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Colette, La naissance du jour

Colette, en 1927, passe l’été dans sa petite maison de la baie des Caroubiers à Saint-Tropez, village de pêcheur encore inconnu des touristes. Elle la nomme Treille muscate à cause de ses vignes. Elle a 54 ans et débute son troisième mariage, avec Maurice Goudeket – de quinze ans plus jeune qu’elle.

La naissance du jour est une œuvre de transition, entre autobiographie romancée et roman à réminiscences biographiques. En effet, si Colette parle de sa mère et évoque des « lettres », elle en invente plusieurs et réécrit les vraies ; si Colette est la narratrice, la narratrice n’est pas tout à fait Colette ; si Colette évoque sa petite maison en Provence avec réalisme, tout comme ses chiens et chats et ses plantes, elle invente les personnages d’Hélène Clément et de Valère Vial. Non sans emprunter toujours quelques traits à la réalité, comme les quinze ans d’écart de Vial avec la narratrice qui évoquent les quinze ans d’écart avec Maurice Goudeket. Mais l’œuvre est neuve, ce pourquoi elle a eu beaucoup de mal à en accoucher, et que son style s’en ressent, trop recherché, parfois ampoulé.

Ce qui fait son charme est le mélange des genres. La réminiscence de maman, le sentiment de vieillir, le désir qui s’éteint, la sensualité de la nature, l’amour apaisé. Proust venait juste de publier le premier tome de sa Recherche et Colette en avait été impressionnée. Mais elle n’est pas Proust, trop réaliste et insérée dans le vivant. Ce « je qui est moi et qui n’est peut-être pas moi », écrivait-elle dans un brouillon (cité p.1378 Pléiade). Colette explore son présent en y intégrant son passé pour avoir l’illusion de maîtriser sa vie – fort agitée.

Un élément de la réalité interpelle une réminiscence et, par sympathie, l’écriture procrée une œuvre. Jusqu’à inventer des personnages en les composant de réalité, ce qui influera sur la réalité même du futur. La narratrice invente Vial qui la désire et Colette caresse l’idée de poursuivre sa carrière de femme mûre avide d’un amant plus jeune. « Je me mis à rire, et je flattais son beau poitrail accessible, dans la chemise ouverte, au vent du matin et à ma main » p.350. La séduction animale de certains hommes est irrésistible et la femme de cinquante ans flatte cette poupée magique qu’elle crée de toutes pièces.

Mais tout s’arrête en chemin, comme par exorcisme, comme si elle n’osait plus. La narratrice se fait même entremetteuse entre Hélène la timide gauche et Valère l’inhibé fier. Leur admiration sensuelle commune pour elle, l’écrivaine, la grande dame, celle qui ose assouvir ses désirs, en fera un beau couple, imagine Colette. Quant à elle, dans la vraie vie, elle poursuivra avec Maurice qui apparaît en filigrane comme le « Favori » et qui restera son dernier mari jusqu’à la fin.

La lettre de Sido la mère, qui refuse de venir voir sa fille provisoirement parce qu’un cactus rare va fleurir en rose, est l’image première de ce genre d’exorcisme. Vial ne va pas éclore sous la main de la narratrice ; elle renoncera comme la mère de Colette, pour conserver le plus précieux, le lien de mariage. Non par convention sociale, mais par dépassement du désir sexuel en amour plus profond. Tel celui du « petit marchand de laine » évoqué par sa mère en sa fin de vie, qui aime à jouer aux échecs simplement, sans que le sexe ne vienne perturber l’entente.

C’est par l’écriture que Colette retrouve sa mère, ses désirs, ses amours – et les leçons de vie qu’elle en tire.

Colette, La naissance du jour, 1928, Garnier-Flammarion 2023, 192 pages, €7,50, livre audio abonnement Audible €1,95

Colette, Œuvres, tome 3, Gallimard Pléiade 1991, 1984 pages, €78,00

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