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Jules Roy, Le navigateur

Jules Roy a été commandant de bord dans le groupe de bombardement Guyenne de la Royal Air Force dès 1942, effectuant 36 missions de nuit, surtout sur la Ruhr où se trouvaient les usines allemandes d’armement. Après La vallée heureuse (chroniquée sur ce blog – lien ci-dessous), il conte dans Le navigateur le dilemme des hommes dans l’équipe.

Le narrateur est lieutenant, navigateur en bombardier, l’équivalent d’un GPS humain. A lui de calculer la route, de donner le cap au pilote compte-tenu de la mission, des vents, de la défense aérienne – et des autres avions. C’est une mission délicate, autant que piloter ou observer. Nul n’est jamais à l’abri d’un danger, dont l’ennemi est le principal, mais pas le seul.

C’est ainsi que le Navigateur Ripault se retrouve, au retour d’une mission de nuit, à sauter en parachute à 1500 pieds (soit 457 mètres). Pris par la Flak ? Descendu par la chasse allemande ? Même pas… Heurté en-dessous par un autre bombardier ami ! Le pilote ne l’a pas vu, ses mitrailleurs ne l’ont pas alerté, son navigateur a mal calculé la trajectoire d’approche. L’avion craque, le pilote dit « sautez », mais lui ne saute pas. Les autres, tétanisés, non plus. Le Navigateur se retrouve seul survivant, la tête dans la terre sur un champ de betteraves.

Mais il est en Angleterre, pas dans la mer ni sur le territoire ennemi. Il s’aperçoit qu’il est près de sa base. Il marche jusqu’à une maison, sonne, une jeune femme vient lui ouvrir, à peine réveillée, en peignoir. Il est invité à entrer et s’écroule sur le divan, une bonne tasse de thé à la main. Il est assommé par ce qui vient de lui arriver, si soudain, si imprévu. Aucun de ses camarades n’a survécu, l’avion brûle dans un tas de ferraille tordue.

Elle téléphone à la base, on vient le chercher. Les camarades, dont un capitaine ami surnommé l’amiral parce qu’il vient de la Marine française, lui tapent dans le dos, le réconfortent. Mais son commandant d’escadrille Lucien, mauvais officier, ambitieux et jaloux, ne lui accorde aucune permission de repos pour se remettre psychologiquement. Il le met d’office sur le tableau des bouche-trous.

Lorsque le Navigateur refuse deux jours plus tard une mission avec Raumer, un mauvais pilote qui n’a que des ennuis, il refuse, prétextant être malade. Le médecin, appelé, confirme qu’il a besoin de se remettre du choc, mais il a refusé la mission avant de le voir et son commandant lui colle une punition de 8 jours. Ripault refuse de signer. Il n’est pas écrit pourquoi il a refusé et ce n’est pas honnête ; ce papier le suivra dans son dossier, autant être vrai.

L’avion de Raumer ne revient pas de la mission. Sur la base, les hommes croient qu’il lui a porté malheur. S’il avait été navigateur dans son bombardier, peut-être n’aurait-il pas été descendu. Peut-être – mais qui sait ? Ripault en est vexé, en plus d’être écœuré par la mesquinerie de son commandant. Ce pourquoi, lorsqu’il entend la rumeur que le pilote Lebon « ne voit pas les lumières de la piste » lorsqu’il rentre de mission, il se propose de l’assister en tant que navigateur-adjoint, pour le guider. Le pilote a peur, ce pourquoi il somatise. Mais cela, la hiérarchie ne l’admet jamais. Les hommes se doivent d’être des soldats robots qui obéissent aux ordres.

Ce n’est pas l’avis de Ripault, qui vit avec eux dans l’équipe de bombardement et qui connaît les héroïsmes et les faiblesses de chacun. Aller à la mort avec deux chances sur trois d’en réchapper seulement, mérite le respect. Ce pourquoi il se dévoue pour aider la mission, même si cela doit être la dernière. De fait, elle le sera.

Cette tragédie, contée sobrement, rappelle Kessel dans L’Équipage, ou Saint-Exupéry dans Pilote de guerre. Elle dit le dévouement des hommes, coupés de leurs racines terrestres et amoureuses, solitaires mais solidaires, voués à mourir mais pas avant d’avoir fait le mieux possible pour la mission qui leur a été assignée. Un roman oublié, mais vrai.

Sorti de l’armée colonel, l’auteur sera journaliste de guerre, puis écrivain. Le président François Mitterrand l’a élevé en 1990 au grade de grand-croix de la Légion d’honneur.

Prix Prince-Pierre-de-Monaco 1954

Jules Roy, Le navigateur, 1953, Livre de poche 1968, 160 pages, €6,99

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Pierre Clostermann, Feux du ciel

Un livre ancien, bilan de la 2GM côté avions, par un pilote de la France libre aux 33 victoire homologuées et auteur du célèbre récit Le grand cirque – mémoires d’un pilote de chasse FFL dans la RAF qui a ravi ma prime adolescence – « le seul grand livre issu de la Seconde Guerre mondiale » selon Faulkner. Le récit documentaire s’ouvre sur cet épigraphe : « A mes camarades aviateurs qui sont morts pour effacer les fautes anciennes qui n’étaient pas les leurs ».

Car ces fautes, elles étaient celles de politiciens imprévoyants et démagogues, d’industriels peu soucieux d’innovation, de bourgeois soucieux de surtout ne pas penser aux dangers, d’officiers généraux rassis dans leurs vieilles tactiques dépassées. L’avion est une arme nouvelle, comme le char : qui s’en soucie ? Qui le pense comme tactique ? Qui l’affine et l’améliore pour les missions ? – Surtout les Nazis et les Japonais… Il faudra l’invasion de la Pologne en Europe et l’attaque sans prévenir de Pearl Harbor dans le Pacifique pour que les insouciants, conservateurs et imbus de leur statut, prennent enfin la mesure de la réalité.

