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Ecosse, guide pratique Glénat

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Ce livre est un paradoxe : il ne se lit pas, il se pratique. Il s’agit en effet d’un guide (très) commode élaboré par un photographe naturaliste créateur de l’agence Terres oubliées. Il parcourt depuis 25 ans les Highlands et connait non seulement les lieux, les habitants, les pratiques, mais aussi les secrets.

Ainsi, savez-vous que l’Ecosse est presque entièrement privée ? Que le Parlement écossais n’a voté qu’en 2005 une loi affirmant le droit pour tous de se promener partout – sans engin motorisé ?

Très illustré de photos de l’auteur (qui font envie), ce guide pratique est divisé en deux parties : pourquoi et comment.

Pourquoi voyager en Ecosse – à 1h30 de vol de Paris – vous donne l’ambiance (116 pages).

Les paysage de Glen Affric vous tente ? N’oubliez pas non plus la magie des reflets, l’île de Skye célèbre pour son whisky pur malt, le Quiraing au décor « dantesque », la réserve naturelle d’Inverpolly, les lochs et les montagnes. Mais testez aussi les vieilles forêts de Calédonie, où se cachaient les héros de Robert-Louis Stevenson dans Enlevé ! Ou encore grimpez les montagnes, oh, pas très haut ! Le plus haut sommet de Grande-Bretagne est le Ben Nevis dans les monts Grampians et il culmine à 1345 m.

Les puristes iront approcher (ou chasser) les cerfs ou admirer les colonies d’oiseaux de mer, dont la mouette tridactyle et le pingouin torda – c’est à devenir fou (de Bassan) à Troup Head. La faune marine s’observe à l’île de Mull, loutres d’Europe et phoques, tandis que les grands dauphins bondissent à Chanonry Point et qu’à l’île de Coll vous pouvez nager avec les requins-pélerins – 5 tonnes et 10 m de long – hystériques s’abstenir (mais l’animal ne dévore que le plancton, comme une baleine).

Quant à la culture écossaise, elle n’irait pas sans whisky (à déguster sur l’île d’Islay), le tweed (à rencontrer sur l’île de Mull), ni sans l’abbaye des rois d’Ecosse (sur l’île sacrée d’Iona).

Comment bien voyager en Ecosse vous donne les clés (58 pages).

C’est le mot « bien » qui importe dans ces conseils aux voyageurs. Les motorisés trouveront de quoi savoir et faire en voiture, en camping-car, en bus ou train. Les randonneurs à pied trouveront des itinéraires détaillés, notamment The West of Highland Way. Les vélocipédistes exploreront la côte nord sur leur drôle de machine qui demande un effort (mais pas si grand). Les marins préféreront voyager en bateau, cabotage le long des côtes ou périple vers les Hébrides, les îles indomptées. Et les esthètes ont une dizaine de pages consacrée au voyage photo dont le premier conseil est : « sortez par mauvais temps ! » Une liste de 30 sites est fournie pour photographier en fonction de la saison. De quoi rapporter, outre des souvenirs, des images inoubliables qui feront rêver.

Car « l’Ecosse magnétise, fascine, étonne, désespère parfois et ne laisse finalement personne indifférent » p.9. Une belle phrase d’introduction en guise de conclusion. Il y a si longtemps que je ne suis allé en Ecosse ; c’était l’année de mes quinze ans. J’aimais alors la nature, mais aussi les gens de là-bas, Mary, presque 14 ans, demi-française et son boy-friend Steven, 13 ans, à la chevelure en casque blond qui avait toute la patience pour traduire mon anglais et m’expliquer lentement, aidé par les mots français de sa petite amie. Keith, mon hôte, 15 ans, lorsque je lui ai demandé du scotch pour coller une enveloppe m’a apporté… un whisky ! Et encore la gentillesse du petit Mark au prénom de roi et la vigueur entrainante de Graham, 16 ans et cheveux longs, qui adorait nager nu dans l’eau glacée où évoluaient les phoques. Je ne me suis pas baigné.

