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Hamon démissionnaire

Agiter le rêve au lieu de présenter du concret est soit de la démagogie, soit de l’impuissance. Il y a probablement des deux chez Hamon. Démagogie pour gagner contre Valls au Surmoi autoritaire qui hérisse les bobos libertaires ; impuissance à agir comme les autres pays européens qui ont su réformer à temps et dans le consensus – faute de savoir le faire, faute d’oser affronter les lobbies (la finance, les industriels, la bureaucratie européenne, les syndicats, les cheminots, les fonctionnaires…).

La croissance française est aussi « minable » (mot socialiste) que le gouvernement sortant : engluée, velléitaire, hésitante. Trop d’impôts, trop de strates administratives, trop de règlementations, pas assez de confiance, aucune stabilité pour les salariés, les indépendants ou les entreprises… la liste est longue des manques de la synthèse hollandaise. Cinq ans, c’est trop peu ? mais pourquoi alors, sous la « gauche plurielle » Jospin, avoir lâché sept ans pour cinq ? Par démagogie progressiste ? Par impuissance à déboulonner Chirac ?

Quand on ne sait pas, quand on ne peut pas, quand on ne veut pas, que reste-t-il ? Le rêve. Enfumer l’électeur est le B-A BA du politicien, l’opium du peuple. Les accros au cannabis en prennent pour oublier ce réel qui les meurtrit. Ils se sentent euphoriques un moment, dopés par les molécules. La retombée n’en est que plus cruelle – mais plus tard. Les lendemains qui déchantent sont leur lot quotidien. Il en sera de même des socialistes, bien mal orientés dans la voie du renoncement. Ce pourquoi le PS a des fuites, soit vers le gauchisme Mélenchon, celui qui ne veut surtout pas gouverner mais garder sa fonction tribunicienne à la Le Pen, soit vers le réformisme réaliste, revivifiant Macron que Hollande n’a pas osé adouber.

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Lisant par hasard le tome 2 du Journal de Gide en ces temps de victoire hamoniste, je tombe sur le 21 juin 1940. André Gide évoque le maréchal Pétain, après la victoire de l’Allemagne sur une France non préparée, vivant sur ses acquis, lâchée par ses élites incapables. « L’esprit de jouissance l’a emporté sur l’esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu’on a servi. On a voulu épargner l’effort ; on rencontre aujourd’hui le malheur ». Trois jours plus tard, précisons-le, Gide déchante aussi sec : « Hier soir nous avons entendu avec stupeur à la radio la nouvelle allocution de Pétain. (…) Comment parler de France ‘intacte’ après la livraison à l’ennemi de plus de la moitié du pays ? Comment accorder ces paroles avec celles, si nobles, qu’il prononçait il y a trois jours ? Comment n’approuver point Churchill ? Ne pas donner de tout son cœur son adhésion à la déclaration du général de Gaulle ? » (24 juin, p.702).

Comment parler de gauche intacte après la primaire ? La France socialiste a perdu la bataille économique avec l’Allemagne, la France hollandaise a perdu la bataille politique en Europe, le groupuscule d’électeurs primaires hamonistes (en gros 1.2 millions de voix sur 45 millions aptes à voter) choisit comme en 40 la démission, comme avant 40 l’esprit de jouissance plus que l’effort, la revendication plus que le service. Croissance 2016 de 1.6% en Allemagne, de 1.1% en France ; excédent public 0.4% en Allemagne, déficit public 3.3% en France… L’Allemagne a fait des efforts après la réunification ; la France s’est laisser jouir une fois l’euro en place.

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Les mesurettes et réformettes socialistes depuis 2012 n’ont fait qu’agacer le social sans rien régler au fond, dépenser plus pour maintenir l’acquis, tout changer pour ne rien changer : les nouvelles régions n’ont pas fait diminuer le nombre de fonctionnaires territoriaux recrutés, les nouvelles mesures sur l’éducation n’ont en rien remis en cause le mammouth syndical qui centralise le corporatisme et empêche les bons profs d’être affectés dans les zones sensibles où leur compétences seraient requises, la hausse massive des impôts n’a pas réduit la dette, ni permis d’avancer dans les économies de dépense publique. De « mon ennemi » la finance au corporatisme syndical enseignant, RIEN n’a bougé, aucune pédagogie n’a été faite : « l’intérêt général » en sort perdant.

C’est contre cela que les sympathisants PS ont voté dimanche. Mais que veulent-ils en échange ? D’en faire encore moins et d’être payés plus en partant à la retraite plus tôt, d’évacuer le travail au lieu de le faciliter, de jouir en gratuité de tous les biens… mais seulement communs. De quoi donner très peu mais à tous, afin que l’égalité et la justice – ces grands maux de la gauche – soient respectés en apparence. Mais qu’est-ce que l’égalité dans le dénuement ? Qu’est-ce que la justice lorsque les emplois sont réservés à ceux qui apprennent et qui besognent ? Les socialistes ont viré Grincheux pour adopter Simplet, confirmant bien qu’il s’agissait de la primaire des sept nains, le dernier ne passant pas le premier tour.

