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Colette, Pour un herbier

Colette publie en Suisse en 1948 les feuillets détachés de ce qu’elle a écrit sur les fleurs ; une édition de luxe est éditée en 1951 avec les aquarelles de Raoul Dufy. C’est aujourd’hui la seule édition disponible, sauf le texte seul dans le volume 4 des Œuvres de la Pléiade.

Colette aime les fleurs, elle les a toujours aimées depuis son enfance campagnarde auprès de Sido dans son village de Bourgogne. Aussi, lorsque l’éditeur de Lausanne lui propose d’entrer dans sa collection « Le Bouquet », elle ne résiste pas. A chaque moment fleuri, un texte. Le bouquet du fleuriste Harris de la rue Cambon à Paris (quartier chic), le lys et l’iris, le gardénia et le camélia chers aux grandes bourgeoises qui en ornent leurs cheveux, l’orchidée apportée par sa fille Colette de Jouvenel, une branche de glycine de Saint-Sauveur ramenée par une vieille en cheveux blancs, la tulipe qui ne ressemble pas à un vase de Chine et que les fleuristes sous l’Occupation vendaient par trois bulbes, un bleu, un blanc, un rouge.

Et puis des soucis en souvenir de la chienne dont c’était le nom, la rose en ses aspects, les rosiers vivaces du Palais-Royal qui résiste aux hordes d’enfants brutaux eu 1er arrondissement. Le bleu des fleurs sans nul autre pareil, jamais vraiment bleu, le muguet odorant au blanc de bonbon à la menthe qui fait un peu tourner la tête, les jacinthes sauvages populaires dites « clochettes », l’anémone au nom de prénom, les jeannettes qui sont une sorte de narcisses.

Quant aux exotiques, connaissez-vous le lackee et le pothos ? L’adonide de la concierge ? L’arum pied-de-veau du Maroc ? Il y a encore les médicinales de l’enfance, où tout sert à tout, contre la fièvre, la constipation, « à faire-des-garçons », le pavot et l’ellébore pour ceux qui ont un grain. Et les broutilles – celles qui se mangent, ortie, scorsonère, roseau, ficaire, salicorne, épine-vinette, capucine, pétales de rose. Tout ce que le gastronome critique Louis Nathan, dit Forest promouvait pour renouveler la gastronomie. Nos écolos friands d’herbes sauvages n’ont décidément rien inventé, eux qui se croient nés avec le monde.

La rose ne vit que l’espace d’un matin, comme la plupart des fleurs. Une fois coupée, l’humain peut les prolonger un peu, selon l’art des moines zen qui protègent ainsi la vie en bouquets. Mais la fleur est le spectacle de l’éphémère, de la vie qui passe – vite. A dix ans de sa mort, Colette la sent venir, ses textes de fleurs sont aussi des textes de vanité, du temps impitoyable. Une sensation, une poétique, une philosophie – ce serait dommage de passer sans lire cette œuvre presque dernière de Colette.

(liens sponsorisés Amazon partenaire) :

Colette, Pour un herbier – avec les aquarelles de Raoul Dufy, 1948, Citadelle et Mazenod 2021, 100 pages, €65.00

Colette, Œuvres tome 4 (1940-54), Bibliothèque de la Pléiade 2001, 1589 pages, €76,00

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Bernard Lenteric, Vol avec effraction douce

Bernard Bester, dit Lenteric, a écrit de superbes thrillers dans les années 1980 et 90 qui se lisent ou se relisent (c’est mon cas) encore aujourd’hui. Ils sont d’ailleurs toujours édités, en Livre de poche ou en format Kindle. L’étonnant avec cet auteur est qu’il a anticipé l’avenir, cette époque où nous vivons désormais. Il y a 35 ans, peu s’inquiétaient de l’IA, « l’intelligence » artificielle, car les ordinateurs n’étaient pas encore assez puissants et un joueur d’échecs parvenait à les battre. Lenteric, s’en est inquiété. Le socle de ce roman intermédiaire entre le policier et la science-fiction est l’IA.

Cette puissance technologique fait évidemment envie aux maîtres du monde, ces richissimes milliardaires texans du pétrole – qui ont dégorgé du Trump il y a quelques années pour faire coïncider la politique avec leurs intérêts. Et ils sont prêts à recommencer. D’où l’intérêt de ce thriller français d’anticipation aujourd’hui.

Juliette Langston-Bell est jeune, sexy et sans scrupules. Selon l’auteur, elle est « une véritable chienne, qui traverse le monde prête à déchiqueter de ses crocs le moindre obstacle » p.325. Elle a fondé Brain, une entreprise de captation des connaissances des cerveaux les plus aiguisés de la planète. Il s’agit de mettre leur savoir en machine pour créer des systèmes-experts (ancien nom – plus juste – de l’IA). Cela pour la meilleure efficacité économique évidemment, mais qui n’est que le prétexte à amasser encore plus d’argent pour avoir encore plus de puissance. Aller droit au but est louable et économise des ressources en main d’œuvre, en capital et en matières, mais ce capitalisme réel est le masque de la bonne vieille soif de pouvoir, d’argent et de sexe – dans cet ordre.

