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Ken Follett, Pour rien au monde

Personne n’a vraiment voulu la Première guerre mondiale, écrit l’auteur en préambule ; et pourtant, l’enchaînement des causes l’a fait advenir. Et si, en 2024, nous revivions la même chose ? Poutine sera vexé, mais Ken Follet ignore carrément la Russie, un pays marginal dans la géopolitique des forces réelles d’aujourd’hui. Le rival systémique est la Chine, qui manipule l’Occident et est manipulée par ses « alliés » de circonstance, le tyran psychopathe de la Corée du nord et l’éternel général au pouvoir au Tchad – sans parler de ces « djihadistes » qui sont surtout des trafiquants de droit commun.

L’auteur part de la lutte antidrogue et antidjihadiste (c’est la même chose) dans le désert du Sahara. Deux agents secrets, français et américain, pistent des terroristes tandis que la CIA surveille. Abdul, américain d’origine libanaise se fait passer pour un immigrant cherchant à gagner l’Europe via des passeurs – qui sont les djihadistes et passeurs de drogue. Tout en pistant la came, piégée par une puce au Brésil, il protège une jeune veuve des bords asséchés du lac Tchad dont le mari a été tué par les djihadistes, et son enfant de deux ans. En suivant la piste des ballots, il va découvrir un camp caché d’exploitation aurifère, un trafic d’êtres humains, une cache d’armes de gros calibre et « le » terroriste du Sahel le plus recherché. Bien documenté, l’auteur montre les liens multiples qui relient la manipulation géopolitique au trafic de drogue, d’armes et d’êtres humains, sous le prétexte religieux du djihad.

Mais tout part en quenouille : le général tchadien vaniteux veut se venger d’un tir djihadiste sur le pont frontière du Tchad avec le Soudan et bombarde un chantier de construction chinois dans ce pays, en tuant une centaine de Chinois, dont les deux enfants jumeaux de 10 ans de l’architecte. Il a pour cela piqué un drone américain soi-disant « perdu ». Pékin s’émeut, riposte par le meurtre de deux Américains, géologues dans un bateau de prospection pétrolière vietnamien dans les eaux territoriales de ce dernier pays, mais revendiquées par la Chine. La présidente américaine républicaine tente d’apaiser les tensions par la diplomatie, mais l’exaspération des uns et des autres, la montée aux extrêmes des populistes dans chaque pays, les désirs belliqueux des communistes réactionnaires comme des républicains obscurantistes, vont faire déraper la situation.

L’apocalypse viendra de la Corée du nord, en faillite perpétuelle et au bord de la famine. Des généraux se révoltent contre le guide psychopathe et tiennent des bases de missiles nucléaires. La Chine ne veut pas intervenir, bien qu’elle ait fermement déclaré au tyran de la Corée du nord que toute utilisation d’armes chimiques ou biologiques terminerait à jamais toute aide de la Chine à son pouvoir. Le satrape taré s’en fout et en use, la Chine ne réagit pas comme elle l’avait dit. Les États-Unis se posent la question de la riposte – jusqu’à ce que la Corée du sud, alliée des États-Unis mais avide de réunification sous l’égide de sa présidente, décide d’attaquer le nord. Les rebelles balancent un missile à tête nucléaire sur Séoul… C’est le début d’une escalade – fatale. La Chine riposte, les États-Unis sont liés… le Machin (l’ONU) ne fait rien, l’Europe criaille mais se terre – vous imaginez la suite.

Dans chaque pays des gens raisonnables tentent de négocier, de régler par la diplomatie les rodomontades des machos. Ainsi en Chine un « petit pince » rouge, fils de compagnon de Mao, qui lutte contre les vieux vrais faux-cons. Ou aux États-Unis la présidente raisonnable contre les piques et les affirmations gratuites du matamore trumpiste qui brigue la présidence à sa place. Les préjugés et la propagande empêchent de raisonner juste.