Laurent Cocherel, Ecosse, éditions Glénat collection les clés pour bien voyager, 2017, 192 pages, €25.00 

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Rick Bass, Le journal des cinq saisons

rick bass le journal des cinq saisons
Dans la vallée de Yaak, au Montana, l’auteur né en 1958 au Texas vit depuis 1987. C’est « une frontière entre deux mondes : à la lisière de la nature sauvage, du Montana, de l’Idaho ; aux confins des États-Unis et du Canada. La bordure des Rocheuses et du Nord-Ouest Pacifique » p.186. Il occupe un chalet avec sa femme et ses deux petites filles de 8 et 4 ans, plus une cabane de rondins où il écrit, dont la fenêtre donne sur le marais. Écologiste engagé dans la préservation de la nature et des parcs naturels, il a travaillé des années dans l’exploration des gisements de pétrole et de gaz, après des études de géologie et de biologie. Lassé du mercantilisme à courte vue des avides que sont ses concitoyens, il s’est retiré dans la nature, comme Henri David Thoreau, afin de méditer sur les fins de l’homme et écrire des livres emplis de vie.

Ce journal conte moins son ego que son milieu naturel. Il se veut « dans » la nature et pas au-dessus, il s’y fond et s’y confond, ne prélevant en bois, airelles, champignons et gibier que ce qu’il lui faut à sa consommation familiale. Pour le reste il contemple la beauté de la forêt, des montagnes, des ciels violets ou bleuté, des plantes qui vivent et s’accrochent malgré tout, de la faune, ces bêtes moins bêtes qu’on le croit, et des gens robustes et obstinés qui l’entourent.

Il faut lire ce récit dès janvier pour comprendre, dans le froid relatif de nos contrées, ce que peut être le vrai grand froid de la nature sauvage. Le Journal commence par une réunion d’amis à la maison, devant une table bien garnie et un bar copieux ; il se terminera, un an plus tard, par une autre réunion d’amis à la maison, devant la même abondance. De quoi nous faire comprendre que l’écologie n’est pas cette macération austère des prédicateurs de fin du monde, que trop de militants adoptent volontiers. Que la nature est indifférente aux humains mais qu’elle offre à profusion tout ce qu’il nous faut pour être heureux, à la seule condition de respecter ses équilibres. « Je me sens seulement envahi par une quiétude presque mystique. (…) Vivre avec sous les yeux la beauté des uns et des autres, la beauté du matin et de la saison. Aucune autre raison ne me paraît nécessaire » p.190.

« Qu’est-ce qu’une communauté ? » s’interroge l’auteur face à la nature sauvage. « Je propose de définir le mot non comme un rassemblement de gens qui partagent des buts et des projets, ou même des valeurs mais – et c’est infiniment plus rare – un lieu et un moment où contre les forces éparses du reste du monde, ils peuvent s’unir malgré leurs différences, parfois même les différences les plus saisissantes, et ressentir néanmoins une affection les uns pour les autres et la force de leur engagement commun » p.67.

Il y a toute une philosophie dans ces pages. L’humilité devant la grandeur du monde, le courage face à la force des éléments, la ruse pour se fondre dans le paysage et chasser utilement, la responsabilité pour préserver sa famille des dangers et l’initiative pour préparer activement l’hiver dans la langueur de l’été qui pousse au farniente. Il y a surtout le sentiment que tout est lié, en harmonie, en symphonie, comme ces pins vrillés qui s’abattent lors d’une tempête, formant ainsi une barrière naturelle pour que poussent les trembles loin de la dent affamée des cerfs, durant les quatre ou cinq années nécessaires à ce que les arbres deviennent adultes, permettant une réserve de nourriture pour les futurs cerfs (p.172). Il y a la prescience de l’éternel retour des saisons (p.151), des naissances et des morts, de la révolution des planètes. « Regarder le mouvement du printemps encore en bourgeons et (…) sentir le vaste esprit du monde – la joie, le réveil – qui court comme les eaux rapides de la fonte des neiges sous la surface, au retour des brises du sud, et de se laisser emporter par cet élan » p.131 (j’ai replacé la virgule où elle devait être, le traducteur semblant être fâché avec la ponctuation en français).

