Tout vaut la peine, dit Nietzsche

Zarathoustra est assis en haut de sa montagne devant sa grotte. Il retrouve un devin qu’il a connu, « nourri et désaltéré à sa table, le prophète de la grande lassitude qui enseignait : ‘tout est égal, rien ne vaut la peine, le monde n’a pas de sens, le savoir étrangle’. » Au contraire, pour Zarathoustra/Nietzsche, rien n’est égal, tout vaut la peine, le monde a le sens que lui donne la volonté, le savoir libère.

Le « devin de la grande lassitude » est la part d’ombre de Zarathoustra, celle qui est en chaque humain et lui fait dire de temps à autre : à quoi bon ? Pourquoi se casser ? Tout n’est-il pas éphémère et vain ? Les humains ne restent-ils pas des bêtes stupides qui ne font aucun effort intellectuel, des moutons bêlant qui suivent la passion du troupeau pour un maître qui les domine et les manipule, des assoiffés de sexe animal sans préjudice du mal qu’ils font ?

Le « dernier péché » du meneur d’hommes, de l’élévateur des âmes Zarathoustra est la pitié. Le devin de lassitude le provoque en lui faisant écouter « le cri de détresse » qui vient des profondeurs de la plaine. C’est le cri de « l’homme supérieur » – qui n’est pas encore Surhomme – et qui souffre de ses efforts et ne sait encore que maladroitement rire et danser. Car il n’y a pas de bonheur, dit le devin de lassitude, « vaines sont toutes les recherches ».

Zarathoustra se secoue et part à la recherche de l’homme supérieur qui crie pour le protéger des animaux sauvages. Mais le devin de lassitude lui dit qu’il sera toujours là, en embuscade, « patient et lourd comme une bûche ». Le poids de la fatigue et de l’écœurement.

« Qu’il en soit ainsi ! » s‘écrie Zarathoustra comme le Christ. Lui aussi est venu pour sauver les hommes et a connu la lassitude : Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? Mais il dit « ainsi soit-il ». La leçon est qu’il ne faut jamais renoncer et que la lassitude est une faiblesse passagère, un instinct vital qui vacille et s’use. L’asthénie est un péché contre la vie et contre l’avenir. En morale, la force d’âme repose sur l’énergie que l’individu met au service de son action.

(J’utilise la traduction 1947 de Maurice Betz au Livre de poche qui est fluide et agréable ; elle est aujourd’hui introuvable.)

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire) :

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1884, traduction Geneviève Bianquis, Garnier Flammarion 2006, 480 pages, €4,80 e-book €4,49

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra – Œuvres III avec Par-delà le bien et le mal, Pour la généalogie de la morale, Le cas Wagner, Crépuscule des idoles, L’Antéchrist, Nietzsche contre Wagner, Ecce Homo, Gallimard Pléiade 2023, 1305 pages, €69.00

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5 réflexions sur “Tout vaut la peine, dit Nietzsche

  1. Dante

    c’est plutôt moi qui vous remercie d’avoir pris le temps de répondre. Pourquoi écrire un commentaire sur Nietzsche si sa philosophie me déplaît :

    1. Le plaisir de « limer sa cervelle comme dirait Montaigne »
    2. mais parce que justement Nieztsche me fasciné ! il a « tort sur tout et raison sur tout  » à mes yeux

    Tout comme vous je suis d’accord avec ce philosophe sur bien des raison : le monde réel plutôt que l’outre monde, l’authenticité des sentiments plutôt que l’illusion (joie comme tristesse) et la volonté comme souverain bien (sous l’aiguillon de la raison). Je m’insurge juste contre ce point fondamental : ce n’est parce que l’homme est compatissant que la faiblesse devient une vertu, le malheureux est lui aussi un « malade qu’il faut soigner et rééduquer  » . Voilà bien la chose la plus importante qui me dérange chez Nietzsche

