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Mindelo

Terre rouge, buissons ras, rocs. Le paysage est aride, pré-saharien. Les constructions aux abords de Mindelo sont en béton-cubes. Les rouleaux atlantiques viennent s’écraser joliment sur la plage, la dentelant d’écume blanche. Deux cargos échoués y rouillent depuis des années sous le regard indifférent des autochtones. Notre hôtel est sur la colline. Il porte le nom portugais nostalgique de Saudade. Les chambres sont étroites mais leur plafond est très haut. Eclairées d’un néon blafard, elles restent sombres même en plein jour. Les lits n’ont pas de couvertures, à nous de voir si nous sommes frileux.

Nous gagnons le restaurant. Nous sont servis un plat de thon grillé sauce safran, jambon et crevettes, du riz et des frites, puis un fromage-dessert dans la même assiette : du chèvre à la papaye confite. Xavier joue les préludes de sa partition de guide en nous contant l’histoire très résumée du Cap Vert, les explorations portugaises, le commerce d’esclaves, le métissage obligatoire. Nous avons de la chance, ce soir arrive une chanteuse locale très connue, dont nous trouverons plus tard les disques : Herminia. Elle pousse quelques romances nostalgiques en plein air, sur la terrasse, dans la nuit nuageuse et le vent puissant. Sa voix est moins grave que celle de Cesaria Evora, mais le ton est aussi prenant. Elle traduit l’âme d’un peuple sans racines, nomade, à l’histoire douloureuse. Ce que nous devenons tous plus ou moins, avec la modernité et la mondialisation. Il n’y a qu’ici que je m’en suis rendu compte : les branches tombées du manguier laissent des cicatrices en forme de cœur.

Avec seulement deux heures de décalage depuis Paris, le réveil est facile. Petit-déjeuner de pain et de café, de fromage de chèvre et de jus d’orange. Nous partons en ville pour un programme chargé. Il nous faut aller à la banque pour le change, à l’Alliance Française pour les cartes de l’île et les cartes postales, à la poste pour les timbres… L’Alliance Française est studieuse lorsque nous y entrons. De jeunes adultes consultent des livres dans la grande salle claire de la bibliothèque. Ils prennent des notes et discutent à mi-voix. Quelques enfants vont choisir des livres illustrés parmi les trésors soigneusement étiquetés des rayonnages qui les entourent. Sur une carte de lecture du comptoir en attente de classement, je relève les livres empruntés par un Capverdien à barbe : ‘Mythologies’ de Roland Barthes, des ouvrages sur les rapports religion et science, Jésus et l’islam, les mythologies africaines. Sur une affiche, le visiteur est incité à parrainer un enfant indigène pour accéder à la bibliothèque : le paiement d’une carte à l’année ne coûte que quelques dizaines de francs.

La poste est un bâtiment frais repeint de blanc et bleu, très moderne d’aspect. Des efforts d’architecture et de teintes sont manifestes sur les constructions publiques. Je suis frappé par les couleurs : elles sont vives mais non criardes, elles donnent une touche de gaieté et s’intègrent bien au paysage avec son franc soleil. Ciel bleu, rocs bruts, océan profond – et l’exubérance des hommes d’ici – c’est un peu de tout cela qui se reflète dans l’architecture. Des femmes déambulent dans la rue, affairées. Certaines portent sur la tête de larges bassines où s’étalent des quartiers de thon cru rouge bordeaux, juteux, odorants.
Le marché aux poissons est plus loin. C’est le thon que l’on y débite le plus. Quelques maquereaux et de courts poissons d’argent, d’un ovale parfait, gisent dans quelques bassines. Un marin me demande en riant de le prendre en photo. Il empoigne un thon entier, sous la queue et les ouïes, pour faire saillir ses biceps et offrir une vision de nourriture et de santé. Des fresques peintes sur azulejos parent les murs ; elles sont fraîches et joliment naïves.

Le déjeuner a lieu dans une rue parallèle au port. Le service est lent, la cuisine n’est préparée que lorsque nous nous installons, comme partout en Afrique. Des éphèbes métis nous servent salade de tomates, poulet frit avec riz et frites, bananes. Xavier a oublié de nous le dire, le patron est gay. Le principal garçon a peut-être 16 ans, la barbe lui pousse à peine. Il nous regarde avec intensité, sa réserve préservée d’un fin sourire. Il a paré son cou d’un lacet noir orné d’une pierre verte pointue comme un piment entourée de deux coquillages. Faut-il y voir un symbole phallique ? La théorie s’écroule dans un grand patatras lorsque nous sortons du restaurant : il est dans la rue, adossé au mur, son service achevé et une jeune fille étreint sa poitrine juvénile. Le sourire du serveur s’est fait tendre.

Une partie du groupe se décide pour la montagne qui culmine à 750 m entre la ville et la plage. De ce plus haut point de l’île, nous aurons une vue étendue. Nous louons un gros taxi pour nous y rendre, nous rentrerons à pieds. Antennes et paraboles sont dressées au sommet pour profiter de l’endroit pour relier ce bout de terre au vaste monde. On pourrait presque sentir passer les ondes parmi les courants d’air. Ces délicates oreilles métalliques sont gardées par des soldats en armes qui déboulent aussitôt voir qui nous sommes et ce que nous faisons là. Notre venue les distrait de leur guérite et de leurs sempiternelles histoires ou plaisanteries de salle de garde. Ils reluquent les filles, comme tout militaire qui se respecte.

Nous entreprenons de parcourir bravement nos dix kilomètres retour, le nez au vent. Nous suivons la route, magnifiquement pavée de basalte jointif sans une once de goudron. Un beau travail d’artisan. Le vent souffle toujours, cet alizé régulier qui dessèche la gorge mais fait pousser le maïs. Les champs sont orientés au vent et cultivés en terrasses. On y trouve haricots, tomates, et évidemment maïs. L’eau est rare, les plantes vivent surtout de l’air du temps, cet air chargé d’humidité qui vient du large. Au loin en contrebas s’étend l’Atlantique, la plage frangée de mousse, le sable blond et les quelques constructions cubiques en béton qui forment le village.

