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Nous avons enfin un président

Pour la première fois depuis une génération, les Français ont enfin un président. Ni un monarque, ni un roi fainéant, ni un moi-je, ni un ectoplasme mais – après 36 ans ! – un président qui endosse la plénitude de son rôle défini par les institutions.

Les perdants ont la défaite amère et la critique aussi facile que leur impéritie : sans évoquer les socialistes « minables » (selon le mot de l’un d‘entre eux), le Mélenchon qui critique le pouvoir monarchique n’avait pas de telles pudeurs de vierge effarouchée lorsqu’il était attaché à l’équipe Mitterrand… Et que serait le pouvoir Mélenchon s’il avait gagné ? Un « coup d’Etat permanent » ? Le modèle caudillo du Chavez vénézuélien est-il plus légitime, dans l’histoire française, que le modèle du président gaullien ?

Emmanuel Macron se dit jupitérien. Que n’a-t-on pas glosé dans les chaumières médiatiques, qui n’ont pas grand-chose en ce moment à se mettre sous la dent ! Et avec l’ignorance qui les caractérise, se précipitant pour « commenter » l’affirmation (gratuite) d’un collègue qui dégaine le premier – sans vérifier. Qui a lu la Constitution de la Ve République avant de gloser ? Le président de la République surgit au titre II, bien avant les autres pouvoirs. De Gaulle l’avait voulu ainsi, face à la déliquescence du fonctionnement de la IVe République et l’incapacité de ses institutions à gouverner.

Le président de la Ve « arbitre » pour assurer « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics » et « la continuité de l’Etat ». Il est donc de son domaine – jupitérien – de se préoccuper de la réforme des institutions pour qu’elles fonctionnent mieux (avec moins d’élus et plus de moyens) et plus régulièrement (avec des mandats limités pour renouveler les effectifs), sans remise en cause par l’extrémisme, le populisme, le terrorisme, voire la guerre civile (la continuité de l’Etat).

Concernant le Congrès, s’il est à Versailles ce n’est pas par tropisme de roi-soleil, mais parce que c’est le seul endroit proche de Paris où la salle est assez grande et assez sécurisée pour accueillir les quelques 900 parlementaires en plus des organisateurs. Mitterrand lui-même ne s’était pas interdit de convoquer à Versailles certains sommets internationaux, pas plus que Hollande de convoquer le Congrès pour sa proposition de déchéance de nationalité. Quant à son rôle, « il peut prendre la parole devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès » (article 18). Quant au recours au référendum (art.11), la dissolution de l’Assemblée (art.12), les pouvoirs exceptionnels (art.16), la saisine du Conseil constitutionnel (art.54), la nomination de trois de ses membres (art.56) – ce sont ses seuls pouvoirs souverains : TOUT LE RESTE doit être contresigné par le Premier ministre.

Voilà pour la forme, que des critiques faciles de perdants ou d’inactifs le cul sur leur chaise – que les doigts au clavier démangent pour « commenter » frénétiquement tout ce qui survient – ridiculisent sans réfléchir un instant, tout à leur tête de linote. Le style a pu être soporifique : mais pourquoi écouter de bout en bout ? Pourquoi ne pas en exprimer plutôt la substantifique moelle, sur l’exemple de Rabelais ?

Sur le fond, moins de parlementaires ne fourniront guère d’économies – si des moyens supplémentaires leurs sont donnés. Mais cela implique un recentrage sur l’essentiel : ne faire que la loi (sans les textes de circonstance), faire mieux la loi (sans ces détails scabreux ou ésotériques des amendements surajoutés), dans le sens de l’intérêt général des Français (et non de l’intérêt partisan des élus).

En ce sens, moins de parlementaires signifie de plus grosses circonscriptions, donc un redécoupage. Evidemment manipulable… A l’opposition et à la diversité politique de s’assurer que la manipulation ne soit pas effective. Mais de plus grosses circonscriptions accentuent aussi le penchant des majorités au détriment des minorités – et cela est excellent contre l’extrémisme. Pour compenser, on assure « une dose de proportionnelle » – mais les détails techniques et l’ampleur de la « dose » sont à examiner. Celle introduite sous Mitterrand (et annulée depuis) n’a pas fait la preuve qu’elle était bénéfique.