    merci encore pour vous conseils de lecture

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  2. Il semble que vous confondiez « le » Surhomme avec la tension « vers » le sur-humain. Zarathoustra n’est pas un Surhomme mais un prophète de la volonté « vers » la puissance (de la vie). Les mots français essentialisent ce qui est dynamique en allemand. Non « le » Surhomme n’est pas une sorte de Batman « boudeur fatigué d’espérance » mais un désir vers lequel tendre par la volonté : accepter que le monde soit tragique (finie l’espérance des consolateurs religieux, amor fati), non pas seulement « inverser les valeurs » (stade du lion dans les Trois métamorphoses) mais les rendre innocentes, soumises à la volonté de tension vers le mieux (stade de l’Enfant dans les Trois métamorphoses). Le Sur-humain n’a rien d’égoïste, il est lui-même et, débordant de force vitale, il donne, il est généreux (Zarathoustra qui prophétise au lieu de rester dans sa montagne, les boddhisattvas bouddhistes qui retardent le nirvana pour aider les autres hommes). La « folie » dont vous parlez selon Nietzsche n’est folie que comparée aux valeurs de son temps, chrétiennes déformées par la morale petite-bourgeoise protestante allemande – mais le fou est celui qui dit la vérité : que le roi est nu, que les illusions sont des infoxes.
    Une fois cette lecture complète de Nietzsche effectuée, chacun est en droit de prendre ce qui lui convient dans cette philosophie. Il est évident que nous ne sommes plus au XIXe et que le philosophe ne nous parle plus de la même façon qu’à ses contemporains.
    Je retiens pour ma part la critique radicale de toutes les illusions, le retour grec au tragique de l’existence et du monde, et la dynamique de la volonté qui pousse par l’éducation au mieux humain pour l’avenir.
    Sur Comte-Sponville, je l’ai lu et chroniqué sur ce blog : https://argoul.com/?s=comte-sponville Il n’aime pas Nietzsche car il est de la génération trop proche de la guerre, avec ses préjugés anti-allemands ; en 1991, il le trouvait « dangereux », ce Boutefeu (expression de Jünger). Mais Nietzsche mérite mieux qu’une critique frileuse en passant. Surtout que, comme lui, Comte-Sponville est matérialiste, athée, pourfendeur des illusions, promoteur du tragique de l’existence et de la volonté pour éduquer… Dorian Astor (spécialiste de Nietzsche don,t il a écrit une bio en Folio) et ses collègues ont écrit un contre-essai en 2016 : Pourquoi nous sommes nietzschéens, Les impressions nouvelles Editions.
    Mais je m’interroge : si vous n’aimez pas Nietzsche, ce qui est votre volonté et si vous n’y trouvez pas matière à penser, alors pourquoi commenter une note sur Nietzsche ? Vous pouvez trouver d’autres philosophes ou penseurs sur ce blog, comme Montaigne, Albert Camus, Clément Rosset et d’autres.

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  3. Dante

    Premièrement, je souhaiterais m’excuser sur un point : il s’agit de votre Blog, les exemples que vous prenez (ce que je qualifiais d’idéologie comme les multiples retours à Poutine, à l’Eglise, au socialisme) ne regarde que vous. Secondement, je clarifierais un point : Ou ai-je parler de « vérité historique » ? Reprenez mon commentaire, l’expression est celle de « culture historique ». En effet si l’histoire est une science molle, elle n’en reste pas moins une science à laquelle la vérité peut être frôler par une confiance entre l’historien ses sources. Pour Galilée, votre commentaire fait fit d’un mythe entretenu par le contexte inquisitoire et non par la réalité des sources. (C’est d’ailleurs un des soucis de Nietzsche : confondre moral / vérité). Toutefois, je vous rejoins encore, il semble prématuré de parler d’histoire dans un commentaire Philosophique. J’enchaîne donc..

    Le « Dernier homme » est le malade nietzschéen (le suiveur, le lâche en pensée). Or sont-ils des hommes ? L’idéal Aristocratique de Nietzsche (qu’il emprunte aux Anciens d’ailleurs) n’est que l’humanité en elle-même par un « Sur-humaine ». L’Homme s’oppose ainsi aux coquilles hédoniste, jouissant du corps et non de l’esprit, et aux fantômes moralistes, jouissant de l’esprit point du corps. Le Surhomme est un homme malade, car il apparaît dégouté de la vie justement, il ne demeure  » pas fidèle à la terre » (comme dirait Zarathoustra) mais la terre au sens hébraïque d’humanité (Adamah). Il n’est qu’un boudeur fatigué d’espérance; il ne pense pas même à repenser les valeurs (ce qui aurait été intelligent d’ailleurs !) mais à les inverser par dépit : l’égoïsme plutôt que le partage, « la folie plutôt que la vertu ». Les valeurs sont les « désirs de l’humanité » : qui aujourd’hui, ne désire pas une humanité « humaine » justement ? (l’honnêteté vaut mieux que le mensonge, la générosité plus que l’avarice, le pardon plus que la vengeance) pour l’humanité d’aujourd’hui en tout cas. Je vous conseille l’ouvrage : Pourquoi nous ne sommes pas Nietzschéen de Alain Boyer, André Comte-Sponville et Vincent Descombes. Le surhomme est lui aussi pris dans la toile de son dionysisme … il n’est qu’une chrysalide à perfectionner