Xavier a prévu ce soir un dîner au « Café Musique » (en français sur l’enseigne), un restaurant orchestre branché où se retrouvent en général les Français résidents ou de passage. Il a commandé un plat unique et national : la catchupa. C’est une sorte de cassoulet au maïs et chorizo, accompagné de divers légumes cuits en pot-au-feu et de quelques rares morceaux de lard et de thon. Un vrai ragoût de marin où l’on ramasse dans le pot tout ce qui traîne pour donner du goût mais avec une teinture africaine : le maïs, les patates douces. Nous goûtons au punch local, mélange de rhum brut et de mélasse où ont macéré écorces d’oranges et de citrons. C’est sucré, aimable et fort, mais ne laisse pas un souvenir impérissable (sauf le lendemain si l’on en boit trop). La serveuse accorte qui porte les consommations se laisse suivre des yeux. Elle est rembourrée aux bons endroits plutôt que bien en chair, et accentue son effet en portant un jean très moulant et un bustier élastique marqué « Kookaï » au-dessus des seins. Tous les garçons repèrent instantanément la marque, ce qui doit être l’effet commercial recherché. Ce café mérite son appellation de « musique » par un quatuor qui interprète des airs de morna, ces chants nostalgiques et vivaces du pays. Deux guitares classiques entourent une petite guitare sèche et un grand métis au nez en trompette fait jaillir de sa poitrine le chant en se dandinant un peu. C’est assez beau bien que les paroles nous échappent pour la plupart.

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Corinne Hofmann, La Massaï blanche

Voici le récit d’une Suissesse de 27 ans aussi naïvement allemande qu’obstinément suisse. Cette écervelée tombe raide dingue en 1987 d’un guerrier Massaï qu’elle aperçoit à Mombasa en pagne, paré et torse nu. N’écoutant que sa vulve, elle n’a de cesse que de coucher avec lui. Après cela, de se l’attacher à la Suisse par les liens du mariage. Elle lâche tout, ses affaires, sa famille, son pays, pour s’immerger dans la brousse loin du monde. Ce qui lui importe est seulement d’être prise chaque soir et de passer la nuit entre les bras musclés à respirer l’odeur du mâle.

Moi, lecteur, forcément extérieur au coup de foudre féminin, je prends cet état de fait comme une donnée. Pour le reste, je ne peux qu’être partagé entre agacement et empathie. Agacement pour cette raideur calviniste qui veut que tout soit fait « dans les règles », même les plus manifestes dingueries. Agacement pour cette niaiserie du grand amour sous la case, ce romantisme godiche qui laisse de côté tout fonctionnement d’intelligence. Mais empathie pour cette attirance sexuelle brutale, pour cette puissance immédiate du désir qui sonne comme un destin. Que Corinne s’y abandonne, pourquoi pas ? La jobardise naît plutôt de toutes ses tentatives de justification idéalistes et profondément égoïstes dont elle enjolive le brut appel de la chair. Tous les mythes sont rameutés dans un brouet qui ne donne pas une haute idée de la Suissesse, ni de la femme : le bon sauvage, l’amour-qui-peut-tout, l’envoûtement de l’Afrique, la révolte hippie écologique, la rébellion anti-bourgeoise, le nivellement culturel de tout le monde il est beau tout le monde il est gentil… Le désir primaire ne suffisait-il pas ?

Pourquoi vouloir de force convertir l’Africain guerrier et volage à ses fantasmes de Blanche petite-bourgeoise mal baisée et rêvant au mariage fusionnel ? Les plus belles pages sont de la veine réaliste, les pires sont du rêve égocentrique de la midinette mondialiste. L’attraction virile des muscles Massaï est une évidence bien décrite : « Son visage est d’une beauté si harmonieuse qu’on dirait presque un visage de femme. Mais son attitude, son regard fier et sa musculature puissante ne laissent aucun doute quant à sa virilité. Assis devant le soleil couchant, il ressemble à un jeune dieu » p.9. Le portrait n’est-il pas bien troussé ? Et derechef, la donzelle le piste, le traque, le poursuit. Lui, guerrier de brousse étranger à la ville, en est tout désemparé. Il se laisse faire timidement, la volonté blanche ayant l’obstination d’un sortilège.

Les Massaïs, par coutume, n’embrassent pas, ne touchent pas les femmes sous la ceinture, ne baisent que par assauts brefs et répétés comme des lapins, ne mangent pas avec la gent féminine. Corinne nous énumère ces frustrations avec un souci horloger du détail. Aux femelles de s’occuper des enfants, les mâles passent le plus clair de leur temps avec des guerriers de leur condition. La vie d’une femme compte même moins que celle d’une chèvre. Naturellement Corinne se fait gruger, son capital fond parce que ce son mari ne comprend rien au commerce ni au bénéfice. A vivre en Massaï, Corinne s’anémie, son hygiène devient déplorable. Selon les mythes de la tribu à laquelle Corinne appartient désormais, toute femme est une goule et le fier Lketinga voit en tout autre homme, écoliers pubères compris, un amant potentiel. Il se saoule avec les stocks de bière et souhaite, à la Massaï, promettre la fille issue de leur union à un vieux dès ses 9 ans, après l’avoir fait exciser sans anesthésie… Le mariage « pour la vie » est un désastre.

Mais Lketinga, « avec son torse nu, son pagne rouge et ses longs cheveux roux, est d’une beauté éblouissante » p.32. « Savoir que sous le pagne se trouve directement la peau m’excite beaucoup » p.36. La voilà, l’évidence, et elle est humainement sympathique. Le désir surgit, brut et nu. Pourquoi, dès lors, Corinne veut-elle « se marier » ? Ce n’est pas devant Dieu, dont elle ne parle pas, mais devant la société et pour la bureaucratie. Le lecteur soupçonne, et cela lui est désagréable, une exigence égoïste de ferrer l’amant, d’enchaîner son nègre à son service exclusif. Elle transgresse pour cela les conventions sociales blanches et le revendique parce que cela fait « révolutionnaire » et tiers-mondiste. Mais elle accepte alors la polygamie, le rôle dominé de la femme et les mœurs Massaï d’excision, de baise avec les enfants, et là cela devient irrespectueux, aliénant, colonial. Elle veut garder pour elle « mon chéri » (ainsi écrit-elle sans cesse), l’obliger par contrat, l’enfermer dans une paperasserie irrévocable. Donc se soumettre à ce qui est à ses propres valeurs dégradant.

En Suisse allemande, Corinne ne peut vivre son désir librement, ni accepter la liberté de l’autre. Il faut que tout soit fait dans « ses » règles à elle, celles de la lourdeur précise de son pays : papiers, autorisations, tampons, robe blanche… Et tout cela pour se retrouver arroseuse arrosée, enchaînée à un mari qui a désormais des droits légaux sur elle et sur leur enfant comme sur son capital.

