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Saint-Jean le Thomas

Nous pique-niquons dans un champ moissonné tout près de là, séparé du sentier par une haie dont un trou nous permet de voir passer les promeneurs. Le soleil tape mais le guide installe deux mini-réchauds Primus, sort deux poêles de trente centimètres de diamètre de son grand sac, des galettes à réchauffer de marque Reflets de France (Carrefour), et confectionne une jambon-gruyère pour chacun avec force beurre ! Il a prévu ses menus originaux pour chaque jour. Pont l’évêque, salade, orange, compote de pomme à la rhubarbe complètent le déjeuner. En apéritif, du cidre au cassis, le « kir normand » (en fait une invention touristique bretonne), des chips anglaises de marque Tilley’s et des noix de cajou.

Nous poursuivons l’après-midi le sentier du littoral jusqu’à Saint-Jean le Thomas. La marée basse laisse percevoir une série de V au sol : ce sont des pêcheries construites en pierres, établies au XVe siècle. Les premières étaient en bois. Le V en amas de cailloux sert à capturer le poisson et certains crustacés : des seiches, des araignées de mer, des crevettes, des sardines, du maquereau, des plies, des soles.

Aujourd’hui que la pêche est réglementée pour cause de raréfaction du poisson en raison de la surpêche et du réchauffement climatique, nous voyons surtout déambuler des pêcheurs à pied. Nous le constaterons sur le parking de Saint-Jean le Thomas, ils récoltent des coques, des praires, des moules et des crevettes à l’aide du haveneau, cette large épuisette à manche en bois. Je demande à la pêcheuse diserte qui nous détaille ses prises comment elle mange sa récolte : les moules souvent crues, les coques au court-bouillon ou farcies – mais elle ne fait pas de coques au vin. Quant aux huîtres sauvages, elle en trouve mais ne les aime pas, même cuites, ni son mari qui abonde ; elle n’en ramasse que « lorsque les enfants viennent ». Ils doivent être grands et parisiens.

De crique en crique, suivant les méandres de la côte sur la falaise, de sentier dégagé en chemin creux, nous approchons du Mont Saint-Michel. A un détour, nous apercevons en contrejour la flèche au loin sur son rocher druidique du mont Tombe. Il fait pendant en Normandie au mont Dol en Bretagne, au large de Cancale. Nous randonnons sur « le plus beau kilomètre de France ». C’est ce qu’aurait dit Eisenhower qui a logé un temps dans une villa.

En parlant avec le guide, se pose le casse-tête des « reliques » : une abbaye férue de créer un pèlerinage se doit d’avoir des reliques à adorer. Or Michel est un archange, celui qui chassera Satan dans l’Apocalypse ; il n’est « saint » que par titre honorifique et n’a rien d’un humain de chair : il n’a ni corps, ni pieds, ni ailes, il n’est qu’esprit, émanation de Dieu pour porter un message, il n’a d’humain que l’apparence. Dès lors quelle « relique » matérielle pourrait-il bien laisser ? Ni une plume d’aile, ni un fragment de voile, ni un os du pied… Seulement un effet de ses actes : par exemple le crâne percé d’un trou de l’évêque à qui l’archange a mandé par trois fois (chiffre symbolique évoquant la Trinité) de bâtir un temple sur le Mont. La relique du « chef de saint Aubert » est aujourd’hui visible dans le trésor de l’église Saint-Gervais d’Avranches mais le trou serait un kyste bien naturel.

Notre regard suit aussi les virgules successives des bancs de sable sculptés par la marée, admire les couleurs changeantes de l’eau avec les fonds et le ciel. Les silhouettes du rocher de Tombelaine et du Mont se découpent sur l’horizon gris, voilées d’une légère brume. Le sentier monte, descend, terreux, pierreux, parfois en plein soleil avec ajoncs et genêts, parfois en chemin creux avec chênes verts, épines-vinettes et merisiers. Nous croisons de nombreux promeneurs plus ou moins bien chaussés. Un jeune sauvage nous dépasse, pieds nus, chemise déboutonnée sur le thorax, poils follets au menton. Il grommelle un peu de français et beaucoup d’américain en guise d’excuse pour être si pressé puis s’arrête carrément pour se gaver un peu plus loin de mûres sauvages à demi grillées sur les ronces au bord du chemin. Je retiens surtout une fille jeune et aventureuse au ventre nu et aux cheveux bruns qui m’a frôlé sur le sentier étroit sous une voûte de chemin creux. Sa peau était douce et craignait plus les épines que le contact de mon bras. Elle a laissé un étrange effluve parfumé dans son sillage. Je crois qu’elle avait les yeux bleus. Son mec probable était passé devant. Une femme en short, sandales et haut de bain, plutôt blette et au ventre ridé à gros plis, s’égare sur la falaise. Le guide lui demande, ingénu, si elle s’est baignée…

Avant la pointe du Grouin, Saint-Jean le Thomas est une autre station balnéaire qui s’étage de la plage à la falaise. Certaines maisons s’élèvent sur quatre niveaux, le rez-de-chaussée étant à la fois sur la route en haut et quatre étages plus bas au pied de la falaise. L’une de ces maisons est à louer avec « quatre chambres pour huit à dix personnes » annonce un écriteau. Les villas balnéaires sont cotées de 150 000 à 250 000 € selon les annonces d’une agence immobilière que j’ai vue dans la commune.