C’est que le pays est immense et que tout ce qui arrive est énorme. Le froid de l’hiver est glacial avec ses tempêtes de neige, le printemps explose, l’été accablant voit naître de gigantesques incendies si durs à contenir que l’on fait intervenir B52 et C130 pour jeter par tonnes des retardateurs de feu, l’automne flamboie de couleurs et de grizzlis gourmands de plus de deux mètres et demi de haut… Les vents sont puissants, les orages monstrueux, les pluies diluviennes, la neige interminable et la glace épaisse, le soleil impitoyable. Nous sommes dans la démesure, la nature au Montana accentuant encore la démesure du continent nord-américain par rapport à l’Europe.

Il y a même une saison de plus que dans le reste du monde, tant la nature est ici dans le surcroît. La cinquième saison est, pour l’auteur, le mois d’avril. « Pas question de passer directement de l’hiver au printemps : un enfant, ou même un adolescent, devient-il adulte comme ça, d’un jour à l’autre ? » p.163. Si juillet commence page 289, presque à la moitié, les mois ne sont pas racontés de façon égale, tout comme la réflexion même qui ralentit ou s’accélère selon que la saison pousse à agir ou à méditer.

vallee du yaak montana

Ce n’est pas le moindre mérite de l’auteur que de nous charmer avec ces excès mêmes. Certes, il y a parfois trop de mots, la solitude relative rend l’auteur volontiers bavard sur ce qui le passionne. Mais il sait capter l’attention par une anecdote de trappeur, nous enchanter par une description à la Chateaubriand, nous séduire par des phrases longues et balancées. Certains s’y ennuient, moi pas. La traduction de Marc Amfreville n’est pas toujours à la hauteur, mais la richesse de la langue sous-jacente se sent malgré tout. Que veut dire entre autres, en français, « les cheveux débridés » d’une femme (p.264) ? Serait-elle vue comme une bête de somme ? Et pourquoi ne jamais traduire « cobbler » (qui n’a aucun sens d’usage en français) par le mot évident de tourte ?

Rick Bass reste américain de culture et d’habitudes, mais la nature l’aide à lutter contre. Il se décrit plusieurs fois comme « un vrai glouton, Gulo gulo » p.240, « si impulsif et impétueux, si imprudent et si mal organisé » p.239. C’est ainsi qu’il s’amuse à brûler des herbes en plein été près de sa maison, manquant déclencher un vaste incendie ; qu’il entreprend de monter une côte enneigée avec son pick-up sans avoir les pneus cloutés, ce qui fait glisser le camion qui patine lentement jusque dans le ravin (il saute in extremis). Il est toujours poussé à l’action, vertu de ce peuple de pionniers optimistes : « Ne pas faire cette tentative exigerait une acceptation fataliste des agissements de l’univers dont aucun de nous (…) n’est capable » p.422. Malgré le paganisme qui est la religion innée de la nature (religion veut dire « relier »), il garde un reste de culpabilité chrétienne, péché originel et autre soumission aux Commandements du paternel suprême. « Il y a tant de joie dans cette communion que je dois avouer m’être demandé, au début, si je n’étais pas en train d’être tenté par le diable lui-même – tant quelque chose d’aussi bon ne pouvait être que coupable, et même approcher de la luxure » p.155. Quel appauvrissement qu’une religion qui interdit ainsi tout ce qui fait du bien ! Au nom d’« autre » monde, seulement « possible »…

Le verbe de Rick Bass reste irrigué par une vitalité qui vient de l’accord avec cette nature exubérante. Il s’émerveille que les enfants y soient solides, ses petites filles n’hésitant pas à marcher en sandales malgré les fourrés – comme si le paysage vous choisissait, et non l’inverse. Le récit d’une traque de cerf avec Travis, le fils de 15 ans d’un ami décédé, est un hymne à l’endurance comme au courage, les bottes texanes n’étant guère adaptée à la neige. « Et tandis que nous avancions péniblement, je me suis soudain rappelé ce que cela veut dire d’avoir quinze ans, quel extraordinaire mélange de vigueur et d’inexpérience c’était, un moment de la vie où l’on est capable physiquement et intellectuellement de presque tout faire au monde, et où tout est, sinon complètement, du moins presque neuf » p.499.

