Dans un article publié par Le Voltaire le 28 décembre 1878 – en pleine IIIe République – Vallès le Communard exilé écrit ses « notes d’un absent ». A propos de Zola, dont un article tacle les publications littéraires surannées de l’époque, l’écrivain insurgé évoque « les parvenus de la plume » qui « ne remplissent leurs œuvres que du vent de l’épopée, gonflent leurs personnages de poésie ou les enduisent de religion ». Ces gens-là « veulent avoir l’air élevé et anobli ». Ils se poussent dans la mode, ils se font voir, ils n’écrivent pas en écrivains mais « ils veulent, en tout cas, paraître avoir de beaux sentiments ».
Hélas ! Il n’y a pas qu’à son époque que le livre sert à parvenir et non à faire littérature.
« Quand ils écrivent, ils ne songent pas à quelque inconnu dont la misère ou la passion les a un jour frappés ; ils pensent à quelque salon où ils pourront être reçus, à quelque rédacteur en chef dont ils flatteront les goûts, ils pensent à ce que dira madame une telle, dont le sourire fait autorité. Pourquoi ne sont-ils pas domestiques ? » (p.125). En effet, pourquoi écrire, sinon pour se livrer et faire de son cas unique un universel ? Il faudrait « non pas se mirer, mais se confesser », dit Vallès, « écrire avec son sang » disait Nietzsche.
Mais « la fièvre du vrai » n’a que faire des parvenus. S’ils écrivent, c’est pour être à la mode, au goût du jour. Ils seront amoureux quand le vent est à l’amour, puritains quand le vent a tourné et que la « vertu », la « morale » et même « la religion » redeviennent des ancres d’une époque trop incertaine où les gens sont trop peu sûrs d’eux-mêmes. Les écrivains portés aux nues sont vilipendés sans vergogne, les gourous d’une époque se font tout petit et refusent les journalistes. D’autres se lancent sans merci dans la course à l’audience. Ecrire ? Mais c’est un moyen d’arriver, comme coucher ou spéculer !
Ce pourquoi il y a tant de mauvais romans qui paraissent, tant d’appel à la mode pour solliciter un peu d’attention, voire de l’amour. Chacun cherche à se faire aimer, mais dans le sens trop vaste de la langue française qui ne sait plus trop ce qu’aimer veut dire. Est-ce goûter comme un bon dîner ? Une addiction comme on aime le chocolat ? Un désir de sexe comme on dit aimer tous les jours ? Une ferveur spirituelle quand on dit aimer sa patrie, Dieu ou la Vierge Marie ? Il y a de l’infatué chez celui qui écrit. Regardez comme je suis intéressant.
Au lieu que la littérature qui reste est faite de romanciers qui mettent leur âme à nu, leurs yeux au service du vrai, leur esprit tout entier pris par la passion humaine. Vallès l’enfant devenu bachelier avant d’être insurgé en sait quelque chose, des passions humaines. Donc de la vraie littérature.
Jules Vallès, Œuvres tome II 1871-1885, Gallimard Pléiade 1990, édition de Roger Bellet, 2045 pages, €72.00
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