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Jean-Charles, La foire aux cancres

Ce livre, publié en 1962 sous de Gaulle le Grand par Jean Louis Marcel Charles, licencié ès-lettres et prof un temps, prônait une réforme de l’Éducation nationale. Il était agrémenté de « perles » collectées dans les copies, les journaux et les bulletins professionnels pour faire rire et passer la pilule. Il ne s’agissait pas moins que de « payer plus » les profs, d’éliminer latin et grec au profit des maths, d’éviter la litanie des dates en histoire et des fleuves en géographie, d’apprendre les langues vivantes non plus ex-cathedra mais sur le terrain – avec la télé en aide pédagogique. En bref, des idées déjà modernes et toujours sur la table, même si les tablettes et Yousentube (cher au catho Bayrou, ex-ministre de l’éducation) ont remplacé la télé, trop vulgaire et trop privatisée.

Si ce petit pamphlet d’humeur reste dans les mémoires, est toujours réédité et lu aujourd’hui, c’est pour l’humour. Il a même inspiré un film en 1963, La Foire aux cancres de Louis Daquin, avec Jean Rochefort, Jean Carmet, Jean Bouise. Les « perles » des « cancres » sont retenues et citées comme des maximes d’école : les ancêtres vêtus de pauvres bêtes, le livre mes deux seins d’autrefois, les trois grandes époques de l’humanité que sont l’âge de pierre, l’âge du bronze et l’âge de la retraite… Les cancres en question se trouvaient évidemment dans le primaire (il est toujours facile de se moquer des primaires mal dégrossis, mal éduqués, mal comprenant, d’ailleurs ils sont cultivés dans le Midi de la France avec le vin et les tomates, écrit un cancre). Ils se trouvaient aussi dans les examens d’infirmières (« le nerf optique est celui qui amène les idées lumineuses au cerveau »), et même les thèses de médecine (« la médecine a ses limites : on n’a pas encore pu guérir le tropique du Cancer »). Bien-sûr chez nos ineffables politiciens (d’une criante actualité : « Il faut mettre un frein à l’immobilisme qui conduit en courant notre pays au gouffre » – un député), et chez les journalistes-donneurs-de-leçons (« Quatre jeunes soldats font le mur avec une voiture volée » – le Courrier de l’Ouest). Sans parler du fils de l’auteur, Jérôme (champion de France de Rubik’s cube en 1981), qui a raconté le naufrage du Titanic en disant « alors les requins arrivèrent et mangèrent les femmes et les enfants d’abord ». On notera la culture grammaticale et l’usage du passé simple, bien passé… de mode chez les faux-cultureux.

Donc on rit toujours. En Espagne, « sainte Thérèse Dalida » continue de susciter un culte, Henri IV d’être réputé « Vert Galant parce qu’il voulait que chaque Français eût sa poule le dimanche », avant « d’être tué dans un accident de voiture par un fou appelé Cadillac ». Idée reprise en URSS où « il y a des femmes collectives appelées kolkhozes. » Qui se souvient que Mahomet était « fils d’un chef de gare à Vannes », « chauffeur de chameaux », avant de se retirer dans le Coran de 622 ? Quant à l’Égypte, on connaît son histoire « par les fouillis que les savants ont fait » ; « du temps des fanfarons, les vivants embaumaient les morts pour qu’ils ne s’ennuient pas ». La Révolution a « voté la mort du roi Louis XVI à une demi-voix de majorité » avant de le raccourcir « sur l’échafaudage ». Pré-Mélenchonniste, « le Comité de Salut Public fut institué pour venir en aide aux malheureux. Il existe encore sous le nom d’Armée du Salut ». Pré-restrictions budgétaires ou pré-68, « les soldats de la République marchèrent tout nus en criant : ‘Vive la Liberté’ ! » Rassurons-nous sur le destin de Mélenchon : « Marat fut assassiné par Charlotte Brontë et Robespierre vit sa tête tomber sur l’échafaud. Son successeur qui s’appelait Thermidor fut remplacé par le Directoire ».

Mais on rit jaune. Car ces bourdes crient le manque d’instruction, les profs qui articulent mal, qui ne font pas répéter, qui n’écrivent pas le nom au tableau. Je me souviens en sixième d’une prof remplaçante en français qui nous fit faire une dictée. Elle avait l’accent du sud-ouest et parlait donc mal le français académique. « Une grand-mère entièrement coloriée posée sur le fauteuil », énonçait-elle. Cela nous avait interloqués ; nous avions été plusieurs à lui demander de répéter la phrase : « une grand-mère entièrement… » C’était insolite, surtout le mot « entièrement » (était-elle très maquillée ?), mais plausible : après tout, une grand-mère posée sur un fauteuil avait du sens, ce qui n’aurait pas été le cas si cela avait été un buffet ou un guéridon. Donc « grand-mère ». Et paf ! Grosse faute ! C’était « grammaire » qu’il fallait écrire. Faute injuste, car due au parler régional de la prof émigrée en Île-de-France, hors de ses élèves natifs. Depuis, je n’ai jamais pu saquer les profs-qui-savent-tout-et-qui-notent s’ils avaient un accent déformant le français standard. On dit gram’maire et pas grand-mère, méd’cin et pas mes deux seins – c’est écrit en phonétique dans les dictionnaires.

Ce qu’il faut tirer de ce recueil de perles est surtout cette façon stéréotypée de réagir à ce qu’on connaît mal ou pas du tout : on brode, on invente, on déforme. Mais jamais par hasard. Je l’ai montré en son temps dans ma thèse sur l’URSS dans la presse française : on n’invente qu’à partir de ce qu’on connaît, un vrai biais cognitif. Après tout, Ravaillac ressemble à Cadillac, et c’était effectivement lors d’un accident de la circulation qu’il a pu être tué. Les fouilles archéologiques font en effet assez fouillis à qui n’y connaît rien. Et les femmes et les enfants d’abord est la scie qu’on crie à chaque naufrage. Les cancres las ont hélas fini de rire.

Jean-Charles, La foire aux cancres, 1962, J’ai lu 1999, 122 pages, €1,66, e-book Kindle (édition revue et augmentée) €8,49

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La Fontaine de rentrée

Pour la rentrée d’automne (c’est aujourd’hui) ce petit poème, revu de La Fontaine (non, cancres ! pas celle qui coule dans la cour mais le grand La Fontaine, Jean de son prénom qui n’est pas de ces gens qui n’ont rien à dire)

Le corbac et le racnardMaître Corbac sur son arbre planqué

S’envoyait par la fiole un coulant barraqué.

Compère Racnard qui s’tapait un cent d’clous comme bectance

Lui tint au poil près c’te jactance :

« Ohé ! beau canari, vain Dieu c’que tu la dégottes !

sans mentir, si tu pousses la romance aussi bien qu’t’es nippé

T’es l’mecton d’la redresse et l’costaud du quartier ! »

Compère Corbac qui était pas mariole

Veut pousser la romance et lui file le fromton par la fiole.

Envoyé ! c’est pesé ! ça t’la coupe

Hein ! mon pote.

Méfie-toi des types qui t’foutent des bobards à la gomme

Et qui t’la font à l’estome.

Compère Corbac qui en était resté comme deux ronds d’flan

Gueulait à tous les vents :

Y m’a eu, l’salaud ! Non mais vous avez vu, y m’a eu !

Ouais, mais y m’aura plus. »

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