« J’aime la pluie », affirme Alain. Certes il est Normand et la pluie est fréquente en cette région ; elle la rend verte d’herbe bien arrosée et de fruits bien pommés ; elle la rend transparente grâce à l’air lavé et aux couleurs tamisées. Mais c’était avant la pollution de la pluie par les PFAS et les néonicotinoïdes, dont nos « industriels des champs » (qui n’ont plus rien de « paysans) voudraient user et mésuser « parce que les autres le font ». Pourquoi pas moi ? Mitou ! Mitou ! L’exigence d’imitation est le propre de l’homme.

Mais la pluie, pour Alain, est plus philosophique. Il oppose la Normandie à la Grèce antique. « J’ai lu Homère ; ses héros sont de redoutables brutes, et les tragédies grecques sont assez ennuyeuses », dit-il. Je m’inscris en faux contre cela. La couleur, selon lui, manquerait, et il force son propos pour bien faire comprendre aux têtes de bois des lecteurs normands ce qu’il veut dire. « Cela est naturel, car le soleil mange les couleurs. A la vive lumière, remarquez-le, toutes les couleurs palissent. Le Midi saisit un homme du Nord par quelque chose de sec, de net, de rude dans les lignes. » Il fait du climat le socle d’un tempérament. C’est populaire de tout temps, ce n’est pas le réel : les gens qui changent de pays et de climat n’en deviennent pas différents – voyez les Anglais émigés aux Etats-Unis. Ils sont tous humains et s’adaptent plus aux lois et coutumes de leur nouveau pays qu’aux habitudes et exigences de celui qu’ils ont quitté.
Quand la lumière est douce et les ombres moins heurtées, dit Alain, la pensée est plus nuancée et fait observer autour de soi. A l’inverse, dans les paysages contrastés sous une lumière « de terre cuite », la pensée court sur l’horizon, les arguments font grimper aux rideaux, la passion se déchaîne. La « pensée n’a ni détail ni premier plan » mais est tranchante, rigide, fanatique. Le philosophe oppose aux certitudes des noireaux du Sud les P’tête ben qu’oui, p’tête ben qu’non des pâlots du Nord. Et il est vrai que les pays du Nord et de l’Ouest sont traditionnellement plus modérés en politique que ceux du Sud et du Sud-Est – mais est-ce dû au climat ou à l’anthropologie familiale ?
Alain est un libéral modéré et il passe par le climat pour expliquer ce tempérament. C’est une image. Comme toutes les images, elle est réellement fausse, mais dit quelque chose de vrai. Si les citoyens qui habitent près d’un volcan ne sont pas éruptifs, ni ceux des grandes plaines du Nord de la France passifs, la diversité des paysages, des climats et des mœurs engendre plus de dieux, donc de tolérance, que le désert brûlant où un seul Dieu s’impose, Unique, impérieux et écrasant.
Laïc, républicain et pacifiste de gauche, le philosophe Alain est un rationaliste critique porté à la modération. Pour lui, la raison est un outil incomparable du jugement, mais aussi une menace totalitaire en minimisant tout sentiment et toute sensation. Il est politiquement libéral, engagé dans la citoyenneté. Pour lui, chacun doit faire vivre la démocratie en usant de sa liberté de jugement. Ce pourquoi, un peu de pluie rafraîchit les consciences. « S’il avait plu sur le Forum, conclut-il, César aurait eu la tête plus fraîche, et nous n’aurions pas connu le catholicisme ». Une religion fanatique, en 1909, juste après la loi de 1905… Et qui tend à le redevenir, en mimétisme au fanatisme musulman et juif. Mitou ! Mitou !
Alain, Propos tome 1, Gallimard Pléiade 1956, 1370 pages, €70,50
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Alain le philosophe, déjà chroniqué sur ce blog
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Oui, certes, vous avez raison, si tout est dans tout, on obtient un affreux brouet. Je parlais simplement du message christique des origines.
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Eh bien, je m’inscris en faux contre cette vulgate (issue du christianisme) qui a tendu à le blanchir de tous les maux. Le christianisme a mis 4 SIÈCLES ! à s’imposer – à la Staline. Voir la note https://argoul.com/2011/10/31/christianisme-et-paganisme/ D’autant que le paganisme romain n’imposait nulle restriction vestimentaire ou alimentaire… contrairement aux Juifs. Quant au catholicisme, l’Inquisition est là pour rappeler quand même l’intolérance foncière de cette croyance totalitaire (catho veut dire universel). Mais rassurez-vous (si l’on peut dire) l’intolérance est le fait de TOUTE religion. Puisque l’on est persuadé de détenir la SEULE vérité, absolue, incontestable, universelle, c’est un souverain Bien de l’imposer à tous, malgré eux, par la force s’il le faut. Staline l’a fait, suivi par Mao, Castro, Pol Pot, Poutine, de même que Mussolini, Hitler et leurs successeurs jusqu’à Orban – et Nétanyahou poussé par ses ministres (choisi par lui) d’ultra-droite orthodoxe. Trump en prend le chemin avec ses coupes de financements anti-traités, anti-Onu, anti-woke.
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Sur Alain, très intéressant. A propos de votre dernière phrase du dernier paragraphe, Argoul, j’aimerais dire que, bien au contraire, le christianisme (lez catholicisme ?) est par essence libertaire : la notion de liberté est au centre de l’enseignement christique des origines (pas d’injonctions culinaires, vestimentaires, ni d’aucune sorte), c’est pourquoi le christianisme a gagné du terrain au départ et dans les premiers siècles (selon les grands spécialistes).
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