Articles tagués : disney

Jules Vallès, Les Réfractaires

Recueil d’articles sous forme de livre à thèse, Vallès réagit aux Scènes de la vie de Bohème d’Henri Murger. Le rose artiste ne sied pas à Vallès l’insurgé. La dèche est miséreuse, pas romantique. La société, au lieu de se rêver, devrait se regarder en miroir. Le réfractaire n’est pas (encore) le rebelle, il est plutôt l’irrégulier, ce qui qui n’obéit pas aux règles sociales et qui vit dans les marges. En général il ne l’a pas voulu mais a échoué au bac par manque de talent ou de fortune – ou des deux ; il a échoué dans un métier, où la concurrence est rude et la critique réprimée par le pouvoir et les puissants ; il a échoué en société, le verbe trop haut ou par « mauvais » caractère. Lécher les culs et réciter sa leçon rapporte plus qu’inventer et dire le vrai.

C’est un portrait de l’auteur par sa bande que brosse Vallès : artiste manqué, poète sans talent, professeur révoqué, inventeur chimérique, critique impuissant à créer son œuvre. La bohème n’est pas la jeunesse méritante qui aboutit à l’Académie et sa misère n’a rien de pittoresque. Elle est plus la victime du livre, le prurit littéraire des petits intellos qui se croient du talent mais qui ne parviennent pas à plaire. Les personnages ainsi contés sont vrais, Vallès les a côtoyés dans les dîners du Figaro ou les cafés de la monarchie de Juillet et du Second empire. Toute une tribu de parasites qui vit au crochet de l’édition et du journalisme sans jamais percer. Aigris, ils font de leur ressentiment social une vertu – tout comme les écolos naïfs d’aujourd’hui font de leur austérité forcée une mission pour sauver le monde… sans toucher concrètement au système qui le loge, les nourrit, les transporte, leur permet de communiquer sur le net et sur smartphone à grande débauche d’électricité.

Vallès s’attache à trois réfractaires de Paris, Fontan-Crusoé, Poupelin dit « Mes papiers » et Monsieur Chaque « orientaliste et ancien Pallicare ». Il ajoute un réfractaire illustre, Gustave Planche, deux autres qui le sont moins, Cressot et Alexandre Leclerc, ainsi qu’un géant bachelier qu’il inverse en bachelier géant – mais pas par hasard. Ces réfractaires sont ceux « qui, au lieu d’accepter la place que leur offrait le monde, ont voulu s’en faire une tout seuls, à coup d’audace ou de talent ; qui, se croyant de taille à arriver d’un coup, par la seule force de leur désir, au souffle brûlant de leur ambition, n’ont pas daigné se mêler aux autres, prendre un numéro dans la vie » p.138 Pléiade.

Pour Vallès, tout vient du livre, depuis l’enfance ; tout est rêvé au lieu d’être agi – tel est l’esclavage bourgeois de « la littérature ». Il s’agit de prétendre vivre ses lectures comme la vraie vie, de laisser son existence tout entière passer par les mots, d’enjoliver quand on écrit toutes les passions, de parfumer toutes les misères – en bref de voir la vie en rose. Oh, la tendance n’a pas disparue avec le siècle XIX ! Au contraire, notre industrie du « divertissement » en tire encore ses ressorts les plus profonds. Vivre par procuration ce qu’on n’aura jamais est l’essence du pouvoir bourgeois. Disney Channel dès le jeune âge fait rêver aux princesses ou au vaillant lion ; les séries pour femmes seules, « soccer moms » ou autres isolées de banlieues sans âme font rêver au bel amant musclé doux de jeunesse bien qu’un brin inquiétant au fond, que les super-femelles-comme-tout-le-monde mettent vite au jour et s’en protègent (voyez les téléfilms américains à longueur d’antenne sur TF1 !) ; le cinéma même fait s’évader car le seul documentaire vrai ne suffit pas au plaisir. C’est contre tout cela que s’élève Vallès au nom du réalisme.

A quoi cela sert-il d’être bachelier si c’est pour échouer dans un cirque ? De suivre le séminaire si c’est pour être bateleur ? « M. Jules Vallès a du talent », écrit Barbey d’Aurevilly l’année de la parution du livre, mais il n’a « pas assez de souvenirs », il traîne « un seul souvenir personnel » et c’est trop peu, il fait de son propre cas un cas exemplaire de toute une faune et c’est assez vrai. « Pachionnard », disait de lui Veuillot en 1866, Vallès est adepte du passionné avec l’accent d’Auvergne, et c’est bien là son style. Il n’a pas encore su le dompter ni canaliser sa rage. Cela viendra. Après la Commune.