La passion morte, l’obstination l’ayant conduite droit dans le mur, Corinne se trouve obligée de fuir sa destinée comme dans une tragédie grecque, et de quitter le Kenya en usant de procédés illégaux. Une Blanche et un Massaï ne sont pas du même monde et c’est naïveté que de faire comme si, voulant en même temps tout régenter.

Si toutes les Suissesses sont comme cette Corinne, maris potentiels, fuyez !

Corinne Hofmann, La Massaï blanche, 1999, Pocket 2002, 399 pages, €7.60

DVD La Massaï Blanche – d’après le best-seller de Corinne Hofmann, 2005, Hermine Huntgeburth, avec Nina Hoss, Jacky Ido, Katja Flint, Lumière, 2h11

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Christian Signol, Antonin paysan du Causse

Une biographie romancée d’un homme de la France d’avant, écrite au galop, en réunissant tout le savoir des petits-enfants nés après la dernière guerre sur les grands-parents qui ont vu leur univers brisés par la Grande guerre de 14-18 que certains présidents ont aimé bien légèrement « célébrer ».

Antonin est né à la terre et a vécu comme au Moyen-âge, sans eau courante ni électricité, sans acheter quoi que ce soit à la ville qu’il n’ait vendu des poules ou des fromages en contrepartie. Le Causse est une région pauvre où la terre est aride et le plateau calcaire trop empierré. Depuis des millénaires, des générations ont arraché leur pitance aux cailloux, élevant des chèvres et des volailles, chassant le lièvre roux ou la bécasse.

Mais, hors les rois et les impôts, ils étaient heureux. Ils ne connaissaient que leur paysage, ses odeurs et ses lumières ; que les gens du pays avec lesquels ils avaient été élevés, se bagarraient, jouaient, flirtaient et se mariaient ; que la culture commune des histoires aux veillées, des courses de Pâques et des feux de Saint-Jean ; que la morale sévère du curé pour empêcher de se caresser de trop près. L’enfant grandissait entre ses parents et ils étaient doux avec lui, le regardant grandir et l’éduquant au travail. Les bêtes venaient lécher les mains et donnaient du lait nourrissant. Le bois ne manquait pas pour se chauffer l’hiver et cuire la soupe tous les jours, non plus que la paille pour les chèvres et les brebis, ni la vigne pour faire le vin qui durait toute l’année.

C’est tout ce monde, que la plupart de nos grands-parents ont connu, qui s’est écroulé en 1914, lorsque des citadins vaniteux ont décidé « la guerre » pour le prestige ou pour venger l’orgueil blessé. La saignée de 14-18 a surtout marqué les campagnes parce que les citadins étaient soit planqués, soit trop malingres pour se battre. Elle a enlevé des bras aux fermes, qui n’ont pu alors que péricliter, incitant les vieux à se réfugier au bourg chez leur descendance, et celle-ci vendre les fermes, les bergeries et les terres aux bourgeois venus s’encampagner le week-end.

Antonin est revenu blessé de la guerre de 14, inapte au travail comme avant. Il a vu son père mourir, puis sa mère décliner. Il a rompu la promesse de la marier qu’il avait faite à 15 ans à Armandine, la fille qu’il avait dans le sang. Il a vu le maire se mécaniser, puis restaurer des vieux bâtiments pour les louer aux citadins, les derniers natifs partir, trop vieux pour subsister, ses terres mêmes êtres expropriées pour faire passer une route reliant le hameau à la Nationale 20. Même si quelques écolos, après 68, ont émis l’espoir de venir installer « un atelier de tissage » comme ce fut la mode un temps, ou « élever des chèvres », le temps immémorial est bel et bien révolu.

L’électricité, la télé, désormais Internet, interdisent d’en revenir à la vie traditionnelle centrée sur l’agriculture, l’élevage et l’autarcie. Sauf si un cataclysme économique, social, politique ou écologique devait remettre les compteurs à zéro.

Antonin est attachant enfant, lorsqu’il jouit des parfums et des histoires ; il est émouvant, adolescent sans le savoir (on passait alors directement de l’enfance à l’âge d’homme), lorsqu’il serre d’un peu trop près la fille avec qui il veut faire sa vie et qu’une commère le dénonce, le curé venant chez ses parents faire la morale ; il est touchant, adulte, lorsqu’il voit les horreurs de la guerre et, pire peut-être, les ravages qu’elle fit dans la façon de vivre au village. Il se marie tardivement mais sa femme meurt en couche et l’enfant qu’elle porte avec ; il aide la Résistance par rébellion native contre tous ceux qui veulent imposer de loin leur loi.

Mais il ne peut rien contre le destin qui fait de lui un vestige, un solitaire et une fin de race.

Christian Signol recycle dans ce roman maintes publications sur le terroir, en plus des souvenirs familiaux qu’il a pu recueillir. Il écrit clair, direct, avec quelques émotions face à la nature, aux plantes, aux bêtes et aux gens. Comme ce petit garçon blond de la ville qui prend la main du vieux pour qu’il lui fasse caresser la chèvre Mélanie ou qu’il lui explique pourquoi les herbes et comment le vin. Juste le temps d’un bref été. Comme un remords de n’avoir jamais pu engendrer.

Elle est là, la France profonde, ultra-périphérique puisqu’elle disparaît peu à peu avec ceux nés dans l’avant-siècle qui précède le nôtre, comme l’a montré Jean-Pierre Le Goff. Il ne faut pas les oublier parce qu’ils nous ont faits et « je crois que pour pousser haut, les arbres, comme les hommes, ont besoin de racines profondes et vigoureuses. C’est seulement si l’on sait cela que l’on a des chances de résister aux tempêtes du temps » p.182. Pas de retour à la terre, mais une conscience de notre histoire multimillénaire.

Christian Signol, Antonin, paysan du Causse (1897-1974), 1986, Pocket 1987 réédité 2007, 183 pages, €5.95

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Mon gratin de courgettes et pommes de terre

Pour quatre personnes, prenez trois courgettes moyennes (trop épaisses, elles ont des graines) et deux pommes de terre grosses comme un poing.

Epluchez les pommes de terre et coupez seulement les extrémités des courgettes. Lavez le tout.

A l’aide d’un robot, émincez en tranches très fines les légumes. Vous pouvez aussi le faire au couteau, mais c’est plus long, plus épais et moins égal.

Dans un plat à gratin, frottez une gousse d’ail épluchée pour le goût. Emincez ce qui reste et mettez-le dans un bol.

