
Adamsberg vague. D’une arrestation de bande à Paris à un village breton, tout est lié – et il est évidemment saisi de l’affaire. Il va donc travailler avec le commissaire Matthieu, de Rennes, dont dépend Combourg. La petite ville n’a qu’un peu plus de six mille habitants mais est réputée pour son château hanté et par le souvenir de l’écrivain politicien romantique François-René de Chateaubriand, qui y a passé son enfance. Son père le faisait passer exprès, à 8 ans, le soir tombé, dans tout le château lugubre pour gagner l’aile où était sa chambre. Il devait vaincre la peur.
De nos jours gyrovague dans Combourg un lointain descendant du vicomte : ce Josselin de Chateaubriand lui ressemble étonnamment. Il est l’attraction touristique du village et le maire comme l’aubergiste lui tapent sur l’épaule. Cette notoriété est loin de correspondre à son personnage plutôt falot de professeur raté, mais Josselin s’y fait. Il va serrer les mains de table en table, étonné mais ravi lorsqu’on ne « le » reconnaît pas. Adamsberg est présenté par Matthieu dans l’auberge de maître Johan, où ils prennent un bon déjeuner.
Comme rien n’est du au hasard dans les romans policiers, un meurtre survient inévitablement à Combourg, qui intéresse Adamsberg, commissaire à Paris. Matthieu le tient au courant, entre collègues. Mais voilà que le coupable désigné est Josselin ! Ramdam dans les hauteurs de la République : pas question que le nom de Chateaubriand soit associé à un crime ! Pour des raisons de prestige international, il faut y regarder à deux fois. Or, comme Adamsberg n’est pas convaincu, au contraire de l’évidence qui saute aux yeux de Matthieu, sa garde à vue est levée pour que l’enquête puisse approfondir. Et Adamsberg est saisi par la haute juridiction afin de mener l’enquête. Avec Matthieu, cela va de soi.
Ceux qui restent de la bande de malfrats arrêtés à Paris suivent Adamsberg à Combourg pour lui faire son affaire. Ils ont le tort de s’en prendre au lieutenant Rettencourt, plus facile d’accès parce qu’elle est une femme. Sauf qu’elle n’a pas froid aux yeux et pratique le close-combat comme pas deux. Elle se délivre elle-même pour livrer à la justice les bandits. Quel rapport avec l’enquête ? Aucun, c’était pour meubler le début tant la chasse est lente à démarrer. On sait le tueur faux gaucher, adepte du couteau Ferrand (connais pas), porteur de puces et délivrant un message via un œuf. En-dehors de ces indices, rien.
Or les meurtres se succèdent à Combourg. Au hasard ? En apparence seulement, mais il faut être grand clerc pour trouver le lien entre eux. Adamsberg divague, comme d’habitude, mais cette fois différemment. Il ne pellette plus les nuages mais cueille des bulles qu’il fait remonter du profond – allongé sur la dalle d’un dolmen, pour faire bonne mesure. Le dolmen est une tombe celte de trois à quatre mille ans, mais surtout du granit massif, cela peut aider. Le granit est légèrement radioactif mais l’autrice n’en parle pas. Elle garde cependant son caractère brumeux à son commissaire fétiche. Il pourrait dire, comme Montaigne en son âge mûr : « Mon âme me déplaît de ce qu’elle produit ordinairement ses plus profondes rêveries, plus folles et qui me plaisent le mieux, à l’improviste et lorsque je les cherche le moins ; lesquelles s’évanouissent soudain, n’ayant sur le champ où les attacher », chapitre V du Livre III des Essais.
L’enquête de voisinage, les surveillances, la médecine légale, les traces sur le net et le hacking sont cependant plus efficaces pour trouver qui et quoi, où et quand. Mercadet, qui dort toutes les quatre heures, est expert à ce jeu. Il parvient même à s’introduire « sans aucunes traces » (on n’y croit pas) dans le site du Ministère de l’Intérieur pour un joli coup de bluff. Il faut dire que la vie d’une fillette de 8 ans est en jeu, kidnappée par une autre bande d’ancien collégiens psychopathes de Combourg revenus sur les lieux de leurs forfaits d’enfance. On ne sait quelle dent a l’autrice contre les collèges de garçons, ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui, mais elle n’y va pas avec le dos de la cuillère. Pour elle, ce sont des nids de délinquance où les caïds de 12 à 16 ans entraînent les faibles sous peine de représailles : hier à éviscérer un vieux chien et à arnaquer une vieille gardienne, aujourd’hui à étrangler des chats. Rien de sexuel, curieusement, alors qu’on est dans les années 2020 et que Youporn fait des ravages…
Donc nous avons une première bande, arrêtée, un tueur local, insaisissable (encore qu’on le devine sur la fin), une seconde bande, coriace – et un finale assez inattendu concernant le mobile des crimes. L’histoire vagabonde à sauts et gambades, de chapitre en chapitre (il y en a 48). C’est parfois un peu gros ou à la limite de l’invraisemblable : la Rettencourt en super-woman, pas moins d’une centaine de policiers et gendarmes pour boucler la ville, l’étrange autisme du « ministère » sur la vie d’une fillette, les menus gastronomiques pour cinquante personnes à l’auberge. Car Adamsberg, quand il n’est pas sur la dalle, a la dalle. Il bouffe, il croque, il avale. Pas de grosses portions, il est maigre, mais il ne laisse pas son assiette. Pourquoi ? « Je ne sais pas », dit-il couramment – c’est son mantra. Les choses viennent, les enquêtes se résolvent, les lecteurs ont vécu. Point. Entre une vie de Club des cinq et une vie à la Belmondo.
Il ne faut pas chercher à comprendre, l’important est qu’on ne s’ennuie pas.
Fred Vargas, Sur la dalle, 2023, J’ai lu 2024, 575 pages, €8,90, e-book Kindle €8,49
(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaires)
Les romans policiers de Fred Vargas déjà chroniqués sur ce blog
En savoir plus sur argoul
Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.
Commentaires récents