
Autant Bernard Clavel est un bon conteur, autant il est mauvais mémorialiste. Ses « mémoires » sont… à oublier. Il fait des phrases, énonce des généralités. En fait, il répugne à se raconter ; ce serait violer son intime, dit-il. Ce qu’il est, il l’a mis dans ses romans. A distance, via ses personnages, notamment celui du jeune pâtissier apprenti de 14 ans dont il a vécu les affres (jusqu’à « penser au suicide », dit-il).
Instable, sans cesse ailleurs, il a déménagé constamment, changeant même de pays après les villes et les provinces. Malgré les apparences, il ne s’est jamais enraciné. Ses racines, se sont des « impressions », ce qu’il nomme ses « terres de mémoire » – qui ne tiennent qu’un tiers du livre, après deux préfaces verbeuses et qui se répètent, l’une en 1979 lors de la mise sous presse et l’autre en 1984 pour une édition « révisée ». Le reste ? C’est un admirateur qui l’écrit, Georges Renoy, journaliste belge. Des anecdotes, des liens reconstitués, un itinéraire d’écriture plus que de vie.
La « mémoire » était la marotte de la gauche parvenant au pouvoir avec Mitterrand. Qu’on se souvienne : les « Lieux de mémoire », belle collection de livres sous la direction de Pierre Nora dès 1984, les lampadaires XIXe fleurissant dans chaque petite ville passée alors socialiste, la maison de campagne où l’on vaquait en sabots (suédois) et où l’on servait le chèvre chaud en salade avec le « petit vin du pays ». Cette régression post-moderniste annonçait déjà la lassitude des petit-bourgeois français après la Reconstruction d’après-guerre et la douloureuse décolonisation. La « mémoire » et ses « lieux » devenaient le socle d’un refuge qui s’annonçait de plus en plus frileux, « on est bien sous la couette », chantait Philippe Katerine, né en 1968 de mère inquiète, lui-même inquiet pour ses enfants. Cette régression couettarde se termine aujourd’hui au Rassemblement national.
Bernard Clavel, né en 1923, n’a que 57 ans lorsqu’il se lance, sur une commande d’éditeur, contraint et forcé, dans ces « mémoires » qui ne sont pas vraiment les siennes, mais plutôt celles des terres et des fleuves qui l’ont marqué durant sa vie. Pas très intéressant – le temps nous est compté, pourquoi le perdre à lire de mauvais livres ? La mode passéiste a passé, l’écrivain montre qu’il manque de profondeur sur lui-même et le monde. Il est un bon conteur, dont j’ai plaisir à relire les romans, mais un piètre essayiste ou mémorialiste. Un livre de circonstance à oublier.
Bernard Clavel, Terres de mémoire – « commentaires » de Georges Renoy, 1981, J’ai lu 1984 (édition révisée), 190 pages, occasion €1,32, e-book Kindle €7,99
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