Placez les légumes tranchés dans le plat et mettez au four à 220° en chaleur tournante seule (sans grill !) tel quel (ou en four traditionnel, en plaçant le plat plus près de la sole pour éviter que les légumes ne brûlent). Laissez 10 mn.

Pendant ce temps, ajoutez dans le bol où est l’ail 25 cl de crème (ou moitié crème, moitié yaourt nature), salez, poivrez, puis épicez selon votre goût (muscade, coriandre moulue, cumin, curry, thym, origan… pas tout à la fois, mais choisissez ce qui vous plaît). Mélangez bien.

Une fois les 10 mn écoulées, sortez le plat du four et versez dessus la crème en répartissant bien sur les légumes.

Baissez le thermostat à 200° et laissez cuire 20 mn.

Puis versez sur le plat déjà cuit et bien évaporé du gruyère, du comté ou du chèvre râpé, et laissez fondre et à peine dorer 5 mn supplémentaires.

C’est prêt ! Fondant, goûteux et vite fait, que demander de plus ?

Vous pouvez le servir avec du fromage ou du jambon cru, ou avec de l’agneau grillé, ou encore du poisson poché. Ce légume se marie avec beaucoup d’accompagnements protéines.

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Gérard Guerrier, L’opéra alpin

En juillet 2013, l’auteur et son épouse Eva partent de Neuschwanstein au sud de la Bavière pour rallier à pied Bergame dans le nord de l’Italie, via les Alpes autrichiennes et suisses, où ils parviendront en août. Ils prennent le plus souvent les itinéraires hors-pistes, se fiant à la carte, à l’altimètre et à la boussole. Ce trek au long cours est de moyenne montagne, même si les éléments font parfois friser l’alpinisme.

Un exploit ? Non, une obstination. Il ne s’agit pas d’héroïsme ni de sport, mais de volonté. « 400 kilomètres et 32 000 mètres de dénivelée positive à parcourir en 23 jours. Cela fait une honnête moyenne de 18 kilomètres et 1400 mètres de montée par jour, soit 8 heures de marche en terrain facile et jusqu’à 11 heures en terrain montagneux. Rien d’héroïque, vraiment ! » p.140.

L’auteur, féru de montagne et d’itinéraire sauvages, cite volontiers Nietzsche qu’il aima à l’adolescence pour « la qualité de son écriture, son impertinence, son originalité ». Il ajoute, malicieux, « et puis louer le sulfureux philosophe, c’était envoyer promener ces bouffons de trotskistes, fumeurs de shit à la barbe naissante » p.150. Il ne cite pourtant pas l’aphorisme célèbre de Nietzsche, si bien adapté à son périple à pied : « là où il y a une volonté, il y a un chemin ». La solitude et le courage, ces vertus du philosophe au marteau, sont les vertus que l’auteur cultive volontiers.

Sauf que l’on n’est jamais seul en montagne. Outre sa compagne, parfois plus lente et précautionneuse, mais qui marche comme un montagnard, le paysage riant, grandiose ou menaçant suivant le temps, les vaches paisibles, les plantes et les arbres selon l’altitude et le versant, les chèvres coquines, les bouquetins fantasques ou les marmottes vigilantes, les bergers ou les paysans, les randonneurs ou les promeneurs en famille – composent un milieu où la solitude n’est que toute relative. Car l’être humain n’est pas en-dehors de la nature, il en est une partie.

Ne croyez pas non plus que le présent seul compte, un pas devant l’autre et le regard capturé par le bord du chemin. La grande histoire du choc des peuples dans ce carrefour des Alpes entre Allemagne, Autriche, Suisse et Italie se rappelle souvent au souvenir, jusqu’au dernier carré de miliciens de Darnan, capturé dans les Alpes italiennes.

L’histoire personnelle vous suit, avec les enfants au loin. Même devenus adultes et construisant leur expérience personnelle de la vie, ils vous sont liés. Ainsi Misha, le fils cadet de 25 ans, devenu guide de montagne sur les traces de son père, qui baroude avec un groupe de trekkeurs avertis dans les étendues sauvages de Yakoutie. Il ne donne pas de nouvelles, le téléphone satellite russe ayant quelques éclipses. La météo là-bas est mauvaise, les inondations coupent l’itinéraire, l’autonomie en vivres est réduite. Qu’advient-il de Misha ? Un cauchemar d’une nuit le montre désespéré, agitant la main dans les eaux noires avec un appel d’enfant à son papa ; est-il prémonitoire ?

Son aventure au loin court au fil des pages de l’aventure ici, comme si l’amour obéissait aux lois quantiques qui font que deux particules intriquées n’ont pas d’état indépendant, quelle que soit la distance qui les sépare. L’émotion du père pour son fils pilote le périple, rendant l’itinéraire de la Bavière à Bergame anodin, une promenade de vieux dans un paysage civilisé où le premier secours est à portée de téléphone. Ce qui offre une profondeur humaine à la randonnée, élevant la réflexion au-delà des belles images du chemin.

S’il donne envie de partir, ce livre peut se lire aussi dans un fauteuil, l’imagination suppléant au réel. Verlaine et Hölderlin poétisent les étapes, Willy et Misha, les deux fils, donnent un avenir à l’aventure. Car le futur est passé, ce qui se passe maintenant la résultante de ce qui n’est plus. Gérard Guerrier se souvient de ce conte qu’il improvisait pour ses garçons petits, alors que sa femme jouait au violoncelle sur un disque de Dvorak. Les enfants se perdaient dans la forêt et le père mobilisait tous les animaux, avec chacun leur sens, pour les retrouver « il les aime tant ! » p.181. C’était un moment émouvant et familial, qui s’achevait par tout le monde blotti l’un contre l’autre sur le canapé, faisant nid contre l’hostilité du monde.

Si le bonheur est à portée de pieds, puisqu’il suffit de cheminer dans la nature qui vous invite et vous aime, le tragique est que ce monde-ci n’est pas le paradis ; il est mêlé de bon et de mauvais, de réel et d’imaginaire. Si l’amour du couple est contenté, l’amour filial est tourmenté. Le vertige ne vous saisit pas seulement sur les crêtes, mais aussi au fond de vous. L’un comme l’autre sont illusions – mais ils font croire qu’ils sont vrais.

