Cataclysme japonais et changement de civilisation

Article repris par Medium4You.

Alors, quoi, nous étions tranquilles, « maîtres et possesseurs de la nature » depuis trois siècles, selon Descartes… et patatras ? Suffirait-il de plaques continentales qui se réajustent (ce qui était prévu) pour changer de civilisation ? Presque. Il y a eu enchaînement : tremblement de terre, tsunami, accidents en cascade dans la centrale nucléaire de Fukushima à cause des routes défoncées et des installations endommagées qui ne permettent pas d’être pleinement opérationnel pour refroidir les réacteurs. Tout avait été prévu… mais dans le détail. Pas dans l’ensemble. Sortis des « modèles », rien ne va plus. Notre civilisation technique fait tellement confiance au calcul raisonnable que tout ce qui sort de l’épure est réputé ne pas exister. Dans le même temps, notre population infantilisée depuis l’école et traitée en mineure par les politiques de tous bords qui, eux, « savent pour tout le monde » (ainsi le croient-ils), panique dans l’émotion médiatique (à 9800 km de toute radiation fukushimesque) et coure se réfugier dans le doudou d’État. Ce n’est qu’un cri unanime : « Que fait le gouvernement ? »

Les vautours sont partout, ceux qui récupèrent l’émotion pour manipuler les opinions. Les zécolos se « réjouissent », jevoulavéb1di, avec une joie indécente (et préélectorale) – les Japonais seraient-ils à leurs yeux un genre de « fourmis » vaguement fasciste que la terre ne regrettera pas ? Le BHL a fait XXL lui aussi avec les révoltes “arabes”, façon DHL, aussi vite parlé que raisonné. Quant à Sarko, le célafôta est un bon moyen de se défausser de ses incompétences – surtout à gôch…

Fukushima, Tunisie, Libye, le problème fondamental est la démocratie. Donc le débat, la transparence. Sur le nucléaire comme sur les révoltes arabes et l’émigration. Depuis combien de temps dis-je sur ce blog et dans le précédent (Fugues & fougue) que l’infantilisme Mitterrand-Chirac a laissé les citoyens français à la tétée ? L’histrion actuel ne fait « participer » les citoyens que par le spectacle qu’il met en scène sur le petit écran, tout comme sa Royal challenger il y a peu. Ce n’est pas ça la politique !

Mais qui donne des leçons ? Les zécolos qui se chamaillent tant et plus entre la juge rigide, ce bon Monsieur Hulot, le sarcastique très politicien Cohn-Bendit, sans parler de l’ânonnante adolescente attardée Duflot ? Le Parti socialiste dont on se souvient (s’en souvient-on ?) combien il a été dans la ligne pure d’une démocratie idéale et pleinement transparente lors de son Congrès pour savoir qui allait être première secrétaire ? Sans parler de la primaire (je fais, je fais pas ?) et du “candidat unique” démocratiquement « choisi » tout à fait librement par le “peuple de gauche”…

Le problème de la démocratie était évoqué par Marcel Gauchet dans les Matins de France-Culture (eh oui, il y a des gens qui réfléchissent au-delà de la caméra braquée sur eux). Il est la tension entre l’individu qui, narcissique, égoïste, infantile, veut “tout tout d’suite, na !” – et la cité qui a besoin de temps long, d’examens, de débats, de négociations, d’arguments réalistes.

Par quoi remplacer AUJOURD’HUI le nucléaire ? Par ces éoliennes qui ne fonctionnent qu’un tiers du temps et dont personne ne veut près de chez lui ? Par le solaire qui ne brille que dans le nord en ce moment (pour une fois) ? Tout ce basculement d’énergie vers le renouvelable demande du temps et de l’argent (qui en a ?). Et demande surtout de CASSER le monopole d’EDF et de ses technocrates ingénieurs imbus d’eux-mêmes : il faudrait décentraliser, miniaturiser, adapter la production d’énergie à la consommation particulière de chacun. Les panneaux solaires ont un sens sur les toits, tout comme les petites éoliennes ou les ballons d’eau chauffée au plastique noir. Mais pas pour faire rouler les trains ni alimenter les entreprises. Mais dire tout cela est incompatible avec la médiAcratie, trop d’intérêts catégoriels et de lobbies seraient vexés.

