Tout soleil est solitaire, dit Nietzsche

Dans un « chant » exalté, Nietzsche-Zarathoustra crie sa solitude amoureuse comme un matou à la lune. « Et mon âme, elle aussi, est une fontaine jaillissante, (…) un chant d’amoureux » Car il y a un « inapaisé, cet inapaisable qui veut élever la voix ! »

Car Zarathoustra, comme tous les prophètes, est un soleil qui « vit dans sa propre lumière », qui « ne connaît pas le bonheur de prendre » car sa « main ne se repose jamais de donner ». Il est lumière, il est amour, il est trop-plein. Il jaillit et illumine, il ne prend rien, il ne désire pas – il en souffre à ses heures. « Ô désir de désirer ! Ô faim qui me dévore dans la satiété ! »

Le généreux est seul dans son débordement ; « ils prennent ce que je leur donne, mais touché-je encore leur âme ? » Car le bonheur de donner meurt des dons effectués, « ma vertu par son excès s’est fatiguée d’elle-même ». Qui ne cesse de donner sans recevoir en échange se coupe de l’humanité. Il reste l’astre solitaire qui ne ressent plus rien. Les fonctionnaires du don le savent bien, donner ne fait plus de bien à leur âme, ni à celle des assistés : il en faut toujours plus et recevoir sans cesse aigrit et ne rend pas reconnaissant. La première fois oui, ensuite de moins en moins – c’est considéré comme un dû. Et la charité exige son administration, qui coupe du contact et de l’humain. Donner est devenu un business, sauver un militantisme idéologique.

« Que sont devenus les larmes de mes yeux et le duvet de mon cœur ? Ô solitude de tous ceux qui donnent ! Ô silence de tous ceux qui luisent ! » Le soleil est et reste indifférent au reste. Il « va sa route, sans pitié » Il suit son orbite, sa fonction, son destin. Les soleils « suivent leur volonté inexorable ; c’est là leur froideur. » Rappelons que, pour Nietzsche, tout être a sa fonction dans la nature, fonction fixée par sa « volonté » qui est moins un acte personnel qu’un « vouloir » instinctif, malgré lui. Le soleil se consume et illumine les planètes dans son orbite, tout en poursuivant sa trajectoire dans l’espace. De même est le prophète – le philosophe – qui réunit toutes les conditions favorables pour assurer la puissance de son désir. Sa « volonté » va, comme un soleil. Solitaire et glacé – la solitude est l’envers de la volonté.

(J’utilise la traduction 1947 de Maurice Betz au Livre de poche qui est fluide et agréable ; elle est aujourd’hui introuvable.)

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1884, traduction Geneviève Bianquis, Garnier Flammarion 2006, 480 pages, €4,80 e-book €4,49

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