« Je voudrais que ce journal de bord ne soit qu’une célébration, une galerie de portraits du bonheur » p.131. C’est réussi. Lisez ce livre de joie pour la vitalité de la nature et de bonheur sur ses beautés vivantes.

Rick Bass, Le journal des cinq saisons, 2009, Folio 2014, 617 pages, €9.20

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William Faulkner, Descends, Moïse

william faulkner descends moise
Formé (symboliquement ?) de sept récits qui traversent les années 1860-1940, c’est à une radiographie du Sud que se livre Faulkner. Il reprend et ressasse toutes ses œuvres et toutes ses généalogies pour composer un millefeuille de Blancs et de Noirs, en ligne directe et métissés, dont les existences se croisent et se heurtent. Le titre du livre est celui de la dernière nouvelle, également celui d’un negro spiritual qui assimile l’asservissement des Noirs à celui des Juifs sous Pharaon. La famille McCaslin transmet la honte et la culpabilité de génération en génération.

Honte d’avoir été aristocrate maître d’esclaves, culpabilité d’avoir ravi la terre aux Indiens et d’avoir détruit son équilibre pour planter le coton et élever des villes. Honte et culpabilité d’avoir fauté avec des négresses et d’avoir mêlé ce que Dieu avait séparé, jusqu’aux conséquences radicales du meurtre et de l’exécution. Blanc et Noir, civilisation et nature, s’entremêlent comme les eaux du delta.

Dans le premier récit, bien loin dans le temps, une chasse au renard se transforme en chasse à l’homme pour récupérer un esclave noir qui fugue régulièrement pour aller monter sa belle. Nous sommes dans le burlesque de la comédie, le bouffon seul à même de dire que le roi est nu. Le second récit met en scène Lucas, descendant mi-noir, mi-blanc, en rivalité avec son demi-frère blanc, et qui chasse le trésor imaginaire des confédérés avec une machine électrique venue de la ville. Le troisième récit quitte un instant la famille pour mettre en scène un Noir pur sang qui, ayant perdu sa femme, se révolte contre la condition humaine (et finit pendu) ; une vraie bête aux muscles puissants et aux instincts bruts, une sorte de rêve américain jusqu’à Rambo et XIII.

Mais c’est le quatrième récit qui est le plus beau, sauf sa section 4. Cette fois, c’est un vieil homme de 1940, Isaac dit Ike, qui raconte son enfance en forêt, durant les chasses annuelles des Blancs du comté. Il a dix ans, douze, ans, seize ans, et le vieux Sam, mélange d’Indien et de Noir, lui apprend à marcher sans bruit, à observer les traces, à s’orienter sous les arbres, à tirer ou à ne pas tirer selon les moments. A douze ans, le gamin tue son premier cerf et Sam le baptise du sang de la bête, cérémonie initiatique qui le met en communion avec la nature et avec la vie même. Ce sont les pages les plus belles de Faulkner, emplies d’émotion et de respect. « Sam Fathers ne l’avait-il pas déjà consacré, et délivré de la faiblesse et du remords ? – non pas de l’amour et de la pitié pour tout ce qui vivait et courait et, en une seconde, cessait de vivre en pleine splendeur et en pleine course, mais simplement de la faiblesse et du remords » Les Anciens, 2 p.789 Pléiade.

garcon chasseur

A seize ans, il rencontre un ours, le Vieux Ben rusé et inoxydable, que tous chassent depuis des années. Ce sera un autre qui le tuera, mais pas cette année-là. Il faudra dresser spécialement un chien, différent des autres, sans peur et sans reproche : Lion.