Donc nous vivons la médiOcratie. La grande bêtise populiste des récupérateurs devant les caméras. Ceux qui en rajoutent d’autant plus qu’ils ne sont pas au pouvoir parce que, depuis des années, les électeurs ne les croient pas. « Yaka », clament-ils ! Yaka quoi ? Ben euh… yaka faire des TGV et des trains de banlieues et taxer la bagnole. Mais avec quoi vont rouler les TGV et les trains de banlieue ? Ben euh, avec l’éolien ou les barrages, peut-être la géothermie ou la biomasse, euh, voilà… Et pourquoi pas le charbon ? Ou le schiste enfoui profond ? Ou le gaz venu de pays non démocratiques ? Pour qui se souvient (mais s’en souvient-on ?) des élégies en faveur de l’éthanol (qui affame le peuple mexicain en faisant monter le maïs) ou des merveilles de la voiture électrique non-polluante (mais alimentée par le nucléaire et tellement plus chère à produire), on ne peut que se poser des questions. C’est « ça » la politique écolo ? Cette démagogie ?

Ne vous trompez pas sur mon propos : les écologues ont raison, mais pas les écologistes. Les premiers sont des scientifiques qui donnent des arguments ; les seconds sont des histrions qui paradent à la télé en rêvant de se faire élire. Dès lors, tout leur est bon, des peurs millénaristes aux engouements dont les conséquences n’ont pas été mesurées. Les écologues, en revanche, disent que la terre est une planète finie, sur laquelle les ressources ne sont pas illimitées et dont l’équilibre est précaire, influencé par l’humanité devenue très nombreuse. Ils ont raison. Mais le paquebot de la civilisation ne vire pas comme un vélo.

La question est donc non celle des politicards, mais celle de la civilisation. Les Japonais vivent dans une partie dangereuse de la planète. Ils n’y sont pour rien et ont beaucoup plus de dignité, à quelques dizaines ou centaines de kilomètres de la centrale touchée que les zécolos à des milliers de kilomètres, qui jouent à la bergère dans leur confortable maison de campagne en se donnant bonne conscience avec des mots.

La civilisation, c’est autre chose. C’est toute notre façon de penser et de concevoir le monde qui est mise en cause. L’arrogance technocrate, l’adoration de la raison pure, la mathématisation du monde. Les maths sont fort utiles comme outil d’appréhension du monde. Ils aveuglent s’ils sont pris pour le tout. Ce qui n’est pas calculable est ignoré ? – La nature se venge, par indifférence aux croyances. Ce qui est calculé en probabilités est « négligé » pour ses extrêmes (si peu « probables ») ? – Les faits submergent les modèles comme rien. Notre culture faustienne, alimentée par le désir et l’incessante exploration curieuse des choses disait Spengler, se meurt. Elle est désormais ‘civilisation’ : matérielle, matérialiste, comptable. Zéro défaut, précaution par principe, État papa, jouissance sans souci façon Club med ou paradis biblique. Tout ce qui sort de l’épure est à la lettre « impensable ». Donc pas pensé. Nous sommes dans la culture du déni.

C’est justement ce qu’il va falloir penser, le tragique du monde entre nos naïves croyances bizounours et la réalité des éléments naturels. Vivre est dangereux, qu’on se le dise ! Pourtant, nul n’a interdit les voitures sous prétexte qu’elles font PLUS de morts par an que tsunami + tremblement de terre au Japon ? La centrale de Fukushima n’est pas une « bombe » nucléaire mais un site qui émet des éléments radioactifs dans l’atmosphère. Le troisième accident grave en 60 ans de centrales. La technique est un outil, pas une foi. Il y a des risques partout, y compris chez les fonctionnaires de l’Agence de santé, qui a su si bien « prévoir » les effets du Mediator, après le sang contaminé et la vache folle…

Il est dangereux de voir ressurgir la guerre de religion entre les technocrates matérialistes et les zécolos mystiques. Est-ce le monde qui nous attend ? Ce retour au millénarisme, à l’ordre moral, au fascisme du premier qui prend le pouvoir et règne par la peur ? Écrasez l’infâme ! disait déjà Voltaire, le vrai, pas le réseau qui usurpe son nom.

