Pour un 1er avril et ce n’est qu’un Propos. Nous sommes en 1908 lorsque le philosophe médite sur ce qui est. « Il y a des choses qu’il faut bien accepter sans les comprendre ; en ce sens, nul ne vit sans religion. L’Univers est un fait. Il faut ici que la raison s’incline ». Oh, certes, les primaires croient qu’il existe un grand horloger qui régule les pendules, un grand jardinier qui arrose ici ou arrache là. « Ils croient que tout ces faits dépendent de décrets arbitraires (…) C’est pourquoi ils prient. La prière est l’acte irréligieux par excellence ».
Car la religion (religere = ce qui relie) n’est pas de se soumettre à Papa et de le supplier d’agir en notre faveur ; elle est ce ressenti du lien profond que nous avons, nous humains, avec la nature, les bêtes, les arbres, les plantes, avec l’univers tout entier – dont nous sommes partie. « Celui qui a un peu compris la Nécessité, celui-là ne demande plus de compte à l’Univers. Il ne dit pas : pourquoi cette pluie ? pourquoi cette peste ? pourquoi cette mort ? car il sait qu’il n’y a point de réponse à ces questions. C’est ainsi, voilà ce que l’on peut dire. Et ce n’est pas peu dire. Exister, c’est quelque chose ; cela écrase toutes les raisons ».

Il faut aimer ce monde sans le juger, car qui sommes-nous pour connaître les nécessités des choses et les imbrications des forces ? En revanche, cela ne nous dispense pas d’agir et de penser. Au contraire ! « Je n’entends pas qu’il faut tuer sa propre raison, et comme se noyer dans le lac, on n’aurait plus rien alors à incliner ; la vie n’est pas si simple. Il faut respecter ce qu’on a de raison, et réaliser la justice autant qu’on le peut. Mais il faut savoir aussi méditer sur cet axiome : aucune raison ne peut donner l’existence, aucune existence ne peut donner ses raisons. » Incliner est ici au sens de désirer, pencher pour, tendre vers ; Alain use d’un vocabulaire précis, d’une langue riche non encore abâtardie par l’usage intensif des médias et – pire – des réseaux, et du mésusage des mots par la propagande de guerre hybride.
Vivre, c’est accepter ce monde. Ceux qui ne l’acceptent pas en sortent, la mort les attend, qui est fin de toute chose. A l’inverse, la vie est un « feu divin » allumé en chacun, un goût de vivre, un élan vital, une volonté vers la puissance. « Vous sentez bien que vous êtes fils de la terre aussi ; vous adorez ce vieux monde ; vous le prenez comme il est ; vous lui pardonnez tout. »
La nature renaît, comme en vous le feu se rallume. « Vous qui allez vers la Forêt Verte pour saisir autour des branches mouillées les premières vapeurs du printemps, vous trouverez bon que les feuilles s’étalent au nouveau soleil, qu’après cela les graines mûrissent et tombent sur la terre. » Vous aimez ce qui existe.
Alain, Propos tome 1, Gallimard Pléiade 1956, 1370 pages, €70,50
(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)
Commentaires récents