Jules Vallès, Les Réfractaires, 1865, Prodinnova 2020, 186 pages, €7.95 e-book Kindle €3.99

Jules Vallès, Œuvres tome 1, Gallimard Pléiade 1975, 1856 pages, €68.00

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

CubaDisney

Le matin, après le petit déjeuner, nous voit aller « randonner » sur un sentier tout aussi aménagé que ceux d’hier. Nous sommes dans le parc Guanayara, dans le Tope de Collantes, comme l’indique une pancarte en bois pyrogravé à la scoute près de l’auberge. Le parcours est comme chez Disney, soigneusement aménagé en « faux sauvage ». Un panneau sur le sentier nous indique tous les oiseaux du coin qu’il « faut » voir : trogon, perruche, todier, pic vert. L’un des oiseaux est « national » parce qu’affublé des trois couleurs, bleu, blanc et rouge. Nous croisons « l’arbre-hôtel » jugaro, appelé ainsi car il héberge de multiples hôtes, des orchidées, des fougères, des anti-cactus. Ces derniers sont le contraire complet des cactus : ils ne poussent pas à terre mais pendent, ils aiment par-dessus tout l’humidité, et leur tige n’est pas compacte mais ramifiée comme un fouet.

parc guanayara cuba pancarte

Nous poursuivons l’exploration de ce Cuba-Disney par le sentier balisé, raboté, aménagé. Dans un bassin, un troupeau d’Allemandes blanchâtres et grasses s’ébat en poussant de petits cris de goret. Leur guide, brun et robuste, arbore ses pectoraux et se mouille le short pour les émoustiller. Plus loin tombe une cascade, de très haut, des filets d’eau comme une chevelure de femme. Des adolescents cubains viennent de s’y doucher par plaisir, leurs corps secs comme des triques sont vite piquetés de froid. L’un des garçons a gardé son débardeur par pudeur devant les étrangères et il grelotte plus que ceux qui n’ont rien sur la peau. Il me dit que l’eau qui tombe de si haut fait mal à la nuque et aux épaules, comme si une gigantesque main vous claquait.

C’est le moment que choisit Yubran pour lancer une blague machiste : « comment appelle-t-on une femme qui a perdu 90% de son intelligence ? » La réponse est « une veuve », mais je ne la connaîtrais qu’à mon oreille car les filles du groupe se récrient, dans un féminisme à la mode qui veut imposer le politiquement correct. Et, sur le chemin, Françoise (jamais en mal de contradictions) se dit qu’il est en fait de plus en plus difficile d’être un homme aujourd’hui. Ce n’est pas faux, je crois que les hommes ont besoin d’être plus autonomes qu’auparavant, ce à quoi leur éducation ne les a pas tellement habitués. L’ascension sociale a privilégié les enfants peu nombreux, dont les mères nées dans les années 50 et 60 se sont plus occupés que les précédents, travaillant moins, valorisant les études. D’où l’immaturité affective de nombreux hommes, leur égoïsme d’enfant gâté. Mais, revers de la médaille, l’autonomie des hommes, lorsqu’elle existe, rend les femmes un peu jalouses. Elles voudraient jouer les mamans avec des garçons qui n’en n’ont plus besoin ! Le monde ne sera jamais parfait, que voulez-vous, il restera éternellement en demi-teinte, chaque bienfait ayant son mal fait. Il n’y a que dans l’utopie que tout va pour le mieux mais seule l’immaturité croit en son avènement ; être adulte, c’est justement savoir faire « la part des choses ».

expo infantile collective cuba

Nous revenons par un bassin au soleil, encombré quelques minutes d’un car de touristes braillards. Ils partent heureusement très vite, dégageant le terrain pour celles et ceux qui veulent se baigner. Malgré les moustiques, il y en a. L’eau est froide, à l’ombre depuis le matin, mais certains se laissent tenter, plus de garçons que de filles, d’ailleurs (la température, hélas, n’est pas féministe). Flotte dans le sous-bois des odeurs de plantes et de fermentation, un parfum moite, chaud, vibrant comme dans une serre.