Quant au fonctionnement du gouvernement, il est très clair dans la Constitution que le Premier ministre dépend du président. Il est moins légitime que lui, puisque nommé par lui (et pas par le suffrage universel) parmi les partis majoritaires à l’Assemblée. Macron veut travailler avec (l’ex-) droite ET (l’ex) gauche. Seuls les extrémités des deux camps se sentent exclues mais les Français approuvent, soit par leur vote, soit par leur abstention massive (qui est une façon de laisser faire).

Les petits esprits sont désorientés car ils n’ont plus leur boussole du Bien et du Mal, ils sont « libres », donc perdus ! Tant pis pour eux : la démocratie est un effort de citoyens responsables, pas un refuge pour losers infantiles.

Macron ne devrait pas être un machiavélien qui met en rivalité les jeunes loups pour décider souverainement tout seul, comme Mitterrand. Ni un je-m’en-foutiste qui aimait gagner mais surtout pas gouverner comme Chirac. Ni un faiseur d’opinion entraînant les médias (qui, au fond, ont adoré ça) sur un événement par jour – sans le plus souvent que les actes ne suivent, surtout vers la fin, comme Sarkozy. Ni un lymphatique pseudo-normal qui ne sait pas décider, préférant les confidences sur l’oreiller à ses multiples maitresses ou sur les coussins du canapé à ses multiples journalistes privilégiés, comme Hollande – l’anti-modèle absolu, le pire président de la Ve République à ce jour.

Ce que fera Emmanuel Macron, nul ne sait, mais le cap est dessiné, la répartition des rôles réalisée, les réformes annoncées. Les Français qui se sont abstenus ont raison : attendre et voir.

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Partexit et Chambre introuvable

Ce n’est que le premier tour – mais il est vrai après les innombrables « tours » des primaires et de la présidentielle. Les Français sont las de voter encore et toujours pour dire Ça va pas ! « en même temps » que Ça peut changer ! Un an que cela dure… De quoi comprendre l’abstention massive – pas due seulement au trop beau temps de juin.

Partexit : l’exit des partis tradi. « ET droite ET gauche » est-il dialectique ou harmonie des contraires ? « En même temps » est une façon de voir : soit dynamique (thèse-antithèse-synthèse), soit immobile (les deux faces d’une même réalité, le yin dans le yang et réciproquement). L’ambiguïté du Mouvement fait son attrait auprès des déboussolés du cigare, qui se demandent si droite et gauche signifient encore quelque chose.

A mon avis, oui, c’est le socialisme qui est mort, pas la gauche. Droite et gauche sont deux tempéraments différents, suscités par deux positions sociologiques qui luttent pour le pouvoir. Mais force est de constater que le régime semi-présidentiel français ressemble en pratique (depuis la réforme Jospin-Chirac du quinquennat) au régime purement parlementaire anglais : là-bas le parti qui gagne emporte tout et nomme son Premier ministre; ici le président qui gagne emporte tout et façonne son propre parti hégémonique.

La participation est historiquement basse (49%) parce que le sentiment de tous est que tout est déjà joué, une bonne fois jusqu’à la prochaine élection. Balayés les partis hier « de gouvernement » (le socialisme est réduit à presque rien) ; balayés les caciques blanchis dans la langue de bois et le groupisme de secte (les Cambadélis, Hamon, Duflot, Filipetti, probablement Belkacem) ; balayés les archontes du PS, les minables frondeurs et les gourous de la gauche « morale », tout comme les caciques de LR (Guaino, Yade, probablement NKM) et les impuissants à changer la donne (l’ère Sarkozy a beaucoup déçu…). Ce n’est pas un Baroin à la diction monotone qui va réenchanter la droite.

Ceux qui ne se sont pas déplacés ont démissionné de la politique, montrant ainsi combien ils méprisent le Parlement – pourtant le lieu démocratique où un débat rationnel peut se dérouler dans les formes. Ce sont surtout – qui cela peut-il étonner ? – les partisans de la France insoumise et du Front national qui sont « allés à la pêche » plutôt qu’aller voter. On les comprend, ces autoritaires adeptes du chef (duce ou caudillo) n’ont que faire des « parlotes » parlementaires ! Leur politique se réduit à la présidentielle (vécue comme un coup de force) et à la rue (lieu de toutes les récupérations « populaires »). Ils n’aiment pas la démocratie parlementaire ; ils lui préfèrent la démagogie populiste. Pourquoi les créditer encore de vertu ?

