
Par peur d’être littérairement « bouffé » par son personnage, l’auteur avait occis son détective privé dans un gouffre des Alpes suisses, entraînant le maléfique Moriarty dans l’abîme. Mais les lecteurs ont été épouvantés de cette perte, et l’éditeur du Strand, le magazine qui avait fait ses choux gras des histoires du détective, a été désespéré. Conan Doyle disait de Holmes qu’il était pour lui comme « un abus de foie gras », un écœurement proche de la nausée…
Le magazine américain Collier’s propose un pont d’or (ou presque) à l’auteur pour concocter huit nouvelles au moins ; le Strand les reprendra. Dix ans après donc, le retour. Sherlock n’est pas mort mais s’est caché ; seul Moriarty a fini dans le gouffre. Watson, devenu veuf, a presque une syncope lorsqu’il voit un vieux racorni se transformer sous ses yeux en vrai Holmes revenu du néant. Fini le déguisement, réintégration dans le personnage pour de nouvelles aventures. Treize, cette fois, souvent de bonne qualité.
Holmes applique sa méthode : observation, logique, toujours partir des faits et ne laisser l’imagination courir qu’ensuite. Il adore « la signification de l’insignifiant », selon le critique Ian Pears, procédé titillant et obsessionnel repris par Fred Vargas et par certaines séries, parfois jusqu’à l’absurde. Sherlock prête toute son attention à ce qui ne se voit pas, ce que les autres laissent de côté, sur lequel ils passent pour courir de suite aux hypothèses. Le détective pense à l’envers des autres, par induction plutôt que par déduction. Il part des faits observés pour en tirer des déductions, pas l’inverse – qui est l’erreur courante.
Ces treize nouvelles montrent divers types de criminels en action. Le né pour tuer, tel le colonel Moran, irrécupérable, véritable bête nuisible hors de l’humain ; l’étranger, tel l’Américain des Bonshommes qui dansaient, toujours mystérieux, donc inquiétant, sorte de fantasme grossi par l’imaginaire dont on doit se méfier ; le professionnel, tel Charles Augustus Milverton, endurci dans le crime de chantage et qui en tire un plaisir malsain ; l’opportuniste, qui tue parce que les circonstances l’exigent, sans intention de le faire, ou au contraire après l’avoir mûrement planifié selon des raisons légitimes, comme dans le Manoir de l’Abbaye.
Le lecteur retrouvera son héros anglais de la fin XIXe avec plaisir, toujours avide d’exercer ses facultés mentales, toujours flanqué de son compère médecin, toujours gentleman. De la belle ouvrage qui change des gadgets à la mode (téléphonie, ADN, caméras de surveillance, traces internet) qui masquent trop souvent l’inanité de la psychologie.
Sir Arthur Conan Doyle, Le retour de Sherlock Holmes (The Return of Sherlock Holmes), 1905, Archipoche 2019, 425 pages, €8,95, e-book Kindle €1,49
Sir Arthur Conan Doyle, Sherlock Holmes, tome 2, Gallimard Pléiade 2025, 1152 pages, €62,00
(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)
En savoir plus sur argoul
Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.
Commentaires récents