parc guanayara cuba

En revenant vers l’auberge commence le sempiternel échange cinéma entre filles – à chaque randonnée c’est la même chose. Ce genre de conversation est neutre, elle permet de donner ses préférences sans se livrer et surtout de zapper d’un film à l’autre sans jamais approfondir une quelconque réflexion. Cet échange – traditionnel depuis quelques années entre gens qui ne se connaissent pas – touche bien plus les femmes que les hommes et m’apparaît analogue à ce qui fait le succès des magazines pour coiffeurs : des quarts de page pour ne pas lasser, une seule idée par paragraphe, de préférence en émotion directe, en valorisant les valeurs les plus courantes et les plus conventionnelles.

cinema

Nous achevons la boucle à l’auberge Gallega où un nouveau groupe de touristes nous a déjà remplacés. Orestino a repris le chemin de l’école en ce lundi. Il ne nous reste plus qu’à grimper dans la benne du camion pour rejoindre la route, puis un restaurant à touristes au sommet d’un piton. Les terrasses piaillent de jeunesse française communiste en villégiature, mêlées de cyclistes américains venant de l’Oregon. Les femmes paraissent de vieilles pies prêtes à médire de leurs voisins et les hommes se sont façonné un look d’anciens marines, tronche rasée impassible. Ces gens-là ne savent plus rire. Le service nous bourre de chou cru tomates et de bœuf bouilli aux patates. Pas de dessert mais des musiciens amateurs de dollars. Nous quittons Yubran – prénom inventé par sa mère et qui ne veut rien dire, selon l’intéressé – pour remonter dans le bus.

Sergio reprend aussitôt le micro, dont il a été sevré depuis deux jours pleins maintenant. Il nous dit que la région que nous quittons a été la dernière à résister à Castro, aidée « par la CIA » (le bouc émissaire facile de tous les malheurs de Cuba) et les exilés cubains de Miami (ce qui est probablement plus près de la vérité). La résistance a duré jusqu’en 1966. Il conclut sobrement : « ceux qui ont été pris les armes à la main ont été fusillés ».

Catégories : Cinéma, Cuba, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Yalta le Nid d’hirondelles

Depuis le bord de mer, nous prenons un bateau pour le nid d’hirondelles, une attraction vue dans un guide.

yalta gamin mode

Installé sur le balcon arrière, je fais face à deux filles en chic, à une mère et à son garçon turbulent en débardeur et à un grand frère qui mignote son cadet.

yalta deux freres

Lui est brun, le petit est blond ; il a envers le plus jeune des gestes de protection qui émeuvent le spectateur, des sourires, de petits mots, une sorte d’émerveillement pour le satiné de la peau sur son cou, d’attendrissement pour l’ossature frêle des épaules. Ils ont l’air de s’aimer fort ces deux-là. On peut tout imaginer : une séparation le reste de l’année, les deux orphelins et le grand obligé de travailler au loin, qui sait ?

yalta filles

Des deux filles, l’une a les seins au balcon débordant presque du caraco noir et une casquette de baseball rouge sur la chevelure ; l’autre, sous un chapeau de dentelle, exhibe un visage farineux quelconque, mais surtout d’énormes cuisses pâles qu’un bermuda ne parvient pas à couvrir.

yalta ni d hirondelles

Le « nid » a été bâti en 1912 par un baron allemand pour sa maîtresse de luxe, puis refait dans les années 1970 brejnéviennes pour le tourisme des nomenklaturistes du socialisme réalisé. Il se présente comme une pâtisserie néo-médiévale à la Disney, avec tour à clochetons et fausses meurtrières. Ce « nid d’aigle » perché sur une roche qui surplombe la mer a pour le seul intérêt, à mon sens, la promenade en bateau qui y mène. Elle permet surtout au curieux du pays l’observation des gens.

yalta jeune homme torse nu

L’escalier qui monte de la cale des bateaux au sommet du piton où se dresse le bâtiment est ponctué de stands de boissons, de nourritures et de souvenirs. Le « nid » baroque ne se visite même pas. Une petite plage de rocher, peut-être payante, s’étend entre le piton rocheux et la côte elle-même. Des baigneurs, à l’écart de la foule, paraissent y lézarder à loisir.