Tout est permis aux richissimes, puisqu’ils sont capables de tout acheter, y compris les consciences et jusqu’à la loi même. Les compagnies pétrolières ont leur propre police, leurs propres intérêts, leurs propres centres de recherches.

Mais il y a pire : les plus riches et les plus avides de puissance parmi les dirigeants (et les dirigeantes) aspirent à se libérer encore plus de toutes les contraintes. Ils veulent faire ce qu’ils veulent, au mépris des lois, règlements et déontologies des États. Au mépris de l’humain même.

Ce qui commence comme une compétition économique pour obtenir d’un géologue géophysicien expert la mise en machine de son savoir, devient un totalitarisme personnel. Le français Stewart est un séduisant trentenaire grand, fin et musclé, à l’intelligence déconcertante. Juliette est instrumentalisée pour prendre dans ses filets Stewart, mais il résiste. Il préfère lui aussi la liberté. Son entreprise de prospection indépendante est alors attaquée sans merci par un groupe de mercenaires sur ordre des cartels pétroliers ; le matériel est détruit et son adjoint et ami tué. Stewart se résigne donc à accepter la proposition de Juliette, en attendant de se venger.

La réalisation du système-expert avec ses connaissances et son expérience, le savoir-faire du Japonais Ishiguro en informatique prêt à inventer l’ordinateur interactif de 5ème génération, et la cogniticienne Juliette qui servira à l’interface homme-machine, est un travail d’équipe. Mais des intérêts plus puissants sont à l’œuvre. Tous trois sont enlevés par ceux qui tirent les ficelles et veulent les faire travailler pour eux comme des esclaves, dans un centre fermé, isolé de tout au fin fond du Chili. L’impitoyable Juliette, qui a eu la bêtise d’utiliser un radio-téléphone (ni le net ni le smartphone n’existaient en 1991), a été repérée et la famille innocente qui l’hébergeait est massacrée sans merci, enfants compris.

L’utopie de la science conduit à vendre son âme. Le camp de travail pour scientifiques qui veulent s’affranchir des Droits de l’Homme comme de toute déontologie est financé par les cartels… pétroliers – véritable mafia hors des lois et des États. Le professeur Dessambert qui le dirige a d’ailleurs d’autres projets que le minable système-expert pour trouver du pétrole : il veut carrément extraire les cerveaux pour les faire travailler hors corps (comme on dit hors sol) avec l’ordinateur. Il aura ainsi, croit-il, le meilleur du calcul machine avec le meilleur de l’intuition humaine.

On le voit, le transhumanisme des libertariens américains peut aboutir à de tels délires si aucun contre-pouvoir ne le contrecarre. C’est aussi le mérite de Lenteric, en cette fin des années 1980, de montrer tout cru ce mirage des méthodes et des mœurs américaines sur les cerveaux européens colonisés. Les petit-bourgeois arrivés au pouvoir en 1981 avec Mitterrand, qui ont submergé d’un coup l’ancienne génération politique en France, ont épousé cet égoïsme arriviste à un point jusqu’ici jamais connu (d’où les « affaires » multipliées). Le prétexte du « socialisme » a servi de paravent idéologique à cette soif de pouvoir, d’argent et de sexe qui ont déferlé sur la France à ce moment. « Un monde sans autre loi que celle du plus fort. Le plus fort, le plus malin, le plus riche… Le plus riche parce que le plus fort ou le plus malin. Tant pis pour les autres, les faibles, les pusillanimes, les pauvres, les mal nés » p.264. On inventera pour eux le clientélisme d’État, l’assistance sociale payée par la dette…

Le héros qu’est au fond Stewart, le non-américain, le géologue en phase avec la terre, l’homme à qui on ne la fait pas, notamment les femelles trop aguicheuses, se tirera seul de ce bourbier. Avec un gamin désormais orphelin, un cobaye de laboratoire chilien de 10 ans prénommé Jacinto, le nom espagnol de Hyacinthe, l’enfant préféré d’Apollon dont le cri de lamentation « AI » est l’anagramme de l’IA. Le centre de concentration sera détruit par l’un des siens, en répandant une épidémie tirée du génie génétique en laboratoire afin de faire du fric sur le vaccin antidote. Comme quoi Lenteric, une fois de plus, reste en plein dans l’actualité.

