Le combat des chefs fait rage à la fin de ces années 1970 qui ont vu l’essor de la petite-bourgeoisie éduquée dans le grand bouleversement social de l’après 68. La « grande » cuisine est devenue un art démocratique, ponctuée surtout en France par les noms des Alain : Chapel, Ducasse, Senderens, des frères Troisgros, de Georges Blanc, Jacques Manière, des Michel : Bras, Guérard, Oliver, Paul Bocuse, de Pierre Gagnaire, Raymond Blanc, Roger Vergé. Gault et Millau, les célèbres critiques gastronomiques, inventent en 1973 le terme « nouvelle cuisine » pour désigner cette vague, analogue à celle du cinéma des années 60 et de la philo de la fin des années 70.
Quoi de mieux que d’en faire un film parodique ? Les grands chefs de cuisine sont en compétition devant les critiques, leur note affectant les recettes de leurs restaurants de luxe aux décors forts chers et au personnel nombreux. Les gastronomes jouissent de leurs plats inventifs et surtout bien présentés, même si le décor est parfois au détriment de la quantité dans l’assiette. Moins vous avez d’imagination dans le goût, plus vous en rajoutez dans l’image. Le client moyen, qui n’a guère éduqué ses papilles, est plus sensible à l’apparence qu’à la sapidité. Il en « veut pour son argent » et en jeter compte plus que bien manger.
Un énorme riche truculent directeur d’une revue gastronomique britannique prénommé Max (Robert Morley) envisage d’organiser pour la Reine un dîner somptueux avec les quatre plus grands chefs cuisiniers de son temps : un Suisse (Jean-Pierre Cassel), un Italien (Stefano Satta Flores), un Français (Philippe Noiret), une Américaine (Jacqueline Bisset). Chacun devra préparer son plat fétiche : le pigeon en croûte, le homard à la nage, le canard au sang, la bombe glacée. Son médecin ne donne plus que six mois à vivre à Max s’il s’empiffre comme il le fait sans retenue et sa secrétaire gouvernante Beecham (Madge Ryan) le met au régime sévère, pesant le moindre gramme de ce qu’il avale (une seule pointe d’asperge = 19 calories). Dans le même temps, l’ex-mari de la pâtissière (George Segal) effraie les végétariens londoniens en promettant en public d’un ton tonitruant d’installer un bon vieux burger texan empli de viande et dégoulinant de jus sanglant tout à côté de leur caboulot snob, puis une chaîne d’omelettes sous l’enseigne U-Dumpty (référence au Humpty Dumpty d’Alice de l’autre côté du miroir, tiré d’une chansonnette anglaise où la réponse à la devinette est : un œuf).
Tous les protagonistes sont présentés dans un feu d’artifice d’humour où les bons mots claquent. Une fois le décor et les acteurs en place, débute l’intrigue policière à la Agatha Christie où il faut résoudre l’énigme : qui tue un à un les grands chefs ? Pourquoi les éliminer selon la méthode qui leur a si bien réussie : la cuisson au four pour le pigeon en croûte, la noyade dans l’aquarium aux homards, la tête explosée au presse-canard, la bombe dans la bombe ? Seule la bombasse Natacha, parce qu’elle est une femme, échappe à son destin explosif grâce à son ex qui s’aperçoit d’une substitution des bombes glacées pour l’émission de télévision en direct alors qu’il part comme d’habitude « pour Bruxelles » où il doit inaugurer sa chaîne de fast-egg.
Mais qui l’a fait ? Lui pour châtier les grands qui lui ont volé son ex qu’il voudrait reprendre ? Le gros critique qui s’éclate la panse au point d’en crever et veut se venger du désir que suscitent tant de plats diaboliquement succulents ? Un concurrent jaloux, Français non retenu comme le plus grand (Jean Rochefort), qui veut se faire reconnaître ?
La fin sera agathesque et l’histoire errera du Café Royal de Londres à la Tour d’argent à Paris, en passant par l’hôtel Cipriani de Venise. A chaque fois Natacha et Robby sont présents et Max pas loin…
DVD La grande cuisine (Who Is Killing the Great Chefs of Europe ?), Ted Kotcheff, 1978, avec George Segal, Jacqueline Bisset, Robert Morley, Jean-Pierre Cassel, Philippe Noiret, Jean Rochefort, Carlotta films 2013 (film curieusement édité doublé en anglais et sous-titré en français sans langues alternatives !), €9,99
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