
Le chantre de la Bourgogne rurale, restaurateur d’un hameau en ruines, est né dans une famille de cheminots. Il ne chante pas, comme Christian Signol, les regrets de l’harmonie paysanne d’enfance car son enfance, ce furent les trains. Son père, son oncle, ses grand-pères furent employés de la compagnie PLM Paris-Lyon-Marseille, alors privée. Les grands-parents des deux côtés ont débuté comme Compagnons-Passants-du-Devoir, adeptes des théories sociales Saint-Simon et de Prosper Enfantin. Ils étaient pour le Progrès, pour l’industrie, pour les avancées sociales.
Henri Vincenot en fait un roman où il croque cette époque d’entre-deux guerres où le train à vapeur fait les beaux jours de la ville de Dijon, où il est né et habite, dans la cité cheminote du Rempart de la Miséricordes, tout près de s trains. Les machines sont dangereuses et polluantes, toute la ville est couverte de suie et les cheminots meurent jeunes, les poumons silicosés. Mais les locos halètent et soupirent comme des femmes, on les titille comme elles et on leur fait donner leur puissance avec doigté.
L’électrification, qui survient après-guerre mais dont on parle déjà avant, n’a plus le même charme. Beaucoup moins dangereuse que la vapeur pour la santé des cheminots et la pollution de l’air, elle ravale le travail viril de force, torse nu sur le tender à pelleter le charbon de la goule insatiable, au rang de technicien-fonctionnaire du rail. Même si les cheminots gardent les avantages sociaux de l’ancien temps presque jusqu’à aujourd’hui (coopérative, mutuelle, retraite dès 52 ans, logements, voyages gratuits), leur métier n’est plus le même : sa poésie a disparu. Le goût du travail bien fait aussi : si le fret est en ruines, c’est parce que les délais ne sont pas fiables, sans cesse malmenés par les grèves de réseau ou de chauffeurs.
Enfant, le petit Claude (personnage du roman), parle déjà le jargon du métier, évoquant les grosse C, des locomotives, la Mountain, la perfection de la 241 A, puis B, C, D, la tonne par essieu, le calcul de la vitesse en observant les bornes hectométriques, et ainsi de suite. A 10 ans, il se trouve confronté à la mort du père d’un camarade, écrasé entre les tampons par une manœuvre imprévue alors qu’il attelait deux wagons. Dès lors, Marcel et lui vont s’efforcer d’inventer l’attelage automatique par crochets, que les ingénieurs ne daignaient pas mettre en œuvre, orientés tout vers la vitesse et la charge, sans souci des cheminots.
C’est tout un univers pittoresque et fermé, une caste cheminote, que fait revivre Vincenot, avec ce talent de conteur qui est sa marque propre, révélée par Bernard Pivot jadis à la télé. Une caste éprise de république et de progrès pour tous, orientée résolument vers l’avenir des échanges et du commerce, bien loin des syndicalistes étriqués d’aujourd’hui qui font grève pour n’importe quel prétexte, tout en gaspillant l’énergie sans compter. Un autre état d’esprit.
Henri Vincenot, Rempart de la Miséricorde, 1998, Livre de poche 2001, 382 pages, €2,70 occasion
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