Bernard Lenteric, Vol avec effraction douce, 1991, Livre de poche 2002, 382 pages, €6,29 e-book Kindle €6,49

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De la plage d’Herlin à celle de Locmaria

Les falaises de la côte sont plus hautes qu’hier et la Pointe de Saint-Marc, la Pointe de Pouldon, la Pointe du Skeul, nous offrent des perspectives sur l’île qui s’étend vers le nord, ainsi que sur le grand large. Le vent vient directement face à nous. Il nous apporte plusieurs grains successifs, dit « orageux » par la météo. Le grain monte et la pluie claque la cape dans un tourbillon d’atmosphère. Un vrai déluge qui ne dure pas. Je retiens notamment le grain de 12h18, qui marque cinq minutes d’arrêt sous cape avant de laisser passer le soleil.

Les montées et descentes des criques sont moins nombreuses mais plus accentuées. Nous avons fait environ 18 km aujourd’hui. Nous pique-niquons au soleil et au vent sur la falaise. L’écume des vagues qui se jettent sur les rochers en bas vole jusqu’en haut comme s’il neigeait. Les grains reprennent, très violents et avec un fort vent, mais sont éphémères ; ils laissent la place aux suivants vingt ou trente minutes plus tard. Alternance de soleil et de pluie qui se déverse en trombe avant de s’éloigner pour un temps, ce qui nous permet de sécher. Nous n’arrêtons pas de mettre et d’ôter la cape de pluie. Le sentier est bordé de ronces et d’ajoncs qui aimeraient bien occuper le terrain foulé par les marcheurs. Par revanche, elles nous griffent les mollets dès qu’elles le peuvent.

Nous atteignons Port Blanc, la plage de Locmaria, petit village tout au bout de l’île à l’opposé de Sauzon. Le soleil donne, des gens se baignent, un petit gamin et sa sœur en slip travaillent le sable à la pelle, dorés comme des brioches. Mais brusquement le grain se lève et voilà toute la famille rapatriée au ras du rocher en train de se rhabiller. Nous nous sommes réfugiés sous les tamaris qui bordent la falaise.

Puis le soleil revient, et la moitié du groupe va se baigner. On me dit que l’eau est plus froide qu’au Palais mais supportable. La chienne Pixie est ravie, elle nage à la poursuite un morceau de bois lancé par sa maîtresse, puis se sèche en se roulant dans le sable. Les enfants rhabillés trop tôt ont envie d’aller explorer les rochers avec papa au grand soleil revenu et le petit, en débardeur, se mouille la culotte, il faut lui mettre une serviette en paréo car il n’a plus rien de sec. J’aime à regarder les familles. Papa mignote ses enfants pendant que maman lit. Voilà un spectacle « anti sexiste » suivant la mode, mais cette fois positive.

Le village de Locmaria recèle l’église la plus ancienne de l’île, construite en 1714. On dit que ce village isolé au bout du bout, aurait été jadis un lieu de sorcellerie. Les endroits isolés, que l’on connait moins, font peur et suscitent la paranoïa. Une légende veut qu’un orme ait été abattu par des Hollandais pour remplacer un mât de leur bâtiment mais que le tronc s’est tordu, terrifiant les marins. Cela fait partie des histoires consolatrices en cas de défaite. Les Hollandais venaient en effet d’envahir Belle-Île.

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Mormons, mormone à Tahiti

La « Mormone » est la chienne abandonnée, pleine, sur la route de ceinture. Elle a été attirée par les nouveaux locataires d’une maison voisine, de jeunes missionnaires mormons de l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des derniers Jours dite des Mormons.

Cette église se développe activement dans les îles du Pacifique Sud. Née aux USA, elle se fonde sur un livre « merveilleux » qui donne à l’Amérique une histoire ancienne remontant à la Tour de Babel. A la suite de la révélation de Joseph Smith, né dans le Vermont en 1805, qui vit apparaître un ange, Moroni en 1823, qui lui révéla sa mission de prophète et l’existence d’un mystérieux livre écrit sur des feuilles d’or en écriture égyptienne « réformée ».

papeete temple mormon

L’Église est chrétienne, reconnait Jésus-Christ, s’appuie sur un livre sacré aussi important que la Bible qu’elle est seule à reconnaître, sa morale est puritaine. Les Mormons n’admettent pas la prédestination ni la notion de pêché originel. Ils ont renoncé à la polygamie en 1890. Chaque fidèle peut faire baptiser rétroactivement ses ascendants, il suffit de fournir l’état-civil à l’église. Ce pourquoi les chercheurs mormons partent dans le vieux monde à la recherche d’ancêtres ; ils sont les meilleurs généalogistes internationaux. Les noms collectés sont enregistrés dans un ordinateur central.

L’organisation de l’Église est stricte, dirigée par un « président prophète et voyant ». L’Église a un poids considérable, 3 millions de fidèles en 1970, aujourd’hui 6 millions. Elle dispose d’évêques, grands prêtres, prêtres et missionnaires, missionnaires présents dans 150 pays du monde. [Mitt Romney est par exemple mormon.] Plus de 30 000 jeunes font un service volontaire de 2 ans. En France, elle est présente depuis 1866 et aurait plus de 20 000 membres. La richesse de cette église provient d’un impôt de 10% que chacun verse sur ses revenus (idem pour les Adventistes). L’effort missionnaire de l’Église est fructueux dans le Pacifique où les Mormons sont aussi nombreux que les catholiques avec 25% de la population.