Nous reprenons le bateau assez vite, le temps d’un monter-descendre, pour revenir à Yalta. Des dauphins joueurs virevoltent un moment dans le sillage, à la grande joie des enfants et pour le plaisir photographique des grands. Toute une bande de lycéens venus du nord, accompagnés par quelques moniteurs et monitrices reconnaissables à leur air « branché ado » si caractéristique, copinent et flirtent durant la traversée.

Nous avons soif. Il fait à Odessa couramment plus de 30° sans que quiconque ne se mêle d’invoquer « la canicule », de prier le gouvernement de faire quelque chose ou d’accuser le climat du massacre des vieux. Tout le monde s’y fait, voilà tout, bien loin des jérémiades de la génération capricieuse née vers 1968 à l’ouest.

yalta gamins russes torse nu

Malgré le sentiment de déclin de la puissance, que ressent la population depuis la chute de l’empire soviétique, malgré l’alcool qui se développe comme un fléau dû au stress d’une liberté brutale, malgré le chômage apparu et la fonte des pensions en raison de l’inflation galopante des années postcommunistes, malgré la moindre envie de mettre au monde des enfants, il reste de la vitalité, ici. Plus qu’en nos pays. Les petits sont aimés mais non gâtés, les jeunes se bardent de force et froncent les sourcils pour faire leur trou dans ce monde où l’État ne décide plus souverainement de la place de chacun. Ils révèrent les héros invincibles venus des séries télévisées américaines, mais ils comptent moins sur la technique que les Américains des films. Ils comptent surtout sur eux-mêmes et sur leurs copains pour s’en sortir. Ils ne renoncent pas, animés d’une énergie vitale qui semble avoir quitté nombre de vieillissants français bercés par l’État maternant. Cet État absolutiste et mêle-tout qu’une caste étroite veut maintenir – pour maintenir avant tout son propre pouvoir.

crimee babouchka assia tatare

Nous revenons au gîte pour le dîner de babouchka Assia. Le bouillon gras est suivi des poivrons farcis qui ont cuit dedans, des fruits rafraîchissants et des biscuits pour caler au dessert. La salade de tomates et concombres demeure toujours sur la table ; on la mange en entrée ou entre deux plats. Les poivrons sont farcis au lard et au riz, dégraissés au bouillon et agrémentés d’épices douces où domine la graine de coriandre.

yalta vin de crimee et plats tatars

Nous sommes dans la cuisine turque, même s’il est politiquement incorrect de le dire aux Tatars… Nous goûtons le vin de Crimée, un Cabernet produit ici, deux bouteilles que nous avons achetées en commun dans une boutique d’Odessa. A 35 hrv la bouteille, 5 euros, il s’agit d’un produit de luxe, de marque Magaraï. Il a le goût du vin d’Anjou de l’année, arômes de framboise et cassis.

Catégories : Ukraine, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Le con promis

Le socialiste militant, croyant indéfectible, ravi de fusionner avec les camarades dans l’enthousiasme des luttes électorales du printemps apparaît lorsque la bise fut venue… comme un con. Le con « promis » par son dirigeant. François Hollande est un bon politicien, donc machiavélien : il promet en gros caractères de répondre aux fantasmes de sa base partisane ; il ajoute en petits caractères ce qu’il va vraiment faire. Tous les politiciens font ça, Chirac ayant théorisé la formule selon son vocabulaire de salle de garde : « les promesses n’engagent que ceux qui les croient ». François Mitterrand laissait dire, François Hollande est plus honnête puisqu’il l’a écrit – mais en petit. L’archaïsme de la culture socialiste française exige de ménager l’idéologie, faute de quoi on n’est pas élu. Quitte à faire l’inverse par la suite, donc « trahir » selon la mentalité stalinienne encore en vogue chez les vieux soixantuitards réfugiés en fonction publique, qui forment le gros des militants.

  • Promesse la « non-signature » du traité européen corrigé ; la réalité est qu’on l’a signé en l’état, on l’a simplement justifié en disant qu’on avait ajouté la croissance… qui existait déjà dans les textes.
  • Promesse le « faire payer les riches » ; la réalité est que toute la classe moyenne et populaire paye avec la CSG et la TVA (même les chômeurs !) parce que les riches ne sont jamais assez nombreux pour le tonneau des Danaïdes de la dépense publique, et que les « 75% » ne touchent que quelques centaines de personnes… qui vont sans doute adapter leur rémunération.
  • Promesse le « dialogue social » ; la réalité est qu’il est contraint par la loi en cas d’échec, et que les syndicats sont très peu représentatifs : voir les médecins, voir le temps de travail.
  • Promesse l’écologie ; la réalité est que la France n’a pas les moyens de se priver du nucléaire tout de suite, ni les moyens de subventionner l’éolien et le solaire à guichet ouvert, ni même les entreprises pour produire à coûts assez bas pour qu’on ne doive pas importer tout le matériel. Reste l’isolation des logements, probablement le principal gisement d’économies d’énergie : mais a-t-on les moyens pour l’instant de créer une nouvelle niche fiscale ou de subventionner les logements modestes ?

