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Un crime dans la tête de John Frankenheimer

Pas facile d’être un héros… Raymond Shaw (Laurence Harvey) est un sergent de l’armée américaine en Corée en 1952. Il combat les communistes chinois et russes qui voudraient envahir le pays. Sous les ordres de son capitaine de compagnie Bennett Marco (Frank Sinatra), sa patrouille s’avance en reconnaissance vers les lignes ennemies mais, selon l’indigène traducteur qui les conduit, un marécage les empêche de marcher selon la procédure et ils doivent s’avancer en colonne. Ce qui leur est fatal : une compagnie les assomme et les enlève.

Elle ne les tue pas mais les conditionne selon les principes de Pavlov, le savant soviétique du réflexe conditionné. Additionné ici d’hypnose et de pas mal de psychologie sur les névroses (pourtant science juive donc « bourgeoise » selon les sbires moscovites), les soldats sont reconditionnés comme on le dit d’un produit de masse. Leurs cerveaux sont « lavés » et leurs souvenirs réimplantés. Une scène désopilante désoriente un temps le spectateur avant qu’il comprenne : une grosse botaniste chiante parle à une assemblée de bourgeoises emperlousées coiffées de chapeaux à fleurs tandis que le groupe de soldats américains, assis derrière elle s’ennuient à mourir. On ne sait pas ce qu’ils font là mais on ne tarde pas à le comprendre. La grosse est un épais communiste de Moscou, membre du Politburo, qui étale sa science devant un parterre de militaires chinois, coréens du nord, castristes et évidemment soviétiques. Il se vante d’avoir lessivé les cerveaux et d’avoir implanté un programme de tueur dans celui de Raymond Shaw. A titre d’exemple, il lui donne l’ordre d’étrangler l’un de ses hommes qu’il déteste le moins – ce qu’il fait – puis de tirer une balle dans la tête du plus jeune, la mascotte du groupe – ce qui est accompli sans un battement de cil.

Mais pour que l’arme fonctionne, il faut que Shaw rentre aux États-Unis, que ses hommes chantent ses louanges et que son capitaine le propose pour une décoration. Ce qui est fait : chacun se voit implanter son rôle et le groupe resurgit indemne trois jours plus tard dans les rangs américains. Le sergent Shaw est crédité d’avoir sauvé neuf hommes malgré la perte de deux autres au combat. Il est accueilli par plusieurs généraux au garde à vous à sa descente d’avion, puis par le président des États-Unis qui lui remet la médaille d’honneur, plus haute distinction militaire du pays. Sa mère ne manque pas de s’ingérer dans ce succès pour vanter les mérites de son sénateur Iselin de second mari, beau-père de Raymond. Celui-ci, un con fini paranoïaque du style MacCarthy dont le rentre-dedans ressemble au style de Trump, brigue la candidature du parti Républicain aux prochaines présidentielles. Pour cela il dénonce les communistes infiltrés dans l’armée et jusqu’au sénat, citant des chiffres fantaisistes, jamais les mêmes, mais qui font impression. Comme quoi les histrions des fake news à la Donald ne sont pas une nouveauté aux États-Unis, déjà les années soixante les connaissaient bien ; ils étaient même élus !

Le machiavélique de la chose est que tout le monde manipule tout le monde dans ce thriller politique. Le sénateur Iselin (James Gregory) est une marionnette aux mains de sa femme (Angela Lansbury), laquelle se révélera agent de Moscou et manipulée comme telle, et qui manipule elle-même son fils Raymond rentré de guerre, lequel est manipulé par son conditionnement pavlovien mais aussi par son ancien béguin d’avant-guerre, la blonde Jocelyn (Leslie Parrish), fille du sénateur de l’État voisin (John McGiver), qui l’a sauvé en slip d’une morsure de serpent. Le complot est d’assassiner le candidat républicain en pleine convention afin qu’Iselin, second de la liste, soit choisi par défaut et devienne le nouveau président des États-Unis. Il instaurera un pouvoir fort, voire dictatorial (comme Trump a tenté de le faire). Une fois le pouvoir bien assuré, les liens avec Moscou permettront au communisme de l’emporter dans le monde, au moins aux deux Grands de gouverner de concert (ce que Trump a été tenté de faire, si l’on en croit ses liens affairistes avec les poutiniens).

La mère Iselin demande donc à Moscou de lui envoyer un tueur. Elle ne sait pas qu’il s’agit de son propre fils et, lorsqu’elle le découvre, jure de se venger. Mais les soviétiques ont déjà fait assassiner à Shaw son patron, un grand journaliste libéral, puis le sénateur Jordan qui savait des secrets sur Iselin, et sa fille Jocelyn dans la foulée parce qu’elle était accourue. Tout cela sans le savoir, conditionné par une réussite au jeu de carte où la dame de carreau sert de déclencheur et un coup de téléphone lui désigne la cible. Sans dévoiler la fin, lui aussi se vengera, à sa façon.