Les articles de foi de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours sont au nombre de 13, je me dispense de vous en parler, ne les connaissant pas moi-même. Ils me sont connus à mesure des « vacations » des Missionnaires. Ce sont de grands discours pour tenter de vous présenter les missionnaires étrangers qui viennent successivement dans cette « location » particulière de Tahiti et qui « héritent » de la chienne citée plus haut. Ce sont souvent des anglophones : Américains, Australiens, Néozélandais. Bardés de français et parfois de tahitien, ils viennent servir le Dieu des Mormons en pays Ma’ohi. Ils sont reconnaissables, à vélo, casqués, pantalon et chemise blanche, cravate pour les hommes ; pour les jeunes femmes, à vélo et casquées, robe ou jupe longue, haut à manche. Ils vont toujours par deux, saluant, proposant leurs services s’ils voient les gens jardiner.

Et la chienne « mormone » ? Elle change de responsable au fur et à mesure des « vacations » des Missionnaires. Si elle n’a pas encore réussi à faire des adeptes parmi les chiens du quartier (ou leurs propriétaires), elle fait respecter sa foi – la gamelle – et se déclare propriétaire des lieux et des âmes. Elle n’hésite pas à ramener moult amants dans le quartier (elle pratique la polyandrie mormone des origines), quitte à se servir dans les garde-manger, d’’avaler la ma ’a de Grisette, de tuer chats et malheureusement Jeannot Lapin. Serait-ce cela, l’évangélisation « à la mormone » ?

Hiata de Tahiti

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Horton Plains et train des montagnes

Il y a 27 km et 1h30 de route en lacets serrés, très étroites, où deux véhicules sont obligés de trouver un terrain d’entente pour se croiser. Le chauffeur est parfois obligé de négocier les virages en deux fois tant l’épingle à cheveux est courbée.

Nous effectuons un bref tour en bus de la ville créée de toutes pièces par sir James Baker, comme le parc national des Horton Plains, dans un climat anglais. Il a appelé la ville Nouvelle Angleterre, signification de Nuwara Eliya en cinghalais. La poste est d’architecture victorienne, The Grand Hotel a la façade crème rehaussée de faux colombages bruns, le club des gentlemen est clos et gardé au milieu d’un jardin, le golf à la pelouse tondue ras est bien verte, il comprend 18 trous. Comment reconstituer la patrie à l’autre bout du monde… La résidence où la reine descendit est, depuis, l’indépendance la propriété du Premier ministre.

horton plains panneau ne pas sri lanka

Nous montons à 2090 m d’altitude, il fait un temps alpin en début de matinée, à peine plus chaud ensuite. Il pleut par intermittence, une bruine qui pénètre en raison du vent qui souffle en rafales. L’entrée du parc est payante, s’effectue à pied, et non sans être passé par la fouille des sacs à dos par des gardes soucieux d’éviter tout feu, tout déchet non organique et tout matériel de fouissage. Des panneaux comminatoires enjoignent de NE PAS, en slogans punisseurs style NPA (Nouveau parti anticapitaliste). « Do not »… suit une liste impressionnante et un peu niaise pour nous Européens, mais destinée à impressionner le local, peu au fait du souci de l’environnement. Ne pas : fumer, jeter des ordures, faire du bruit, déraciner les plantes, consommer de l’alcool, marcher hors des sentiers balisés, transporter des sacs plastiques… Les sacs plastiques probablement pour ne pas qu’ils soient jetés, mais que vient faire l’alcool là-dedans ? Est-ce par ce que cela incite à la déraison ? Ou par rigorisme islamique malgré les trois autres religions majoritaires dans le pays ?

horton plains pluie sri lanka

Nous suivons un sentier aménagé qui décrit flore et faune. Il va en direction de la « petite fin du monde », falaise au-dessus de la plaine où l’on ne voit… rien – pour cause de nuages bas.

horton plains fin du monde sri lanka

Nous nous dirigeons alors perpendiculairement vers la « fin du monde » en titre, précipice de 870 m dont on ne voit pas plus le fond – pour la même cause. Par beau temps, on verrait même la mer, dit-on.

horton plains fleur sri lanka

Enfin nos pas nous dirigent vers la cascade Baker à 2060 m d’altitude. Elle s’échevèle sur le granit noir en 20 m de haut dans un bruit de train à pleine vitesse. Les sous-bois sont humides, le chemin boueux, les pierres glissantes.