Nous reprenons le bus à Saint-Jean le Thomas pour Granville. Un convoi de jeeps et GMC parade à grandes bouffées de diesel pour fêter les 75 ans du Débarquement ; c’est la Piper Operation Cobra des festivités de cet été qui culminera le week-end prochain à Grandville.

Nous allons dîner ce soir toujours sur le port mais au dernier restaurant de la jetée, Le Phare, 11 rue du Port. Le menu à 20 € et trois plats est sympathique. J’ai pris du tartare de bulots cuits au wasabi et graines de sésame, du cabillaud sauce crème chorizo et une pomme melba. Un couple de Belges avec deux garçons tout blond et bouclés comme des anges dîne derrière nous. Le petit de 6 ans a une voix forte et rauque, il parle un flamand guttural. Le père parle un bon français sans accent. Le petit a pris du tartare de bulot mais c’est trop épicé pour lui et papa, gentiment, échange son assiette avec la sienne ; il a pris de la soupe de poisson. Le gamin ne la mangera d’ailleurs pas entière et le père la finira.

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Maison du Haut-Atlas marocain

Une heure de marche plus loin dans les gorges, un autre village apparaît. Amezri est un gros village, le plus gros de la vallée. Il est construit comme partout de maisons en pisé aux soubassements de pierres. Cette fois, nous sommes invités à prendre le thé chez un parent de Brahim. Le caïd du coin contrôle son carnet de guide. Il faut être « guide officiel » pour avoir le droit de guider des touristes étrangers. Après le village, un autre « contrôleur » vérifiera encore les papiers de Brahim et nous accompagnera un bout de chemin.

Le thé a lieu dans l’une de ces maisons toutes semblables qui tiennent de la ferme et de la grotte. On entre par un porche dans une cour centrale qui sert d’aire de battage avec son piquet au milieu. Pour l’instant y picorent des poules et une vache y est attachée. Le tout est clos comme s’il s’agissait de se protéger des bêtes sauvages ou des hommes venus d’ailleurs. Sur la cour s’ouvre une bergerie et le bâtiment d’habitation. L’ensemble n’est pas grand, construit uniquement en rez-de-chaussée. La cour peut faire 25 m² et les trois pièces successives 20 m² au total. Elles sont plus longues que larges. La première est nue. Le sol est cimenté, elle n’est éclairée que par une seule fenêtre. Est-ce contre les rigueurs de l’hiver, ou les ardeurs de l’été, ou pour offrir un mur épais aux éventuelles attaques de prédateurs à deux ou quatre pattes ? La seconde pièce est chaulée, des tapis sont étalés au sol et deux fenêtres étroites aux grilles ouvragées ouvrent sur l’extérieur. C’est l’appartement des femmes, plus confortable que la pièce ouverte à tous, parce qu’elles y travaillent la plupart du temps, surtout en hiver. Le mobilier est restreint : une lampe à gaz, une étagère en bois, un plateau de cuivre pour le thé, et voilà tout.

On nous offre les trois thés successifs de tradition, très sucrés. Un pain de sucre, enveloppé dans son papier violet, est cassé au marteau pour ce faire. Il est accompagné de pain d’orge et de blé, offert avec un bol de beurre de chèvre. C’est un beurre de consistance très légère, mais au goût âcre comme le roquefort. Le guide donnera une compensation à l’invitant pour ce thé, tout don commandant un contre-don dans ces pays pauvres. Mais pour nous, qui avons tout réglé d’avance, tout se passe comme si nous étions invités. La troisième fenêtre de la façade éclaire la troisième pièce, très sombre. Y est installé un métier à tisser pour les femmes. C’est un métier rudimentaire, fait de branches mal équarries. Sur une trame tendue, on passe un fil de laine, filée au rouet préalablement, puis teinte. On tasse les fils successifs avec un peigne à carder, puis on noue en nœuds d’alouette de petits brins multicolores selon un dessin général. Cela donne un tapis épais d’un centimètre, aux couleurs criardes, surtout dans les oranges et bleus ici. Les femmes de la maison, fière de montrer leur activité, se mettent sur le métier. Dans cette maison, la cuisine doit être faite dans la pièce principale, ou à l’extérieur, nous ne l’avons pas vue. Peut-être y a-t-il une quatrième pièce, sur l’arrière ?

Nous reprenons le chemin des gorges, le passage de Tasgaïwalt. Les versants sont plantés de thuyas centenaires.

Nous passons la rivière à gué – trois fois. L’eau glacée saisit à chaque fois les chevilles et le courant est fort. Il faut lui résister, surtout lorsqu’il nous arrive aux genoux.

Le campement est installé près de la rivière pour avoir de l’eau. Elle est ici plus torrentueuse qu’hier. Nous nous installons sous un grand thuya. Pascal apprend à Mimoun et à Mohammed à jouer au poker. C’est très drôle, bien que le joyeux Mimoun ne parle pas un mot de français.

Le soir, il préparera le pain, étant le plus jeune. S’il y avait eu une femme, cette tâche lui serait incombée comme hier soir, puisque c’est une tâche inférieure. C’est dans l’ordre hiérarchique, et le plus jeune s’y colle toujours. Mimoun fait donc la femme, il a préparé la pâte avec de la semoule de blé dans l’après-midi, et l’a laissé reposer une couple d’heures. Il en prend des boules, les tape en galettes qu’il pose sur une grande pierre plate, en équilibre sur le feu de genévrier. Cela fait un pain à peine levé, pas très cuit, mais goûteux.

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