Pierre Clostermann parle donc en ingénieur des avions, en combattant des pilotes, en historien des contextes et des tactiques. En neuf chapitres, il brosse neuf batailles cruciales, et signale neuf avions clés.

« Trop peu, trop tard » : ce fut la bataille de France. Ce fut la même chose à Pearl Harbour et Bataan. Deux avions : le Messerschimtt 109 allemand et le Zero japonais. Ils sont tous deux puissants et très manoeuvrants, le Zero construit d’une coque pleine, donc léger, pouvant virer plus vite que les chasseurs existants.

A Malte, île stratégique en plein centre de la Méditerranée, qui a coulé près de 50 % de la flotte ravitaillant Rommel en Afrique du nord, le Spitfire est roi côté Alliés : « typiquement britannique, sobre, représentant un parfait compromis entre toutes les qualités exigées d’un avion de chasse, défensif par excellence – mécanique raisonnable conçue par des ingénieurs d’une froide précision et construite par des ouvriers consciencieux » p.7

Pour détruire en vol l’amiral Yamamoto, stratège de génie de la guerre dans le Pacifique, un message intercepté et décodé par la marine américain permet de connaître son itinéraire sur quelques jours. Ce sont des Lightning P 38 qui sont dépêchés afin de le descendre. Le « diable à deux queues » américain est un bimoteur monoplace rapide à grand rayon d’action à armement concentré dans le nez.

En Afrique du nord, la France disposait d’une flotte aérienne importante de 46 groupes d’avions mais les badernes inféodées à Vichy restaient l’arme au pied, attendant de voir comment allait tourner le vent. Ce ne sont que quelques rebelles de la France libre, héros car sûrs de mourir étant donné leur infériorité numérique, qui vont relever l’honneur du pays. Dont le colonel Pijeaud du groupe Lorraine qui mourra en étant abattu dans son avion en flammes alors qu’il attaquait avec un groupe anglais une importante formation germano-italienne qui se rendait à Barce.

A Varsovie, les résistants sont appelés à prendre les armes contre les Nazis par Staline, puis laissés cyniquement à massacrer par le même Staline qui élimine ainsi l’élite armée du pays avant son invasion. Seul De Gaulle refuse les conditions du despote asiatique. Churchill se trouve contraint d’accepter les tracés exigés de frontières et de gouvernement sur les instances de son allié Roosevelt qui ne comprend rien au communisme et veut la paix avec le tyran géorgien – mais autorise de sa propre initiative les Services spéciaux de la RAF à ravitailler Varsovie par air, via les escadrilles spéciales polonaises de la RAF et deux escadrons sud-africains. Les Hallifax sont à la peine face au mur de DCA allemande.

La chute du Reich dans les airs ressemble à un crépuscule des dieux. C’est là que trônent les avions les plus innovants de l’époque, qu’une bourde d’Hitler (une de plus) a empêché de jeter dans la guerre six mois plus tôt. Le Messerschmitt 262 est le premier avion à réaction à voler et à frôler le mur du son, bien plus rapide que n’importe quel chasseur allié. Très en avance sur son temps, il cumulait les innovations techniques : « Parachute à lanière contenant une bouteille portative d’oxygène pour les sauts à grande vitesse et à hautre altitude. Plan fixe réglable en vol pour changer l’assiette de l’avion aux vitesses critiques, aile en flèche, ailerons multiples et commandes relayées par un servomoteur, sièges éjectables, collimateur gyroscopique, radar, fusées air-air, etc. » p.180. Quatre cents Me 262 furent utilisés, mais une seule fois, les aérodromes détruits et l’usine écrasée sous les bombes.

C’est le De Havilland Mosquito, « construit en lamelles de balsa et de bouleau » et équipé de deux moteurs Rols Royce Merlin pour 3200 CV qui a représenté le bombadier le plus performant dès 1942. Rapide – 695 km/h à 8200 m d’altitude – léger et manoeuvrant, il échappait à la chasse allemande. La version chasseur était équipée de quatre rockets et de quatre canons de 20 mm. « C’était surtout en rase-mottes de jour que les Mosquitos bombardiers remplirent d’incroyables missions – en particulier la destruction des QG de la Gestapo à Oslo et à Copenhague, ainsi que le coup célèbre de la prison d’Amiens – au cours desquelles les avions volant au ras des toits plaçaient littéralement leurs bombes dans les fenêtres des objectifs » p. 215.

A Okinawa, lors de la bataille du 1er avril 1945, les kamikaze japonais sur leurs avions Jinraï (coup de tonnerre), ont coulé 33 avions dont des porte-avions et des croiseurs, 57 transports de troupe, tuant 12 260 hommes et en blessant 33 769. Le Jinraï était un avion à réaction miniature propulsé par cinq fusées sur 70 km seulement ; il portait dans le nez 1000 kg de TNT. Mais le 6 août 1945 la Superforteresse B29 Enola Gay survolait tout seul Hiroshima et larguait à 8h45 son unique bombe A. Elle détruisit dix km² et tua 105 000 personnes d’un coup, marquant la fin de la guerre.

Une épopée où ce sont les hommes qui font la technique et l’utilisent comme outil, pas l’inverse.

Pierre Clostermann, Feux du ciel, 1951, J’ai lu Seconde guerre mondiale 1968, 249 pages, €11;00 occasion

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