Le blog d’un Français au Japon, volontaire comme interprète à Sendaï ces derniers temps.

La catastrophe et l’État (exemple du Japon)

L’Apocalypse millénariste est de retour !

Le CICR aide les familles japonaises à se retrouver

Les questions que vous vous posez sur le nucléaire, Rue89 tente des réponses de synthèse


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13 réflexions sur “Cataclysme japonais et changement de civilisation

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  3. « Naturellement se poser des questions » : oh que oui, vous avez raison ! Et alors ?
    Je ne comprends pas la suite de votre commentaire. Se poser des questions, est-ce aussitôt se précipiter dans les bras de la grande bêtise populiste des récupérateurs devant les caméras ? Contrer les lobbies – y compris des intérêts partisans électoraux verts – n’est-ce pas sain en démocratie ? Qu’ont donc foutu les « fonctionnaires » de la santé contres les lobbies industriels du médicament ? Et vous croyez qu’on va se laisser faire à nouveau par les prêcheurs d’Apocalypse, juste pour que lez écolos soient élus et paradent à la télé ?
    Je suis désolé : j’ai une autre conception du débat démocratique que la guerre de religion. J’attends des arguments rationnels, pas des invectives ni des slogans dans l’émotion.
    Quant à l’écologie, c’est une science que tout le monde doit avoir à l’esprit, pas une secte étroite de politicards divisés.

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  4. simon

    Une catastrophe, au Japon ou ailleurs, amène naturellement à se poser des questions
    sur les choix qui ont été faits .Pour certains, se poser des questions, et pire, remettre en cause ces choix, c’est faire de la récup. comme les écolos. Ah bon, je serai donc écolo ? La crainte du nucléaire est même associée aux peurs des millénaristes . Fantasmes ! Même pas le temps d’une génération pour oublier les deux catastrophes précédentes, mémoires de rats . Les experts veillent sur des choix faits pour des dizaines d’années,laissons faire, c’est trop compliqué pour nous .Comme la crise financière, on applique le « TINA » et basta .A propos du Médiator, vous parlez des
    fonctionnaires de l’Affsaps : il y en a même qui osent parler de lobbies,quel gros mot !

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  5. judem

    Vos propos sont pertinents mais je pensais plutôt au fait qu’il y a autant d’infini entre deux bornes que sans bornes (il y a autant de points sur un segment d’une droite que sur la droite elle-même). Il y a aussi le problème infini potentiel versus infini actuel. Pour sortir un peu du caractère mathématique de cette analogie, deux petites remarques :
    – Certaines philosophies prétendent qu’il est possible d’accéder à l’éternité de l’instant. Il me semble en tout cas raisonnable d’estimer que la densité ou la somme des densités des vécus (en terme d’intensité, de profondeur, de diversité, de richesse, de création, etc.) est un point important, même en regard de la durée de vie.
    – Notre tête est tout aussi bornée que notre planète. Cela n’empêche que ce circule dans nos têtes, notamment ce que nous créons et que nous faisons vivre au niveau culturel par exemple, est infini, tout du moins potentiellement. Comme cela dépend quelque peu de notre libre arbitre, cela a plus de valeur que telle ou telle caractéristique du monde dans lequel nous avons émergé (par évolution Darwinienne).
    Enfin, remarquons que la notion de temps est loin d’avoir livré tous ses secrets.

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  6. Les déchets, les pays corrompus, l’augmentation des possibilités d’accident en diffusant les centrales partout – sur tout cela vous avez raison.
    Mais vous pointez justement la balance des choix : abandonner l’électricité nucléaire c’est soit consommer (sur 10, 20 ou 30 ans) plus de pétrole, gaz, voire charbon – soit réduire drastiquement notre consommation, donc adieu TGV à toute heure (au profit de l’avion qui ne fonctionne pas au nucléaire) et couvre-feu au-delà d’une consommation maximale (comme les mégabits des FAI).
    La situation actuelle de Tokyo au Japon montre ce qu’il en est quand on passe brutalement d’une situation à une autre. C’est le retour au moyen-âge, avec des lances à eau plutôt que des pompes électroniques.
    La vie, ce monde-ci, ce n’est jamais tout bien ou tout mal, tout blanc ou tout noir, vérité contre le mensonge. Nous sommes dans l’ici-bas imparfait, où l’existence est tragique parce que finie, et où il faut décider en situation d’incertitudes.
    Donc assurer la transition de l’énergie vers autre chose. Pour l’instant, on ne sait pas faire. Alors en attendant diversifier les sources et les risques, donc accepter le nucléaire aussi, comme le reste. Consciemment.
    Prochain article sur le sujet mardi sur ce blog.

