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Église San Mamiliano de Sovana

Le village classé de Sovana, entre 200 et 300 mètres d’altitude, était un centre étrusque sur un plateau entre deux gorges. Le village est en effet d’origine étrusque mais apparaît aujourd’hui surtout médiéval. Là est né le pape Grégoire VII Hildebrand vers 1020. Nous commençons par l’église Santa Maria du XIIe, fort illustrée de fresques. Saint-Roch y est à l’honneur. L’ours, symbole des Orsini, y est représenté.

La jouxtant est la petite église de San Mamiliano où a été retrouvé en 2004 un trésor de pièces d’or romaines, provenant principalement de Byzance sous les règnes de l’empereur Leo (457-474 de notre ère) et de son successeur Anthemius (467-472). La légende veut qu’elle ait inspiré Alexandre Dumas pour Le comte de Monte Cristo.

Cette église est ruinée jusqu’aux fondations mais elles ont été fouillées, et le long d’une paroi a été trouvé un pot de terre renfermant une centaine de monnaies mises à l’abri probablement contre le pillage des Longo Barbi, les longues barbes, dont nous avons fait les Lombards. Un petit musée est installé au-dessus des fondations, que nous fait visiter Nicoletta, italienne très en verve pour expliquer l’histoire et les découvertes. Nous passons une heure à écouter de l’italien torrentueux, plus ou moins traduit par le guide, mais néanmoins assez compréhensible au vu des panneaux écrits autour de nous.

Une tombe proche de celle des Hildebrand, fouillée en 1974, a livré un mobilier de banquet avec deux jarres à eau en bronze, deux amphores à vin, une œnochoé et un phanère ainsi qu’une passoire à vin et un candélabre, le tout daté de la seconde moitié du IVe siècle avant. Le vin était épais, non filtré ni vinifié, aromatisé d’épices et devait être passé avant de remplir les coupes et d’être coupé d’eau, deux mesures d’eau pour une de vin. Le rituel du banquet a été emprunté par les Étrusques aux Grecs d’Eubée, installés dès 775 avant à Pithécusses dans l’île d’Ishia face à Naples. Mais ils admettaient les femmes, contrairement aux Grecs – et plus tard aux Romains, qui considéraient cela comme de la « débauche ». Comme quoi la morale sociale n’a rien de naturel mais se construit sur les phobies et les phantasmes de chaque époque.

Outre le trésor de monnaies d’or avec même une pièce du dernier empereur romain de 14 ans, Romulus Augustule qui sera déposé par Odoacre après dix mois de règne, je retiens deux statuettes en plomb qui représentent un éphèbe et une jeune fille, mains ligotées dans le dos et chacun un pied tranché. Elles ont été retrouvées enfouies sous la terre dans une tombe du IIIe siècle avant et mise au jour par un agriculteur en 1908. C’était probablement pour opérer un maléfice volontaire, le plomb étant le métal des enfers. Les statuettes ont été placée dans la tombe trois siècles après le défunt et désignent nommément chacun : Zertus Cecnas le jeune mâle et Velia Saetna son ardente femelle. Ils sont ainsi livrés prisonniers aux dieux des enfers pour y être châtiés. Nicoletta nous raconte la légende de ces deux amants, empêchés par un jaloux de se rejoindre par l’amputation, et de s’embrasser à cause des liens, cela pour l’éternité. Les deux sont nus et désirables avec une joli contraposition du buste, mais ne peuvent assouvir leur désir mutuel. La musculature en devenir du garçon montre combien il est jeune, pas plus de 16 ans. Nicoletta se plaît à penser qu’une fois les statuettes mises au jour et regardées, leur histoire racontée à de multiples gens, la malédiction est levée.

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Albert Camus contre l’humiliation

Dans ses Carnets IV, de 1942 à 1945, Albert Camus note au vol les idées qui lui viennent. Il ne les développe pas toujours mais ses intuitions persistent. Ainsi de l’humanisme en psychologie.

Albert Camus chez Gallimard

« On aide plus un être en lui donnant de lui-même une image favorable qu’en le mettant sans cesse en face de ses défauts. Chaque être normalement s’efforce de ressembler à sa meilleure image. » Tout parent le sait, tout éducateur devrait le savoir (hum !), un enfant et a fortiori un adolescent qui exacerbe en lui les réactions d’enfance, est extrêmement sensible à ce que les autres pensent de lui. Ses référents, parents, adultes et professeurs ; ses pairs pour se comparer ; ses frères et sœurs et tous ceux qui comptent dans sa vie. Un ado est une éponge sensible à tout ce qui renvoie une image de lui. L’exemple qu’on lui donne est le meilleur, l’encouragement pour ce qu’il entreprend, une méthode, les félicitations pour ce qu’il accomplit devrait être une exigence.

C’est loin, malheureusement d’être toujours le cas – notamment dans l’éducation dite « nationale » qu’on pourrait nommer plus proprement « bureaucratique ». « Peut s’étendre à la pédagogie, à l’histoire, à la philosophie, à la politique », précise Camus. Sauf que les pédagogues, les historiens, les philosophes et les politiciens ont d’autres chats à fouetter que de rendre hommage à la vertu. Confits en eux-mêmes et occupant une position dominante, ils tentent d’en profiter. Lorsque leur petit moi est fragile, ils adorent écraser les autres, notamment les immatures qu’il est trop facile de prendre en défaut. Combien de profs jouent les fachos ? Combien de parents les caporaux ? Combien d’aînés les petits chefs ?

Mais il y a plus grave. C’est toute une civilisation que Camus met en cause. « Nous sommes par exemple le résultat de vingt siècles d’imagerie chrétienne. Depuis 2000 ans, l’homme s’est vu présenter une image humiliée de lui-même. Le résultat est là. » Il est là, en effet, l’écrasement par les corps constitués, les privilégiés, les riches, les puissants, les savants imbus, les âgés acariâtres, les aînés physiquement plus forts, les mâles, blancs, bourgeois et croyants en l’une des religions du Livre ! Ni le Juif, ni le Mahométan n’ont mauvaise conscience. Mâles ils sont, érudits s’ils le peuvent, ils n’ont pas honte d’être hommes. Mais le Chrétien ? Certes, les femmes y sont peut-être mieux traitées par l’idéologie (depuis peu), mais l’être humain reste quand même réduit au péché originel, fils déchu qui doit mériter la grâce de son Père, redevable d’avoir vu crucifier comme esclave le Fils venu les racheter…

gamin ligote torse nu

Comment peut-on glorifier un esclave souffrant sur un instrument de torture pour en faire une religion, s’interrogeaient les antiques ? Au lieu d’encourager les vertus humaines, comme le bouddhisme le fait ; au lieu d’appeler au meilleur en chacun, comme le zen le tente ; au lieu de prôner une élévation spirituelle en ce monde – et pas dans l’autre – le christianisme a écrasé l’homme, l’a humilié, l’a rendu pourriture vouée à l’enfer éternel s’il ne rendait pas hommage ni ne faisait allégeance complète et inconditionnelle. Le christianisme, pas le Jésus des Évangiles, mais le texte est submergé par la glose d’église.

« Qui peut dire en tout cas ce que nous serions si ces vingt siècles avaient vu persévérer l’idéal antique avec sa belle figure humaine ? », s’interroge Camus. En effet, qui ? On ne refait pas l’histoire ; peut-être peut-on tenter de se refaire soi-même, c’est déjà ça.

Albert Camus, Carnets 1935-48, Œuvres tome 2, Gallimard Pléiade, 2006, p.941, €62.70

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