horton plains paysage ecossais sri lanka

Les plantes sont adaptées à ce climat d’altitude dont certains lieux rappellent l’Écosse : ajoncs, rhododendrons, fougères, fleurs et herbe grasse. Mais des fougères géantes évoquent Jurassik Park, tandis que ce claquement sec de bambou qui titille nos oreilles indique les grenouilles tapies sous les herbes. Des corbeaux noirs passent, le bec luisant acéré, tandis que s’enfuit un coq de Lafayette sauvage, plus élancé que les nôtres. Ce coq serait l’emblème du pays et fréquente aussi bien les broussailles arides de la côte que les forêts pluviales. Il ne mange pas de tout comme les nôtres, mais est surtout végétarien, comme s’il se calquait sur le bouddhisme…

horton plains cascade sri lanka

Le froid comme l’horaire obligatoire du train obligent les mordus de photos à réfréner leurs instincts et à se presser normalement. Nous rencontrons en sens entrant des groupes de jeunes et d’écoliers en sortie scolaire. Nous sommes samedi et ils ont l’habit des plaines : chemise ouverte, short et tongs. Seuls les écoliers sont en uniforme avec les chaussures noires, mais ont eu l’autorisation (exceptionnelle) d’enfiler un sweatshirt non conforme, qui jure sur la chemise blanche et le short bleu roi. Comme C. ne peut s’empêcher d’en photographier une bande, un collégien sort de sa poche un téléphone mobile et fait semblant de le prendre en photo lui aussi : « give me a pen », riposte C. sans se démonter. Le gamin a ri, démonté.

gare ohiya sri lanka

Le bus nous attend à l’orée du parc et nous propulse par les petites routes à lacets en 45 mn à la gare ferroviaire d’Ohiya, à 1774 m. Mais oui, nous allons prendre le train, occasion de voir d’en haut les plantations de thé et le paysage de moyenne montagne que nous n’avons pu voir des falaises de fin du monde. La voie ferrée fut construite de 1855 à 1860. Nous sommes en avance sur le train qui arrive en retard. En l’attendant, nous allons prendre un thé en face, en traversant les voies, occasion de découvrir qu’il n’existe pas seulement des billets mais aussi des pièces de 10 roupies. Il existe même des pièces de valeur plus faible, mais l’inflation est telle qu’elles ne permettent pas d’acheter quoi que ce soit, juste de faire l’appoint. Nous avons le temps de finir le pique-nique commencé dans le bus et j’exerce ma compassion bouddhiste pour les êtres en nourrissant une chienne de pilons de poulet usagés dont les autres ne veulent plus.

fillette gare ohiya sri lanka

Une petite fille en robe bleue est toute étonnée de voir des étrangers si nombreux. La chienne m’a suivi, croyant au père Noël. Le train montant dans l’autre sens, sur la voie unique, est tiré par une locomotive diesel conduite par un mécanicien blanc. La voie a été construite par les Anglais pour transporter le thé des plantations d’altitude aux ports de Galle et Colombo.

chef de gare ohiya sri lanka

Notre train arrive enfin, c’est une micheline bleue récente de marque indienne ou plus probablement chinoise. Rien à voir avec les trains indiens, ici tout est propre à l’intérieur, en troisième classe comme en seconde. Il est plein, non seulement de touristes, mais surtout des locaux qui vont visiter la famille ou les temples pour le week-end. Le ticket n’est pas cher, 50 roupies pour cinq stations en seconde classe. Nous restons debout les trois-quarts du trajet, occasion d’observer des couples, des familles entières portant de gros paquets enveloppés de papier cadeau, une fille seule en jean portant deux gros sacs et un ordinateur. Sont assis en face de la porte où je me trouve debout une jeune fille qui ne cesse de me faire des sourires à chaque fois que nos regards se croisent, et son frère de 15 ans qui remplit bien sa chemise mais détourne le regard par pudeur. Il a découvert sa gorge pour montrer son médaillon de Shiva peint sur cuivre.

train du the sri lanka

Direction Bandarawela, cinq stations plus loin, à 1080 m seulement. Il y fait plus chaud. Nous avons l’opportunité de contempler un beau paysage de collines plantées de thé, de légumes « anglais » (carottes, poireaux, pommes de terre, haricots verts et fraises), appelés ainsi par opposition aux légumes locaux. Il semble que dès que nous sommes à l’abri, le soleil brille ; il suffit de commencer à randonner pour que la pluie revienne. Grand soleil donc à notre arrivée à Bandarawela, une chaleur moite en décalage avec les Horton Plains. Nous sommes mille mètres plus bas et le climat à thé chaud succède au climat à whisky.

Nous avons le temps de courir à la boutique des thés, le Mlesna Tea Center, négociant au cœur de la ville, non loin de la gare, qui offre une grande variété de crus et de qualités comme d’emballages cadeaux. Beaucoup entassent les boites et paquets de thé, sans savoir manifestement distinguer ce qui est fort ou léger, parfumé ou à boire avec du lait, pour connaisseurs ou pour petit-déjeuner. Ils ont tout à apprendre sur les subtilités du thé, altitude, cépage, cru, feuilles ou bourgeons, verts ou fermentés. Prennent-ils le temps pour cela ?