La surmobilisation des votants En marche a touché surtout les milieux éduqués et mûrs, hier socialistes qui voulaient changer la vie, écolos qui voulaient changer le monde et républicains qui voulaient changer le carcan réglementaire – en bref les bourgeois. Peu de jeunes : plus des trois-quarts des électeurs de moins de 25 ans se sont abstenus. Comme pour le Brexit, le Partexit se fait sans la jeunesse : elle aura beau jeu, comme au Royaume-Uni, de crier ensuite à la trahison ! Mais la flemme démocratique a son revers : subir ce qu’on n’a pas su empêcher.

Le Front National passe de 21% à environ 13% en voix, de la présidentielle aux législatives ; il aura beau jeu de crier à l’immigration massive, à l’aplatissement devant Merkel, au bouleversement du code du travail – qui va encore l’écouter ? La France insoumise perd 11% et le Mélenchon (on n’ose la contrepèterie irrésistible) paye sa haine affichée pour les autres, malgré son talent de tribun « à l’ancienne ». Mais les jeunes en ont assez des récriminations du vieux ; ils veulent changer, pas humilier – et le jeune Macron n’est – tous comptes faits – pas si mal après un mois de présidence sur la scène internationale.

Pour eux, voter était presque inutile car le choix des électeurs s’est clairement exprimé aux présidentielles : pourquoi aller encore poser son bulletin alors que le soleil brille, qu’il faut se revêtir alors qu’on est si bien à poil sur l’herbe, qu’il faut aller affronter le regard social des autres et l’épreuve scolaire des institutions alors que le dimanche est calme et qu’il fait si bon jouir de sa pelouse ou aller faire jouer les niards ? Il suffit de voir les notes les plus demandées sur le blog en ce dimanche de premier tour… Sea, sex and sun : un vrai Club Med !

Les gagnants de la mondialisation ont gagné, et les perdants ne considèrent pas vraiment qu’ils ont perdu, fors le dernier carré d’irréductibles au ressentiment ancré dès l’enfance tels Mélenchon ou Le Pen. Emmanuel Macron en nouveau président attire le vote attrape-tout pour un nouvel avenir. Aigris s’abstenir.

La suite sera concrète et les batailles de rue se préparent. Le tour social (qu’on ne peut plus appeler troisième tour avec l’instauration des primaires) est appelé à jouer ce que le vote n’a pas pu. Pour contester encore et toujours la démocratie représentative, au nom d’un spontanéisme de démocratie directe qui frise trop souvent le plébiscite démagogique – et aboutit à la chienlit plus qu’au progrès.

Un président aussi adulé deviendra-t-il un omniprésident ? La cour qui va se former autour de lui pour le célébrer le rendra-t-il progressivement aveugle sur la réalité sociale ? Les mesures radicales et rapides qu’il propose de prendre auront-elles des effets bénéfiques rapides ? La reprise qui se dessine dans toute l’Europe – et le déclin américain dû à l’élection d’un caudillo démagogue – vont-ils donner un coup de pouce à l’emploi ?

Nous attendons de voir. Et comme la période est au champagne de la victoire, Moet and see !

Les notes politiques sur ce blog

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Alix, L’Ibère

César se bat contre les fils de Pompée en Espagne. Le scénario est calqué sur la conquête napoléonienne, avec factions rivales et paysans-résistants de l’intérieur. Quand un village choisit un camp, le camp adverse vient piller, violer, massacrer. César va triompher, militairement et moralement, en ralliant à lui le peuple local. Mais non sans politique. C’est là que paraît le cynisme du scénariste notre époque, qui n’a jamais été celui de Jacques Martin, élevé en collège religieux et chez les scouts.