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  4. Merci de votre commentaire et des arguments de votre opposition. J’aime les commentaires argumentés.
    Vous évoquez une « idéologie derrière » mes textes : pouvez-vous préciser laquelle ? Nous avons tous des présupposés idéologiques, quels sont donc les vôtres, qui vous opposent ?
    Quant à ce qu’a dit ou pas Louis XIV, peu importe : ce qui compte est ce qu’on retient de lui, l’absolutisme monarchique. Mélenchon l’a repris à propos de la République, il a été filmé, enregistré. Pas L14, internet n’existait pas encore. Galilée n’a pas été brûlé mais « voué au bûcher », métaphore du temps comme « il sent le fagot » ou « envoyer au diable ».
    Qu’est-ce que la « vérité » historique vient faire dans un commentaire philosophique ? Si vous creusez, vous apprendrez qu’il n’y a aucune « vérités » historiques, seulement des sources à recouper, des légendes transmises, des mythes agissants qui résument en quelques mots. Mon propos n’est pas d’établir un commentaire talmudique mais de mettre Nietzsche à la portée de l’éducation d’aujourd’hui, de montrer combien il peut être encore actuel. D’où la reprise de ce genre de résumés historiques que tout le monde connait. Si j’écrivais sur L14, je ferais autrement.
    A propos du Surhomme, je ne sais pas ce qu’est « un homme malade ». Selon Nietzsche, l’homme malade (de l’Europe) est le Dernier homme, l’esclave de la masse, le mouton à suivre les foules, la moraline des réseaux sociaux et les grandes geules qui font fureur. Le Sur-homme n’est pas un héros ni un demi-dieu, mais un degré supérieur pulsionnel de l’humanité. Nietzsche l’oppose à l’accomplissement de l’homme que supposait son temps de révolution industrielle.
    L’homme n’est jamais achevé selon le philosophe, il n’est pas une idéalisation mais une quête, un sens historique. Il est « un pont », un « dépassement de soi » au sens où l’humain doit dépasser le nihilisme issu de la mort de Dieu à son époque rationaliste, scentiste, nihiliste : « l’homme bon » des valeurs européennes est un type humain assez faible qui doit être régénéré. Il s’agit de « voir quelle espèce d’homme doit être voulue, élevée ». Les valeurs (ce qui vaut) sont bien des « désirs de l’humanité » comme vous le dites, mais canalisés par la volonté et orientés vers le plus (et pas vers l’hédonisme ou le confort du « bonheur »). Le sur-humain ne l’est pas par la race mais par l’éducation, la culture. Ce n’est pas un nouvel idéal, un nouveau type de prince créateur, (« les princes sont leurs instruments »), mais une « volonté créatrice » qui affirme la vie, une « forme supérieure d’être ». Je vous renvoie pour les références « exactes » et pour ces réflexions au livre de Céline Denat et Patrick Wotling, Dictionnaire Nietzsche, Ellipses 2013.
    Sur Spinoza, vous reprenez la constance entre Spinoza et Nietzsche établie par de Deleuze. Mais fil continu de pensée ne signifie pas identité. Si Nietzsche a aimé au début Spinoza, un solitaire et un frère, il a vite pris ces distances avec sa « philosophie araignée » qui tisse mais se prend dans sa propre toile. Voir https://cheminstraverse-philo.fr/philosophes/nietzsche-et-spinoza-2/ Spinoza est un type de vie à surmonter.

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  5. Dante

    Votre étude de Nieztsche est intéressante et assez complète. Le seul bémol est l’idéologie derrière vos textes (et surtout par pitié la culture historique ! ) Non Louis XIV n’a pas dit  » l’état c’est moi » , une phrase apocryphe comme tant de citation royale. Non Galilée n’a pas été mis au bûcher (il fut assigné à résidence sous la rente fiscale du Vatican). Il y aurait encore beaucoup de chose à dire sur vos exemples mais ce n’est pas un catalogue.

    Le surhomme de Nieztsche est un homme malade , aussi malade que son auteur. Dans le fond Nieztsche est un grand moraliste (même si son constat de la mort du divin n’est pas mauvais). Il prétend étudier les valeurs mais se contente seulement de les inverser.. (une bouderie philosophique?). Les valeurs ne représentent que les désirs de l’humanité et il n’en tient absolument pas compte (alors que Spinoza est l’un de ses maîtres à penser

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