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Pierre Mac Orlan, Le chant de l’équipage

Pierre Dumarchey, dit Mac Orlan, est mort en 1970 à 88 ans. Il fait partie de ces écrivains français oubliés, au profit des histrions nombrilistes d’aujourd’hui, dans le grand n’importe quoi des modes et de la zappette des réseaux. Jeune, il a adoré le rugby et publié des textes érotiques, avant des romans de bonne facture, avec une histoire et de la psychologie. Plusieurs de ses romans ont été adaptés au cinéma, ce qui en dira peut-être plus à ceux qui se piquent d’être un brin intellos : La Bandera par Julien Duvivier, Le Quai des brumes par Marcel Carné, La Tradition de minuit par Roger Richebé, Marguerite de la nuit par Claude Autant-Lara. Il est devenu membre de l’Académie Goncourt en 1950 et fait Commandeur de la Légion d’honneur par Georges Pompidou sur proposition d’André Malraux.

Le chant de l’équipage est un roman d’aventures qui se situe aux marges de la guerre de 14 et change un peu les esprits de l’obsession de la tuerie. Monsieur Krühl, Hollandais égaré en Bretagne, n’a pas regagné son pays à cause de la guerre ; il reste en pension à l’hôtel Ploedac, près de Pont-Aven, avec son chat Rakham – comme le célèbre pirate. Car il aime les pirates et corsaires, Krühl, il en rêve, il ne cesse d’en discourir avec ses amis le peintre Désiré Pointe et le soûlard Bébé-Salé.

C’est alors que survient un voyageur inattendu, un jeune Parisien dans la trentaine, réformé pour raisons de santé (comme l’auteur), qui a fait des études de médecine sans encore soutenir sa thèse : Samuel Eliasar. Il parle beau, est aimable, et sait circonvenir. Lorsqu’il rencontre une sorcière, il s’enfuit affolé et trébuche pour tomber de la falaise, heureusement à marée haute. Comme il ne sait pas nager, c’est Joseph Krühl qui s’y colle et le ramène sur la berge comme un chien mouillé. Le début d’une entente, sinon d’une « amitié » où attirance et haine font toute la tension. Car le Hollandais est riche et le Parisien pauvre. Le premier est enthousiaste et le second rusé.

Eliasar va donc monter une arnaque et, avec un nom pareil, en début de siècle, cela n’étonnera personne. Il fabrique un faux carnet de bord d’un pirate, sur vrai papier d’époque avec les encres d’époque et le vocabulaire d’époque, vieilli comme s’il était d’époque. Dans une maison d’antiquités de Pont-Aven, chez la mère Gadec, Eliasar feint de découvrir un volume tout poussiéreux dont Krühl s’empare aussitôt. Il est conquis, en fait emplette et se captive de le découvrir. Ce n’est pas moins qu’un trésor, enfoui sur une île des Antilles, qui est proposé dans ces pages, écrites pour s’en souvenir et égarées par les circonstances.

Dès lors, Krühl est emporté. Il achète un brick-goélette à voiles, embarque Eliasar comme ami et Bébé-Salé comme cuisinier, fait engager un équipage par un capitaine espagnol (donc non mobilisable) que connaît Eliasar et qui vit d’un petit cabaret à Rouen. Le capitaine Heresa rappelle un certain Maillard à Boutron, marin du port, mais c’est sans doute une coïncidence. Et les voilà partis… Fin de la première partie.

Bon vent, belle mer, la traversée de l’Atlantique se passe sans problème. Une escale à Madère pour emporter du vin en fret, vendu à Caracas avec un bénéfice, converti en perles faciles à rapporter dans la ceinture. Krühl a toute une fortune dans sa ceinture en peau de daim : des diamants, des pierres précieuses, un peu d’or. En fait, c’est lui le trésor… mais il ne le sait pas. Eliasar a monté une combine avec le capitaine Heresa pour conforter Krühl dans son rêve de pirates, et lui extorquer la forte somme. De trésor, il n’y en a pas, pas plus que d’île sur la carte. Mais il faut mener le jeu assez loin pour faire croire à un accident.

Donc la côte de l’Amérique, il y a un peu plus d’un siècle marquée par « un enfant nu courant derrière un cheval roux » sur la plage. Ce gros port de Caracas peuplé de cabarets et de bordels. Dans l’un d’eux, l’armateur riche Krühl tombe raide d’une danseuse Cubaine muette aux jolis seins. Il la rachète à son mac et en fait sa chose. L’équipage, entièrement mâle, grogne et désire, mais Krühl les amadoue au rhum, ce qui n’est pas une très bonne idée.

Une tempête, le bateau résiste, mais Eliasar et Heresa en ont marre : il faut que l’aventure finisse. La première île sur la route est la bonne. Heresa jure qu’elle correspond à celle de la carte manuscrite, dans le recueil relié en parchemin du (faux) pirate. On débarque. C’est la désolation, aucun être vivant, aucune plante comestible. Un bagne. Cherchant une sorte de champignon, point remarquable de la carte au trésor, ils tombent sur un nègre manchot et unijambiste, et sur un annamite shooté à l’opium. Seul un blanc, commerçant russe capturé au large de l’Alaska, paraît avoir encore un brin de raison. Fuyez ! Dit-il ; cette île est la réserve d’un bourreau chinois spécialisé dans le grand art des Cents morceaux, la découpe du condamné pour faire durer le plaisir de le voir souffrir. L’île est le lieu où il parque ses modèles, afin d’enseigner son art à ses élèves bourreaux. Tous les deux à cinq ans, il vient prélever ici un spécimen, qui sera découpé pour se faire la main. Les autres sont garnis de boites de sardines et de conserves.

Il faut en effet s’en aller, et tant pis pour le trésor, qu’on a peu de chance de trouver tant tout diffère sur cette île de ce qui est inscrit sur la carte. Mais la fille a disparu ; elle est partie « se promener », en fait chercher à se faire titiller par un autre que par Krühl. Elle est retrouvée les seins nus dans les fragments de bras et jambes du nègre, que Krühl est obligé de tuer d’une balle dans la tête pour le faire lâcher prise. Elle est ramenée au bateau, giflée pour avoir fui. Cette fois, c’en est trop : Heresa et Eliasar décident d’en finir et d’appliquer le plan prévu. Eliasar doit partir en avant avec Krühl et le poignarder dans le dos, tandis qu’Heresa restera en arrière pour occuper les deux matelots suédois.

Sauf qu’Eliasar est un faible. Il n’a jamais tué et ne peut se résoudre à le faire. Krill fulmine contre cette trahison et ameute les autres. Mais où sont passés les autres ? Le bateau ne partira pas sans lui, car il détient la fortune dans sa ceinture. Mais où est donc cette ceinture ? La fille l’en a délestée, Heresa et les matelots sont repartis au navire, lequel prend le large aussitôt. Il laisse le naïf rêveur Krill et le coquin velléitaire Eliasar sur l’île. Avec le russe fou et l’annamite drogué. En attente du bourreau chinois…

Comme quoi l’aventure sans la raison mène tout droit au drame et à la mort. Qu’on se le dise ! Le romantisme est bien fini.

Pierre Mac Orlan, Le chant de l’équipage, 1918, Folio 1979, 256 pages, €8,00, e-book Kindle €7,99

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