L’auteur rend compte implacablement du jeu des escalades, des manœuvres complexes et de l’engrenage des alliances, mais il assaisonne de façon un peu trop facile ce thriller d’espionnage par des romances mièvres entre chacun des protagonistes : Abdul le libano-américain désire la veuve tchadienne Kiah, l’arabe français de la DGSE Tab désire la juive de Chicago de la CIA Tamara, le petit prince rouge Chang Kai sous-directeur de l’espionnage chinois désire sa star de feuilleton d’épouse, la présidente des États-Unis Pauline Green désire son conseiller à la Maison-Blanche noir Gus… On sent le procédé, la facilité convenue usée de la série télé, le politiquement correct avec son métissage obligé, « naturellement ». Ce qui gâche le plaisir de l’analyse.

Ce thriller se lit bien mais ses ficelles sont bien grosses. S’il a le mérite de montrer la complexité des liens entre pays et de démonter les idéologies et religions qui masquent les gros intérêts égoïstes des uns et des autres, la montée aux extrêmes est caricaturale. La présidente américaine se laisse entraîner « naturellement » vers la trique, « à cause » d’un connard populiste à la Trump qui menace sa réélection ; en Chine se rejoue le ballet des faucons et des colombes déjà usé à propos de l’URSS – et dont on a vu qu’il déguisait surtout l’absence d’analyse stratégique.

Les jeunes chinois sont plus nationalistes que les vieux, restés méfiants, donc prudents. Dézinguer d’un missile américain un porte-avion chinois en représailles à trente militaires japonais pulvérisés sur un îlot contesté est peu crédible : envoyer une frégate pour les déloger et les faire prisonniers serait plus réaliste ; balancer une torpille sur le gouvernail du mastodonte aussi – pas besoin de grimper aux rideaux nucléaires pour cela ! On sent que l’auteur était pressé de conclure.

Malgré l’intérêt d’actualité du thriller, ce sont les limites réalistes du sujet, trop vite et trop mal traité, sans même fouiller un peu les personnalités.

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Ken Follett, Pour rien au monde (Never), 2021, Livre de poche 2023, 924 pages, €11,90, e-book Kindle €11,99

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Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Un président ne devrait pas dire ça

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Sauf le titre – vénal – ce livre de science politique en action mérite mieux que les « petites phrases » arrachées de leur contexte que les médias – vénaux – ont surtout retenu. Il est écrit sec, sans état d’âme, sur le mode du constat par deux grands reporters du Monde, auteurs déjà de Sarko m’a tuer en 2011. Issu de 61 rencontres sur quatre ans et demi (la dernière in extremis en juillet), ce livre se fonde sur plus de 100 heures d’enregistrement verbatim. Le président a vraiment dit ce qui est entre guillemets. Fallait-il le dire, en sachant que ce serait publié en fin de mandat ? C’est toute l’hypocrisie de la caste médiatico-politique française que de penser que non – alors que « la transparence » est ce qu’elle fait vertu d’afficher sans vergogne.

François Hollande ne ressort pas grandi de cet exercice de vérité sur sa pratique, ses doutes, ses analyses – mais il a au moins le mérite de le montrer en toute transparence – comme un message. Y compris ses dénis, ses refus de voir combien sa personnalité a obéré la fonction. Il déplore de n’être pas compris, mais à qui la faute ? Ayant horreur du conflit, il croit tout négociable, accessible au compromis : est-ce clair pour les citoyens ? N’est-ce pas l’origine même de la fausse « normalité » une fois devenu président, de la cacophonie et autres querelles de bac à sable entre ministres, députés « frondeurs » et autres petits ego plus préoccupés de leur image médiatique que de bonne politique ?

L’erreur initiale : « d’avoir accepté la mise en place, dès avant son élection, d’une majorité hétéroclite, composée de ministres dont l’expérience est inversement proportionnelle à l’ego. En moins de deux ans, on a recensé pas moins de 20 couacs d’importance, dont 13 ont nécessité un recadrage présidentiel » p.45. « Entre les ministres insoumis, en désaccord avec la ‘ligne’ Hollande-Valls (Montebourg, Hamon, Filippetti…), les frondeurs du PS, Martine Aubry et ses amis, sans même parler des états d’âme de la famille écolo ou de la radicalisation de la gauche dure, il n’a pas manqué de procureurs, dans son propre camp, pour juger sévèrement l’action du chef de l’État » p.162.

