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Colette, Pour un herbier

Colette publie en Suisse en 1948 les feuillets détachés de ce qu’elle a écrit sur les fleurs ; une édition de luxe est éditée en 1951 avec les aquarelles de Raoul Dufy. C’est aujourd’hui la seule édition disponible, sauf le texte seul dans le volume 4 des Œuvres de la Pléiade.

Colette aime les fleurs, elle les a toujours aimées depuis son enfance campagnarde auprès de Sido dans son village de Bourgogne. Aussi, lorsque l’éditeur de Lausanne lui propose d’entrer dans sa collection « Le Bouquet », elle ne résiste pas. A chaque moment fleuri, un texte. Le bouquet du fleuriste Harris de la rue Cambon à Paris (quartier chic), le lys et l’iris, le gardénia et le camélia chers aux grandes bourgeoises qui en ornent leurs cheveux, l’orchidée apportée par sa fille Colette de Jouvenel, une branche de glycine de Saint-Sauveur ramenée par une vieille en cheveux blancs, la tulipe qui ne ressemble pas à un vase de Chine et que les fleuristes sous l’Occupation vendaient par trois bulbes, un bleu, un blanc, un rouge.

Et puis des soucis en souvenir de la chienne dont c’était le nom, la rose en ses aspects, les rosiers vivaces du Palais-Royal qui résiste aux hordes d’enfants brutaux eu 1er arrondissement. Le bleu des fleurs sans nul autre pareil, jamais vraiment bleu, le muguet odorant au blanc de bonbon à la menthe qui fait un peu tourner la tête, les jacinthes sauvages populaires dites « clochettes », l’anémone au nom de prénom, les jeannettes qui sont une sorte de narcisses.

Quant aux exotiques, connaissez-vous le lackee et le pothos ? L’adonide de la concierge ? L’arum pied-de-veau du Maroc ? Il y a encore les médicinales de l’enfance, où tout sert à tout, contre la fièvre, la constipation, « à faire-des-garçons », le pavot et l’ellébore pour ceux qui ont un grain. Et les broutilles – celles qui se mangent, ortie, scorsonère, roseau, ficaire, salicorne, épine-vinette, capucine, pétales de rose. Tout ce que le gastronome critique Louis Nathan, dit Forest promouvait pour renouveler la gastronomie. Nos écolos friands d’herbes sauvages n’ont décidément rien inventé, eux qui se croient nés avec le monde.

La rose ne vit que l’espace d’un matin, comme la plupart des fleurs. Une fois coupée, l’humain peut les prolonger un peu, selon l’art des moines zen qui protègent ainsi la vie en bouquets. Mais la fleur est le spectacle de l’éphémère, de la vie qui passe – vite. A dix ans de sa mort, Colette la sent venir, ses textes de fleurs sont aussi des textes de vanité, du temps impitoyable. Une sensation, une poétique, une philosophie – ce serait dommage de passer sans lire cette œuvre presque dernière de Colette.

(liens sponsorisés Amazon partenaire) :

Colette, Pour un herbier – avec les aquarelles de Raoul Dufy, 1948, Citadelle et Mazenod 2021, 100 pages, €65.00

Colette, Œuvres tome 4 (1940-54), Bibliothèque de la Pléiade 2001, 1589 pages, €76,00

Les œuvres de Colette déjà chroniquées sur ce blog

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Denis Marquet, Dernières nouvelles de Babylone

Babylone, ville antique de Mésopotamie, est réputée dans la Bible pour sa ziggurat – la tour de Babel. Cette tour qui s’élevait en spirale vers le ciel est devenue un mythe de l’orgueil humain, du cosmopolitisme des langues et de la dépravation causée par la promiscuité des villes. Denis Marquet, philosophe et psychothérapeute chrétien, en fait le marqueur de ses nouvelles sur l’humanité d’aujourd’hui.

Pour lui, nous sommes dans l’impasse. En témoignent ses 22 nouvelles, dont certaines ne font qu’à peine une ligne, la première étant « le sens de l’existence » tandis que la dernière sonne « la fin du récit ». Il s’agit du quotidien, énoncé d’un ton badin, interpellant le lecteur. Une conversation à base de contes ou de faits divers qui exposent le pire et le meilleur, des bons sentiments bêtes à pleurer (« une bonne action ») au penser par soi-même le plus affiné (« la dernière de Norbert »).

Si l’imprévu est certain d’arriver, il n’y a pas de hasard quand deux amies d’enfance se retrouvent amoureuses… du même homme. Mais ce qui est prévu n’arrive pas toujours, comme ce « bébé éprouvante – chronique du dernier homme » aux caractères tellement bien choisis par maman (à son image) qu’il est devenu chieur et pleurard (comme elle ?) et renvoyé à l’entreprise de génétique qui l’a conçu. Un chien robot qui fait ce qu’on lui dit de faire est tellement plus amusant, n’est-ce pas ? Seul le papa semble un tantinet déçu, il commençait à s’attacher à son bébé fille, mais le féminisme commande, n’est-ce pas ?

Au bout du tunnel cependant, la lumière : tout n’est pas noir dans l’humanité, contrairement à ce que croient les pessimistes. « Petites causes » montre leurs grands effets ; il suffit qu’une insulte se change en sourire pour que la face du monde en soit changée… parfois. « Une rose » déposée par hasard dans une boite aux lettres par une petite fille de 7 ans peut susciter l’amour entre deux êtres fermés sur eux-mêmes par habitude et dérision.

Le lecteur sort de ces nouvelles douces amères différent que lorsqu’il y est entré. Ne cherchez pas un message philosophique, il est tout simplement humain. L’homme est la meilleure et la pire des choses ; quant aux femmes, n’en parlons pas : « Lorsqu’Eve prit conscience que toutes ses représentations finissaient par se réaliser, elle prit peur. Alors, ce fut pire » (p.167). L’ironie n’est jamais absente de la réflexion sur le sens de la vie, même si le récit n’est jamais qu’une idée de soi-même.

Denis Marquet, Dernières nouvelles de Babylone, 2021, Aluna éditions (31 Muret), 187 pages, €17.00

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Les autres œuvres de Denis Marquet

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Cancun – Mexico

Nous arrivons à la nuit à Cancun, peu avant 20h. Nous sommes fatigués de cette longue journée de route et de visites. Par rapport à celles que nous avons traversées, la ville nous paraît artificielle, fêtarde, moderne. Minettes et minets déambulent sur les trottoirs. Cancun est une ville sans histoire, créée de toute pièce en 1970 par le gouvernement pour faire du cordon dunaire entre les lagunes et la mer des Caraïbes une station balnéaire à la mode. « Sea, sex and sun » sont au programme, dans toutes les positions et selon toutes les combinaisons. Les simulations sur ordinateur ont associé le climat, les marées, la température de l’eau, les courants, les communications, les possibilités d’approvisionnement – sauf les ouragans. Le fameux Gilbert au prénom de « fofolle » du 14 septembre 1988 a emporté plusieurs hôtels de luxe et le sable blanc des plages…

Nous ne verrons de la ville que ses artères de nuit et la rue de l’hôtel Xbalanque. Sitôt arrivés et les bagages déposés dans les vastes chambres, nous nous préoccupons d’aller dîner. Luis, le chauffeur, conseille un bar à grillades à quelques centaines de mètres. Il est très long à servir mais fait une promotion sur la bière : 10% de réduction si nous les prenons par deux ! Nous n’hésitons pas. L’après-dîner, dans le hall de l’hôtel décoré de scènes mayas, nous disons adieu à Luis.

