La raison engendre la justice, dit Alain

Le philosophe relit le Gorgias de Platon, et y trouve toute sa philosophie politique : la raison engendre la justice, et le droit n’est pas celui du plus fort.

C’est Calliclès qui défend cette idée trumpo-poutinienne que la force prime le droit et qui se moque de la justice. « Car, dit-il, ce sont les poltrons qui ont inventé la justice, afin d’avoir la paix ; et ce sont les niais qui adorent cette peur à figure de justice. En réalité, aucune justice ne nous oblige à rien. Il n’y a que lâcheté et faiblesse qui nous obligent : c’est pourquoi celui qui a courage et force a droit aussi par cela seul ». Oh, que c’est bien dit ! Et tellement de notre époque. Mais Socrate s’élève contre.

« Tu oublies une chose, mon cher, c’est que la géométrie a une grande puissance chez les dieux et chez les hommes ». Ce que veut dire Socrate est que la nature est bien faite, elle a prévu chez l’humain des facultés autres que celles des pulsions : l’affectif, la raison. La force des pulsions est certes première, comme l’a bien montré Nietzsche (comme Freud et comme Marx, chacun dans leurs domaines), mais qu’elle est canalisée et domptée par l’intelligence, ce mixte d’affectif et de raison pure.

« Dès que l’on a éveillé sa Raison par la géométrie et autres choses du même genre, on ne peut plus vivre ni penser comme si on ne l’avait pas éveillée. On doit des égards à sa raison, tout comme à son ventre. Et ce n’est pas parce que le ventre exige le pain du voisin, le mange et dort content, que la raison doit être satisfaite. Même, chose remarquable, quand le ventre a mangé, la Raison ne s’endort point pour cela ; tout au contraire, la voilà plus lucide que jamais, pendant que les désirs dorment les uns sur les autres comme une meute fatiguée, la voilà qui s’applique à comprendre ce que c’est qu’un homme et une société d’hommes, des échanges justes ou injustes, et ainsi de suite ; et aussi ce que c’est que sagesse et paix avec soi-même… » C’est que, si le désir désire, la raison raisonne – et elle commande, chez l’être intelligent. Seules les brutes (formées au KGB), les inéduqués et illettrés (comme Trump à qui on a tout passé enfant et adolescent, et qui ne lit jamais), n’usent pas de leur raison. Mais de leur seule force : de nuisance (Poutine) ou de séduction (Trump).

Mais à la fin la Raison l’emporte, croit Alain comme Platon, car l’univers est ainsi fait qu’il est régi par des lois mathématiques, et que ce qui est juste est en harmonie avec l’univers, et que le droit reproduit ses lois. Est-ce idéaliste ? La raison ne provient-elle pas de l’expérience et de l’intérêt ? Non, dit Alain, la raison va au-delà : la faculté d’intelligence n’agit pas comme agissent les pulsions, « l’œil n’est pas le bras, quoiqu’ils soient tous deux fils de la terre », conclut-il.

L’équilibre de la terreur due à la force atomique a imposé le règne du droit international… Jusqu’à la trahison d’un seul, qui s’est dit Me too, comme une jeune fille violée : le traître Trump. Traître au droit, traître aux traités d’alliance stratégique, traître à la décence commune. La force ne devrait donc trouver ses limites… que si une nouvelle force la contraint. Celle du droit, prônée par le grand marché commercial européen ? Celle de l’harmonie du monde, prônée par les Chinois ? Celle de la puissance des pays qui montent, préférant un monde multipolaire ? L’histoire le dira.

Alain, Propos tome 1, Gallimard Pléiade 1956, 1370 pages, €70,50

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Alain le philosophe, déjà chroniqué sur ce blog


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