Mais les gens ne sont pas des machines que l’on programme comme des robots. Même implantés, les souvenirs se superposent aux souvenirs gravés en mémoire, qui restent dans l’inconscient. Il suffit de peu de choses pour les faire ressurgir : un cauchemar où la désinhibition du conscient parle, une scène qui déclenche l’ouverture d’un compartiment fermé de la mémoire, un déconditionnement à base des cartes mêmes. C’est ce que va entreprendre le capitaine Marco, devenu commandant, tourmenté par un cauchemar récurrent où il voit Shaw tuer deux hommes du groupe devant une assemblées de gras communistes. Mis en congé maladie pour malaises et manque de sommeil, il se rend à New York pour voir Shaw et lui en parler. Il se croit l’objet de fantasmes culpabilisants avant de s’apercevoir que le soldat Allen Melvin de sa section revenue des lignes nord-coréennes, qui a écrit à Shaw son héros (implanté), fait le même cauchemar. Il trouve en outre engagé comme domestique chez lui le traître nord-coréen qui a fourvoyé volontairement la patrouille dans les bras de l’ennemi. Pour le commandant, il y a donc anguille sous roche.

Aidé du FBI et de la CIA, il va donc examiner la situation, observer le comportement parfois aberrant de Shaw et tenter de le déprogrammer une fois découvert le pouvoir de la dame de carreau sur son cerveau. Il utilise un vieux truc de magicien : le jeu composé d’une seule carte, rien que des dames de carreau. Raymond Shaw est donc « retourné » dans le bon sens et feindra d’obéir aveuglément aux ordres tout en les accomplissant à sa sauce jusqu’au final.

Un bon thriller en noir et blanc tiré d’un roman de Richard Condon, The Manchurian Candidate, sorti en 1959. Certes, Richard Condon n’est pas Truman Capote mais son histoire se tient, tout à fait dans le style scientiste et paranoïaque de ces années de guerre froide qui culmineront avec la crises des missiles de Cuba, l’assassinat du président Kennedy, puis la guerre du Vietnam. Les services secrets tenteront à l’époque des expériences de manipulation psychologique à base de conditionnement et de drogues, infiltrant des espions qui se feront retourner, parfois en agents triples. Tout cela pour pas grand-chose, tant c’est l’économie qui mène la puissance – ce que prouveront l’effondrement du bloc soviétique et son contre-exemple jusqu’ici réussi : l’essor de la puissance chinoise.

DVD Un crime dans la tête (The Manchurian Candidate), John Frankenheimer, 1962, avec Frank Sinatra, Laurence Harvey, Janet Leigh, Angela Lansbury, Henry Silva, Riminiéditions 2018, 2h01, €7.45 blu-Ray €12.00

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Pierre Martinet, Un agent sort de l’ombre

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Martinet est un fana mili, fils et petit-fils de militaire pied noir, grand lecteur des Lartéguy, Bonnecarrère et Jules Roy. Il raconte, avec l’aide du journaliste de guerre Philippe Lobjois, son itinéraire au service de la France. Il a tiré dès 10 ans au fusil de guerre Mas 36, effectué par jeu le parcours du combattant au même âge et enfilé cinq préparations militaires parachutistes à 17 ans avant de s’engager dans le 3ème RPIMa l’année suivante… Au bout d’une dizaine d’années et de nombreuses « tournantes » (non, pas ce que vous pensez, mais les mois en opérations extérieures), il avait fait le tour de l’armée traditionnelle et du parachutisme.

« J’étais instructeur commando, directeur de mise en œuvre d’explosifs, moniteur d’escalade, moniteur de combat corps à corps, j’avais un brevet élémentaire de plongée, mon permis bateau, j’étais moniteur de piste de risque et d’audace. S’ajoutait à cela le parachutisme où j’étais moniteur avec mes trois mille sauts. J’avais aussi une instruction en temps qu’instructeur PAC, c’est-à-dire dans la progression accompagnée en chute à partir de quatre mille mètres. Parallèlement, j’étais compétiteur dans des équipes de vol relatif, nationales et internationales. J’avais, pour m’amuser, suivi un stage de pilotage en conduite rapide sur circuits à Lohéac, en Bretagne. Pour ce qui était des armes, je n’étais pas mauvais puisque je pratiquais le tir sportif en club depuis des années » p.62. Malgré sa manche de scout brodée de brevets, sauf le bac, Pierre Martinet s’ennuie. Après un premier divorce d’avec une fille rencontrée en boite à 19 ans, il est tombé amoureux de Frédérique, fille de colonel qui travaille dans l’administration au Service Action. La DGSE le tente, les services extérieurs d’espionnage français. Il pose sa candidature.