Nous nous réveillons à 5h30 pour prendre l’avion Cancun-Mexico deux heures plus tard. La ville est presque vide ; elle vit le soir. Des taxis en maraudent cherchent les clients du petit matin mais ne semblent pas en trouver beaucoup. Les premiers employés de service se hâtent vers leur poste. A l’aéroport, embarquent sur le même vol que nous deux Américaines. Elles se veulent jumelles en apparence, elles sont mère et fille en réalité, ce que l’on distingue parfaitement de près. Mais toutes deux ont ce blond décoloré, ce maquillage rose, ces vêtements « décontracté » en blanc et bleu clair, ce jean artistement reprisé mais maniaquement lavé, ces ongles des mains et des pieds passés au vernis rose nacré, cet anneau d’orteil et ces sacs Vuitton pour poupée qui sont la quintessence de l’esprit Disney. Elles sont les Peter Pan version fille, la Mater Pan perdues dans un rêve sucré, naïf, innocent, enfantin, immaculé, où « tout va bien » toujours, comme chez les très petites filles. Potelées, il en faut peu pour qu’elles basculent obèses, n’étant pas du genre à faire effort pour pratiquer quelque « sport ». La plus jeune mâchonne un chewing-gum depuis des heures avec cet air bovin que donne la ruminance. De son sac émerge encore une boite de Nuts aux trois quarts terminée. Tout est prévu pour se contenter en permanence, pour diffuser du plaisir en continu comme une drogue paradisiaque. Dans ces esprits de gamines de deux ans, la moindre frustration serait insupportable.

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David Morrell, Disparition fatale

Amérique, 2002. Nous sommes quelques mois après les attentats du 11-Septembre. Les Citoyens des Etats-Unis sont traumatisés. En témoigne « Disparition fatale », thriller que fait paraître à ce moment-là David Morrell, le père de Rambo. Le personnage du jeune guerrier qui avait appris à survivre dans la jungle, face à un ennemi insaisissable, est désormais un citoyen lambda qui n’a jamais fait de randonnée, ne sait pas comment utiliser une boussole et encore moins tirer au pistolet. Son seul terrain d’aventure est la zone des petites villes de l’intérieur des Etats-Unis. Comme toujours dans les thrillers américains, un individu moyen se retrouve confronté à la barbarie. Mais, cette fois, elle ne vient pas de l’étranger mais réside à l’intérieur même de l’Amérique, au cœur de la famille. Décidément, le 11-Septembre est bien passé par là.

David Morrell Disparition fatale

25 ans auparavant, Brad, tout juste adolescent a vu disparaître son petit frère. Il avait 9 ans et lui 14. Le gamin lui tournait autour pour jouer au base-ball, mais les copains de Brad étaient excédés de ce moustique qui les empêchait de jouer. Brad demanda à Petey de les laisser et rentrer à la maison. Nul ne l’a plus jamais revu. Jusqu’à ce qu’un jour, des années plus tard, un routard aborde Brad marié, père d’un gamin de 9 ans et architecte, pour lui dire qu’il est ce frère qu’il a perdu. Les indices concordent ; le petit Petey est devenu Peter. Il a été enlevé, enfermé jusqu’à 16 ans dans une cave, d’où il s’est enfui en mettant le feu à la maison de ses ravisseurs. Comment recoller la famille, retisser la toile du destin ?

Tel un péché originel, avoir chassé son petit frère pèse sur Brad à jamais. Il se sent coupable, il veut se racheter. Et il ne voit rien de ce qui lui arrive alors, tel un boomerang… Exactement ce qui est arrivé à l’Amérique messianique ce 11-Septembre 2001. Elle qui croit en Dieu avec superstition, qui fait le « Bien » qu’elle décide être tel, qui préjuge de ses succès être le peuple élu – la voilà aveugle et vulnérable – bien attrapée par le mal qu’elle a elle-même créé.

Le gamin Petey a en effet été enlevé par des intégristes religieux vivant la Bible à la lettre, isolés des autres. Le refus des soins médicaux et la consanguinité des liaisons entre eux ont eu raison de leur souche : après tant d’enfants perdus en bas âge, ils ont décidé d’en enlever un tout fait. Ce gamin, ils l’ont tordu de biblisme et d’obéissance, ils l’ont séquestré mentalement jusqu’à ce qu’il explose, marqué à jamais. Lui veut reproduire ce qu’il a subi, se venger œil pour œil comme on lui a appris dans l’Ancien Testament. Il va donc retrouver ce frère qui l’a rejeté, tentera de le tuer, enlèvera sa femme et son fils, les enchaînera dans une cave…

David Morrell a le sens du suspense et ses 318 pages en Poche, assemblées en courts chapitres, se lisent d’une traite. Au-delà de l’intrigue, il illustre tellement l’Amérique moyenne, celle des petites villes de l’intérieur, qu’il vaut tous les traités de sociologie.

Il décrit très bien cette discipline religieuse contente de soi des communautés fermées, ces vertueux qui assistent à la messe autour du pasteur, leur contentement de soi à faire « le Bien ». Et « la honte » qu’ils ressentent et qui les inhibe quand la situation se retourne, leur impuissance née de leur naïveté.

Il montre aussi combien les institutions sont inefficaces : police, justice, FBI, délivrance du permis de conduire. Car elles sont trop bureaucratiques. Elles agissent selon « les règles », sans suivre leurs instincts ni surtout le simple bon sens. On apprend incidemment comment se créer une identité officielle à partir de rien dans l’Amérique d’aujourd’hui. « Avec la copie de son extrait de naissance (celui d’une personne décédée) et son numéro de sécu, on peut se faire délivrer un permis de conduire, un passeport et n’importe quel autre papier d’identité dont on peut avoir besoin » p. 120.

Leçon d’un Américain post-11 Septembre : tout individu plongé dans le drame ne peut recourir qu’à lui-même pour résoudre l’énigme et retrouver les siens. Il doit s’informer, s’entraîner, se mettre à la place de son ennemi. Avec un sentiment nouveau du tragique qui ne résistera peut-être pas longtemps : « Tout peut arriver. Une seconde, j’étais sur une corniche, à admirer le paysage, la seconde d’après, mon frère me poussait dans le vide.  La prudence est une vertu. –  Je l’ai appris à mes dépens » p.318.

Tout messianisme engendre la naïveté, toute naïveté l’illusion, toute illusion la perte de réalité. Les États-Unis vivaient dans une bulle de confort, de puissance et de sécurité. C’en est fini : retour avec David Morrell au pragmatisme de la Frontière, aux mœurs rude des pionniers, y compris dans le luxe moderne et avec toute la technique. Car le monde réel n’est pas celui, tout rose, de Walt Disney : il est rouge sang.

David Morrell, Disparition fatale, 2002, Livre de Poche 2004, 318 pages, occasion €0.89 à €20.42 

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Fin avril à Paris

Le printemps pointe timidement son nez cette année. Les jours alternent entre froid de mars et tiédeur de mai ; en avril, ne te découvre pas d’un fil, dit la sagesse ancestrale.

chat Paris rue de la harpe

Ce pourquoi le chat de la rue de la Harpe, campé au-dessus d’un restaurant de kebabs, se garde bien de mettre autre chose que le museau à la fenêtre ; il a gardé toute sa fourrure.

cerisiers en fleurs Paris polytechnique

Mais les cerisiers fleurissent déjà comme au Japon. Le rose délicieux des fleurs rappelle le teint des jeunes filles derrière le mur austère de l’ancienne Polytechnique.

culs de pouliches Paris luxembourg

Au Luxembourg (le jardin, pas le paradis fiscal), les ponettes ont la queue fournie et baladent des gamines pas très rassurées d’un pas lent de sénateur.

feuilles de marronniers printemps

Les feuilles des marronniers sont du vert tendre de la jeunesse annuelle. Leur transparence donne envie de ventrées de salade.

pelouse printemps Paris luxembourg

Les pelouses sont de nouveaux « autorisées » par la haute autorité fonctionnaire en charge de définir les règles. Nombreux sont ceux qui se vautrent déjà sur l’herbe encore humide des pluies incessantes de l’hiver.

filles bronzant Paris luxembourg

Des filles se sont mises déjà presque nues, préparant le bronzage plage pour les mois qui viennent.

ados au printemps Paris

Les ados flirtent, allongés, caressés, nonchalants. Le bac est pour bientôt, même si des vacances arrivent, juste avant le premier mai pour les Parisiens. Il restera peu de temps pour réviser après, cette année.

filles Paris au printemps luxembourg

Les touristes de province déambulent déjà depuis près de deux semaines dans un Paris tour à tour gris et lumineux, à 15° ou 25° selon les jours. Le faune dansant incite à l’exubérance devant la perspective ouverte par les marronniers sur la coupole triste du Panthéon, en piteux état et en restauration pour des années.

printemps Paris luxembourg

Il est agréable de marcher dans les allées du jardin le plus parisien peut-être.