Dès la première page, la morale des personnages est campée crûment : Alix défend les « victimes innocentes », César « Ne soit pas naïf » – quant à Enak, il bouffe… A croire que le colonialisme mental a imprégné la génération récente : Enak n’apparaît-il pas proche de l’animal ? Comme lui il va presque à poil, fidèle comme un chien et avide de plaisirs terrestres : les frottements sur sa peau nue, la viande avalée goulument, l’eau qui dégouline sur son torse, une main amie sur son épaule, la sensualité des liens… Jacques Martin ne l’avait pas fait évoluer ainsi, jusqu’à ce qu’il passe la main. C’est le danger de faire continuer la série, après la mort de l’auteur : la trahison.

Tarago est fils de chef, orgueilleux et fanatique. En vrai caudillo, il est le seul à avoir raison et impose ses vues par la violence. Plusieurs cases « justifient » la violence en la présentant comme normale, habituelle, à reproduire en cours de récré. Quant à la torture pour obtenir des renseignements, pas de problème : placer une lame sur la gorge nue d’un gamin suffit à son aîné pour déballer tout ce qu’il sait. Morale : ça marche, donc essayez !

En contrepartie, Tarago apprécie le courage et donne une chance aux braves. Voilà du bon machisme méditerranéen, qui justifie qu’on ait « des couilles ». Et pas touche à sa sœur – sauf si elle trahit la famille et le clan.

En bref, voilà tout le catalogue valorisé des poncifs attachés à l’Espagne et aux maquisards de Méditerranée, tous vaguement corses ou siciliens dans l’imaginaire essentialiste du scénariste. Notons les mœurs issues des Arabes (touche pas ma sœur, le cimeterre recourbé à égorger). Elles sont bien anachroniques puisque nous sommes censés être au temps de César et que le Prophète n’est pas même né !

Entre Alix, Tarago et César va se jouer une partie de poker politique où l’argent, l’honneur et la terre sont l’enjeu. Alix est trop donquichottesque pour tirer un quelconque intérêt de l’aventure, César trop obstiné pour échouer et Tarago trop fanatique pour réussir. Voilà le schéma.

Restent les comparses : Enak, toujours torse nu, sur le point de se faire égorger comme en Afghanistan avant d’être flanqué avec brutalité à terre par Tarago ; Celsona, sœur de Tarago, qui aime évidemment un opposant modéré et qui le paye de sa vie, étant donnée la brutalité du frère qu’imitent ses sbires ; Labiénus, général romain renégat, qui joue triple jeu et s’y perd ; les paysans qui cultivent la terre rude et dont les jeunes enfants gambadent de joie au soleil.

La morale de l’aventure est un peu obscure aux jeunes lecteurs et c’est le plus gênant. A croire que la génération trentenaire qui tient les commandes de la série n’a plus de morale. Elle souscrit au cynisme girouette du temps tout en jouissant de la torture des jeunes corps adolescents. Les gamins suivent Alix puisqu’il est le héros ; ils aiment Enak, plus à leur portée par son âge et sa faiblesse, plus raisonnable et attaché à son aîné ; ils admirent César puisqu’il est le chef, personnage historique et bon républicain.

Mais Alix laisse la vie sauve à son ennemi et met en péril tous les autres, à commencer par la sœur dudit ; Alix refuse le cadeau de César au nom d’un humanisme qui n’existe pas encore alors qu’il aurait pu accepter et donner lui-même la ferme aux paysans (ce qu’il fera, mais à la toute fin !) ; Labienus trahit tous ceux qui l’approchent, bien que général (donc discipliné) et Romain (donc civilisé) ; Tarago, soudard brutal et fanatique au début, devient sympathique par son combat de résistant contre les colonisateurs, avant de déraper dans l’allégeance aux fils de Pompée, encore plus cyniques que César… Comment les jeunes têtes pourraient-elles se retrouver dans cet imbroglio ?

Heureusement, le dessin de Christophe Simon sauve l’album. Les corps souples, les visages expressifs, les attitudes naturelles, la dramatisation des ombres qui disent la rudesse du combat ou la tendresse des amoureux, parlent plus que le texte.

Au total, comme toujours depuis la renonciation de Jacques Martin, voici un mauvais Alix. Une dégradation d’époque sans morale. Bel exemple pour la jeunesse !

Alix, L’Ibère, 2007, Jacques Martin, Christophe Simon, P. Weber, Maingoval, Casterman, 48 pages, 9.88€

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