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Kurt Steiner, Brebis galeuses

Rolf vit dans un monde confortable… pour ceux qui sont conformes. La croyance est que le monde est un œuf qui contient le soleil, et que tout tourne autour de lui. Mais au-delà de l’œuf ? Cette question taraude Rolf, jeune employé à l’exploration, chargé de raconter ce que les engins découvrent et d’extrapoler une histoire cohérente avec. Pour cela, il ne cesse de publier des rectificatifs, comme le Winston de 1984.

Un jour, bêtement, pris par l’euphorie du paysage du haut d’une tour, il discute de ses spéculations cosmiques avec un quidam. Ce n’est autre qu’un policier provocateur qui l’arrête aussitôt, comme dans le Brave soldat Chveik de Hasek aux temps de la bureaucratie austro-hongroise. Nous sommes dans une société totalitaire. Dans ce monde, tout est inversé – mais il ressemble parfois à certaines de nos sociétés : la russe sous Poutine, la chinoise sous Xi, l’iranienne sous les ayatollah, de plus en plus la turque sous Erdogan. Où est l’envers ? Où est l’endroit ?

Rolf est pris et condamné par un jury rigolard (un anti-jury) à « la piqûre 25 », qui lui inocule un virus du rhume. Comme plus personne n’est malade, il se fait aussitôt remarquer avec ses éternuements et son nez qui coule – une horreur ! Comme il n’existe plus aucun médecin, il ne peut se soigner. D’ailleurs, les virus inoculés comme peine sont éternels, insoignables par les moyens officiels. Rolf perd son travail s’il ne retrouve pas une apparence normale.

C’est là tout le machiavélisme de cette société : la moindre déviance conduit à l’arrestation puis à la peine, donc à la marginalité. Seuls les plus forts parviennent à trouver au marché noir des produits de soins, un médecin-pharmacien (appelé drogueteur) qui les concocte et les administre. Seuls les plus forts peuvent commencer un trafic lucratif entre le laboratoire de la police qui produit les matières premières et le médecin révoqué clandestin, afin de pouvoir se soigner. Une dépendance parfaite, d’autant que les policiers sont dans le trafic et encouragent cette économie circulaire qui ne produit… que de l’obéissance et du conformisme.

Mais Rolf, tombé amoureux d’une phtisique, Jana, qui finit par mourir dans ses bras faute de soins, va se révolter. Sa colère lui suffit à oser l’impensable : se faire inoculer un virus très contagieux puis aller contaminer la « bonne » société qui s’en fout, l’obligeant ainsi à faire des malades une majorité, donc à les soigner. Tiens, cela ne vous rappelle-t-il pas la Chine contemporaine ? Son laboratoire secret de Wuhan qui manipule les virus hautement contagieux ? Désormais dirigé par une générale de l’armée ? Avec sa chape de plomb de secret d’Etat sur toute information ? Je ne sais si le Covid-19 s’est échappé du laboratoire de Wuhan, mais le simple fait de camoufler toute information et d’interdire toute recherche suffit à le faire croire.

Rolf se procure par le drogueteur, décidément bien informé comme ancien médecin du président, les plans des conduits d’évacuation et s’introduit dans le palais avec son compère limité Titanor, mais d’une force prodigieuse, qu’il a réussi à amadouer avec des mots. Il est pris, le compère est tué par les gardes mais lui comparait devant le président. Qui lui révèle un secret capital : il y a tout de lui, Rolf, dans ce monde-ci, des plantes aux humains, tous possèdent des gènes communs avec lui. Pourquoi ?

La seule façon de le savoir est de passer par un sas topologique, autrement dit dans un autre univers – parallèle. Rolf va découvrir le monde à l’endroit alors que le monde d’où il vient n’est que son envers. Dans ce monde normal, un Rolf sommeille et rêve ; il est malade à cause d’une guerre bactériologique et il songe à l’inverse des malheurs qui le frappent. Dès lors, la terre tourne autour du soleil immobile dans une bulle elliptique en forme d’œuf au lieu que le soleil soit une étoile d’une galaxie plus grande qui tourne autour de son centre. Tout est à l’envers mais tout est aussi « vrai » : le travail n’est qu’une rectification des pensées déviantes, soit physique avec les flics, soit historique avec les fonctionnaires chargés de réécrire l’histoire ; les gens ne sont pas soignés lors d’un accident mais emportés à l’aide de crocs à la décharge, même encore vivants. Ils se contente de consommer et de polluer. A quoi sert ce monde inverti ?

Une façon de se poser la question sur le nôtre…  Car sous le nom de Kurt Steiner se cache un français, ancien instituteur devenu médecin. André Ruellan est né en 1922 et mort en 2016, et s’est consacré à la fiction, littéraire et cinématographique.

Kurt Steiner, Brebis galeuses, 1974, Fleuve noir anticipation, ou J’ai lu 1977, 158 pages, €3.90 e-book Kindle €6.99

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