Eh oui, gouverner est bien autre chose que promettre. Le socialiste de base apparaît donc comme un con, promis au désenchantement comme d’habitude. Cela parce que le parti n’a jamais su s’adapter.

  • Il reste nostalgique des révolutions du XIXème, sans voir qu’on est passé au XXIème.
  • Il ne veut pas se couper du mythe marxiste selon laquelle l’Histoire a une loi qui s’accomplit quoiqu’on fasse, donc que « le capitalisme » est condamné.
  • Il ne voit pas que son concept de « capitalisme » est bien flou, en gros tout ce qui ne va pas dans le monde : l’argent, l’effort, la compétition, la domination, la marchandisation, la mondialisation, la dictature (ouverte ou des lobbies), la guerre. Alors que « le capitalisme » est une technique, pas une idéologie (l’idéologie est l’ultralibéralisme uniquement financier). Le capitalisme est une technique d’efficacité économique pour produire le plus et le mieux avec le moins de capital, de matières et d’hommes. Le capitalisme est donc « écologique » : il économise au maximum la planète et le travail pour la meilleure productivité des facteurs…

Le socialiste ne voit rien de tout ça, il reste dans sa bulle imaginaire où, comme chez Disney, les petits cochons roses danseront dans le soleil dès que le Grand Méchant loup aura disparu. Les militants « espèrent toujours, de manière floue et non argumentée, qu’un jour,  le capitalisme sera remplacé par autre chose. En attendant, l’économie française perd des parts de marché et notre commerce extérieur est de plus en plus gravement déficitaire », dit très justement Gérard Grumberg, observateur CNRS de la gauche politique, dans un article de Telos du 6 novembre.

La hantise socialiste est de se couper de l’extrême-gauche, sorte de Surmoi vigilant du dogme marxiste. Mais on ne peut gouverner en disant je quitte l’Europe, je quitte l’euro, je taxe à 100% tout ce qui est au-dessus du SMIC, je fonctionnarise les dirigeants des entreprises et je nationalise tous les moyens de production, je change les institutions au profit d’une Assemblée élue et surveillée par les citoyens en armes, et ainsi de suite. La France n’est pas toute seule, ni phare des nations. Elle a décidé depuis les années 1950 de bâtir une Europe unie, ce qui ne se fait pas sans compromis ni convergences. Gouverner, c’est accepter cet état de fait dû à l’histoire et à la volonté générale qui s’est à maintes reprise exprimée.

François Hollande se met donc à gouverner. Il choisit – enfin ! – la politique de l’offre, comme toute la gauche de gouvernement partout dans le reste de l’Europe. Finie l’incantation au « keynésianisme » (caricaturé d’ailleurs uniquement en dépense publique permanente, ce que Keynes n’a JAMAIS dit). Place à la politique favorable aux entreprises : moins de charges, plus de souplesse, un meilleur financement. Pourquoi les entreprises ? Parce que seules elles créent des emplois. Et que, insérées dans un système surtout européen (leur principal bassin d’exportation), elles doivent se mesurer aux autres. Eh oui, il faut produire avant de redistribuer : grave question qui n’est jamais débattue dans les instances du PS. Le sera-t-elle à l’avenir ? On n’ose le croire… Surtout que 59% des Français se reconnaissent nuls en économie et considèrent l’information économique à 60% comme incompréhensible (sondage TNS octobre 2012). Merci les fonctionnaires (majoritairement socialistes) de l’Éducation nationale !

Mais non, il ne s’agit pas d’un virage social-démocrate ou social-libéral.

  • La gauche française ne peut être sociale-démocrate puisque ce type de régime exige des syndicats puissants et représentatifs – ce qui est bien loin d’être le cas chez nous !
  • La gauche française ne peut pas être sociale-libérale, puisque ce serait « accepter » le capitalisme et faire avec la mondialisation – ce que refuse bec et ongle la base militante PS principalement de fonctionnaires assurés de leur emploi, couverts pour leur santé et sans problème de retraite.