Gérard Guerrier, L’opéra alpin – A pied de la Bavière à Bergame, 2015, éditions Transboréal, 251 pages, €9.90

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Méchoui

Au lever, avant le soleil, il fait froid, l’atmosphère est bleutée. Soudain, l’astre apparaît sur la crête du Rhat. C’est magnifique comme un sourire paternel à un enfant éperdu. Quelques minutes plus tard, la température monte et l’on enlève le pull. Immense et mystérieux bienfait. En un clin d’œil, tout est joie.

Nous partons sur une piste vallonnée entre 2600 et 3200 m. Depuis hier, plusieurs jours après le début de la randonnée, la marche devient automatique, permettant à l’esprit de s’évader. Le processus est le même que le rêve : une pensée en entraîne une autre, les images s’associent, une histoire naît, décousue. L’esprit est libre, il souffle où il veut, une veille faisant se mouvoir le corps et s’adapter en souplesse au terrain. C’est un processus que j’ai remarqué maintes fois, une sorte de mise en méditation. Il semble qu’il faut au moins quatre jours de marche et de mise en condition pour que cette libération intervienne. Le premier regard sur le pays doit être saturé, les nouvelles habitudes de la vie de randonneur doivent être reprises.

Nous changeons de vallée en grimpant face au Rhat. Les mules nous suivent, puis nous rattrapent au col de Tizi n’Ibouzene que nous devons passer, à 3600 m. Le camp est installé plus bas dans un petit vallon vert, bien isolé, près d’un torrent. L’étape est peu fatigante aujourd’hui, sauf le départ en bosse de chameau, délicat à négocier sans échauffement après nos efforts d’hier. Marie-Pierre, par inadvertance, a la manie d’intervertir les prénoms. Nous ne sommes pourtant pas nombreux. Monique devient Simone, Bernard est appelé Bertrand, et moi je suis Daniel. Nous en rions, il faut bien rire de quelque chose.

Le soir, à 3100 m, nous passons en quelques minutes du tee-shirt à la veste de montagne lorsque le soleil disparaît derrière la crête. Avec le dessert, une crêpe fourrée à la confiture, œuvre de Brahim, nous buvons de la poire Williams, alcool d’Alsace acheté par l’un d’entre nous à l’aéroport avant le départ. La crêpe fourrée « pègue » un peu, ce qui veut dire qu’elle « poisse » les mains. Mais Marie-Pierre a ainsi tout un lexique régional briançonnais d’expressions savoureuses à nous sortir. Je n’en note que quelques-unes lorsque j’y repense ou qu’elles m’amusent particulièrement.

La montée du lendemain est elle aussi en creux et bosses, de crête en crête, de touffes d’épineux en pierriers. Le paysage est raviné en ocre et rose, en jaune et vert. Les mules passent par le même sentier que nous, où il faut parfois bien regarder avant de poser le pied, la trace étant à peine perceptible sur la pente caillouteuse. Mais ces bêtes sentent où il faut aller, et elles ont quatre pattes bien plantées pour se maintenir. Ce n’est pas notre cas.

A la redescente, nous rencontrons des bergers et leurs troupeaux de chèvres et moutons mêlés. Le village s’appelle Ichbakene. Nos Berbères négocient une chèvre avec les adultes qui surveillent les petits gardiens du troupeau, plusieurs enfants en vêtements bien vieillis. Une crête, un passage à flanc, et c’est soudain la plongée dans un véritable canyon. Tout au fond serpente une rivière au débit assez vif : la Tessaout. Sur un piton au-dessus d’elle, un village s’est perché comme une forteresse. Un village du bout du monde. Au bas de la pente, nous retrouvons la végétation, les noyers et leur ombre noire, les champs cultivés. Comme il est tôt, nous poursuivons directement jusqu’au lieu de bivouac, sans pause intermédiaire prévue pour midi. Nous aurons marché en tout 7 h aujourd’hui, avec deux pauses d’une demi-heure. Nous sommes en forme. Il nous reste donc le temps de « bulleter », selon l’expression de Marie-Pierre pour buller.

La traversée du village aux maisons pittoresques est marquée par un nuage de gamins qui fond sur nous. Ils sont en loques, couleur terre comme de petits paysans toujours à se traîner. Par habitude et par curiosité, ils sont collants envers les étrangers. Ils nous suivront encore loin après le village, jusqu’à ce que Brahim prenne sa grosse voix en arabe et les chasse. Seul un jeune mâle qui sait se faire respecter pouvait les faire obéir. Marie-Claire n’y suffisait pas.

Le bivouac est installé au bord de la rivière, à 2200 m, dans la vallée de la Tessaout. Il y fait chaud comme dans un four, nous n’en avons plus l’habitude. Corinne ne se sent pas très bien, Monique non plus, peut-être à cause de la température en plus de problèmes intestinaux. Pamplemousses et thé à la menthe nous désaltèrent et nous rafraîchissent. La rivière est trop froide pour s’y baigner entièrement, mais on peut s’y laver.

Le soir venu, nos Berbères tuent la chèvre par égorgement, selon les rites musulmans. Une femme et deux gamins en guenilles regardent faire ce travail réservé aux hommes, et attendent pour emporter certains restes : la tête (sauf la langue, réservée à la famille de Brahim), l’extrémité des pattes, les intestins. Chaque famille a ses coutumes pour les parties de la tête à manger. Ce soir, nous avons des grillades de chèvre. Une femme fait le pain. C’était d’habitude le rôle de Mimoun ou du cuistot de faire le pain, mais comme elle était là, ce n’est pas aux hommes de le faire. Des gamins tournent autour de nous et surtout de la cuisine. Ils ont de belles têtes aux traits réguliers mais leurs guenilles laissent le ventre ou la gorge à nu. Ils ont l’air bien nourri, si l’on en juge par leur vigueur physique et ce que l’on aperçoit par les vêtements déchirés : sur les poitrines brunes, on ne compte pas les côtes.

La soirée est joyeuse : on boit et on mange tout le temps, ce qui est une façon plutôt agréable de passer le temps après une rude journée de marche. Puis les Berbères viennent chanter et taper des casseroles en rythme. Mimoun est moins rieur que l’autre soir, ses grands yeux verts se plissent moins, mais il est bien aimé de Brahim, le chef, qui lui offre une place sur son coussin. Mimoun est peut-être intimidé face à ce chef, ce serait pourquoi il nous paraît moins en forme ce soir. Les chants berbères sont des complaintes qui se répondent. « Bien » chanter c’est être dans les temps, répondre quand il faut, être un élément au rythme de l’ensemble. La qualité de la voix est secondaire.