La section 4 de ce récit est en revanche une jérémiade illisible. Rupture de ton, phrases interminables, écriture expérimentale sans ponctuation – un vrai pensum qui dérive vers le prêche biblique. Faites comme moi, survolez ces pages chiantes, qui durent quand même un long moment. Tout ça pour se plaindre d’être Blanc, Américain, propriétaire, chasseur, mâle et ainsi de suite. Appel à la Bible, dissection des desseins de Dieu – en bref, réservé aux lecteurs purement américains avec de la patience ; je ne sais pas si beaucoup lisent encore ça aujourd’hui.

Le dernier récit est contemporain de l’écriture, 1940. La guerre menace en Europe ces bouffons de xénophobes tandis que les Américains racistes, ayant libéré les Noirs, ne peuvent envisager d’avoir des enfants avec eux. La vieille alliance (biblique ?) de l’homme et de la nature, durant la chasse, ne résiste pas à la ville et au regard social. Et cela se termine mal.

Un beau livre, sauf la centaine de pages de délire prêcheur. Il est peu connu mais fait pénétrer un peu plus l’Amérique, ses mythes et ses complexités sociales par un esprit européen du XXIe siècle.

William Faulkner, Descends, Moïse, 1940, Gallimard L’imaginaire 1991, 336 pages, €10.00
William Faulkner, Œuvres romanesques tome 3, Gallimard Pléiade, 2000, 1212 pages, €66.00

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Diderot, Jacques le fataliste et son maître

Autant je suis peu sensible au ‘Neveu de Rameau’, autant j’aime ‘Jacques le fataliste’. Le mal cousu du premier devient fantaisie, l’échevelé devient exubérance, les digressions deviennent des aventures en poupées russes reliées par l’idée juste que la vie est sans cesse mouvement et que l’homme sage la prend comme elle vient, en profite et en tire leçon. Ce conte philosophique n’échappe pas aux aléas Diderot : comme les autres, il est écrit rapidement en 1771, comme les autres il est repris, raturé, recopié, et publié en volume seulement… en 1796, après la mort de l’auteur. Ce ne sont que quelques privilégiés aristo qui ont pu lire ‘Jacques le fataliste’ sous Louis XV.

Il faut dire que le roman est impertinent : il parle de sexe avec bonheur, de relations hors mariage et d’adultères, de pucelage ôté par des matrones aux jeunes garçons, de moines pervers qui enclosent des mineures pour leurs plaisirs. Le sexe ne devrait-il pas être cette chose sérieuse qu’on n’aborde qu’avec tact, à mi-voix et les sourcils froncés, tant il est « grave » de mettre les gens en situation ? Foin des soutanes et des vertugadins ! Diderot en rajoute dans le libertin.

C’est que le libertinage est le premier pas vers la liberté. Le manant, le domestique, le bourgeois même ne peuvent se désaliéner des contraintes religieuses, politiques et sociales qu’en baisant. L’acte sexuel est la seule transgression à portée de toutes les bourses… D’où les amours de Jacques racontées à son maître, lequel maître est si captivé qu’il laisse renverser l’ordre social l’établissant supérieur. Il y a désormais contrat entre Jacques et le maître, contrat social qui acte que tous deux sont liés l’un à l’autre et ne sauraient se séparer sans dommage pour chacun ; il est donc d’intérêt mutuel de se respecter mutuellement, d’écouter alternativement le bavardage de l’un et de l’autre.

Ce pourquoi le maître aussi conte ses aventures libertines, beau moment d’égalité entre hommes, si ce n’est entre les hommes. Car les femmes (qui sont des hommes comme les autres lorsqu’il s’agit des droits) sont aussi entreprenantes, politiques et perverses que les meilleurs (ou les pires) des hommes. Maints exemples nous en sont donnés. Mais l’on voit bien que raconter c’est unir et que la démocratie qui va naître dans le sang et les convulsions en 1789 est préparée par cet état d’esprit.