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Méchoui

Au lever, avant le soleil, il fait froid, l’atmosphère est bleutée. Soudain, l’astre apparaît sur la crête du Rhat. C’est magnifique comme un sourire paternel à un enfant éperdu. Quelques minutes plus tard, la température monte et l’on enlève le pull. Immense et mystérieux bienfait. En un clin d’œil, tout est joie.

Nous partons sur une piste vallonnée entre 2600 et 3200 m. Depuis hier, plusieurs jours après le début de la randonnée, la marche devient automatique, permettant à l’esprit de s’évader. Le processus est le même que le rêve : une pensée en entraîne une autre, les images s’associent, une histoire naît, décousue. L’esprit est libre, il souffle où il veut, une veille faisant se mouvoir le corps et s’adapter en souplesse au terrain. C’est un processus que j’ai remarqué maintes fois, une sorte de mise en méditation. Il semble qu’il faut au moins quatre jours de marche et de mise en condition pour que cette libération intervienne. Le premier regard sur le pays doit être saturé, les nouvelles habitudes de la vie de randonneur doivent être reprises.

Nous changeons de vallée en grimpant face au Rhat. Les mules nous suivent, puis nous rattrapent au col de Tizi n’Ibouzene que nous devons passer, à 3600 m. Le camp est installé plus bas dans un petit vallon vert, bien isolé, près d’un torrent. L’étape est peu fatigante aujourd’hui, sauf le départ en bosse de chameau, délicat à négocier sans échauffement après nos efforts d’hier. Marie-Pierre, par inadvertance, a la manie d’intervertir les prénoms. Nous ne sommes pourtant pas nombreux. Monique devient Simone, Bernard est appelé Bertrand, et moi je suis Daniel. Nous en rions, il faut bien rire de quelque chose.

Le soir, à 3100 m, nous passons en quelques minutes du tee-shirt à la veste de montagne lorsque le soleil disparaît derrière la crête. Avec le dessert, une crêpe fourrée à la confiture, œuvre de Brahim, nous buvons de la poire Williams, alcool d’Alsace acheté par l’un d’entre nous à l’aéroport avant le départ. La crêpe fourrée « pègue » un peu, ce qui veut dire qu’elle « poisse » les mains. Mais Marie-Pierre a ainsi tout un lexique régional briançonnais d’expressions savoureuses à nous sortir. Je n’en note que quelques-unes lorsque j’y repense ou qu’elles m’amusent particulièrement.

La montée du lendemain est elle aussi en creux et bosses, de crête en crête, de touffes d’épineux en pierriers. Le paysage est raviné en ocre et rose, en jaune et vert. Les mules passent par le même sentier que nous, où il faut parfois bien regarder avant de poser le pied, la trace étant à peine perceptible sur la pente caillouteuse. Mais ces bêtes sentent où il faut aller, et elles ont quatre pattes bien plantées pour se maintenir. Ce n’est pas notre cas.

A la redescente, nous rencontrons des bergers et leurs troupeaux de chèvres et moutons mêlés. Le village s’appelle Ichbakene. Nos Berbères négocient une chèvre avec les adultes qui surveillent les petits gardiens du troupeau, plusieurs enfants en vêtements bien vieillis. Une crête, un passage à flanc, et c’est soudain la plongée dans un véritable canyon. Tout au fond serpente une rivière au débit assez vif : la Tessaout. Sur un piton au-dessus d’elle, un village s’est perché comme une forteresse. Un village du bout du monde. Au bas de la pente, nous retrouvons la végétation, les noyers et leur ombre noire, les champs cultivés. Comme il est tôt, nous poursuivons directement jusqu’au lieu de bivouac, sans pause intermédiaire prévue pour midi. Nous aurons marché en tout 7 h aujourd’hui, avec deux pauses d’une demi-heure. Nous sommes en forme. Il nous reste donc le temps de « bulleter », selon l’expression de Marie-Pierre pour buller.

La traversée du village aux maisons pittoresques est marquée par un nuage de gamins qui fond sur nous. Ils sont en loques, couleur terre comme de petits paysans toujours à se traîner. Par habitude et par curiosité, ils sont collants envers les étrangers. Ils nous suivront encore loin après le village, jusqu’à ce que Brahim prenne sa grosse voix en arabe et les chasse. Seul un jeune mâle qui sait se faire respecter pouvait les faire obéir. Marie-Claire n’y suffisait pas.

Le bivouac est installé au bord de la rivière, à 2200 m, dans la vallée de la Tessaout. Il y fait chaud comme dans un four, nous n’en avons plus l’habitude. Corinne ne se sent pas très bien, Monique non plus, peut-être à cause de la température en plus de problèmes intestinaux. Pamplemousses et thé à la menthe nous désaltèrent et nous rafraîchissent. La rivière est trop froide pour s’y baigner entièrement, mais on peut s’y laver.

Le soir venu, nos Berbères tuent la chèvre par égorgement, selon les rites musulmans. Une femme et deux gamins en guenilles regardent faire ce travail réservé aux hommes, et attendent pour emporter certains restes : la tête (sauf la langue, réservée à la famille de Brahim), l’extrémité des pattes, les intestins. Chaque famille a ses coutumes pour les parties de la tête à manger. Ce soir, nous avons des grillades de chèvre. Une femme fait le pain. C’était d’habitude le rôle de Mimoun ou du cuistot de faire le pain, mais comme elle était là, ce n’est pas aux hommes de le faire. Des gamins tournent autour de nous et surtout de la cuisine. Ils ont de belles têtes aux traits réguliers mais leurs guenilles laissent le ventre ou la gorge à nu. Ils ont l’air bien nourri, si l’on en juge par leur vigueur physique et ce que l’on aperçoit par les vêtements déchirés : sur les poitrines brunes, on ne compte pas les côtes.

La soirée est joyeuse : on boit et on mange tout le temps, ce qui est une façon plutôt agréable de passer le temps après une rude journée de marche. Puis les Berbères viennent chanter et taper des casseroles en rythme. Mimoun est moins rieur que l’autre soir, ses grands yeux verts se plissent moins, mais il est bien aimé de Brahim, le chef, qui lui offre une place sur son coussin. Mimoun est peut-être intimidé face à ce chef, ce serait pourquoi il nous paraît moins en forme ce soir. Les chants berbères sont des complaintes qui se répondent. « Bien » chanter c’est être dans les temps, répondre quand il faut, être un élément au rythme de l’ensemble. La qualité de la voix est secondaire.

La nuit est tiède et calme sur le sable, avec le bruit assourdi de la rivière en berceuse. Dès 5 h du matin, au lever du jour, les gamins du village sont déjà là, à regarder. Nous sommes leur cirque, ils ne doivent pas le voir souvent. Brahim, toujours grand seigneur à l’arabe, leur donne du pain et parle avec eux.

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Edith Wharton, Les mœurs françaises

La romancière américaine Edith Wharton habite Paris depuis 1907. Après la guerre de 14-18, elle écrit une série d’articles sur les mœurs françaises pour familiariser ses compatriotes amenés à résider en Europe dans le cadre des négociations de paix. Elle y peint une délicieuse manière d’être faite de goût et d’équilibre, ce fameux bon sens à la française qu’elle oppose aux manières un peu frustes et à la culture kitsch des Américains. Certes, la France a bien changé en un siècle… Mais il reste quelques traces de cet écart.

Par exemple que la femme est influente dans la société, à travers son intimité avec les hommes. Bien loin du cantonnement des bourgeoises bostoniennes ou des vamps fatales. La jument féministe, sûre d’elle-même et égocentrique, reste le modèle de la femme aux États-Unis, fort heureusement bien loin du nôtre.