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Mosquée, alcool et chienne à Tahiti

Mosquée, pas mosquée ? Le jeune imam serait-il au chômage ? Le micro-trottoir dernier laisse incertain le projet de construction d’un tel édifice, les confessions religieuses restent vigilantes mais ne seraient pas défavorables à l’installation d’une mosquée. Alors peut-être ben qu’oui, peut-être ben qu’ non ? Arriverait-il le temps des Tahitiennes voilées de noir, couvertes des pieds à la tête ? En attendant, le Centre islamique de Tahiti (CIT) sis au 11 rue Gauguin à Papeete, récolte des fonds en métropole pour la construction de la « grande mosquée de Tahiti ». Le jeune imam parti en France depuis 6 mois voulait prendre l’avion de retour à Roissy, peut-être pour démarrer le ramadan à Papeete, les USA lui ont refusé le transit à Los Angeles. Qu’à cela ne tienne, il est quand même arrivé à destination en transitant par la Nouvelle-Zélande ! Quelques jours auparavant, deux individus (non identifiés) avaient déposé une tête de cochon devant le CIT.

burqa

On va enfin pouvoir picoler sans faire des kilomètres pour acheter la gnôle et le uaina (picrate) ! Le tribunal administratif a annulé l’arrêté interdisant la vente d’alcool. Ouf ! L’arrêté pris le 5 août dernier par l’ancienne mairesse est caduque. Deux sociétés avaient contesté le texte devant la juridiction, la brasserie de Tahiti et le supermarché de Papeari. N’oubliez pas que nous n’avons toujours pas d’eau au robinet… alors, Manuia (A la vôtre) ! En fait, je suis une mauvaise langue, nous n’avons de l’eau que pendant les semaines précédant les élections ! Cette année, nous avons été très gâtés avec toutes ces élections, mais depuis, la source a tari !

vahine seins nus offerte

Une chienne était retrouvée sous une voiture la gorge tranchée. Une riveraine l’a conduite chez la vétérinaire de garde. La chienne surnommée Blanc-Blanc avait été opérée durant deux heures et sauvée in extremis. Elle n’aura survécu que trois jours. Plainte ayant été déposée par la sauveteuse et la vétérinaire, la Police après enquête a retrouvé l’égorgeur. Cet individu serait un chômeur de 47 ans, originaire du Vanuatu qui aurait expliqué que sa bête lui causait des problèmes, aboyait et courait après les jeunes du quartier. Il se serait mis en tête de l’abattre et de la manger. Après quelques bières, muni d’une lame bien aiguisée, il s’est rendu près de sa chienne lui a tranché la gorge. Il l’aurait relâché en attendant qu’elle meure. Mais la chienne s’est sauvée et a pu être secourue. L’article 521-1 réprime ces faits : deux ans d’emprisonnement et 3,68 millions de XPF d’amende.

L’ouverture de l’hôtel « The Brando » fait craindre aux prestataires de services qui proposent des excursions en voilier à Tetiaroa, de ne plus y avoir accès. « Aujourd’hui nous sommes surveillés. Quand nous arrivons, ils nous demandent le nom des bateaux, le nombre de passagers » indique P. Gasparini, gérant de l’Escapade Charter Tahiti.

Le dessinateur de « l’Actu vue par P’tit louis » dans la Dépêche a été « remercié ». Le groupe Auroy (Dominique Auroy) c’est : l’Eau Royale, les vins de Rangiroa, les barrages, la Maroto, les éoliennes, Hachette Pacifique, le Royal Tahitien, etc, excusez-moi si j’en oublie, qui a acquis 66% des parts du quotidien polynésien. La Dépêche du dimanche est « en deuil », surement plus de moni (fric) pour les encres de couleur, si mince qu’elle pourrait passer entre un mur et son affiche sans la décoller avec un tout petit peu de remplissage insipide.

Hiata de Tahiti

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Yasunari Kawabata, Le grondement de la montagne

yasunari kawabata le grondement de la montagne

Un homme dans la soixantaine, marié et père de famille, ressent de plus en plus les approches de la mort. Celle-ci surgit inopinément comme un tremblement de terre, par un grondement sourd dont on ne sait s’il vient de la mer ou de l’intérieur de soi. La terre, cette mère nature, rappelle à elle son enfant. C’est le moment de regarder en arrière, de faire un bilan de l’existence.

Shingo est marié à une femme laide et qui ronfle la nuit, mais il s’y est habitué. Il aurait préféré sa sœur, bien plus belle mais mariée ailleurs et emportée dans sa jeunesse. Ses deux enfants, Shuishi et Fusako, le garçon et la fille, sont décevants. Shuichi, marié à la ravissante jeunette Kikuko, la trompe effrontément avec une marchande de fleurs à qui il fait un enfant qu’elle veut garder pour elle. Kikuko, délaissée, refuse l’enfant de Shuishi et se fait avorter sans rien dire à personne. Fusako s’est mal mariée avec un mafieux qui vient de se suicider avec sa maîtresse et lui laisse deux petites filles. Des deux petits-enfants de Shingo, l’aînée est méchante et cruelle, comme seules les fillettes de 5 ans peuvent l’être quand on ne les aime pas. L’autre est un bébé.