Diderot sait admirablement jouer du récit en feuilleton, entrelacer les histoires et la pérégrination des voyageurs, entretenir les coups de théâtre et les à propos, pour tenir son lecteur en haleine. Une vraie bande dessinée ! Nous sommes dans le réel où l’on se bat, l’on bouffe et l’on baise ; nous sommes dans le conte où l’on raconte l’histoire arrivée à tel ou tel, édifiante pour le présent. Le récit va comme un verre de champagne, vin qui est servi abondamment par une aubergiste bavarde qui ajoute – en tout bien tout honneur – son grain de sel au roman. Elle tient la taverne du ‘Grand cerf’, tout un programme dans le fantasme sexuel !

Les couples ne manquent pas, à commencer par Jacques et son maître, auparavant Jacques et son capitaine, encore avant Jacques et son ami adolescent, dépucelés tous deux par la même fille de forgeron. Il y a le maître et son faux chevalier escroc, le bourreau et son cheval habitué à s’arrêter aux gibets, l’aubergiste et sa Nicole – une petite chienne qui a reçu un coup de pied. C’est qu’il n’y a pas de vie sans les autres, ni instincts, ni affections du cœur, ni dialogues pour l’esprit sans mise en branle en société.

Jamais Diderot n’a dit avec autant de verve son amour pour la compagnie, le voyage ensemble, la bonne chère de concert, la conversation sur les amours. Le débat est incessant car il n’est pas de vie sans débattre ni se débattre. Donc la démocratie… On conçoit ce qu’a pu avoir de subversif ce ‘Jacques’ là, prénom usité comme synonyme de quidam ou de rebelle (jacqueries).

Raconter c’est penser, et rien ne prédispose mieux à penser que pérégriner. C’est ce que Nietzsche dira en parcourant à pied les sentiers d’Engadine : la marche aide les idées à se mettre en place, à leur rythme, avec bon sens, les pieds fermement attachés à la terre et la tête au vent qui passe. Entre les deux ? La philosophie. Celle de la vie bonne, ici et maintenant, pas celle des grands systèmes pervers créés ex nihilo pour jouer à Dieu et tyranniser les hommes. C’est cela aussi, la démocratie… Plutôt Athènes que Sparte, 1789 que 1793, le libéralisme que le collectivisme.

« Le maître : – A propos, Jacques, crois-tu à la vie à venir ? Jacques : – Je n’y crois ni décrois, je n’y pense pas. Je jouis de mon mieux de celle qui nous a été accordée en avancement d’hoirie » p.815. Vivre ici et maintenant est sagesse, sans entretenir l’illusion du passé ni la crainte de l’avenir. Montaigne le dit, comme les sages antiques et les philosophies orientales. Il n’y a que les églises chrétiennes qui jouent des peurs humaines pour instaurer leur pouvoir. Vivre, c’est être à propos.

« Jacques : – C’est que faute de savoir ce qui est écrit là-haut on ne sait ni ce qu’on veut ni ce qu’on fait, et qu’on suit sa fantaisie qu’on appelle raison, ou sa raison qui n’est souvent qu’une dangereuse fantaisie qui tourne tantôt bien, tantôt mal. Mon capitaine croyait que la prudence est une supposition, dans laquelle l’expérience nous autorise à regarder les circonstances où nous nous trouvons comme causes de certains effets à espérer ou à craindre pour l’avenir » p.676. Il faut espérer ou craindre à propos, pas hors de propos ; et le propos juste est d’expérience comme de raison. Il n’est écrit nulle part, ni imposé par quelque homme providentiel.