En revanche, ce qu’elle dit de l’honnêteté intellectuelle française mérite quelque doute. La faute au communisme stalinien et à la fascination des intellos pour la force brute, si prégnante dans les années 1950 avec Sartre et Althusser, avant que les doutes des années 1960 avec Foucault, Glucksman et quelques autres ne viennent tempérer cet aveuglement. Les politicards ont repris le flambeau aujourd’hui, toujours en retard d’une mentalité. Il est admis comme vérité scientifique chez les bobos que la droite ne saurait être qu’illégitime et que la gauche a toujours raison, dans l’histoire, dans la morale et dans les consciences… Aussi, quand je lis que « les Français se sont débarrassés des croquemitaines, ont ‘chassé de leur esprit les chimères’ et affronté la Méduse et le Sphinx d’un œil froid, et avec des questions pénétrantes » (p.22), je me dis que nombre d’écolos et de socialistes ne sont décidément pas « français » à cette aune ! Fukushima n’a-t-il pas « médusé » les antinucléaires ? Empêché de penser « d’un œil froid » ?

Ce n’était guère que la France bourgeoise que peignait Edith Wharton, peut-être pas la France dans ses profondeurs… Ainsi ce principe de liberté, « éclairant le monde » (p.30) qui ferait mouvoir les Français. N’est-ce pas plutôt la rage égalitaire qui l’emporte ? Rage qui contraint la liberté et réduit la fraternité à l’unanimisme fusionnel : qui n’est pas comme nous, à l’unisson, sans penser par lui-même, n’est pas notre « frère ». Sauf si nous allons le « sauver » comme en Libye, apparaissant ainsi tout naturellement comme protecteur et éclairé, donc supérieur. On veut bien être généreux quand on est supérieur. Mais pas de fraternité qui tienne pour les immigrés qui fuient leur dictature !

Reste vrai « le respect des usages » qu’elle note (p.41), la civilité se manifestant par ce qui se fait et par ne pas empêcher les autres de se faire entendre dans une conversation. Mais n’est-ce pas le cas de tous les peuples ? Les usages sont si lourds en Grande-Bretagne ou au Japon… comme dans les pays d’islam en ce qui concerne les femmes ! Dans « les salons », évidemment, « il y a là un rituel presque religieux, organisé dans le seul but de tirer les meilleurs discours des meilleurs causeurs » p.43. Comme la société française s’est démocratisée, cela s’étend désormais aux universités où les colloques sont l’occasion aux ‘chers collègues’ de se faire des ronds de jambe en public, tout en descendant leurs travaux dans le secret de leur cabinet au nom de la liberté de la recherche.

Car « la conception française de la société est hiérarchique et administrative, à l’image de son gouvernement (quelle que soit sa nature) » p.127. Rien de plus vrai, et qui n’a pas changé d’un iota ! L’honneur familial, social ou national compte plus que l’individu et doit s’y soumettre – le contraire de l’Amérique.

Vrai aussi le réflexe de déni. Il demeure plus que jamais ! « Il y a un réflexe de négation, de rejet, à la racine même du caractère français : un recul instinctif devant ce qui est nouveau, qui n’a pas été tâté, qui n’a pas été éprouvé » p.46. Mais, plutôt que de « caractère français », j’évoquerais les périodes de crise. L’après 1918 en était une, tout comme 1940 et aujourd’hui. Ce n’était aucunement le cas des années 1960 à 1990, période où la jeunesse croissait en proportion de la population et où la curiosité pour le monde et pour les idées était au sommet. Depuis une décennie, le repli sur soi tient certes à la crise, mais surtout au vieillissement démographique et aux idées qui vont avec, selon lesquelles les enfants et les excentriques n’ont pas leur mot à dire. Retour du collège fermé avec les Choristes, de l’encadrement religieux avec les scouts, du flicage dans les rues et du surveiller et punir sur l’Internet.

Il reste un « art de vivre » qu’Edith Wharton appelle « le goût » et qui tient plus aux habitudes transmises : bien manger, de vrais repas sans grignoter, en famille et entre amis, prendre du loisir, jouer avec ses enfants, aller au spectacle ou à la fête… Nous ne sommes pas dans le ‘divertissement’, organisé façon marketing et soigneusement commercialisé comme aux États-Unis – du moins pas encore – nous sommes encore dans le loisir où aller à la pêche tout seul ou sortir en bande de copains compte plus qu’acheter un ‘tour’ ou louer un ‘resort’. Pour l’instant.

Il est vrai que les États-Unis n’ont jamais été envahis, ce pourquoi les attaques de Pearl Harbor et du World Trade Center ont tant traumatisé le peuple américain. Dans leur univers, tout doit être rose, couleur optimiste où tout est bien qui finit bien – comme dans les westerns. C’est que Dieu leur a confié une Mission… Pas aux Français qui ont connu de multiples invasions et le tragique de la défaite et des révolutions. « Le prix en a été lourd, mais le résultat en valait la peine, car c’est justement parce qu’elle est la plus adulte que la France domine intellectuellement le monde » p.74. Hum ! C’est un peu pompeux, mais le fond de vérité est que nous sommes souvent sans voix devant les naïvetés américaines en politique étrangère : contre Staline, au Vietnam, en Afghanistan, en Irak… La gestion du contre-terrorisme en Algérie n’a-t-elle pas servi de modèle aux militaires américains éclairés, contre les idéologues de George W. Bush qui croyaient que quelques missiles et forces spéciales suffisaient à instaurer ‘la démocratie’ ? « Théoriquement, l’Amérique tient l’art des idées en estime, mais sa population ne les recherche pas, ou ne les désire pas » p.78.

La conclusion de l’auteur, en 1929, est un intéressant parallèle entre les faux amis que sont les mots gloire, amour, volupté et plaisir. La glory anglo-saxonne est une vanité, pas la gloire française qui aurait plutôt quelque chose à voir avec l’élégance, le panache. « Amour contient bien plus de choses que love. Pour les Français, amour signifie une somme indivisible de sensations et d’émotions complexes qu’un homme et une femme s’inspirent l’un à l’autre ; tandis que love, depuis l’époque élisabéthaine, n’a jamais été plus, pour les Anglo-Saxons, que deux moitiés de mot – une moitié toute de pureté et de poésie, l’autre toute de prose et de lubricité » p.117. De même que l’anglais voluptuousness fait penser au sérail, le Français « volupté signifie le charme intangible que l’imagination extrait de choses tangibles, (…) toute une conception de la vie (…) [qui] exige d’abord la liberté pour l’esprit de jouer sur tous les faits de la vie, et ensuite, pour les sens, une finesse qui leur permet de distinguer l’aura qui entoure les beautés tangibles » p.123.

D’où le plaisir français, qui n’est pas le comfort anglo-saxon ni le divertissement superficiel. « Le plaisir consiste à se livrer à une délectation des sens libre, franche et autorisée (…) [sans] aucune insinuation de vice furtif » p.124.

Un joli petit livre, au fond, qui fait penser à cette mystérieuse « identité nationale » de la France, acquise non par les gènes mais par la culture, les institutions, la transmission – un certain art de vivre. Il est utile d’écouter ce que les étrangers ont à dire de nous, même à un siècle de distance.

Edith Wharton, Les mœurs françaises et comment les comprendre, 1919, Petite bibliothèque Payot 2003, 137 pages, €6.08

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La vraie question des présidentielles 2012

La campagne à l’élection présidentielle est partie. Moins avec les « universités » d’été qu’avec la primaire socialiste qui vise à faire élire un « président de gauche » avant de se présenter devant l’ensemble des Français. C’est alimenter l’usine à spectacle, faire agir le buzz des médias, focaliser en rose l’attention des gens. Au risque qu’ils se rendent compte de l’indigence fondamentale du projet politique… Certes, une présidentielle française est l’élection d’un personnage à la tête de l’État – pas celle d’un parti comme au Royaume-Uni ou d’une coalition comme en Allemagne ou en Scandinavie. La France se rapproche moins du modèle américain puisqu’elle n’a ni son fédéralisme ni ses contrepouvoirs, que du modèle russe où le parti ne sert qu’à rassembler les godillots autour du chef. Mais ce ne sont ni les minois altiers ni les petites phrases qui font une présidence. C’est le projet d’avenir, rassembleur des Français.

Où en est-il, ce projet ?