La nuit est tiède et calme sur le sable, avec le bruit assourdi de la rivière en berceuse. Dès 5 h du matin, au lever du jour, les gamins du village sont déjà là, à regarder. Nous sommes leur cirque, ils ne doivent pas le voir souvent. Brahim, toujours grand seigneur à l’arabe, leur donne du pain et parle avec eux.

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Presqu’île de Crozon

Article repris sur Medium4You.

La bête géologique qui mord rageusement l’océan sur les cartes de Bretagne a une langue trifide : c’est la presqu’île de Crozon. Les vagues salées ont giflé les roches tendres jusqu’à ce qu’il ne reste que la peau et les os du grès armoricain. La croix de roc qui s’avance vers le large est en à-pic sur l’eau et ne garde pas beaucoup de terre. D’où son aspect désolé, inexploitable sauf pour quelque élevage, et sa préservation « naturelle » jusqu’à nos jours.

Au nord, Brest, port de guerre où les sous-marins gîtent à l’Île Longue ; au sud Douarnenez, port de pêche et capitale européenne de la conserve de poisson ; au centre Camaret, port langoustier qui sert aux peintres du dimanche ; au pied de la croix, Crozon, gros bourg où il faut aller voir le massacre des Arméniens, soldats convertis au Christ sous Hadrien, sur un retable de 1602.

Ce qui importe, sur la presqu’île, ce sont ses points de vue et ses paysages. Les pointes rocheuses s’avancent haut sur les flots, permettant au regard d’aller loin. La pointe des Espagnols – la plus remaniée, la moins sauvage – permet de surplomber Brest et sa rade. Des découpes de la côte vers le large jusqu’au porte-avion désarmé à quai au loin, l’estuaire qui mène à Brest est rempli, pendant que nous sommes là, du vacarme d’un hélicoptère Marine et de deux vedettes rapides. Un sous-marin entre en rade, rasant l’eau, son château dressé comme un aileron sur la surface. Probablement un « nuc » – nucléaire lanceur d’engins. Vedettes et hélico chassent les bateaux de pêche et de plaisance qui peinent à sortir du goulet.

Le fort des Espagnols, construit par eux pour soutenir la Ligue, repris par les Français et renforcé en bunker par les Allemands, est un poste de guet européen au-dessus de la rade. Il est aménagé en musée, avec de curieuses plaques diapositives dans ses meurtrières.

Camaret sert surtout à déjeuner, le front de mer est garni de bistrots, pizzerias et restaurants pour tous les goûts et à tous les prix. La tour et la chapelle Vauban rappellent que l’endroit était fort convoité par les autres Européens, aux temps des guerres fratricides. Une escadre anglaise fut mise à mal en 1694 par les dragons du fort et les batteries cachées. En revanche, nulle trace du fameux curé de la chanson chère aux marins. Les petits ne la connaissent pas.

La pointe du Toulinguet surplombe Camaret au nord-ouest, déchiquetée comme si le chien de mer s’était amusé à s’y faire les dents depuis des millénaires. Un sémaphore de la Marine dresse ses tours blanches tandis que la plage de Pen-Hat étale langoureusement son sable blond tentateur ; les peaux tendres à peine hâlées encore, aspirent à s’y rouler avant de se jeter à l’eau.

En face, la pointe de Pen-Hir. Le chemin étroit qui mène au bout est bordé de lande rase vers la mer et de perspectives d’arbres et de prairies vers la ville. Nous sommes au cœur des contrastes crozoniens. Pen-Hir est célèbre pour ces Tas de Pois, trois rochers de taille décroissante qui essaiment sur la mer. Les voiliers aiment la prouesse de passer entre deux, lorsque le vent le permet. Un gigantesque monument aux marins, soldats et résistants, est élevé en béton un peu plus loin, tandis qu’un hélico effectue des manœuvres au ras de la falaise, côté Toulinguet.

Pour aller sur la pointe de Dinan, il faut repasser par Crozon, en longeant la large plage de la baie. Elle fait envie aussi, mais on ne va pas s’arrêter à toutes les plages ! D’ailleurs, le vent souffle fort sur la pointe ; il faut se rhabiller et mettre des chaussures. Le chemin qui longe la falaise permet de belles vues mais exige de tenir les gamins à l’œil (les plus petits à la main). Le regard plonge en effet vers les flots, une quarantaine de mètres plus bas. On aperçoit au loin des Tas de Pois, dans une brume marine d’un bleuté fort seyant.

A nos pieds s’élève le Château de Dinan, une pointe de pointe, sous laquelle la mer a creusé une arche, dite ‘percée des Korrigans’. Ce sont des esprits malicieux, souvent malfaisant, que l’on accuse d’avoir creusé là – comme si l’œuvre de Dieu se devait de rester immuable, sans aucune des usures du temps… L’arche soupire en cadence à chaque vague qui lessive. Le sentier étroit qui mène sur le château est fort caillouteux, suspendu au-dessus du vide, mais s’il n’y avait aucun risque on ne sortirait pas de chez soi. Il suffit de responsabiliser, surtout être bien chaussé de semelles à relief. Au retour apparaît une petite plage inviolable, sur la gauche, à l’abri du vent. Un fort désir de se tremper renaît, mais l’endroit n’est accessible que par la mer, à ce qu’il semble…

Direction le cap de la Chèvre, au bout de l’autre bras de la croix. Il n’y a pas vraiment de route, mais nous évitons de revenir à Crozon pour passer par Morgat. C’est là que se déploie le paysage de landes rases à bruyères, dont les petites fleurs mauves éclatent sous le soleil. La plage de la Palud étale ses dunes basses, longuement, côté large et les rouleaux s’y écrasent, inlassablement. Mais l’endroit est peu sûr avec de grandes vagues ; nous préférons l’une des plages de Morgat.

Les gamins rencontrés au parking du Cap de la Chèvre semblent avoir été fourrés tels quels à l’arrière de la voiture au sortir des vagues. Leur peau, agacée de sel et de rayons n’est pas prête à enfiler un quelconque tee-shirt et c’est torse nu qu’ils veulent se promener. Malgré l’air qui souffle comme sur toutes les pointes. Mais cet âge tendre a le sang chaud et ils ne tiennent pas en place, farfadets en short et sandales. D’ailleurs ils sont beaux à voir, graciles et musclés, dorés par le soleil.