Une anecdote ne prouve rien mais elle édifie, elle fait penser. C’est ce qui naissait à la fin du XVIIIe siècle et qu’on jubile de découvrir. C’est ce qui meurt avec la pensée unique et la globalisation des convenances sur la Toile – qu’on déplore aujourd’hui d’observer…

Denis Diderot, Jacques le fataliste et son maître, 1771, Folio, 2006, 373 pages, €4.84

Denis Diderot, Contes et romans, Gallimard Pléiade 2004, édition Michel Delon, 1300 pages, €52.25

Diderot déjà chroniqué sur ce blog

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Queenstown et les croisières

Pour le petit déjeuner le groupe est scindé en deux car le restaurant du motel est trop petit. Il pleut, il pleut, il pleut ! Rendez-vous sur le quai pour prendre la « Lady of the Lake » pour nous rendre sur la rive opposée. La pluie gâche un peu notre plaisir mais l’ambiance sur le steamer est fort sympathique.

Le TSS Earnslaw est une vénérable relique du temps où les vapeurs étaient le principal moyen de circulation sur le lac. Il est propulsé par 2 moteurs de 500 chevaux qui l’équipent depuis son lancement en 1912.

Cette honorable « Dame du Lac » nous mènera à la Walter Peak High Country Farm. Là nous irons rendre visite aux lamas, aux moutons, aux cerfs et biches, aux bœufs écossais, et avec une tasse d’un English tea, déguster un ou deux scones. Delicious !

Sur le bateau, un piano quart de queue et son pianiste joue des mélodies très connues, un petit Song book est remis à ceux qui s’approchent du coin musique. Dans ce petit fascicule, vous trouverez 48 textes de chansons comme My Bonnie, John Brown’s body, Lily Marlene, It’s a long way to Tipperary, Waltzing Matilda, and so on. A l’aller comme au retour, le pianiste du bord se délectera d’accompagner les voix tahitiennes, de jouer à quatre mains avec notre accompagnatrice. Etonnant et distrayant pour les autres touristes, asiatiques pour la plupart,  qui s’empressent de mettre ces souvenirs dans leur boîte à images.

Par le téléphérique Gondola nous irons dîner au restaurant panoramique. Le dénivelé est de 450 m sur une longueur de 730 m. La vue depuis le restaurant sera perturbée par la pluie, dommage ! On aurait pu faire de la luge. Tant pis. Les buffets sont copieusement garnis, en huîtres, pétoncles, moules, crevettes et autres produits de la mer, en viandes, en légumes, en salades, en fromages. Du chaud, du froid,  des desserts, des boissons chaudes, cette fois, les Tahitiens n’auront  pas besoin de courir chercher des frites au sortir du restaurant!

La journée sera longue. La pluie sera des nôtres jusqu’à l’arrivée. Te Anau est le centre commerçant du Fiordland, région vivant de l’élevage de daims et du tourisme. La ville est sise sur la rive sud-est du lac du même nom, long de 61 km et profond de 417 m. C’est le plus grand lac de l’île du Sud.

Une visite à la grotte des vers luisants est programmée. Par bateau, on rejoint la grotte. On pénètre par petits groupes à l’intérieur. De passerelles en passerelles, au-dessus des torrents, d’une piscine naturelle, de la rivière est en crue qui gonfle la cascade,  on pénètre l’intérieur des galeries calcaires puis en barque, dans le plus grand silence, on découvre les voutes de la grotte illuminées par des milliers de vers luisants. Grâce à leur minuscule lumignon ils attirent les insectes dont ils se nourrissent. Une voute céleste brillant de milliers de feux dans un univers magique.

Sabine

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Au pays du grand nuage blanc

Article repris par Medium4You.

Hiata, de Tahiti, est allée se promener en janvier de cette année en Nouvelle-Zélande avec ses amis tahitiens. voici le récit de son voyage, en plusieurs épisodes.