A droite il reste flou car les perspectives tracées en 2007 se sont diluées avec la crise financière mondiale et systémique. Le discours de Toulon était un bon discours, n’en déplaise à ceux qui considèrent que tout ce que fait Sarkozy ne peut qu’être entaché du péché originel. Toulon pointait bien que la France ne pouvait agir seule, qu’il fallait négocier pied à pied et dans la durée avec nos partenaires européens, occidentaux et internationaux pour imposer des règles communes à la finance, aux marchés, aux agences de notation. Il y a toujours un État qui a intérêt à conserver des paradis fiscaux, trous noirs où tout est possible et où les fortunes disparaissent. C’était avant-hier le Royaume-Uni, hier les États-Unis et la Russie, c’est aujourd’hui la Chine, le Brésil, le Mexique, les pays arabes… Sans transparence, pas de marché libre ; sans règles communes de sécurité, pas de libéralisme économique ; sans connaissance de qui investit dans quoi, pas de produits financiers sûrs. Or les trous noirs financiers continuent d’exister et les hedge funds de rester incontrôlés. La négociation Bâle III visant à renforcer les fonds propres des banques est un petit pas, mais pas avant 2019 et probablement insuffisant. Les contraintes des parlements de chaque pays de la zone euro font qu’avance très lentement le fédéralisme budgétaire indispensable à une monnaie unique. La Grèce fait ce qu’elle veut, sollicitant des fonds pour rester dans l’euro, menaçant en cas de faillite d’entraîner la faillite des banques allemandes qui lui ont beaucoup prêté, mais répugnant à toucher aux zacquis des richissimes, de l’église, des commerçants sans factures, des particuliers à piscine non déclarée, des cheminots payés 5000€ par mois pour faire rouler les rares trains.

Quelle « solidarité » y aurait-il à faire financer les fraudeurs grecs par les smicards français et allemands ? Sur le sujet, la droite en appelle au contrôle européen et la gauche se tait, le « grand principe » de solidarité suffirait…

A gauche, le projet reste dans les limbes car ce qui est publié date trop et reste trop partisan. Le futur président élu ne pourra que s’asseoir dessus. Car la dépense publique c’est bien… tant qu’on a les moyens. En situation de pénurie, il faut gérer ce qui reste. Les socialistes devraient en avoir l’expérience, puisque les systèmes du socialisme « réel » avaient cette gestion : par les queues, les privilèges catégoriels, la récompense du bon petit militant répétant la voix d’en haut. Las ! les socialistes capitalistes ont pris goût à l’expansion ; ils sont passés experts de la redistribution du toujours plus ; ils ne savent que faire lorsqu’il y a chaque année moins. Il ne savent surtout pas comment on produit plus et mieux ! D’où cette incantation rituelle au yaka : yaka faire payer les riches, yaka faire une grrrââânde réforme fiscale, yaka réinstaller des frontières, yaka forcer Merkel, yaka nationaliser les banques, yaka créer que des emplois publics…

La fin des grandes espérances

Les Grandes espérances est un roman de Charles Dickens qui date de 1860 ; il a été repris brillamment en film par David Lean en 1946 (extrait vidéo sur Allociné). Le jeune Pip se trouve pris par des événements qui le dépassent ; il voit ses illusions s’évanouir en même temps que ses espérances financières et de statut lorsqu’il devient adulte. Tel est le cas de la France et, avec elle, de nombreux pays européens. 2012 verra des élections sans espérance. Ni changer la vie, ni travailler plus pour gagner plus ne résistent à la crise. On ne change pas la vie, on l’adapte ; on ne peut ni travailler plus en raison du chômage ou, si c’est le cas, on gagnera moins parce que les impôts augmentent et les retraites diminuent. La quinzaine Mitterrand a dépensé à tout va et la décennie Chirac n’a rien foutu. Conséquence : la France a pris une génération de retard dans les réformes nécessaires. Il ne s’agit pas de réformer pour réformer mais d’adapter notre État providence (jamais en reste de dépenses) à notre démographie (pourtant moins mauvaise que d’autres). Les Suédois ont mis 15 ans à réviser leurs retraites ; nous n’avons pas encore commencé hors les mesurettes à la serpe (donc injustes) qui ne font que gagner du temps et augmentent la grogne sociale comme l’incertitude sur l’avenir.

Enterré papa protecteur et maman consolatrice dans le film de David Lean. Le jeune Pip est orphelin, mais courageux, et ce n’est pas sans quelque humour qu’il oppose à la poigne du forçat un résolu « si vous me remettiez droit, peut-être que j’aurais moins mal au cœur et peut-être serais-je plus attentif ». Exit le gaullisme de la reconstruction que Villepin rêve de voir revenir, anachronique ; les Français refusent la victimisation à la Royal et le care d’Aubry, mot incompréhensible fait pour les balader. Le problème est qu’ils sont tourneboulés et qu’ils devront voter en étant pris à la gorge par les marchés et avec mal au cœur. Ce n’est pas « la faute à » ce grand méchant marché : si les traders s’amusent, c’est bien parce que le terrain de jeu leur reste ouvert (où est la régulation ?) et que les acteurs sont minables (que foutent les politiques pour réduire les déficits indécents qui durent en France depuis… 1974 ? et pour contrôler les fonds européens alloués à la Grèce ?). Sans les marchés, les salaires des fonctionnaires et des retraités sont automatiquement amputés de 10% par an. Est-il normal d’emprunter non pas pour investir mais pour payer le déficit courant ?

Conséquences politiques

Le prochain quinquennat aura à gérer l’austérité et non les espérances. Dans ce contexte, la légitimité du sortant se trouve renforcée : lui connaît mieux que les autres les arcanes et les partenaires ; lui a réagi à temps et comme il fallait pour réunir les Européens et les instances internationales. On peut lui reprocher son entêtement à ne pas revenir sur les cadeaux fiscaux faits au CAC 40 et aux bistrotiers-restaurateurs, mais peut-on lui reprocher les abattements sur succession et assurance-vie plafonnés, destinés avant tout aux classes moyennes ? Ces oubliés des redistributions socialistes et pressurés favoris du fisc durant des décennies n’ont-elles pas droit à un geste même si l’effort doit être réparti sur tous ?

Mais son caractère, ses haines et son histrionisme médiatique ont lassé. Peut-être les Français choisiront-ils à gauche. Pour gérer l’austérité, François Hollande apparaît le mieux placé par son ton raisonnable, sa réforme fiscale déjà pensée, les ralliements des partisans DSK. Hollande incarne la fonction présidentielle dès avant l’élection alors que Royal reste opposante à tout prix et Aubry chef de parti. Martine Aubry est plus l’incarnation des valeurs de gauche, mais cette élection se jouera moins sur les valeurs cette fois (contrairement à 2007), et plus sur la capacité à gérer l’incertain. La propension dépensière, l’accent mis sur les bobos-intellos avec « la culture », une certaine rigidité de mère autoritaire, font que Martine Aubry apparaît plus comme la présidente de la fonction publique que comme celle de tous les Français. Car ce qui manque à gauche est bien là : où sont les encouragements à la production ? Est-ce un État exsangue qui va créer les 3 millions d’emplois pour les 4.5 millions de chômeurs ou travailleurs à éclipse ?

A droite comme à gauche, pas question de toucher aux filets sociaux, seuls à même de conserver une relative unité aux égoïsmes de caste dans une France restée très Ancien régime. L’Éducation nationale les produit dès le collège avec l’élitisme matheux et les redoublements méprisants. Les principales dépenses sociales concernent la santé et le chômage. Difficile de réformer en profondeur la santé car le vieillissement de la population en font un secteur très sensible. Pour le chômage, la seule façon d’améliorer les choses est d’encourager les emplois. Moins de chômeurs, cela fait moins de prestations sociales, plus de taxes qui rentrent et moins d’assistanat santé avec les cotisations prélevées sur les salaires et les mutuelles abondées par les employeurs.

La vraie question 2012 est donc l’emploi

Un emploi de croissance et pas ces palliatifs temporaires qui consistent à créer des services tant et plus là où ils ne sont pas indispensables. Un emploi d’entreprise donc et pas des précaires d’État ni des auto-entrepreneurs provisoires. Sur l’emploi, on attend Nicolas Sarkozy, mais il se réserve pour la campagne. On attend François Hollande, mais il attend d’avoir gagné les primaires. Elles ne se gagnent, probablement, qu’en caressant les militants archaïques et la fonction publique dans le sens du poil. Souhaitons que le sens des réalités et le sens de l’État l’emportent ensuite sur le sens du poil…

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Politique sans DSK

Le héros socialiste, expert économique mondialiste et sauveur d’une France craintive à bout de souffle a masqué les courants souterrains de la prochaine présidentielle. Il a tant fait rêver en rose, ou se positionner en bleu, brun ou vert, que les enjeux en ont été occultés. Sa disparition subite, digne de l’acte manqué freudien, met en lumière tout ce qui demeurait caché : rejet massif de la droite de gouvernement, dédain des extrêmes, tentation du centre.

Le rejet de Nicolas Sarkozy est tel qu’il aurait fait voter Strauss-Kahn sans que l’électeur adhère vraiment à sa politique. Une enquête réalisée pour Canal+ par la méthode sérieuse du face-à-face, du 29 avril au 2 mai 2011 au domicile d’un échantillon représentatif de 1000 personnes, montre que seuls 17% des Français sur six jugent le bilan de Nicolas Sarkozy positif. Les 76% de jugements négatifs sont au-delà des précédents : 43% des Français jugeaient favorablement le bilan de Valéry Giscard d’Estaing en 1980, 56% celui de François Mitterrand en 1987 et 49% celui de Jacques Chirac en 2000. Même les électeurs Sarkozy du 1er tour 2007 sont partagés, 47% jugent le bilan positif contre 47% négatif.

En cause, la crise mais surtout une attitude. Nicolas Sarkozy n’apparaît pas légitime dans la fonction présidentielle. Même dans le domaine régalien, où il a le moins démérité, il apparaît grande gueule puis capitulard, hésitant à avancer quand les puissants froncent les sourcils. La reculade sur la régulation financière au G20, le désastre sur l’environnement à Copenhague, la négociation avec les Russes en Géorgie, l’absence de vision long terme en Libye ou en Afghanistan… Le bilan de Nicolas Sarkozy sur la place de la France dans le monde n’est estimé positif que pour 36% des sondés.

Mais le président du pouvoir d’achat cause plus qu’il n’agit : 89% des sondés jugent négative son action, 80% ne voient aucun bénéfice sur l’emploi, 76% trouvent ses réformes fiscales dans le mauvais sens. Le financement des retraites est mal jugé par 71%, la politique d’immigration mauvaise à 69%, la justice à 67%. La crise économique et financière a fait l’objet de discours musclés… qui ont accouchés de souris : 63% des sondés jugent sa gestion négative. De même la sécurité, mauvaise pour 61%, et l’environnement, mal géré pour 59%.

Sur tous ces sujets, Dominique Strauss-Kahn était crédité de pouvoir mieux faire. Lui hors jeu, pour qui voter ? Une enquête par téléphone des 20 et 21 mai 2011 pour Le Nouvel Observateur et i>Télé auprès d’un échantillon représentatif de 1013 personnes, montre que François Hollande est pour l’instant le favori. Il bénéficie du soutien des plus de 65 ans (28%) et des électeurs 2007 de François Bayrou en 2007 (29%).

La droite est dans les choux, responsable d’avoir peu fait pour contrer la crise, et pas pour le plus grand nombre. Nicolas Sarkozy obtiendrait moins de 25% des intentions de vote au premier tour. Il réalise ses meilleurs scores parmi les plus âgés (40% d’intentions de vote chez les 65 ans et plus face à Martine Aubry), les commerçants, artisans et chefs d’entreprises (33%) : toutes les catégories que guigne Marine Le Pen. On note une nette déperdition de l’électorat Sarkozy 2007 de premier tour : 38% n’ont plus l’intention de voter pour lui en 2012.

Marine Le Pen ne tire pas profit de l’affaire DSK, mais serait au second tour si Ségolène Royal, Bertrand Delanoë ou Laurent Fabius se présentaient. Elle est première chez les ouvriers (32%), les employés (25%) et les femmes au foyer (29%). Mélenchon ne décolle pas, non plus que l’extrême gauche.

Mais ce qui sort est le centre. Les Français sentent bien que la crise est profonde et touche tous les pays développés. De quoi remettre en cause le mode de vie confortable où l’énergie est peu chère, les salaires en hausse, les retraites décentes. Or l’incertitude est la norme dans l’histoire, pas la protection. Les pays émergents eux-mêmes ne sont pas à l’abri d’accidents économiques ou sociaux (l’inflation en Chine, les menées islamistes en Inde, la déstabilisation du Pakistan, les révoltes au Nigeria, le cartel de la drogue au Mexique…). Une position mesurée sur tous ces sujets, de l’union européenne à la mondialisation, de la transition nucléaire à la productivité est nécessaire. Les candidats non idéologiques, pragmatiques, à l’écoute non seulement des votants mais du monde, emportent les suffrages.

Ce pourquoi Strauss-Kahn faisait rêver, lui qui était loin du gauchisme. Ce pourquoi Martine Aubry, trop rigide et considérée à tort ou à raison comme d’esprit archaïque époque Mitterrand, est moins désirée que François Hollande, bien que femme. L’électorat Modem se reporterait à 70% sur Hollande contre 52% sur Aubry au second tour, selon le sondage. Nous ne sommes cependant qu’à un an des élections, tout peut se modifier d’ici là.

Chez les écolos, Nicolas Hulot (entre 8% et 12%) arriverait à regrouper davantage qu’Eva Joly (7%) et certainement plus que Cécile Dufflot si elle se présentait. Les centristes déclarés (François Bayrou, Jean-Louis Borloo, Dominique de Villepin) parviennent dans ce sondage autour de 15 à 20% s’ils s’additionnent. Jean-Louis Borloo est le mieux placé, entre 7 et 9.5% selon les hypothèses. Il devance à chaque fois François Bayrou, entre 5 à 8% des intentions de vote, usé par trop d’années de présence mi chèvre mi chou dans le paysage. Dominique de Villepin n’est pas désiré, à 3-4% seulement.

Rejet de la droite, désir du centre pour conduire la politique française, le parti Socialiste paraît bien placé s’il sait ouvrir le gouvernement aux centristes et aux écologistes non radicaux. Le fera-t-il ? Ce serait rejouer à gauche ce qu’a réussi Nicolas Sarkozy en 2007. Le léninisme de combat des apparatchiks, dont maints exemples sont donnés à qui sait le lire, me font penser qu’il s’agit là d’impensable. Seul DSK aurait pu, lui qui avait un pied en dehors du parti, jusqu’à chercher à se créer des inféodés dans la presse. Même Ségolène Royal n’a pas osé avec François Bayrou en 2007, ce qui est sa principale erreur politique. Je ne vois ni Martine Aubry, ni François Hollande, appeler un Jean-Louis Borloo ou un Français Bayrou dans un gouvernement de gauche… Il y a tant de « camarades méritants » à récompenser !

Le « centrisme » Hollande paraît donc bien une illusion. C’est en tout cas une tactique qu’il devrait développer pour rester dans le sens de l’opinion française.

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Le festival Strauss-Kahn

La semaine s’est ouverte avec le festival de Cannes mais les canards n’en ont pas fait le marronnier annuel. Strauss-Kahn a réussi à alimenter les cancans. A peine les lampions du 10 mai éteints, le 14 mai va s’inscrire dans l’histoire des mœurs politiques. Nous avions eu Félix Faure, mort sur le tas en besognant une « connaissance » dont on retient surtout qu’elle est « sortie par derrière ». Nous avions la fille Mazarine, les mains baladeuses du président Giscard, le fils improbable de Jacques Chirac, les épouses en « a » de Sarkozy. Nous pouvons désormais chanter, avec Sœur Sourire : « Dominique, nique, nique ! »

Sauf que ça ne rigole pas au parti Socialiste. Ça ne rigole d’ailleurs jamais, tant la situation est « grave » depuis trente ans. Voyez les médiatiques : quand Hollande a commencé à ravaler ses bons mots pour faire la tronche, il a grimpé dans les sondages… Les frasques de Dominique – cherchez à qui le crime profite : à l’avenir à gauche ? pas sûr. Aux journaleux ? pas vraiment. A la France ? sûrement pas. Mais au père François pour sûr.

C’est que cette véritable honte de choc n’est pas que socialiste.

C’est toute la gauche qui s’en trouve submergée. Pas plus que le tremblement de terre japonais devenu nucléaire, cela n’était prévu. Le candidat « évident » a canné comme cela arrive : hier Delors, avant-hier Mendès-France. Un autre Kahn (Jean-François) évoque avec un mépris gourmand un « troussage de domestique ». Pour ce soixantuitattardé de la cuculture hédoniste bobo, la victime ne saurait être une femme Guinéenne payée au SMIC, mais le beau macho piégé pour l’empêcher d’accéder au pouvoir. Et les grandes orgues à gauche de se déployer à la télé : BH Lévy, J. Lang, et même R. Badinter habituellement mieux inspiré. Pourquoi jouent-ils les élites outragées ? Les tenants du Bien (socialiste) contre le Mal (forcément américain) ? Se prennent-ils pour la Loi et les Prophètes, ou défendent-ils le clan étroit des machistes méditerranéens ? Dans le Coran aussi la parole d’un homme vaut celle de deux femmes. Le multiculturel veut-il la maghrébisation comme antidote aux mœurs anglo-saxonnes ? La social-démocratie a donc du plomb dans l’aile, le jacobinisme botté époque Mitterrand relève la tête. La gauche pétainiste se retrouve une morale, celle du peuple contre les élites. Mélenchon s’en réjouit ouvertement, disant qu’un boulevard s’ouvre à lui tout seul pour rassembler « à gauche ». Il veut dire dans le style 1793, citoyens en armes, j’veux voir qu’une tête, le peuple dans la rue et les accapareurs au bout d’une pique.

C’est toute la médiacratie qui a failli. Des complaisances à ne pas gêner un partisan du même bord pour ne pas « retarder l’Histoire ». Des habitudes machistes méditerranéennes décrites avec indulgence, du « qui va garder les enfants » Fabius au soutien ouvert à ce violeur d’une gamine de treize ans Polanski, c’est toute une génération de journalistes qui montre son manque de professionnalisme. Ils préfèrent « l’investigation » sur le racisme présumé du sélectionneur de l’équipe de foot à l’enquête sur la maîtrise morale d’un candidat au poste suprême. Les citoyens peuvent-ils croire ces histrions qui paradent à la télé ou font la morale dans les journaux, quand ils constatent une telle faillite de la vigilance ? Un regard toujours rose du moment qu’il s’agit d’un homme de gauche ? C’est qu’on a bien plus invoqué la « présomption d’innocence » pour Dominique Strauss-Kahn que pour Eric Woerth, par exemple ! Ce pourquoi la théorie du Complot a fleuri aussitôt et que le sentiment anti-élite du « tous pourris » a de beaux jours devant lui.

C’est toute la France qui s’en trouve salie. Rabaissée au niveau du mépris pour les femmes des religions du Livre, elle qui se dit laïque, fait une loi sur le voile et conserve l’arrogante habitude de faire la morale au monde entier. Le monde entier a les yeux sur ce Français cosmopolite chef du Fonds monétaire international, expert en macro-économie mais incapable de se maitriser devant un cul. De quoi renforcer ceux qui préfèrent la Corrèze au pèze et Tulle à la bulle, s’affirmant du terroir et pas né hors sol. Car le sexe n’est pas honteux s’il est partagé entre adultes. Libertinage n’est pas cuissage, n’en déplaise aux notables qui se sont toujours cru au-dessus des lois. Toute séduction implique le consentement. L’Amérique a raison de garder au frais Strauss-Kahn en attendant son jugement. Juste retour de bâton du réel pour nos intellos-médiatiques qui savent mieux que tout le monde qui « doit » être innocent ou coupable, de Polanski à Batisti, jusqu’à la mère de Tristane, journaliste « violée » il y a dix ans par le Dominique et que le prestige notable et les convenances politiques ont « empêché » de porter plainte. Au point de ne pas craindre d’être ridicule à profiter de l’actuelle curée.

Le choc a montré la France qui cause dans le poste à nu : hystérique, haineuse, ignare. Plus le présumé coupable est riche et célèbre, plus les hyènes jalouses crient au scandale et plus les copains de parti nient la réalité. On accuse les puissances d’argent, la CIA, la justice américaine. C’est bien la peine de boire à longueur de journée du Coca en surfant sur son Smartphone Apple, se gavant de mac-bourgeois et de séries télé américaines, tout en portant des jeans Lévi-Strauss ! A quoi cela sert-il de lire des romans policiers ou de se pâmer devant les feulm’ hollywoodiens projetés à Cannes, si c’est pour ne rien comprendre au fonctionnement judiciaire des États-Unis ? Après Outreau, l’interminable procès Chirac et les non-lieux politiques, a-t-on vraiment « la meilleure » justice du monde ? Quelle détestable arrogance doublée d’ignorance jacobine ! L’affaire DSK sera peut-être le titre d’un prochain feulm’ (toujours prononcé à la bobo sur France-cul). Il montrera le provincialisme franchouillard dans la globalisation du monde, le rejet de tout ce qui n’est pas terroir bien de chez nous. Il suffit d’écouter les groupes en voyage en avion sur la bouffe, les hôtels, la propreté, la politesse, pour s’en faire une idée…

Quelles conséquences politiques ?

La gauche de gouvernement va devoir se choisir un autre candidat crédible. Hollande ou Aubry sont bien placés, le premier plus que la seconde parce que lui a envie d’y aller malgré son absence de charisme. Mais il ne devrait au moins pas y avoir de surprises côté mœurs.

Le choc doublé du ressentiment anti-élite friquée cosmopolite aurait pu faire monter l’extrémisme. Or ni Le Pen ni Mélenchon ne semblent pour l’instant en profiter. Une semaine après la valse de Strauss-Kahn, la modération semble l’emporter dans les souhaits pour 2012 (sondage Ipsos-Logica-LeMonde du 18 mai). Ce qui ramène Marine à un étiage qui ne lui permettra peut-être pas de passer au second tour.

Ce qui ouvre un boulevard pour le centre, bien pressuré ces derniers mois entre une droite récupératrice pour un vote utile et une gauche séductrice avec Dominique. Sa sortie de course rejette le PS vers la gauche. Une partie des centristes qui auraient pu voter Strauss-Kahn ne voteront ni Aubry ni Hollande.

Il pourrait donc y avoir rassemblement à gauche, mais tiré vers le mitterrandisme tradi et le style Mélenchon ou Chevènement. Un peu juste pour séduire en-dehors de l’antisarkozysme. Car la gauche ne peut gagner sans des voix du centre…

Il pourrait y avoir dispersion à droite, les gens du centre allant au premier tour sur les quatre ou cinq candidats potentiels, de Villepin à Hulot en passant par Bayrou et Borloo. Nicolas Sarkozy pourra-t-il alors accéder au second tour ? Mais la dispersion du centre ne permettra pas d’aligner un candidat centriste crédible contre un candidat de gauche…

Les jeux restent donc très ouverts et il n’est pas impossible que, comme aux échecs, Nicolas Sarkozy ne puisse assurer un second mandat. Il profiterait du désarroi partisan à gauche, du discrédit moral de la gôch intello-médiatique, de la perte de compétence mondiale sans Dominique Strauss-Kahn alors que montent les problèmes mondiaux : la Chine, les révoltes arabes, l’éveil de l’Afrique, l’essor de l’Amérique du sud et les faillites d’États de la zone euro.

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Que vaut le projet socialiste pour 2012 ?