Faiblesse du premier ministre, laxisme présidentiel, il s’agit « d’un triple déficit de préparation, d’autorité et d’incarnation a conduit à un affaiblissement sans précédent de la fonction de président de la République. Les ministres se sont cru tout permis – un peu comme sa compagne, Valérie Trierweiler » p.46. Le président et ses 3 femmes, Ségolène, Valérie, Julie : aussi indécis et mou que par ailleurs – ce qui n’améliore pas son image ; 73 ministres en moins de 5 ans : un record sous la Ve République ! « Significatif, car il illustre l’amour de François Hollande pour le maquignonnage politique, cet art fondé sur la subtile répartition des ego, l’évaluation des rapports de force et le goût de l’intrigue » p.60. Comment ne pas reconnaître que ces subtilités sont illisibles au public, lui qui se moquent de l’idéologie si les mesures sont claires, efficaces et prises par des gens qui savent où ils vont ? Le gouvernement n’est jugé enfin correct que… fin 2015 !

Quant à la gauche, ce tas de ruines, Manuel Valls résume son apport en 2014 : « Ce qui est aujourd’hui mis à nu, nous assure-t-il, c’est l’impréparation du PS. Ces deux années sont ratées, au-delà du problème sérieux de méthode, car en fait on ne s’est pas préparés » p.38. Les auteurs : « Le PS est équipé pour gérer des villes, des départements, des régions, mais gouverner un pays, traiter une opinion fragile, c’est autre chose ». Hollande : « Ça m’a toujours frappé sur le plan parlementaire qu’une agrégation de gens intelligents peut faire une foule idiote. C’est ce que Marx appelle le ‘crétinisme parlementaire’, c’est-à-dire, en gros, un corps qui se défend. Vous mettez des gens dans une salle, ils sont tous intelligents, et ensemble ils deviennent bêtes… » p.328. « Je pense qu’on a une gauche – une partie de la gauche – qui n’a pas compris qu’il y avait des mutations, je ne parle pas que des mutations économiques. Par exemple, on ne traite pas l’immigration avec ou sans la religion musulmane, telle qu’elle est devenue. Avant, cette question ne se posait pas. Aujourd’hui, vous êtes obligé de l’intégrer, avec les risques que l’on sait de djihadisme, de départs – une toute petite minorité » p.332.

Le problème de François Hollande est que son pouvoir, au sens de Max Weber, n’est ni traditionnel, ni charismatique, mais rationnel. Le parti socialiste reste traditionnel – épris de la sainteté des traditions séculaires (même si le monde a changé…) ; les citoyens aspirent à un président charismatique – à un chef qui entraîne avec un projet cohérent et dynamique ; alors que Hollande reste désespérément rationnel : contraint par les règles, autocensuré affectivement, technocrate jusqu’au bout des ongles…

« Je fonctionne par cercles, sans que jamais ils ne se croisent », explique-t-il, théorisant ainsi la technique du cloisonnement dont il est le maître incontesté » p.24 – mais qu’il a piqué à son mentor Mitterrand. Stéphane Le Foll : « Il est très urbain et sympa, mais c’est un dur, une lame. Une carapace douce, et un noyau de métal. Il peut être très dur, ce salopard, sans te le dire franchement ! » p.12. Sauf qu’il est atteint d’une double incapacité : « créer un authentique lien avec les Français et définir sa conception du rôle de président de la République » p.87. L’affaire Leonarda, Kosovare expulsée avec sa famille, que Hollande tente de ramener en France – et qu’elle refuse, poussant le ridicule au comble : « en tentant de ménager tout le monde, une nouvelle fois, François Hollande a fait l’unanimité contre lui » p.86.