Le vieux Shingo, dans ces années 1950 où le Japon s’américanise, rêve devant un masque de Nô représentant Jigo, l’éphèbe éternel, qu’il a l’étrange désir d’embrasser, amoureux de sa jeunesse. Il songe en passant qu’il aimerait bien refaire une vie avec sa belle-fille. Elle est attentionnée, fragile et affectueuse. Elle prend les choses comme elles viennent, comme il se doit, sans illusion. C’est elle, Kikuko, qui introduit même à la maison de Kamakura, dans la banlieue campagnarde de Tokyo, le rasoir électrique et l’aspirateur, ces deux symboles de la modernité occupante. Un article de journal apprend que des graines de lotus datant de 50 000 ans viennent de refleurir sous les attentions d’un botaniste… Le lotus n’est-elle pas la fleur de Bouddha ? N’est-ce pas un message selon lequel tout reste pareil, éternellement renouvelé mais avec le même élan de vitalité vers la lumière ?

Le romancier évoque la vie quotidienne à la maison, au travail, les relations entre mari et femme, fils et maitresse, mère et fille. Shingo est déçu de la vie, c’est le début de la vieillesse. Bientôt il aspirera à quitter ce monde pour rejoindre la nature qui fait mourir et renaître la vie sans cesse et sans état d’âme. Cette indifférence de la nature est l’essence même du zen, cette voie bouddhiste qui imprègne le Japon traditionnel et dont Kawabata est féru. Ce pourquoi les humains lassés des querelles de famille contemplent avec délice les cerisiers en fleurs, les érables rouges, les larges fleurs-soleil de tournesol, le grand serpent de deux mètres à demeure sous la maison, la chienne Teru qui vient mettre bas. La vie de chacun n’a aucune importance, ce qui compte est qu’elle s’inscrive dans le grand livre naturel.

La jeunesse aime bien se faire des illusions sur son avenir. Et puis l’existence passe, et le réel est moins beau que rêvé. L’épouse n’est pas celle qu’on aurait désiré, les enfants ne sont pas d’autres soi-même, les collègues de l’université s’encroûtent et ressassent. Le grondement de la montagne, sorte de Surmoi interne qui prend la voix de la terre qui se fend, est là pour rappeler combien l’existence est éphémère, que le rêve n’est jamais la réalité, que tout change sans cesse et pas comme on voudrait – et qu’il faut l’accepter. Un certain bonheur est à ce prix.

Ce roman vient du Japon d’avant, mélancolique et humain, très décalé par rapport à notre époque occidentale de fébrilité et de zapping. Mais qui repose en posant les vraies questions de la vie et de la mort, des relations humaines et du sens de la nature.

Yasunari Kawabata, Le grondement de la montagne, Albin Michel 1969, 264 pages, €13.11

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Diderot, Jacques le fataliste et son maître

Autant je suis peu sensible au ‘Neveu de Rameau’, autant j’aime ‘Jacques le fataliste’. Le mal cousu du premier devient fantaisie, l’échevelé devient exubérance, les digressions deviennent des aventures en poupées russes reliées par l’idée juste que la vie est sans cesse mouvement et que l’homme sage la prend comme elle vient, en profite et en tire leçon. Ce conte philosophique n’échappe pas aux aléas Diderot : comme les autres, il est écrit rapidement en 1771, comme les autres il est repris, raturé, recopié, et publié en volume seulement… en 1796, après la mort de l’auteur. Ce ne sont que quelques privilégiés aristo qui ont pu lire ‘Jacques le fataliste’ sous Louis XV.

Il faut dire que le roman est impertinent : il parle de sexe avec bonheur, de relations hors mariage et d’adultères, de pucelage ôté par des matrones aux jeunes garçons, de moines pervers qui enclosent des mineures pour leurs plaisirs. Le sexe ne devrait-il pas être cette chose sérieuse qu’on n’aborde qu’avec tact, à mi-voix et les sourcils froncés, tant il est « grave » de mettre les gens en situation ? Foin des soutanes et des vertugadins ! Diderot en rajoute dans le libertin.

C’est que le libertinage est le premier pas vers la liberté. Le manant, le domestique, le bourgeois même ne peuvent se désaliéner des contraintes religieuses, politiques et sociales qu’en baisant. L’acte sexuel est la seule transgression à portée de toutes les bourses… D’où les amours de Jacques racontées à son maître, lequel maître est si captivé qu’il laisse renverser l’ordre social l’établissant supérieur. Il y a désormais contrat entre Jacques et le maître, contrat social qui acte que tous deux sont liés l’un à l’autre et ne sauraient se séparer sans dommage pour chacun ; il est donc d’intérêt mutuel de se respecter mutuellement, d’écouter alternativement le bavardage de l’un et de l’autre.

