de cette façon il était drapé sur tout le côté droit, avait le côté gauche et une partie du ventre à découvert. Taille mince – plis du ventre qui remuaient et descendaient quand il se baissait sur son aviron. Sa voix était vibrante en chantant ‘el naby, el naby’. C’est là un produit de l’eau, du soleil des tropiques, et de la vie libre ; – il était plein de politesses enfantines : il m’a donné des dattes et relevait le bout de ma couverture qui trempait dans l’eau » p.679. Les deux amis ont dîné à Constantinople avec le général Aupick, beau-père du poète Baudelaire, dont Flaubert a vanté les vers choquant le bourgeois sans le savoir.

1839 athenes parthenon

Il a repris au propre ses carnets d’Égypte, au retour ; l’Asie mineure n’a pas été oubliée mais il l’a moins aimée. Quant au Liban, à la Palestine et à la Grèce, il a été souvent déçu et a laissé ses notes en l’état. C’était l’hiver, le voyage s’étirait, il a vu Marathon sous la pluie, il a galopé trempé et transi, enfoncé dans la boue parfois jusqu’aux cuisses. Il passera le reste du voyage, d’Athènes à l’Italie à se contenter de décrire les statues des musées et des églises, sans plus. On sent moins l’enthousiasme, le retour au scolaire et à la vie bourgeoise, la préparation des œuvres envisagées. L’ironie ressurgit parfois, mais fugace, comme au passage du Jardanus en Grèce : « En face de nous, dans cette maison : servante bossue avec de gros seins : de quel côté la prendre si son mari aime les tétons durs ? » p.941.

Parti de Paris avec Maxime le 29 octobre 1849, Flaubert y revient fin juin 1851 sans Maxime, qui a prolongé ailleurs, mais avec maman qui l’a rejoint à Venise. Les deux amis ont passé 8 mois en Égypte, dont 4 et demi sur le Nil, 4 mois en Palestine 3 mois et demi en Grèce, 1 mois et demi en Turquie et 5 mois en Italie. L’Égypte et la Turquie sont une mine de renseignements, de descriptions et d’anecdotes intéressantes au voyageur d’aujourd’hui – comme à ceux qui préfèrent voyager par procuration, bien au chaud dans leur lit, l’imagination enfiévrée sous la lampe.

Gustave Flaubert, Voyage en Orient, 1851, Folio classique 2006, 752 pages, €12.90
Gustave Flaubert, Œuvres complètes tome 2 – 1845-1851, Gallimard Pléiade 2013, 1680 pages, €72.00
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