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La ferme de Robert

Nous quittons la guest house d’Islande pour une journée de transfert en bus. Nous avons dormi tard, près de douze heures pour moi. Il est vrai que j’avais mis les boules Quiès. La journée connaîtra deux moments remarquables : le supermarché et la ferme de Robert, notre chauffeur.

Sur la route, nous croisons des vols d’oies sauvages dans une lumière d’aquarium. Les grosses bêtes volent en V en suivant l’oie de tête. Elles ont de lourds battements d’ailes et ne sont pas très futées, surtout lorsqu’elles doivent croiser le camion. L’une d’elle hésite et suit son chemin, parallèle au nôtre pendant plusieurs minutes, à 40 km/h, perdant ainsi sa horde qui vole en perpendiculaire ! Ces bestioles ont le cul trop gros pour décoller aisément, je me demande comment Nils Olgersson en Suède, même réduit pour mauvaise conduite, a pu chevaucher une oie au-dessus de toute le pays. Le camion a failli en tamponner une qui avait du mal à s’élever en traversant la route. Les nuages plombent le ciel, s’écharpant en lambeaux de brume assez sinistres ou en draperies romantiques lorsque le soleil parvient à percer par transparence. La lumière est très changeante.

Vers la fin de la matinée, nous nous arrêtons à Burdadalur au supermarché pour renouveler les provisions de groupe. Nous sommes dans un bourg classique, où le store fait station services et lieu de convivialité. Des vieilles commentent les potins du coin tandis que leurs vieux patientent, taciturnes, en regardant les rayons. Les ados locaux y effectuent leur boulot d’été dès 14 ans, vu le minois très jeune de l’un d’eux au self. Un seize ans dévore des yeux une fille un peu plus âgée qui vient payer ses courses et cherche sa monnaie ; le visage impassible, seul le regard marque l’intérêt. Elle ne répond pas à la sollicitation et fait semblant de ne pas le voir. Un moutard blond de dix ans vêtu d’un tee-shirt synthétique, à la chevelure qui boucle dans le cou, sort un carnet de fidélité qu’il vient faire tamponner auprès d’un adolescent en caisse contre une barre chocolatée. Il s’en retourne tout content auprès de sa mère qui arpente les rayons pour approvisionner le foyer.

Le supermarché montre ce qui attire le plus son public : un rayon sucreries et un rayon laine fort achalandé. Cela donne-t-il une idée des activités d’hiver des dames ? La laine se vend en chiné ou normale, par pelotes de 50, 100 et 250 g. Il faut par exemple deux pelotes de 100 g pour réaliser une écharpe. Des revues de patrons sont aussi en vente, ainsi que des aiguilles de toutes tailles et de tous usages, notamment des aiguilles courbes pour le col et les chaussettes ou les gants, des bobines, et ainsi de suite. Les filles du groupe achètent chacune 1 kg de laine de diverses couleurs, en général austères (brun, beige, gris, violet), comme cadeaux aux amies d’âge mûr (leur âge) et mamans (désormais grand-mères sans toujours des petits-enfants). Les légumes, plutôt pâles, sont en panier, considérés comme des choses fragiles. La banane, importée, est le grand luxe du pays et assez chère. Le rayon viandes vend surtout de l’agneau préparé de diverses façons, mariné, épicé ou fumé, les gigots sous plastique, et de la charcuterie industrielle. L’Islande élève aussi le porc.

La pluie a cessé sur la route et il fait frais. Pour le pique-nique, Robert nous offre sa ferme au bord du fjord Hrutafjördur, côté est. Il élève 200 moutons, laissés libres l’été dans la campagne alentour. Mais il en faut 600 selon lui pour en vivre aujourd’hui. Il effectue donc de petits boulots annexes, comme la location de son camion et son activité de chauffeur tous terrains. Sa femme est une plantureuse matrone au visage carré. Ils ont deux fils de 20 et 16 ans et une fille dont il ne précise pas l’âge, mais qui doit être la petite dernière. L’aîné construit des ponts, le second poursuit des études à l’université. Les deux garçons jouent de la batterie et s’enregistrent. J’en entends un morceau au magnétophone alors que les autres s’en vont, et ce n’est pas mal du tout.

Nous sommes accueillis à notre descente de camion par deux chiens noir et blanc aux longs poils et la queue en panache. Ce sont des chiens islandais, experts en gardiennage de moutons. Ils auront nos restes d’os et de viande des côtelettes qui restent d’hier et que Le guide nous propose froides. « C’est très bon quand elles ont été très grillées », nous dit-il.

La ferme est composée de la maison d’habitation, d’un hangar à matériel, d’une bergerie et de balles de foin sous plastique blanc rangés le long du mur en attendant l’hiver pour nourrir les bêtes. La pièce principale de la ferme d’habitation, séparée des autres bâtiments, sert de cuisine, de salle à manger et de salon. Le plafond est de frette et le plancher de revêtement couleur bois. Canapé et fauteuils sont dans les tons bruns, ornés de fleurs et faces à la télévision et à la chaîne stéréo. Des tableaux peints ou brodés, des bibelots contournés, le tout est kitsch au possible, avec références culturelles nordiques et revêtements confortables.

Nous déjeunons de hareng au vinaigre ou à la crème curry, de saumon cru gravlax à l’aneth, croquant sous la dent. Il est très savoureux avec du pain noir et de la crème aigre. Le jambon, les saucissons épicés, les fromages divers (gouda local en tranches, ‘camembert’ local pasteurisé et une sorte de brie du même genre) et la soupe Knorr en sachet complètent le saumon.

Nous repartons en quittant les fjords du nord-ouest pour gagner le centre de l’Islande. Le paysage vert riant où paissent les moutons va laisser la place à une steppe désertique dès que la route monte. Sur le plateau central, la région des glaciers stérilise presque toute végétation. Seule une herbe rase subsiste, ou des lichens. Plusieurs lacs artificiels servent de réserves aux conduites forcées des centrales électriques.

Au gîte d’Aufagi, les chambres sont à quatre avec lits superposés. Trois douches sont disponibles, mais un bain collectif chaud est à l’extérieur (après douche) et les filles s’y précipitent pour trois quarts d’heure au moins, papotant dans le bain. Il ne pleut plus, mais le ciel est bas.

Nous dînons de crevettes au curry servies avec du riz, d’une salade verte et d’une crêpe en dessert. Je suis fatigué, même si nous n’avons pas marché. Les lits superposés sont sans rebord mais la psychologie fait que l’on ne tombe pas, l’inconscient ayant enregistré le risque.

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