Des craves à bec rouge nous regardent, l’œil torve, passer sur la lande. Les ajoncs font briller leurs gouttes d’or. Le poste d’observation était fort apprécié des Allemands il y a un demi-siècle ; on y voit en effet Pen Hir et ses Tas en pois, l’île de Sein où attend le recteur, le cap Sizun et les ‘finis terae’, ces Finistère bouts du monde connus que sont la pointe du Raz et celle de Van, vers Douarnenez. Le monument aux pilotes disparus en mer figure une aile d’avion plantée au sol, tandis qu’une crypte-labyrinthe serpente à son pied, gravée de tous les noms. Les kids s’y engouffrent d’un bond, pressés d’explorer et – je le soupçonne, de se mettre à l’abri du vent.

C’est au large de ce cap que la légende situe la ville d’Ys, capitale du roi Gradlon, chantée dans les lais de Marie de France. Dans le Trou Dahut, ce père indigne aurait précipité sa fille, sous prétexte qu’elle se livrait ‘à la débauche’. Satan-le-beau aurait séduit Dahut pour qu’il lui livre les clés de la digue. Un saint a prévenu le roi et Dieu, qui se mêle de tout, a décidé de la punir : les flots engloutiront la ville, comme à Sodome. Depuis, tous les garçons font la chasse au Dahut, surtout quand les cloches les appellent. Il existe une autre histoire de Dahut dans les Alpes…

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Au pays du grand nuage blanc

Article repris par Medium4You.

Hiata, de Tahiti, est allée se promener en janvier de cette année en Nouvelle-Zélande avec ses amis tahitiens. voici le récit de son voyage, en plusieurs épisodes.

La Nouvelle-Zélande est l’un des pays les plus isolés au monde. Les Maoris, premiers arrivants, la nommèrent Aotearoa « la terre du long nuage blanc ». Les îles de la Nouvelle-Zélande s’étirent entre 34° et 47° de latitude Sud et se situent sur le passage des 40ème rugissants, nommés ainsi pour ces vents qui balaient ces régions australes. La mer de Tasmanie, large de 1600 km, les sépare de la terre la plus proche, l’Australie. La fougère argentée (ponga) l’un des symboles du pays apparaît sur le maillot des All Blacks ! Il y a environ 180 millions d’années, la Nouvelle-Zélande appartenait à un vaste continent le Gondwana, avec les actuels Antarctique, Australie, Inde, Afrique et Amérique du Sud. La Nouvelle-Zélande se situe dans le Pacifique Sud à 1600 km de l’Australie et à 10 000 km de San Francisco et de Tokyo.

Deux îles principales (île du Nord et île du Sud), superficie 270 530 km², population 4,2 millions d’habitants. Les deux tiers des Néo-Zélandais habitent l’île du Nord. La capitale administrative et politique, Wellington, se trouve à la pointe méridionale de l’île du Nord, au centre géographique du pays. Le détroit de Cook, large de 20 km, sépare les deux îles. La Nouvelle-Zélande est une nation d’immigrants et la dernière terre à avoir été peuplée par l’homme. Il y a environ 1000 ans les Maoris s’y installèrent, les Européens il y a 350 ans seulement !

La Nouvelle-Zélande est subtropicale au nord, tempérée ou fraîche au sud, arrosée à l’Ouest et sèche à l’Est. Les volcans sont au centre de l’île du nord. Les paysages de Nouvelle-Zélande sont très variés. Sur son socle rocheux vieux de 600 millions d’années, des plissements, des éruptions volcaniques, des tremblements de terre ont façonné les paysages. La formation des Southern Alps ne date que de 3 millions d’années ! Le littoral s’étire sur 18 200 km, la lande couvre 10% du territoire, la Bay of Islands renferme 144 îles, les fjords au Sud-ouest du pays entaillent la côte sur 1000 km. Le plus profond descend à 420 m et le plus long mesure 40 km.

Faune et flore fascinent le visiteur : kauri aux immenses troncs rectilignes dans le Northland, kiwi au long bec fouisseur, ponga ou fougère argentée, gecko, manuka ou tee-tree, nestor kea, espèce de perroquets réputés pour leur intelligence, albatros royal à l’envergure majestueuse, pohutukawa ou arbre de noël des néo, otarie à fourrure…

62% des terres du pays sont consacrées à l’élevage et à l’agriculture et assurent 50% des revenus à l’exportation : pommes, poires, pêches et autres fruits à noyaux, raisins, pamplemousses, avocats, pepino, kaki, tamarillo, framboises, fraises, mûres, cerises ; des céréales : blé, avoine et orge ; autres ail, lavande, tournesol peignent la campagne. L’élevage ovin (40 millions de moutons, bovin (9 millions) donne laine, viande, produits laitiers, peaux. Le cerf est élevé dans 5000 fermes pour sa viande et ses bois très recherchés en Asie. Chèvres, autruches, émeus complètent le tableau.

Les vins de Nouvelle-Zélande sont renommés. La plantation des premières vignes remonte à 1830 et des Français ont planté en vigne la presqu’île de Banks dans le Canterbury (île du Sud) dès 1840. Le Northland élève le merlot, les environs d’Auckland le cabernet sauvignon. Le Marlborough (île du Sud) est la plus importante région viticole de Nouvelle-Zélande. Il produit des sauvignons blancs, des chardonnay et des mousseux. Le Wairarapa (Sud de l’Ile du Nord) offre son pinot noir. L’Otago (île du Sud) domine le marché mondial du pinot noir malgré ou grâce à une saison de maturation courte. Des Croates de Dalmatie sont à l’origine de la modernisation de la viticulture près du centre d’Auckland (île du Nord). Note personnelle : le pinot noir a été de loin mon préféré parmi les vins que j’ai goûtés ! J’attribuerai – avec beaucoup de modestie vu mes capacités de goûteur- une meilleure note aux vins Nouvelle-Zélande qu’à leurs cousins australiens.

Hiata de Tahiti

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Kenzaburô Ôé, Gibier d’élevage

Le Japon n’en a jamais fini de sortir de la guerre. Défait de son fait, autiste des militaristes, il cherche à comprendre, à corriger. Kenzaburô Ôé, natif de l’île du centre Shikoku, avait dix ans en 1945. Avant de s’imprégner de culture française jusqu’au sartrisme omniprésent, il a vécu la guerre dans un village sur la mer intérieure. Le gamin qui parle dans ce court roman est peut-être lui. On ne sait pas son nom, il est « le » gamin japonais de ce temps-là.