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  7. argoul

    L’étape sadique-anale était déjà celle des étudiants en 68, d’après un livre amusant dont j’ai oublié le nom et que je n’ai pas gardé.
    Quant à la finitude, elle ressort en effet des deux grandes conceptions qui traversent les millénaires : nous n’avons qu’une vie ici-bas, ou il existe une âme immortelle et alors vive l’au-delà, mes frères.
    D’où la tentation mauvaise pour les métaphysiciens politiques d’en effet en appeler à l’Apocalypse pour séparer les bons des méchants.
    Pour moi, je suis plutôt du côté d’Héraclite, Nietzsche et Camus, en faveur de l’ici et maintenant.

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  8. Exploser

    Je sais pas par quoi il faut remplacer la fission nucléaire. Mais il me semble qu’il faut s’y mettre. On ne peut pas laisser à nos successeurs des déchets qu’ils devront se traîner pendant plusieurs milliers d’années. Sans parler des accidents nucléaires, qui se produiront nécessairement. Si pas en France, dans les pays auxquels nous vendons des centrales (dont certains n’ont pas forcément notre niveau de développement, et sont autrement extrêmement corrompus ; il est facile de prévoir que, dans ces pays-là, si non en France, des entrepreneurs véreux joueront avec certains paramètres de sécurité pour faire baisser les coûts ; et le pire se produira forcément).
    Pour en revenir aux déchets, on les laisse à nos successeurs pour des milliers d’années. Quand on compare cela à la durée de vie des civilisations. Qui peut dire que la France, ou tout autre pays, sera en mesure de veiller et gérer ces déchets sur une telle période. Il peut se produire n’importe quoi : des catastrophes, des guerres… Et qui peut savoir ce qu’il adviendra alors des déchets ?
    Il faut être sérieux : le nucléaire est à abandonner.
    De même que le pétrole, le charbon… qui empoisonne également notre planète.
    Par quoi remplacer ? Les énergies propres. Pas suffisant ? Je ne sais pas. Il faudrait peut-être se donner réellement les moyens de leur développement avant de déclarer qu’elles ne peuvent remplacer les énergies actuelles. Et, si elles ne conviennent vraiment pas, il faudra chercher d’autres solutions (peut-être la fusion ? Mais la fusion n’est pas prête d’être maîtrisée). Mais la fission nucléaire, le pétrole, le charbon… c’est terminé. On ne peut pas vivre ainsi à crédit sur le dos de nos successeurs.

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  9. Judem

    La démocratie prégénitale a du mal à assumer ses identités collectives.
    Elle a aussi bien du mal à vivre « au risque de ».
    Quand à la finitude, n’est-ce pas plutôt un problème de bornes ?

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  10. Judem

    Réflexion fine, riche, et je trouve assez juste sur pas mal de points.
    Remarque : les écologistes ne sont pas tous sur le même moule.
    Je reviens peut-être plus tard, c’est pas évident d’écrire très vite sur mon ipad dans le train …

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  11. Merci, en général on se fait incendier quand on n’est pas dans la doxa de masse… Mais peut-être choisit-on ses lecteurs ?

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  12. Je serai brève ; pas grand chose à ajouter sur cette note digne d’un GRAND ! Tout simplement BRAVO & MERCI !
    Tout a été dit , avec une clarté sans nulle autre pareille .

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  13. Bonjour !

    Ravie de lire un article qui ne considère pas que les terribles évènements du Japon se résument à un accident nucléaire et que donc, il faut bannir l’énergie nucléaire dès demain… Il m’avait semblé pourtant tomber sous le sens que les leçons à en tirer étaient bien plus larges que le choix d’un mode d’énergie, mais apparemment, ce n’est pas l’avis que je rencontre le plus souvent. Excellent billet !
    Nous pouvons donc tomber d’accord ! 🙂

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