Topkapi de Jules Dassin

Début des années 1960, la Turquie est encore pittoresque et propice aux aventures. Elisabeth Lipp au nom de lèvres (Melina Mercouri) est une croqueuse d’hommes et de pierres précieuses, elle avoue un faible pour les émeraudes de la plus belle eau au vert incomparable. Justement, le poignard du sultan, exposé dans le musée d’histoire d’Istanbul au palais Topkapi, lui fait envie. C’est irrésistible. Elle va jusqu’à mobiliser son ex-amant Walter (Maximilian Schell), escroc de haut vol, pour assouvir son désir. Tout en allumant tous les hommes qui peuvent la servir. Melina sait très bien donner à sa bouche une moue perverse.

Le plan est sophistiqué car le plancher du musée est sous alarme électrique et, comme le palais du shogun à Kyoto, « chante » dès qu’on l’effleure. Il faut donc le survoler… passer par les toits et dérober l’arme sertie de pierres précieuses d’en haut. Pour cela un acrobate est nécessaire, Giulio (Gilles Segal), plus un costaud, Hans (Jess Hahn) pour retenir et filer la corde qui le tient. Sauf que le phare de la Corne d’or balaie le mur toutes les quarante secondes et qu’un homme s’introduisant par une fenêtre grillée, qu’il faut d’abord dessertir, se verrait de loin. Il est imaginé de l’éteindre d’un coup de fusil bien ajusté. Quant au gardien de nuit du musée, des grenades fumigènes feront l’affaire afin que les voleurs du poignard puissent s’enfuir. Le poignard, lui, sera confié à Josef (Joe Dassin, fils du réalisateur et pas encore chanteur), gitan tenant un cirque itinérant qui passe souvent la frontière avec un sultan au poignard comme attraction.

Tout est minutieusement préparé, minuté, organisé. Aucun des membres du groupe n’est connu des polices car se sont tous, sauf Elisabeth et Walter, des « amateurs ». Mais le destin s’en mêle, ramenant les humains à leurs faiblesses. La voiture emplie de matériel doit être convoyée par un inconnu pour ne pas la relier au commando. Mais le gros lourd Simpson (Peter Ustinov) qui la convoie et empoche 100 $ facilement gagnés pour ce faire, n’a pas vu que son passeport est périmé tout juste depuis trois semaines. Il est en outre égyptien alors que lui se dit Anglais. Même s’il est né en Egypte, où son père était soldat britannique, les douaniers turcs sont suspicieux. D’autant qu’un défilé militaire doit avoir lieu la semaine qui suit, en présence de tous les officiels et des délégations étrangères. Ils soupçonnent Arthur Simpson de terrorisme. Le gros joue les niais – ce qu’il est de fait et joue parfaitement. Le Turc le retourne alors et le charge d’espionner pour lui le groupe qui l’a commandé. Tout est fait pour qu’il reste le chauffeur de la Lincoln blanche décapotable, ce qui contrecarre les plans soigneusement établis car il faut rajouter ce boulet au groupe.

Simpson ne surprend rien d’intéressant dans les conversations qu’il livre en résumé sur des papiers cachés dans des paquets de cigarettes vides qu’il jette par terre (comme cela se faisait alors, sans aucun souci pour la planète). Une Volkswagen Coccinelle grise (Ankara était proche des nazis durant le Seconde guerre mondiale) bourrée d’inspecteurs de la sûreté turque est chargée de les ramasser. La villa louée par le groupe est vaste et tenue par un concierge abruti de raki qui prend tout le monde pour des espions russes. A la grande fureur de Hans qui veut le tabasser. Il est à chaque fois retenu pour ne pas faire de vagues, sauf une fois, où il se fait prendre les mains dans une porte que l’ivrogne lui ferme dessus, lui cassant les doigts. Il ne peut donc plus jouer son rôle. Lipp pense alors au gros, le chauffeur qu’elle caresse et embrasse un peu pour le décider. Il est tremblant, lâche et a le vertige mais il devra bien faire l’affaire. D’autant qu’il avoue espionner pour les Turcs à causes des armes découvertes dans la portière de la Lincoln à la frontière parce que son passeport était périmé !

Il faut donc revoir une fois encore tous les plans. Puisque suivi jour et nuit, le groupe va devoir aller au festival de lutte turc qui dure toute une après-midi jusqu’en soirée, et s’éclipser sans attirer l’attention des inspecteurs en faction.

Puisque fusil et grenades sont indisponibles, Elisabeth et l’ingénieur anglais se dévouent donc pour aller jouer au trictrac local avec le gardien du phare, l’Anglais ralentissant le mécanisme du faisceau avec un chiffon pour laisser le temps à l’acrobate. Il a mis au point un perroquet enregistreur qui doit, à la minute près, faire sortir le gardien de nuit du musée dans les buissons et permettre de passer par la porte pour s’enfuir.

La partie cocasse laisse alors place à la partie suspense. Le casse est lentement décomposé en phases successives où la tension est à son comble. L’acrobate réussit, malgré le gros qui flanche, manquant de chuter devant le vide, puis de lâcher la corde par faiblesse. Mais il réussit, bien qu’une relâche de corde fasse soupçonner que le faux poignard aurait pu être confondu avec le vrai dans la confusion, les deux se trouvant brutalement dans la même main. Le réalisateur n’a pas choisi cette voie et c’est une autre qui va faire tout foirer – mais ne la divulguons pas, elle est assez mignonne.

Tout ça pour ça ! L’ensemble du film est une caricature des films de casse ; il est comique, bien joué, ardemment émoustillé, tendu à souhait. Les mimiques de la Melina devant les lutteurs au torse nu enduit d’huile qui se frottent et s’empoignent annoncent déjà la « libération » du désir post-68. La pose impassible, tout en noir et lunette noires, des agents de la sûreté turque dénonce les « organes » soviétiques qui rappellent la Gestapo nazie. La vie truculente des quais de la Corne d’or à Istanbul est par contraste la liberté à laquelle les peuples aspirent. Le crime ne paie pas mais forme de belles histoires.

DVD Topkapi, Jules Dassin, 1964, avec Melina Mercouri, Peter Ustinov, Maximilian Schell, Robert Morley, Jesse Hahn, Movinside 2017, 1h58, €6.99 blu-ray €7.19

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