Ultime chapitre, après avoir tout dit. Nous sommes au matin, Zarathoustra s’éveille dans sa caverne et se ceint les reins avant de sortir au jour, seul. Ses compagnons dorment encore, ces « hommes supérieurs » qu’il a réuni autour de lui et qui ont enfin compris. « Mais il me manque encore mes hommes véritables », médite Zarathoustra.
Car l’homme « supérieur » n’est pas encore « le surhomme », celui qui s’est surmonté et est devenu libre, créateur et artiste.
Au soleil du matin, en haut de la montagne, assis sur la grosse pierre qui gît à l’entrée de sa caverne, Zarathoustra a une vision. Son aigle plane dans les hauteurs, des colombes innombrables viennent voleter autour de lui, un lion s’approche et pose sa tête sur ses genoux, avec adoration. C’est le lion insoumis, l’homme révolté qui a quitté l’esclavage du chameau ou l’adoration de l’âne, mais qui ne s’est pas encore libéré au point de devenir enfant innocent de la troisième métamorphose, « un nouveau commencement et un jeu ».
Sparte : hommes supérieurs encore esclaves
« Le signe vient, dit Zarathoustra ». « Mes enfants sont proches, mes enfants ». Il ne s’agit pas de disciples, car les disciples sont encore attachés à leur maître et mentor ; les enfants, à l’inverse, naissent sans présupposés, avec leur liberté et tous les possibles. Tous les parents le savent, les enfants n’en feront qu’à leur tête, quoi qu’on leur dise – mais l’exemple vécu des parents,qu’ils observent est pour eux la meilleure éducation. Zarathoustra aura des enfants qui lui ressembleront dans sa liberté et sa créativité, car lui se montrera libre et créateur. Et les enfants l’imiteront, avant de trouver leur voie propre selon leur personnalité.
Lorsque les hommes supérieurs s’éveillent dans la caverne et veulent sortir saluer Zarathoustra, le lion se met à rugir, ce qui les fait refluer. Zarathoustra comprend qu’ils sont en détresse car la liberté fait peur, elle exige la responsabilité de chacun de ses actes, et peu sont capables de l’endurer. Ce pourquoi ils ne sont pas pleinement libres, ces hommes néanmoins « supérieurs ». Un lion peut encore leur faire peur.
Zarathoustra aura-t-il encore « pitié » d’eux ? Interviendra-t-il pour les protéger et les rassurer ? Eh bien non : ultime leçon de Nietzsche dans Zarathoustra, il faut quitter la protection pour devenir soi-même. La liberté se mérite par le courage et la solitude. La pitié a « eu son temps », « ma passion et ma compassion, qu’importe d’elles ? Recherché-je le bonheur ? Je recherche mon œuvre ! » Le « bonheur » est un état de stabilité qui abêtit – comme une vache à l’étable, qui regarde passer les trains depuis sa mangeoire. Or le monde est mouvement, il ne cesse de se transformer. Seul le créateur, donc l’humain libre, peut vivre pleinement, dans le mouvement du monde.
Enfant libre
« Ainsi parlait Zarathoustra et il quitta sa caverne, ardent et fort comme le soleil du matin qui surgit des monts obscurs ». Il est libre, Z, quasi nu avec seulement les reins ceints ; il est solitaire, Z, il ne réclame que des enfants, pas des disciples, autrement dit des successeurs libres de sa liberté acquise.
Tout est dit, le livre se referme, mi-prophétie mi-utopie, un livre moral et poétique.
2011-2024, nous en avons fait intégralement la recension, chapitre par chapitre, depuis le Prologue jusqu’au dernier chapitre. Puisse-t-il inspirer les consciences et abreuver les soifs. Ainsi parlait Zarathoustra est d’une grande richesse à qui sait le lire et le méditer.
(J’utilise la traduction 1947 de Maurice Betz au Livre de poche qui est fluide et agréable ; elle est aujourd’hui introuvable.)
Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1884, traduction Geneviève Bianquis, Garnier Flammarion 2006, 480 pages, €4,80 e-book €4,49
Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra – Œuvres III avec Par-delà le bien et le mal, Pour la généalogie de la morale, Le cas Wagner, Crépuscule des idoles, L’Antéchrist, Nietzsche contre Wagner, Ecce Homo, Gallimard Pléiade 2023, 1305 pages, €69.00
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Nietzsche déjà chroniqué sur ce blog
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