L’entraînement au métier d’espion a peu à voir avec les qualités requises par l’armée traditionnelle : il s’agit d’être un civil avisé, pas un fonctionnaire jugulaire-jugulaire. De l’initiative, de l’inventivité, de la débrouille ! La mission est un ordre, mais les moyens sont au gré des circonstances. Voilà qui est nettement plus intéressant que l’embrigadement de l’ordre serré ! Les chapitres sur l’entraînement forment le cœur du livre, sa partie la plus intéressante.

Pour le reste, les missions accomplies, le lecteur restera sur sa fin. Souci de ne rien divulguer, façonnage d’image pour le conseil en sécurité privée, ce livre apparaît plus comme un CV vendable qu’un récit du service au pays. Peut-être l’édition originale a-t-elle été « épurée » par la manie du secret d’État, de moins en moins tendre avec ceux qui encouragent la transparence démocratique… L’auteur dit s’être occupé de surveiller les islamistes à Londres et Stockholm, de rechercher Karadzic en Serbie. Les citoyens sont quand même heureux de le savoir, au vue de l’inertie apparente des politiciens envers tout ce qui pourrait ressembler à une « discrimination » envers ces gentils islamo-croyants dont l’école devrait reconnaître l’apport à la civilisation française…

L’agent ne travaille jamais tout seul, jamais jusqu’au bout : les missions sont compartimentées et nul ne sait le sort réservé in fine à l’homo surveillé (non, pas ce que vous pensez, mais l’être humain cible en langage espion). La vie de couple entre agents en mission n’est pas rose, l’obligation du secret éloigne tous les amis et met à distance la famille, les exigences de missions en couple autre que les époux mettent à l’épreuve la fidélité. Et notre grand gamin s’ennuie. Il aborde la quarantaine, son corps s’use et lui rappelle de freiner, son goût de l’action est frustré par ces missions compartimentées où il ne voit jamais la réalisation finale, un nouveau chef du Service Action se montre plus fonctionnaire qu’efficace.

Pierre Martinet « prend sa retraite » à 37 ans pour passer au privé, après 20 ans militaire. Lisant dans un journal la création d’une cellule antipiratage à Canal+, il envoie son CV. Le chef, ancien flic, le recrute. Mais le piratage de décodeur n’est pas la seule mission qu’il doit remplir. Peu à peu dérive ce panier de crabes rempli d’ego à la mousse médiatique. Les querelles de personnes masquent les querelles d’actionnaires, il s’agit de surveiller le voisin pour monter un dossier sur lui – aux limites de la loi. Notre Martinet ne veut pas en être. « Chaque jour, je voyais un peu plus la SSSI comme un instrument redoutable qui permettait à son chef, ex-inspecteur des RG monté en grade dans le privé, d’assouvir son désir de pouvoir » p.345. Ce chef le charge de surveiller Bruno Gaccio, le Guignol de Canal, qui conteste selon l’esprit libertaire des débuts le flicage généralisé de la direction. Il ne trouve rien, sauf qu’il est écœuré de cet acharnement. Il négocie son départ, moins naïf en sortant qu’en entrant dans le privé. Il a travaillé depuis dans la sécurité privée (Secopex). Aux dernières nouvelles, il est aujourd’hui responsable d’une collection de romans et de docs « action » auprès du « Groupe DDB/ Les éditions du Rocher ».

Il écrit (avec aide) ce premier témoignage car, dit-il, « en France, il serait temps d’affirmer un patriotisme décomplexé et un soutien à l’ensemble des soldats qui servent notre pays et qui mettent leur peau en jeu pour nous, l’ensemble des français puissions tirer pleinement profit de mots tels que liberté et démocratie ». Il n’est pas le seul à le dire, mais il a eu l’audace de l’écrire en public – crime de lèse ministre ! J’ai rencontré, au gré de mes périples, deux authentiques agents de la DGSE, l’un au Service Action en sous-marin pour surveiller la mouvance terroriste parisienne des années 1995, l’autre instructeur en retraite de Cercottes. Je peux confirmer l’authenticité de ce témoignage sur l’entraînement et l’unanime désir de faire savoir ce que font les hommes de l’ombre au service du pays. Même incomplet, ce livre se lit très bien, fluide, passionné.

Pierre Martinet & Philippe Lobjois, Un agent sort de l’ombre – DGSE Service Action, 2005, J’ai Lu 2012, 382 pages, €7.32

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