Articles tagués : jaune fluo

Première marche, première pluie à Cuba

La nuit est bien lourde de sommeil, bercée par la pluie tropicale. Mais la température reste pour nous estivale, plus chaude qu’à La Havane. La journée, les gosses ne supportent pas même un tee-shirt. Après le petit déjeuner-buffet, le bus nous emmène avec notre pique-nique. Les nuages gris s’accrochent aux palmiers. Sous la pluie qui persiste, la végétation paraît plus verte, fluorescente. Nous traversons la ville. Les gens se sont réfugiés sous les arcades.

Sergio, dès qu’il est devant un micro, se déchaîne. Sa voix monocorde n’attire l’attention qu’un moment et l’on décroche vite. Je glane quelques informations intéressantes au vol, quand je me reprends à écouter, au milieu de ce bavardage de guide attaché à donner une foultitude de noms sans intérêts ou à répondre à des questions idiotes murmurées par ceux qui sont devant. Sergio, en passant devant un terrain où s’entraînent de petites silhouettes cuivrées, vêtues seulement d’un short, nous précise que le sport national « ici, à Cuba » (c’est l’un de ses tics de langage) est le « baise-bol ». En espagnol cela s’écrit effectivement beise et notre mauvais esprit interprète aussitôt cela dans un sens érotique. Nul doute que ce « sport » dans le sens que nous lui donnons à l’instant ne concerne une grande part de la société entre 12 et 34 ans !

baseball garcons cuba

Sergio nous apprend que la mangue mûrit en juillet mais la nana en avril. Ai-je mal compris ? Bientôt nous pourrons consommer, dit-il. C’est vrai qu’en février ce sont encore des fruits verts, me dis-je en regardant un trio de jeunes filles en jupe jaune fluo. Toni Mas, notre « guide » local nous dit, dans son français fleuri et commercial : « le fluo, c’est la mode paysanne ici, il a vingt ans de retard ». À observer la vie quotidienne ici, on s’aperçoit que le pays a supprimé effectivement les classes économiques, mais pour les remplacer par des castes clientélistes. Tout le monde gagne pareil mais tous n’ont pas accès aux mêmes biens de consommation. Nous en avons déjà parlé. Le Che est un prétexte, héros romantique devenu dynamite héros comme Jeanne d’Arc était pour nous « la » héros dynamique.

filles fluo cuba

Nous quittons le bus sous la pluie pour notre randonnée du jour. L’aquarium qui s’étend devant nous attend notre visite. L’eau du ciel, tiède, fait se lever les odeurs de plantes, de fruits, de terre, des odeurs féminines. La pluie embrume le paysage, sature les narines et limite la vue. Seules les découpes des palmiers et des cocotiers sur le ciel strient le gris du rideau d’eau. Nous marchons la tête penchée, les yeux sur le chemin pour ne pas glisser. Toute l’attention est portée à la boue. C’est tout ce que nous observons du paysage, au risque de glisser sans remède !

pont dans la selva cuba

Sur une crête se dresse une maison paysanne. Toni connaît le pécore et nous fait entrer. Tout est prévu et il lui réglera les consommations à la fin. Le sol est de ciment brut, les cloisons en bois, le toit de palmes. Peu de besoins sous ce climat. La répartition des pièces est bien organisée. L’entrée côté cour conduit sur la sortie côté jardin. C’est là que le paysan disparaît presque aussitôt pour nous cueillir des noix de coco à boire. La chambre matrimoniale est à gauche de l’entrée, la cuisine à droite, ouverte sur l’accueil, ce coin public dans lequel nous prenons place, plus ou moins assis tant bien que mal étant donné notre nombre. Anne-Marie joue la déesse sur son trône, environnée de cocos vides à ses pieds comme des offrandes de manants. Être entouré de cocos, à Cuba, c’est normal ! Mais Anne-Marie est exigeante : elle veut une noix « avec de la viande à gratter dedans », non, celle-ci n’est pas assez mûre, et puis elle voudrait quand même boire un peu, alors celle-là est trop mûre, elle n’a pas d’eau…

fille fidel cuba

Sur la tablette du salon improvisé trône une photo de Fidel, toute barbe dehors, près d’un bouquet de fleurs en plastique et de quatre livres pour faire instruit. Je note que l’un s’intitule « Politica ideologica y derecha » (la politique idéologique juste – mais derecha veut aussi dire » droite »…). Un autre est un collectif sur « le droit socialiste » de 1985. Le suivant est un livre en anglais d’un Anglais d’origine japonaise né à Hongkong, Ishiguro, « When we were orphans », traduit de même façon sous le titre français « Quand nous étions orphelins ». Le dernier livre est le « Nuevo Testamento ». Tel est l’éclectisme cubain – affiché en tout cas.

fidel castro au drapeau

Nous goûtons aux frites de plantains à l’huile de coco avant de repartir. C’est dur sous la dent, fade avec un parfum de crème solaire. Lorsque nous ressortons de la maison, la pluie s’est arrêtée. Nous descendons un chemin pierreux, boueux, glissant, vers la plage au bout.

garçons paysans de cuba

La mer, soudain, nous apparaît, entre les cocotiers. Son eau est restée turquoise malgré le ciel bas. Elle est bordée de sable jaune d’œuf sur la partie qui découvre, tandis que la rive est faite de souches et d’enveloppes de noix vides. La température est clémente, mais nul n’a envie de se baigner. L’eau de pluie goutte des larges feuilles des palétuviers qui alternent sur le rivage avec les cocotiers. C’est en cet endroit, nommé Jamal Cayvajo Mata, que nous mangeons rapidement, face aux vagues et au chien du jour qui vient grappiller l’excès inévitable de pain. Les sandwiches comprennent deux tranches de mie épaisses de deux centimètres qu’il nous est impossible de manger. Entre elles se battent deux tranchettes d’un ersatz de fromage de type gouda ou d’une mortadelle locale bien mixée, agrémenté d’un trait de mayonnaise importée et de rondelles ultrafines de concombre. Le soda a été heureusement remplacé par du jus de pomme local. Il est épais, non filtré, il comprend la pulpe même, pasteurisée avec le reste.

Catégories : Cuba, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , ,