
Dans un salon de gentlemen où l’on fume des cigares, l’Explorateur – un savant – explique à ses compagnons de société (le Provincial, le Docteur, le Psychologue, le Très jeune homme, le narrateur) comment il a exploré le Temps à l’aide d’une machine de son invention. Le monde n’a pas trois, mais quatre dimensions (et beaucoup d’autres, dit-on depuis) ; ce pourquoi l’idée est venue à l’auteur, le 14 janvier 1887, après avoir assisté à l’exposé de l’étudiant, E. A. Hamilton-Gordon sur cette quatrième dimension. Ce thème est devenu l’une des pistes de la science-fiction depuis.
Après en avoir parlé lors d’une soirée et présenté un modèle réduit qui a effectivement disparu sous les yeux de tous, il a invité ses compagnons à dîner le soir suivant. Il veut tester lui-même sa machine grandeur nature. Il se met en selle, pousse un levier, et les secondes, minutes, heures, jours, mois, années, décennies, siècles, millénaires, défilent. En avant. Il aurait pu aller dans le passé, mais pour y voir quoi ? Ce que l’on sait déjà ? Prendre une leçon de grec avec Platon ?
Le voilà donc arrêté, un peu saoul et désorienté par l’impression de chute dans le vide, en l’an 802 701 au chrono-guide de la machine. Il se trouve sur une pelouse, devant un grand sphinx sur un soubassement orné de plaques de bronze. Personne alentour, la vallée de la Tamise au loin qui s’étire, et des puits percés un peu partout tandis que s’élèvent quelques hautes tours.
Il ne tarde pas à faire connaissance de l’humanité évoluée de ce temps. Les Eloïs sont sveltes, beaux et joyeux comme des enfants, encore sexués mais androgynes. Ils se nourrissent de fruits et ne réfléchissent pas plus d’une minute ou deux avant de s’évader dans les rires. Ils ont peur la nuit et se regroupent pour dormir. Pas de vie de famille, des enfants qui ressemblent aux adultes, en plus petits. Aucun vieillard. C’est qu’ils ne sont pas seuls sur la planète. Une autre humanité, qui a divergé d’eux depuis des millénaires, peuple le sous-sol. Ce sont les Morlock, blancs, velus et simiesques, avec les yeux rouges agrandis par le fait de vivre dans l’obscurité constante. Eux se nourrissent de chair, et l’Explorateur saura bientôt de laquelle. En effet, aucun animal en vue. Les puits conduisent au monde souterrain où des machines grondent, produisant vêtements et autres accessoires.
Wells a poussé à l’extrême l’inégalité croissante de son temps entre prolétaires et propriétaires pour en faire deux espèces différentes. Mais l’oisiveté et le confort ont conduit les ex-seigneurs à la dépendance dorée, tandis que les ex-prolos sont devenus prédateurs tels des fourmis cultivant leur essaim de moucherons. L’Explorateur s’attachera à Weena (Ouina), une femelle Eloï qu’il a sauvé de la noyade, dans l’indifférence paresseuse de ses compagnons, et explorera une partie du monde Morlock sous la terre. Il sera sauvé par le feu de ses allumettes, et fera une véritable guerre du feu, une nuit sans lune, contre les Morlocks sortis de leurs trous pour se repaître.
Après avoir retrouvé sa machine, confisquée par les Morlocks, pas assez intelligents malgré les millénaires pour la comprendre, il poursuivra son voyage vers le futur, avant de rentrer éclopé et sale au bercail, juste pour le dîner où un gigot de mouton (bouilli ?) l’attend sur la table avec ses amis. Il leur contera ses aventures au fumoir. La suite du voyage dans les millions d’années a sans doute été ajoutée pour faire du volume, car sa première aventure est bien mince. La terre devient déserte, les planètes bougent, le soleil rougit avant de s’éteindre – rien de bien neuf.
Le plus intéressant reste dans l’anticipation de l’évolution humaine, selon laquelle des races nouvelles vont se créer en divergeant selon leur mode d’existence. Comme quoi le milieu influe sur la génétique par la pression de sélection, ce que Darwin venait de démontrer. Mais aussi combien le confort et l’absence de danger pour sa vie fait péricliter l’intelligence. « Je m’attristai à penser combien bref avait été le rêve de l’intelligence humaine. Elle s’était suicidée : elle s’était fermement mise en route vers le confort et le bien-être, vers une société équilibrée, avec sécurité et stabilité comme mots d’ordre ; elle avait atteint son but. » Il n’y a pas d’intelligence là où n’y a aucun changement. Un être animé en pleine harmonie avec son milieu est un pur mécanisme. C’est le rêve des dictatures réactionnaires à la Poutine que de figer le temps pour faire de l’humanité une espèce composée de sujets-robots…
Ne croyez pas que ce soit une utopie. Elon Musk et les transhumanistes sont dans cet état d’esprit élitiste. L’humanité, pour eux, va se différencier entre les riches capables de dépenser les sommes nécessaires à leur « amélioration » en cyborgs, et la masse, pas forcément « pauvre » en argent mais surtout pauvre en esprit, gangrenée par les délires woke et diluée dans le métissage généralisé à la mode. Curieusement, et c’est ce que l’on apprend en analysant les extrême-droites en science politique, le « racisme » est moins dans le passé que dans l’avenir. La différenciation des « races » est dans le futur, pas dans une « pureté » illusoire retrouvée.
Herbert George Wells, La machine à explorer le temps (The Time Machine), 1895, traduction Henry D. Davray, Folio SF 2016, 176 pages, €8.00, e-book Kindle €1,01
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Un autre roman de SF de HG Wells chroniqué sur ce blog
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