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Eric Roussel, Georges Pompidou

Georges Pompidou est mort d’un cancer il y a juste un demi-siècle, le 2 avril 1974, en plein mandat. Je me souviens de cette Pâques 1974 où j’étais sur le chantier de fouilles archéologiques d’Etiolles. Nous l’ignorions encore, mais le jour de la mort du président, j’ai donné en cadeau à un garçon de 13 ans qui fouillait avec nous mon exemplaire de son Anthologie de la poésie française. Il aimait la poésie et j’ai transmis le flambeau. Je souhaite que ces vers choisis par vous, Georges Pompidou, l’aident à vivre et à grandir. Il en avait besoin, mère divorcée, battu parfois par son beau-père.

Le livre d’Éric Roussel sur le troisième président de la Ve République est très sage. Il est rédigé par un journaliste du Monde tout ce qu’il y a de plus classique. Il est donc un peu fade et son intérêt principal est la somme des témoignages recueillis, longuement cités. Ceux qui l’ont connu brossent un portrait qui n’est pas celui de l’homme mais de l’image qu’ils en ont gardé. Cette image est aussi vraie, puisqu’elle existe dans les esprits. Qu’importe en effet à l’histoire ce que l’on fut en réalité au fond de soi ? La trace que l’on a laissée est la seule qui compte.

Deux traits se dégagent de cette biographie : Georges Pompidou fut un terrien – mais un terrien ouvert.

Petit-fils d’agriculteur auvergnat, il a gardé de cette origine le pragmatisme, le bon sens solide et l’ambition calculée. Moraliste plutôt que philosophe, il aimait le tangible, le prévisible, le concret. Par exemple la culture classique plus que la moderne, son épouse, le général de Gaulle, les valeurs d’ordre, les bases industrielles, le travail bien fait. Il avait l’autorité calme, sûre de sa force, faite d’analyse et de volonté.

Les événements de mai 1968 ont révélé un maître, alors que le général restait désorienté et que plusieurs ministres étaient au bord de la panique. En tout, il allait à l’essentiel et sa faculté d’analyse lui permettait de garder le sens du moment et de ne négliger aucune occasion lorsqu’elle se présentait. S’il aimait le jeu, celui de la bourse, celui des affaires et celui du pouvoir, c’est toujours le jeu qui se prépare et se calcule. Non le hasard, mais la spéculation intellectuelle. Il n’avait rien d’un aventurier : la Résistance l’a connu plutôt attentiste, mais fidèle à ses convictions.

Fils d’instituteur socialiste, il avait acquis de cette autre origine le goût prononcé du progrès, la soif de connaissance et la croyance au mérite. « Il excellait dans toutes matières, et également en gymnastique ou en ping-pong », disait de lui Léopold Sédar Senghor, qui l’avait connu au lycée Louis-le-Grand. Cet éclectisme de goûts, cette tolérance de tempérament, cette volonté d’aller toujours plus loin dans chaque matière, rendaient Georges Pompidou viscéralement hostile au dogmatisme. Il aimait le changement, mais le changement graduel, appuyé sur la tradition.

Cette attitude fondamentale se traduisait en amitié : gai et serviable, il était aussi bon camarade, c’est-à-dire fidèle à la mémoire, aimant s’entourer d’un réseau serré de relations. Vagabond intellectuel (surtout à Normale Sup), boulimique en art (grâce à son épouse), aimant la vie parisienne, la bonne chère et les voitures puissantes (sa Porsche), Georges Pompidou savait être détaché et ironique. S’il affectionnait « d’arrondir les angles » (expression qui revient très souvent dans cette biographie), il savait aussi user d’autorité. Réaliste, il gardait la volonté de gagner.

Le terrien en lui est observateur ; le fils d’instituteur est sceptique. Pour lui, la France est une civilisation en soi, un art de vivre, une éthique des rapports humains. Au fond, il pense qu’il n’y a rien à changer, les valeurs bonifiées par les siècles sont solides. Il faut seulement adapter leur forme aux exigences du monde nouveau : créer une industrie, faire participer les travailleurs, réformer l’enseignement par l’emploi de méthodes modernes – mais pour intégrer les élèves à la culture classique.

Réfléchi, attentif, disponible, tel apparaît Georges Pompidou vu par Eric Roussel. Réservé et chaleureux, puissant et agile, réaliste et volontaire, sachant faire front et s’adapter – on pourrait multiplier les qualificatifs complémentaires.

Fils d’une époque de transition où les agriculteurs devenaient fonctionnaires, Georges Pompidou aura incarné l’alliance des meilleures qualités françaises, du bon sens paysan à l’aventure de la modernité. Un tempérament où je reconnais un modèle.

Eric Roussel, Georges Pompidou – 1911-1974, 1984 complétée 2004, Tempus Perrin, 704 pages, €12.50, e-book Kindle €12.99

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