Ce pourquoi le maître aussi conte ses aventures libertines, beau moment d’égalité entre hommes, si ce n’est entre les hommes. Car les femmes (qui sont des hommes comme les autres lorsqu’il s’agit des droits) sont aussi entreprenantes, politiques et perverses que les meilleurs (ou les pires) des hommes. Maints exemples nous en sont donnés. Mais l’on voit bien que raconter c’est unir et que la démocratie qui va naître dans le sang et les convulsions en 1789 est préparée par cet état d’esprit.

Diderot sait admirablement jouer du récit en feuilleton, entrelacer les histoires et la pérégrination des voyageurs, entretenir les coups de théâtre et les à propos, pour tenir son lecteur en haleine. Une vraie bande dessinée ! Nous sommes dans le réel où l’on se bat, l’on bouffe et l’on baise ; nous sommes dans le conte où l’on raconte l’histoire arrivée à tel ou tel, édifiante pour le présent. Le récit va comme un verre de champagne, vin qui est servi abondamment par une aubergiste bavarde qui ajoute – en tout bien tout honneur – son grain de sel au roman. Elle tient la taverne du ‘Grand cerf’, tout un programme dans le fantasme sexuel !

Les couples ne manquent pas, à commencer par Jacques et son maître, auparavant Jacques et son capitaine, encore avant Jacques et son ami adolescent, dépucelés tous deux par la même fille de forgeron. Il y a le maître et son faux chevalier escroc, le bourreau et son cheval habitué à s’arrêter aux gibets, l’aubergiste et sa Nicole – une petite chienne qui a reçu un coup de pied. C’est qu’il n’y a pas de vie sans les autres, ni instincts, ni affections du cœur, ni dialogues pour l’esprit sans mise en branle en société.

Jamais Diderot n’a dit avec autant de verve son amour pour la compagnie, le voyage ensemble, la bonne chère de concert, la conversation sur les amours. Le débat est incessant car il n’est pas de vie sans débattre ni se débattre. Donc la démocratie… On conçoit ce qu’a pu avoir de subversif ce ‘Jacques’ là, prénom usité comme synonyme de quidam ou de rebelle (jacqueries).

Raconter c’est penser, et rien ne prédispose mieux à penser que pérégriner. C’est ce que Nietzsche dira en parcourant à pied les sentiers d’Engadine : la marche aide les idées à se mettre en place, à leur rythme, avec bon sens, les pieds fermement attachés à la terre et la tête au vent qui passe. Entre les deux ? La philosophie. Celle de la vie bonne, ici et maintenant, pas celle des grands systèmes pervers créés ex nihilo pour jouer à Dieu et tyranniser les hommes. C’est cela aussi, la démocratie… Plutôt Athènes que Sparte, 1789 que 1793, le libéralisme que le collectivisme.

« Le maître : – A propos, Jacques, crois-tu à la vie à venir ? Jacques : – Je n’y crois ni décrois, je n’y pense pas. Je jouis de mon mieux de celle qui nous a été accordée en avancement d’hoirie » p.815. Vivre ici et maintenant est sagesse, sans entretenir l’illusion du passé ni la crainte de l’avenir. Montaigne le dit, comme les sages antiques et les philosophies orientales. Il n’y a que les églises chrétiennes qui jouent des peurs humaines pour instaurer leur pouvoir. Vivre, c’est être à propos.

« Jacques : – C’est que faute de savoir ce qui est écrit là-haut on ne sait ni ce qu’on veut ni ce qu’on fait, et qu’on suit sa fantaisie qu’on appelle raison, ou sa raison qui n’est souvent qu’une dangereuse fantaisie qui tourne tantôt bien, tantôt mal. Mon capitaine croyait que la prudence est une supposition, dans laquelle l’expérience nous autorise à regarder les circonstances où nous nous trouvons comme causes de certains effets à espérer ou à craindre pour l’avenir » p.676. Il faut espérer ou craindre à propos, pas hors de propos ; et le propos juste est d’expérience comme de raison. Il n’est écrit nulle part, ni imposé par quelque homme providentiel.

Une anecdote ne prouve rien mais elle édifie, elle fait penser. C’est ce qui naissait à la fin du XVIIIe siècle et qu’on jubile de découvrir. C’est ce qui meurt avec la pensée unique et la globalisation des convenances sur la Toile – qu’on déplore aujourd’hui d’observer…

Denis Diderot, Jacques le fataliste et son maître, 1771, Folio, 2006, 373 pages, €4.84

Denis Diderot, Contes et romans, Gallimard Pléiade 2004, édition Michel Delon, 1300 pages, €52.25

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