Le livre est écrit en 7 parties : le pouvoir, l’homme, la méthode, les autres, les affaires, le monde, la France. Je ne peux tout évoquer, ce serait trop long, ce qui prime à mon avis est la personne, ce « puzzle Hollande » dont il importe de connaître la trame. Social-libéral, adepte du pragmatisme, partisan de la politique de l’offre, républicain apaisé, habile en politique étrangère – ce président avait tout pour plaire, surtout après la dernière période Sarkozy, agitée et affairiste. S’il a raté son quinquennat, c’est moins pour avoir mal géré la France (cela s’est plutôt bien passé), que pour n’avoir pas su imposer une stature. Il n’a été président, pour les Français, qu’au lendemain de l’attentat à Charlie, soit vraiment très tard dans son quinquennat. Il est trop lent, trop indécis, trop ambigu – trop technocrate analytique – pour incarner véritablement la fonction très particulière qu’a créé de Gaulle et que Mitterrand avait su immédiatement adopter. Fait significatif de son manque de capacités relationnelles avec les vrais gens : « il ne lit jamais de romans, tout juste s’il feuillette parfois quelques récits historiques… » p.99.

Inversion de la courbe du chômage, mon ennemi la finance, renégocier le compromis européen, sauver la Grèce, les trublions Batho, Montebourg, Hamon, Duflot (l’ado attardée, auteur d’une loi illisible de 100 pages qui a plombé durablement le logement au détriment de l’emploi…), les fraudeurs Cahuzac, Aquilino Morelle, Thévenoud, Arif, Lamdaoui (irénisme ou aveuglement ?), la déchéance de nationalité, la loi El Khomri : « C’est le Houdini de la politique, un magicien de l’esquive, un professionnel de l’escamotage. Le genre de type qui, dans chaque situation périlleuse, trouve toujours une échappatoire. Le chef de l’État, qui fuit l’affrontement, n’a qu’une idée en tête lorsqu’il se présente à lui : le désamorcer en douceur, en essayant de ne mécontenter personne » p.142.

« Mais il se trouve que je suis président… » p.14 est sa phrase fétiche, comme s’il ne croyait pas en être arrivé là. Un spécialiste de la politique à gauche a parfaitement cerné le personnage : « Dans sa dernière interview, publiée par Le Point en juin 2016, Michel Rocard, décédé le 2 juillet 2016, avait émis ce diagnostic implacable : « Le problème de François Hollande, c’est d’être un enfant des médias. Sa culture et sa tête sont ancrées dans le quotidien. Mais le quotidien n’a à peu près aucune importance. Pour un politique, un événement est un “bousculement”. S’il est négatif, il faut le corriger. S’il est positif, en tirer avantage. Tout cela prend du temps. La réponse médiatique, forcément immédiate, n’a donc pas de sens. Cet excès de dépendance des politiques aux médias est typique de la pratique mitterrandienne, dont François Hollande est l’un des meilleurs élèves. Or le petit peuple de France n’est pas journaliste. Il sent bien qu’il est gouverné à court terme et que c’est mauvais » p.97.

Son avenir ? Vague, il n’a pas décidé, comme d’habitude ; il le fera selon les circonstances, sans rien fermer. Si Sarkozy est investi par la primaire à droite il ira sûrement, afin de protéger les Français des excès de l’autre. S’il s’agit de Juppé, pas sûr qu’il se décide, vu les sondages catastrophiques – et constants. Selon les auteurs, « Un soir de juin 2015, François Hollande nous livre une troublante confidence. Paraphrasant très involontairement l’aveu apocryphe prêté à Flaubert, il lâche : « Emmanuel Macron, c’est moi » p.203. « Je pense que Macron est authentiquement de gauche, redit-il. Et qu’il l’est depuis très jeune. Après, il est plutôt de l’inspiration qu’on a appelé la ‘deuxième gauche’, qui pense, et ce n’est pas tout à fait faux, que les partenaires sociaux sont parfois mieux placés pour déterminer leur avenir que le législateur. Il veut faire bouger les choses, c’est le rôle que je lui ai assigné » p.205. « Emmanuel m’a dit : “Moi j’ai envie de faire quelque chose, il y a des gens qui me demandent. Je peux toucher des électeurs, loin de la politique.” Je lui ai répondu : “Oui, fais-le » p.208. Macron se présentera-t-il contre lui ? Probablement pas, « par contre, si je n’y vais pas, c’est autre chose… » p.211.

Au total un bon livre. Pour comprendre le quinquennat, relativiser l’utile et le raté, saisir l’anguille Hollande. Un bilan…

Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Un président ne devrait pas dire ça, 2016, Stock, 672 pages, €24.50

e-book format Kindle, €16.99

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