La Nouvelle-Zélande est l’un des pays les plus isolés au monde. Les Maoris, premiers arrivants, la nommèrent Aotearoa « la terre du long nuage blanc ». Les îles de la Nouvelle-Zélande s’étirent entre 34° et 47° de latitude Sud et se situent sur le passage des 40ème rugissants, nommés ainsi pour ces vents qui balaient ces régions australes. La mer de Tasmanie, large de 1600 km, les sépare de la terre la plus proche, l’Australie. La fougère argentée (ponga) l’un des symboles du pays apparaît sur le maillot des All Blacks ! Il y a environ 180 millions d’années, la Nouvelle-Zélande appartenait à un vaste continent le Gondwana, avec les actuels Antarctique, Australie, Inde, Afrique et Amérique du Sud. La Nouvelle-Zélande se situe dans le Pacifique Sud à 1600 km de l’Australie et à 10 000 km de San Francisco et de Tokyo.

Deux îles principales (île du Nord et île du Sud), superficie 270 530 km², population 4,2 millions d’habitants. Les deux tiers des Néo-Zélandais habitent l’île du Nord. La capitale administrative et politique, Wellington, se trouve à la pointe méridionale de l’île du Nord, au centre géographique du pays. Le détroit de Cook, large de 20 km, sépare les deux îles. La Nouvelle-Zélande est une nation d’immigrants et la dernière terre à avoir été peuplée par l’homme. Il y a environ 1000 ans les Maoris s’y installèrent, les Européens il y a 350 ans seulement !

La Nouvelle-Zélande est subtropicale au nord, tempérée ou fraîche au sud, arrosée à l’Ouest et sèche à l’Est. Les volcans sont au centre de l’île du nord. Les paysages de Nouvelle-Zélande sont très variés. Sur son socle rocheux vieux de 600 millions d’années, des plissements, des éruptions volcaniques, des tremblements de terre ont façonné les paysages. La formation des Southern Alps ne date que de 3 millions d’années ! Le littoral s’étire sur 18 200 km, la lande couvre 10% du territoire, la Bay of Islands renferme 144 îles, les fjords au Sud-ouest du pays entaillent la côte sur 1000 km. Le plus profond descend à 420 m et le plus long mesure 40 km.

Faune et flore fascinent le visiteur : kauri aux immenses troncs rectilignes dans le Northland, kiwi au long bec fouisseur, ponga ou fougère argentée, gecko, manuka ou tee-tree, nestor kea, espèce de perroquets réputés pour leur intelligence, albatros royal à l’envergure majestueuse, pohutukawa ou arbre de noël des néo, otarie à fourrure…

62% des terres du pays sont consacrées à l’élevage et à l’agriculture et assurent 50% des revenus à l’exportation : pommes, poires, pêches et autres fruits à noyaux, raisins, pamplemousses, avocats, pepino, kaki, tamarillo, framboises, fraises, mûres, cerises ; des céréales : blé, avoine et orge ; autres ail, lavande, tournesol peignent la campagne. L’élevage ovin (40 millions de moutons, bovin (9 millions) donne laine, viande, produits laitiers, peaux. Le cerf est élevé dans 5000 fermes pour sa viande et ses bois très recherchés en Asie. Chèvres, autruches, émeus complètent le tableau.

Les vins de Nouvelle-Zélande sont renommés. La plantation des premières vignes remonte à 1830 et des Français ont planté en vigne la presqu’île de Banks dans le Canterbury (île du Sud) dès 1840. Le Northland élève le merlot, les environs d’Auckland le cabernet sauvignon. Le Marlborough (île du Sud) est la plus importante région viticole de Nouvelle-Zélande. Il produit des sauvignons blancs, des chardonnay et des mousseux. Le Wairarapa (Sud de l’Ile du Nord) offre son pinot noir. L’Otago (île du Sud) domine le marché mondial du pinot noir malgré ou grâce à une saison de maturation courte. Des Croates de Dalmatie sont à l’origine de la modernisation de la viticulture près du centre d’Auckland (île du Nord). Note personnelle : le pinot noir a été de loin mon préféré parmi les vins que j’ai goûtés ! J’attribuerai – avec beaucoup de modestie vu mes capacités de goûteur- une meilleure note aux vins Nouvelle-Zélande qu’à leurs cousins australiens.

Hiata de Tahiti

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