Notons en premier lieu qu’il s’agit de « 30 propositions » et non d’un « projet » de gouvernement. Notons en second lieu que ces propositions sont réunies sous le titre de « Redresser la France et proposer un nouveau modèle de développement ». Rien que ça : il s’agit encore et toujours de changer le monde… Le capitalisme est le diable, la mondialisation l’enfer, et le PS veut créer un bénitier d’eau apaisante pour tous les brûlés de la France. Panser au lieu de penser. Pourquoi vouloir changer le monde alors qu’il faudrait commencer par se changer soi ? Par orgueil, certitude d’avoir raison, d’être investi d’une Mission.

Cela vient de loin, du catholicisme dont le socialisme a repris la cité de Dieu, du marxisme-léninisme dont son créateur Lénine a repris l’idée d’Église hiérarchique, de clergé investi d’une mission et de prêches propagandistes pour sauver les âmes… C’est un peu cela, le catalogue ordonné des propositions du PS : « Refaire de la France une nation qui compte » (comme si elle ne comptait plus, la 5ème puissance économique mondiale, la 2ème puissance démographique européenne), « changer de modèle pour vivre mieux » (pourquoi pas ? mais qu’a donc fait la gauche pour avancer dans cette direction depuis 1981 ? et notamment durant les 5 récentes années Jospin ?) ; « rendre la vie moins chère », priorité aux « services publics », « réformer la fiscalité ». Au fond, ce sont peut-être ces propositions franco-françaises sur l’école, la fiscalité et les priorités de service public (pas tout mais éducation, santé et sécurité) qui sont les plus réalistes. Notons quand même qu’il s’agit de préférence nationale… Tout ce qui sort des frontières est négligé ou vague. Où l’on voit que la mentalité FN irrigue aussi la gauche.

La mondialisation ? Elle n’est évoquée que pour une vague « taxe sur les transactions financières » impossible à mettre en œuvre tout seul sauf à voir fuir la finance partout ailleurs qu’en France. Ou par une taxe aux frontières sur les produits polluants ou immoraux « en matière sociale, sanitaire ou environnementale ». Ou encore par une loi d’orientation tous les trois ans sur l’accueil des migrants. Le monde s’arrête aux frontières de l’Hexagone, c’est bien connu depuis l’imbécile de Tchernobyl. Qui croirait qu’il y a un socialiste français à la tête du FMI et un autre à la tête de l’OMC ? Le parti n’en tient pas compte, ses intellos sont en majorité fonctionnaires hexagonaux.

L’Europe ? Elle n’est évoquée que pour « proposer » une communauté des énergies (qui en veut ?), des droits de douane sur l’immoralité déjà vue (les Allemands sont-ils pour ?), des emprunts Eurobonds pour investissement (les Allemands sont radicalement contre). Rien à dire sur les obligations de l’euro, les écarts de fiscalité, la ponction plus forte qu’ailleurs de l’État français sur la production nationale. Bien que le mot « compétitivité » figure en titre, elle se résume à encore plus d’État avec une « banque d’investissement » – comme si l’État (c’est bien connu) était le meilleur à créer l’innovation ! Se souvient-on à gauche du Plan calcul, du Concorde, des PC Thomson massivement financés pour les écoles et collèges, du succès planétaire du Minitel, de la centrale nucléaire de dernière génération beaucoup trop chère, du Rafale que personne n’achète, du TGV copié par les Chinois et les Coréens ?

Les vrais problèmes des Français ? Ils ne datent pas de 2007… mais des années 1980 : chômage, marge des PME, logement, immigration, insécurité des banlieues, financement des prestations sociales, déclassement, inadaptation persistante de l’école, empilement des lois et règlements, misère de la justice, montée du Front national. Tout cela est né sous Mitterrand et n’a fait que proliférer depuis. Il ne suffit pas de dire « Sarkozy dehors » pour que, par magie, tout devienne rose. Les Français savent bien qu’ils ne vont pas entrer chez Disney s’ils votent rose en 2012. Que « propose » donc le parti pour régler tout ça ? De surveiller et punir : le vieux travers caporaliste de la gauche morale. Les inégalités existent, peut-être moins qu’ailleurs en France, mais pires qu’avant à cause du chômage persistant depuis trente ans. Mais surveiller et punir ne suffit pas à régler les inégalités : les vrais riches iront s’installer ailleurs, les vrais pauvres seront réduits à l’assistanat d’État délivré par des fonctionnaires revêches, mal payés et qui ne feront jamais plus de 35 heures en répétant comme une litanie que c’est pas moi c’est l’autre, qu’il faut le bon papier, que le dossier est en cours, que le service est en sous-effectif, et autres prétextes habituels aux administrations.

  • Il y a un effort de modération pour rassembler les éléphants qui ont une fâcheuse tendance à se tirer dans les pattes.
  • Il y a un maquillage de communication qui vise l’attrape-tout pour les primaires ouvertes à toute la gauche.
  • Il y a un grave déficit d’idées sur l’avenir d’un pays moyen dans un monde désormais global.

Les propositions sont financées… mais en remettant en cause la fiscalité instaurées depuis 2007 par Sarkozy, avec les effets pervers de changer une fois encore les prévisions de risque de ceux qui investissent : les entreprises de la restauration (dont la TVA réduite serait supprimée), les entreprises à transmettre (qui seraient moins exonérées et dont les dirigeants s’exileront aux frontières pour ne payer ni plus-value ni l’ISF), les particuliers qui préparent leur retraite amaigrie par des investissements locatifs (leurs loyers seront bloqués). Certes il faut réformer la fiscalité, devenue complexe et difficilement lisible, mais n’avoir pour projet affiché que taxer encore et encore est d’une indigence rare.

Comment un État qui prélève déjà 43% des salaires et assure par la dépense publique 55% du PIB peut-il dire qu’il manque de moyens ? C’est plus que la plupart des États européens qui nous entourent. La démagogie consiste donc à dire qu’on ne touche surtout pas aux zacquis, malgré des classes de 35 alors que les effectifs de l’Éducation nationale comptent 1 prof pour 16 élèves, malgré le taux de flics par habitant plus élevé qu’ailleurs seraient engagés 10 000 de plus ? Tout comme les emplois-jeunes, ces impasses crées dans le secteur non-marchand qui vont servir à rester sous-payé et sous-formé en associations et collectivités, sans pouvoir valoriser son CV par une quelconque expérience et formation utile à l’économie. Ce genre d’emploi de proximité ou écolo pourrait être assuré aux seniors chômeurs, ils n’ont plus guère d’avenir en entreprise – mais les jeunes ! C’est les parquer dans l’assistanat à vie, avec vote PS obligatoire pour maintenir les zacquis.

La démagogie se poursuit avec les vieilles lunes qui datent du Programme commun : la Banque d’investissement, l’encadrement des loyers, le plafonnement des salaires des PDG d’entreprises publiques, la retraite à 60 ans (mais pas à taux plein, ce n’est pas dit n’est-ce pas ?…). L’idée profonde est que « le capitalisme » est immoral, illégitime, et que le but de la politique française est d’en débarrasser le monde. Ben voyons… Le pays est fatigué, vieillissant, le budget perclus de dettes, le chômage massif, la croissance très molle. Il faudrait réformer l’État-providence, devenu intenable en raison de la concurrence mondiale et de l’endettement accumulé dans un contexte de prélèvements maximum – ce qu’ont fait les pays scandinaves et le Canada. Réformer l’organisation réglementaire et diminuer le coût du travail pour donner de l’air aux emplois (un chômeur ne peut pas donner des cours à l’université par exemple, selon un décret de 1987 signé Chirac) – ce qu’a fait l’Allemagne dont le coût relatif diminue depuis les années 1990. Encourager les entreprises à faire comme les PME allemandes, qui exportent malgré l’euro fort et les délocalisations industrielles et créent -elles – de l’emploi. Et ne surtout pas accentuer le travers français de l’innovation d’État avec ses gros machins invendables, seulement négociables par les politiques (donc transférables et copiables à merci) comme le TGV, Airbus, les centrales nucléaires. La gauche comprend-elle le monde actuel ?

Que peut-on faire quand on ne peut pas changer le monde tout seul ? Faire semblant. Se replier sur le socialisme dans un seul pays (comme Staline). Le PS a accouché d’un pessaire, cet appareil qui maintient un organe en place. Quelle révolution !

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