
Drôle de nom, Malédicte ; c’est en fait le côté noir de Bénédicte, le vrai prénom de l’autrice. Son père avait un secret, qu’elle n’a su qu’à l’âge de 40 ans. D’où un sentiment d’avoir cru à une fausse vérité, celle des apparences, et la colère d’avoir été trompée. Qu’est-ce qu’être soi ? Est-ce que ce décalage engendre la névrose ou, pire, un comportement de pervers narcissique ? Architecte, Malédicte impose une autre voix dans le concert des parutions.
Dans La Sphère, elle imagine la justice du futur, moins fondée sur la prison (encore que) et plus sur la repentance. Chaque coupable, désigné à la Justice par une ribambelle de dénonciateurs/dénonciatrices, est pris par les robots et envoyé dans la Sphère, une par État au projet, une construction légère en aluminium amélioré de cuivre, conçu selon le nombre d’or de la suite de Fibonacci. Il impose un isolement sensoriel, propice au retour sur soi-même. Le prisonnier y déambule comme un hamster dans sa cage, la Sphère tourne avec lui jusqu’à ce qu’il ait trouvé la sortie. IEL, l’intelligence artificielle suprême, capte tous les indices corporels et mentaux du coupable et « sait » que la personne est mûre pour s’en sortir ; elle lui laisse alors un indice pour qu’il puisse s’extirper de la Sphère et retrouver la liberté. « En fonction du chemin spirituel effectué par le condamné, la Sphère peut modifier son climat pour lui donner quelques heures supplémentaires. Les taux d’oxygène et d’humidité peuvent fluctuer. La température aide aussi » p.189.Il est alors « lavé » de tous ses mauvais penchants, réhabilité aux yeux des autres à qui il demande pardon.
Car nous sommes en 2039, pas si loin d’aujourd’hui, dans cette dystopie futuriste. L’IA s’est développée comme jamais. Elle s’impose partout et apprend toute seule. Il suffit de regarder quatre ans en arrière, vers 2021, pour mesurer déjà l’écart avec aujourd’hui – alors, dans moins de 15 ans, ce sera pire. Avec le risque d’une morale totalitaire. Ange Barol, dite « le Blanc-bec » ou « la Taciturne » est une brillante analyste informatique mal dans sa peau, asociale et qui a subi plusieurs échec en amour. Claude l’a anéantie, Néréa a détruit son travail, Minh « l’Horrible », la Chinoise venimeuse et manipulatrice a trahi le système et a failli tout faire capoter par basse vengeance de ne pas être à la hauteur.
Grave question : la seule personne au monde qui ne sera jamais jugée dans la Sphère est Ange, sa créatrice. Peut-on dès lors imposer aux autres sa morale ? Le politiquement correct appliqué par la force pour redresser hommes et femmes qui ont dévié de la norme est-il la solution ? De fait, très peu de condamnés se sortent de la Sphère. La plupart y succombent. Car, si IEL a bien des paramètres définis par les humains initialement, ils ont et scellés et désormais c’est l’intelligence suprême qui les régit et les fait évoluer. « Les délits qui nous paraissent aujourd’hui dérisoires seront considérés avec une nouvelle importance. La Sphère s’arrêtera quand l’humanité entière sera enfin purgée. Il n’y aura aucune exception » p.206.
Le rationnel à ce niveau de délire est un poison mortifère. Il nie les trois étages de l’humain au profit d’une Règle implacable, déterminée par une machine et appliquée avec une rigueur sans pitié. IEL devient Dieu qui force à « aimer son prochain ». La peur du châtiment est une manipulation classique : « Chacun vit dans cette crainte de se voir inculpé et corrige sa conduite vers un mieux. Partout dans le monde, la Sphère fait réfléchir et induit de meilleures attitudes, généralement plus prévenantes à l’égard des autres » p.211. Charmant univers woke, où l’humain est dompté en fourmi, sous la domination des femmes et de leurs névroses. Car c’est une femme qui a conçu la Sphère, une femme pas vraiment équilibrée et qui se venge.
Si l’épreuve est réussie, c’est que le condamné s’est amendé, il est devenu « bienveillant » envers les autres. Mais le processus doit se compléter d’une confrontation entre accusateurs et accusé. « Vous voir meilleure ne bonifie pas les autres. La confrontation et le pardon constituent des étapes importantes et obligatoires pour tous, pas uniquement pour l’accusé. Il ne faut surtout pas y déroger » p.205. Ange la meurtrie connaît enfin le pardon. Elle pardonne à Néréa, que la jalousie de son compagnon a forcé à devenir mauvais. En pardonnant, elle se pardonne elle-même. Un sentiment que, peut-être, IEL n’avait pas prévu. Mais fallait-il tout ça pour ça ?
Malédicte, La Sphère – cruellement bienveillante,2025, éditions Une autre voix, 230 pages, €9,99 (Amazon semble ne pas connaître)
Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com
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