Alors, qu’est-il donc, le parti socialiste français ? La énième version du jacobinisme, oscillant entre Robespierre et Danton, révérant l’État centralisé qui sait mieux que tout le monde ce qui est bon pour chacun. Où tout se décide entre soi, énarques sortis des mêmes écoles, loin des cons de base à qui l’on chante l’air qu’ils veulent entendre.

Il faudrait au PS un vrai débat sur la réalité des choses. L’observateur s’amuse (et s’attriste) de voir qu’il est bien loin.

Catégories : Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Steve Jobs du visionnaire de génie au dernier clic

Article repris sur Medium4You.

Paru dans la « Collection privée » qui comprend aussi des titres sur Liz Taylor, Jean-Paul Belmondo ou Anne Sinclair, cet ouvrage sur Steve Jobs est plus un dossier de presse qu’un véritable « livre ». Ni biographie (compilée et résumée à grand renfort de Wikipedia), ni essai sur un personnage, il se contente de six fiches techniques juxtaposées qu’il intitule « parties » : la jeunesse, l’âge mûr, Apple, revue de presse, hommages et phrases cultes.

L’auteur Stéphane Ribes, journaliste à ‘Opera Mundi’ semble plus familier de Mickey et de Picsou que de culture classique. En témoignent ses erreurs grossières dès qu’il se met en scène. Ainsi, page 10, dit-il évoquer avec Steve Jobs « l’atelier Daumier » place de Fürstenberg à Paris ! Las, il s’agit de Delacroix… Quant à Daumier, il n’est pas le spécialiste « des petits rats de l’Opéra » mais a caricaturé les bals de l’Opéra, où n’allaient que des adultes. Ce serait plutôt Degas le dessinateur des jeunes danseuses. Même chose page 46 : les Tuileries recèlent l’Orangerie, pas « l’Orangeraie » ! La différence est que la première sert à ranger les arbres en hiver, tandis que la seconde est le verger où ils sont plantés à demeure. Ces bourdes sont dommageables à sa crédibilité de journaliste : peut-on croire que Steve Jobs l’ait apprécié pour explorer Paris ?

Il reste qu’une fois zappé cet avant-propos narcissique et approximatif, l’ensemble se lit facilement. Quiconque est intéressé par le mythique fondateur de la plus inventive marque d’ordinateurs et de gadgets communicants lira (après la page 15) les 240 pages qui restent avec bonheur (imprimées gros) : elles ne prennent pas la tête. Les phrases sont courtes, en français moyen, ponctuées d’anecdotes. Le lecteur va de découvertes en découvertes.

Saviez-vous que Steve n’aurait jamais dû s’appeler Jobs mais Jandali ? Sa mère était en effet amoureuse d’un Syrien musulman, Abdelfattah, que son père catholique a refusé. Le bébé Steve a donc été adopté par les Jobs. Mieux que l’hérédité, ses parents nourriciers lui donnent le goût du travail manuel et des maths. Ils le laissent assez libre, ce qui fait du gamin un rebelle à l’autorité scolaire mais un surdoué débrouillard. En Californie, dans les années 1970, tout est possible. Steve Jobs a 15 ans et découvre la marijuana, Bob Dylan, l’agriculture bio, l’électronique avec Larry Lang, ingénieur de Hewlett-Packard et voisin, enfin Stephen Wozniak, de cinq ans plus âgé que lui mais plus timide et moins imaginatif. Lorsqu’il a 17 ans, Steve vit presque nu dans les dunes avec une copine, Chris-Ann de qui il aura une fille, Lisa. Il ne la reconnaîtra que des années après, reproduisant son propre abandon… S’il entre à l’université, il n’y reste que six mois, le temps de découvrir la calligraphie (qui l’aidera au design graphique des Mac) et les spiritualités orientales. Il part en Inde à 19 ans après avoir bossé pour se payer le voyage. Il y découvre que l’intuition compte autant que la pensée rationnelle et que l’esprit doit osciller entre ces deux pôles.