Gamin qui ne comprend pas la guerre, ni la ville, ni les prétentions des adultes. Gamin qui vit dans la nature, proche des hommes mais immergé dans les éléments. Souvent nu, au lit, au bain, en seule culotte dans les champs, le gamin ressent les choses avec sa peau. Les êtres ne lui sont proches que s’il les touche, par contact. Tout est somatique, le « rire à nous mettre le sang en effervescence comme l’eût fait un alcool » (p.15), l’angoisse de l’attente excitante avec « la gorge sèche, la salive pâteuse, le ventre vide au point d’en avoir l’épigastre contracté » (p.22), « j’en claquais des dents d’exaltation, d’effroi et de joie » p.30. Ce panthéisme est présexuel, avant même la préadolescence, qui n’est pas avérée dans les campagnes où l’on passe directement de l’état d’enfance à l’état d’adulte. Un copain plus âgé, Bec-de-Lièvre, se fait caresser le sexe tout nu par des filles de la bande au sortir du bain. Le petit frère du narrateur, qui a dans les sept ou huit ans, regarde, « prodigieusement intéressé par la gaillarde cérémonie » (p.25) mais le gamin, lui, ne répond aux sourires des filles de son âge qu’en faisant « pleuvoir sur elles sarcasmes et cailloux, les contraignant à rentrer sous terre ».

Le lien entre la matière, les bêtes et les humains est continu pour le gamin. Dans une hiérarchie bien japonaise : naturelle et sociale. Tel est l’ordre du monde. La hiérarchie de la nature va du ventre de la mère au village, « coque dure » qui protège du monde extérieur lointain. Le nid est la famille mais surtout le tout proche, le petit frère, avec qui l’on dort. Le frère est le semblable, plus fragile, protégé avec tendresse parce qu’il est un prolongement de soi : « je sentis dans ma paume la fragilité de son ossature. Au contact de ma main brûlante sur sa peau nue, ses muscles se contractèrent légèrement » p.44. La hiérarchie sociale est elle aussi continue : « Les villageois que nous étions se heurtaient, de la part des citadins, à l’aversion qu’ils auraient eu pour des animaux malpropres » p.11. L’ennemi, tombé du ciel avec un avion en flammes, est placé plus bas sur l’échelle sociale. Mais, s’il est Américain, il est Noir : « C’est une bête, rien qu’une bête, dit mon père avec gravité, il pue comme un bœuf » p.32. On sait que les odeurs sont particulièrement sensibles aux nez japonais ; on sait aussi que l’alimentation carnée des Occidentaux donne à leur transpiration une odeur « de cadavre » que les Japonais n’exsudent pas, nourris surtout de poisson et de légumes. Le gibier d’élevage du titre s’explique ainsi : l’ennemi capturé est une espèce d’animal, forcé à la chasse, que l’on va « garder à l’engrais jusqu’à ce qu’on sache ce qu’on en pense, au chef-lieu » p.32.

Pas d’animosité particulière pour le soldat ennemi ; c’est avant tout un Noir, jamais vu dans le Japon campagnard de ces années-là. Il y a donc peur mais curiosité, admiration pour la bête et tentatives de communications intelligentes (donner la nourriture, réparer un piège, conduire au bain). Un désir panthéiste aussi, qu’on ressent pour la beauté naturelle, coucher de soleil ou muscles animaux : « le lait débordait, gras, dévalait le long du cou, mouillait la chemise ouverte, coulait sur la poitrine, s’immobilisait sur la peau gluante aux reflets sombres en gouttes visqueuses comme de la résine et qui tremblotaient. Je découvris, au milieu de l’émotion qui me desséchait les lèvres, que le lait de chèvre était un liquide extraordinairement beau » p.49. C’est un gamin de dix ans qui parle d’un nègre fait prisonnier., avec toute la sensualité de son âge L’excitation pour l’ogre.

L’excitation d’apprivoiser le monstre, aussi. Car il n’y a pas de haine chez le gamin, ni même au village. Chacun fait son boulot, le Noir en avion, les citadins à la ville et pour l’armée, les paysans en leur village. Chacun obéit aux ordres dans la hiérarchie pilier de l’ordre du monde. « Nous ne pouvions pas croire que ce Noir doux comme un de nos animaux domestiques eût été naguère un ennemi nous faisant la guerre ; nous rejetions comme folle toute idée de ce genre » p.67. On lui propose des outils pour réparer les choses, on le laisse se promener dans le village, on est fier de lui montrer la force du forgeron. On le mène à la source. « Notre nouvelle idée nous plongeait dans le ravissement. (…) Ruisselant d’eau et réfléchissant les rayons violents du soleil, le Noir, dans sa nudité, était aussi éclatant que la robe d’un cheval noir ; il était d’une absolue beauté » p.77. Bec-de-Lièvre se fait masturber et « nous entrainâmes le Noir à l’endroit le plus adéquat pour bien voir » p.78. Ce qui le fait bander ; les gamins tout nus courent lui chercher une chèvre qu’il s’efforce de besogner… « Ce Noir était à nos yeux une sorte de magnifique animal domestique, une bête géniale. Mais comment pourrais-je donner une idée de l’admiration que nous avions pour lui ? » p.79.

Évidemment, la fin n’est pas le bonheur. Rien de biblique dans la mentalité japonaise, pas de happy end larmoyant pour Hollywood. Bien plutôt la tragédie. On est en guerre, l’a-t-on oublié ? Et le village dépend de la préfecture qui donne les ordres. Deux mois après la capture, un ordre arrive. Il est bénin mais le gamin, empêtré d’émotion, fait se méprendre le Noir sur ce qui va lui arriver.

Donc ce qui doit arriver arrive…Brutalement, en deux jours, le gamin devient adulte.

Ce roman court est d’une extraordinaire puissance d’évocation. Il dit le Japon et sa mentalité millénaire, dont le militarisme néo-samouraï n’était qu’une parenthèse. Il dit l’initiation d’un gamin de la nature à la civilisation, du monde des bêtes à celui des hommes. Il dit le temps qui passe, les quiproquos du destin. Il dit bien plus que des pavés sartriens cinq fois plus gros et plus filandreux. Mais il rejoint Sartre, au fond : il n’y a pas d’essence, seulement de l’existence. L’homme est un être incarné qui se fait sa propre intuition du monde.

Kenzaburô Ôé a été prix Nobel de littérature 1994.

Kenzaburô Ôé, Gibier d’élevage, 1966, Folio2€ 2002, 106 pages, €1.90

Film de Nagisa Oshima, Une bête à nourrir, 1961 (pas de DVD disponible)

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