« Nous avions à choisir (à Munich) entre le déshonneur et la guerre. Nous avons choisi le déshonneur et nous avons eu la guerre », disait Churchill il y a 77 ans. Les socialistes avaient à choisir entre l’hédonisme et le malheur. Ils ont choisi l’hédonisme et il est probable qu’ils auront le malheur…

André Gide, Journal II 1929-1950, édition Martine Sagaert, Gallimard Pléiade 1997, 1649 pages (1106 pages sans les notes), €76.50 

André Gide, Journal – une anthologie 1889-1949 (morceaux choisis), Folio 2012, 464 pages, €9.30 

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Albert Camus, L’Etranger et le Mythe de Sisyphe

Publiés volontairement à quelques mois d’intervalle, en pleine Occupation, le roman et l’essai se complètent et s’enrichissent l’un de l’autre. Le roman renouvelle la littérature française du temps par son objet et par son style ; l’essai propose une philosophie de notre temps, lassé de l’Idéalisme et des religions et avide d’agir concrètement dans le monde. Tous deux ont pour objet « l’absurde », qui est la question centrale du sens de la vie.

Meursault est un jeune adulte qui vient de perdre sa mère, vieille femme usée qui n’avait plus rien à lui dire depuis des années. Il travaille comme employé dans un bureau, déjeune chaque jour dans la même gargote chez Céleste, dort tard le dimanche et sort vaguement avec une fille parce qu’il ressent parfois le désir. Sa vie ne mène à rien ; il n’est qu’un rouage de la machine, sans aucune ambition. Il a pris ses petites habitudes et répugne à en changer, par paresse ou manque d’énergie. Il a des « copains » parce qu’ils sont là mais ne ressent rien de particulier envers eux. Il se laisse agir et le destin va engrener les circonstances pour en faire un meurtrier. Abasourdi et ne comprenant pas ce qui lui arrive, il ne va pas se défendre et se laisse aller à la guillotine. Étranger à la société, étranger à ses conventions comme à ses rites, Meursault s’évacue de la vie. Il dit ce qui est sans y mettre les formes et les autres, les institutions ne lui pardonnent pas ce réalisme qu’ils trouvent froid. Ils lui préfèrent l’idéal des apparences ou de la religion.

Au fond, s’il meurt, c’est pour la vérité du monde.

Or, dit l’essai, « il arrive que les décors s’écroulent. Lever, Tramway, quatre heures de bureau ou d’usine, repas, tramway, quatre heures de travail, repas, sommeil et lundi mardi mercredi jeudi vendredi et samedi sur le même rythme, cette route se suit aisément la plupart du temps. Un jour seulement, le ‘pourquoi’ s’élève et tout commence dans cette lassitude teintée d’étonnement. » Naît alors le mouvement de la conscience qui aboutit à l’éveil ou au renoncement.

Meursault, l’Etranger, renonce ; l’éveillé, c’est Don Juan, le comédien, le conquérant ou le créateur. Peut-être Meursault aurait-il pu trouver une bouée sur l’océan sans but de l’existence s’il avait accepté de « se marier » avec la fille, d’avoir des petits. Procréer c’est aussi créer, être comédien dans un rôle, voir conquérant. Mais son désir n’était pas assez fort. Il ne s’est pas révolté contre l’absurde de l’engrenage – ce que feront les étudiants de mai 68 contre le métro-boulot-dodo.

« L’une des seules positions philosophiques cohérentes, c’est ainsi la révolte. Elle est un confrontement perpétuel de l’homme et de sa propre obscurité. Elle est exigence d’une impossible transparence. Elle remet le monde en question à chacune de ses secondes. (…) Elle est cette présence constante de l’homme à lui-même. Elle n’est pas aspiration, elle est sans espoir. Cette révolte n’est que l’assurance d’un destin écrasant, moins la résignation qui devrait l’accompagner. » Ne pas consentir à l’absurde de la vie, ce n’est pas se réfugier dans un idéal ou un ailleurs ; ni sombrer dans le nihilisme qui conduit au suicide. Mais donner son prix à la vie, « l’intelligence aux prises avec une réalité qui le dépasse ». A un lecteur, Camus précisera : « L’effort de la pensée absurde (et gratuite), c’est l’expulsion de tous les jugements de valeur au profit des jugements de fait. » (Lettre à Pierre Bonnel, 18 mars 1943)

La position de l’homme absurde est celle du tragique grec : « l’indifférence à l’avenir et la passion d’épuiser tout ce qui est donné. » Vivre le plus et non le mieux – puisqu’il n’existe aucun code transcendant auquel obéir. Ce qui signifie « être en face du monde le plus souvent possible », lucide, réaliste, pragmatique. Ne pas se voiler la face ni travestir les choses ou les sentiments. Être là, ici et maintenant, ni dans le futur ni dans l’ailleurs. Ce qui signifie beaucoup, comme par exemple qu’aucune fin ne peut justifier des moyens intolérables – et qui fera le grand écart de Camus et de Sartre. « Sentir sa vie, sa révolte, sa liberté, et le plus possible, c’est vivre et le plus possible. » Ce qui veut dire agir – mais pas en suiveur d’un gourou ou d’un parti.

« Une révolution s’accomplit toujours contre les dieux, à commencer par celle de Prométhée, le premier des conquérants modernes. C’est une revendication de l’homme contre son destin : la revendication du pauvre n’est qu’un prétexte. Mais je ne puis saisir cet esprit que dans son acte historique et c’est là que je le rejoins. » Créer, c’est donner une forme à son destin. S’il n’y a pas de destinée supérieure, il y a bien un destin personnel. Ainsi en est-il de Sisyphe : « La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. »

Albert Camus, L’Etranger, 1942, Folio €4.37

Albert Camus, Le mythe de Sisyphe, 1942, Folio €6.93

Œuvres reprises dans Albert Camus, Pléiade tome 1, 1931-1944, sous la direction de Jacqueline Lévi-Valensi, 2006

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