Christian Signol, Antonin paysan du Causse

Une biographie romancée d’un homme de la France d’avant, écrite au galop, en réunissant tout le savoir des petits-enfants nés après la dernière guerre sur les grands-parents qui ont vu leur univers brisés par la Grande guerre de 14-18 que certains présidents ont aimé bien légèrement « célébrer ».

Antonin est né à la terre et a vécu comme au Moyen-âge, sans eau courante ni électricité, sans acheter quoi que ce soit à la ville qu’il n’ait vendu des poules ou des fromages en contrepartie. Le Causse est une région pauvre où la terre est aride et le plateau calcaire trop empierré. Depuis des millénaires, des générations ont arraché leur pitance aux cailloux, élevant des chèvres et des volailles, chassant le lièvre roux ou la bécasse.

Mais, hors les rois et les impôts, ils étaient heureux. Ils ne connaissaient que leur paysage, ses odeurs et ses lumières ; que les gens du pays avec lesquels ils avaient été élevés, se bagarraient, jouaient, flirtaient et se mariaient ; que la culture commune des histoires aux veillées, des courses de Pâques et des feux de Saint-Jean ; que la morale sévère du curé pour empêcher de se caresser de trop près. L’enfant grandissait entre ses parents et ils étaient doux avec lui, le regardant grandir et l’éduquant au travail. Les bêtes venaient lécher les mains et donnaient du lait nourrissant. Le bois ne manquait pas pour se chauffer l’hiver et cuire la soupe tous les jours, non plus que la paille pour les chèvres et les brebis, ni la vigne pour faire le vin qui durait toute l’année.

C’est tout ce monde, que la plupart de nos grands-parents ont connu, qui s’est écroulé en 1914, lorsque des citadins vaniteux ont décidé « la guerre » pour le prestige ou pour venger l’orgueil blessé. La saignée de 14-18 a surtout marqué les campagnes parce que les citadins étaient soit planqués, soit trop malingres pour se battre. Elle a enlevé des bras aux fermes, qui n’ont pu alors que péricliter, incitant les vieux à se réfugier au bourg chez leur descendance, et celle-ci vendre les fermes, les bergeries et les terres aux bourgeois venus s’encampagner le week-end.

Antonin est revenu blessé de la guerre de 14, inapte au travail comme avant. Il a vu son père mourir, puis sa mère décliner. Il a rompu la promesse de la marier qu’il avait faite à 15 ans à Armandine, la fille qu’il avait dans le sang. Il a vu le maire se mécaniser, puis restaurer des vieux bâtiments pour les louer aux citadins, les derniers natifs partir, trop vieux pour subsister, ses terres mêmes êtres expropriées pour faire passer une route reliant le hameau à la Nationale 20. Même si quelques écolos, après 68, ont émis l’espoir de venir installer « un atelier de tissage » comme ce fut la mode un temps, ou « élever des chèvres », le temps immémorial est bel et bien révolu.

L’électricité, la télé, désormais Internet, interdisent d’en revenir à la vie traditionnelle centrée sur l’agriculture, l’élevage et l’autarcie. Sauf si un cataclysme économique, social, politique ou écologique devait remettre les compteurs à zéro.

Antonin est attachant enfant, lorsqu’il jouit des parfums et des histoires ; il est émouvant, adolescent sans le savoir (on passait alors directement de l’enfance à l’âge d’homme), lorsqu’il serre d’un peu trop près la fille avec qui il veut faire sa vie et qu’une commère le dénonce, le curé venant chez ses parents faire la morale ; il est touchant, adulte, lorsqu’il voit les horreurs de la guerre et, pire peut-être, les ravages qu’elle fit dans la façon de vivre au village. Il se marie tardivement mais sa femme meurt en couche et l’enfant qu’elle porte avec ; il aide la Résistance par rébellion native contre tous ceux qui veulent imposer de loin leur loi.

Mais il ne peut rien contre le destin qui fait de lui un vestige, un solitaire et une fin de race.

Christian Signol recycle dans ce roman maintes publications sur le terroir, en plus des souvenirs familiaux qu’il a pu recueillir. Il écrit clair, direct, avec quelques émotions face à la nature, aux plantes, aux bêtes et aux gens. Comme ce petit garçon blond de la ville qui prend la main du vieux pour qu’il lui fasse caresser la chèvre Mélanie ou qu’il lui explique pourquoi les herbes et comment le vin. Juste le temps d’un bref été. Comme un remords de n’avoir jamais pu engendrer.

Elle est là, la France profonde, ultra-périphérique puisqu’elle disparaît peu à peu avec ceux nés dans l’avant-siècle qui précède le nôtre, comme l’a montré Jean-Pierre Le Goff. Il ne faut pas les oublier parce qu’ils nous ont faits et « je crois que pour pousser haut, les arbres, comme les hommes, ont besoin de racines profondes et vigoureuses. C’est seulement si l’on sait cela que l’on a des chances de résister aux tempêtes du temps » p.182. Pas de retour à la terre, mais une conscience de notre histoire multimillénaire.

Christian Signol, Antonin, paysan du Causse (1897-1974), 1986, Pocket 1987 réédité 2007, 183 pages, €5.95

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