Sa première voiture achetée avec ses gains à 16 ans, une Nash Metropolitan…

Lorsqu’il revient, il se met au zen et au cri primal avant de réintégrer Atari. C’est à ce moment qu’il crée avec Stephen Wozniak le premier Apple 1 dans le garage des parents Jobs (1976). La suite est connue : Apple II 1979, VisiCalc (premier tableur) 1979, Mac 1984, AppleTalk (premier réseau) 1985, QuickTime 1991, PowerMac 1994, MacOS 1997, iMac 1998, iBook 1999, iTunes 2001, iPod 2001, iPhoto 2002, Apple Store 2004, iPhone 2007, iPad 2010… Et l’aventure n’est pas finie car le choc de la contre-culture et du business fait surgir des gourous qui produisent des objets-culte : la pointe de la mode !

Sauf que les gourous sont narcissiques, paranoïaques et invivables. Steve Jobs était « séduisant et odieux » (p.64), « colérique, autoritaire et impatient » (p.78). Il exigeait des gens la perfection, partageant le monde entre les héros et les nuls. Immature et arrogant, il n’avait « aucune empathie ». Ce pourquoi il « pense différent » (slogan qu’il adoptera pour Apple). Il émettait « un champ de distorsion de la réalité » qui faisait croire n’importe quoi à n’importe qui, et réalisait donc l’impossible – ou presque. Quand il s’est agit de se faire opérer du cancer au pancréas qui va l’emporter à 56 ans en octobre 2011, il diffère de 9 mois… cruciaux – pour essayer la macrobiotique.

Il rompra avec Bill Gates avant de renouer pour « penser positif », il se fera virer d’Apple à 30 ans, il créera aussitôt NeXT qui développe surtout un système d’exploitation propriétaire (qu’Apple rachètera en 1997), puis investira dans une société de graphisme par ordinateur dont il fera Pixar (vendue à Disney en 2006 après avoir produit Toy Story et préparé Ratatouille). Dans le même temps, il aura une liaison avec Joan Baez, de 17 ans plus âgée, fera rechercher sa mère biologique, découvrira sa sœur Mona, reconnaîtra sa fille Lisa, puis épousera à 34 ans Laurene, de 9 ans plus jeune, qui lui donnera un garçon et deux filles. Il dira d’eux que ce sont ses meilleures créations… Plus que la fortune de 7 milliards de dollars accumulée. Quelle vie au galop !

Stéphane Ribes, Steve Jobs du visionnaire de génie au dernier clic, juin 2012, édition Exclusif, 255 pages, €19 

Catégories : Livres, Science | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Que vaut le projet socialiste pour 2012 ?

Notons en premier lieu qu’il s’agit de « 30 propositions » et non d’un « projet » de gouvernement. Notons en second lieu que ces propositions sont réunies sous le titre de « Redresser la France et proposer un nouveau modèle de développement ». Rien que ça : il s’agit encore et toujours de changer le monde… Le capitalisme est le diable, la mondialisation l’enfer, et le PS veut créer un bénitier d’eau apaisante pour tous les brûlés de la France. Panser au lieu de penser. Pourquoi vouloir changer le monde alors qu’il faudrait commencer par se changer soi ? Par orgueil, certitude d’avoir raison, d’être investi d’une Mission.

Cela vient de loin, du catholicisme dont le socialisme a repris la cité de Dieu, du marxisme-léninisme dont son créateur Lénine a repris l’idée d’Église hiérarchique, de clergé investi d’une mission et de prêches propagandistes pour sauver les âmes… C’est un peu cela, le catalogue ordonné des propositions du PS : « Refaire de la France une nation qui compte » (comme si elle ne comptait plus, la 5ème puissance économique mondiale, la 2ème puissance démographique européenne), « changer de modèle pour vivre mieux » (pourquoi pas ? mais qu’a donc fait la gauche pour avancer dans cette direction depuis 1981 ? et notamment durant les 5 récentes années Jospin ?) ; « rendre la vie moins chère », priorité aux « services publics », « réformer la fiscalité ». Au fond, ce sont peut-être ces propositions franco-françaises sur l’école, la fiscalité et les priorités de service public (pas tout mais éducation, santé et sécurité) qui sont les plus réalistes. Notons quand même qu’il s’agit de préférence nationale… Tout ce qui sort des frontières est négligé ou vague. Où l’on voit que la mentalité FN irrigue aussi la gauche.

La mondialisation ? Elle n’est évoquée que pour une vague « taxe sur les transactions financières » impossible à mettre en œuvre tout seul sauf à voir fuir la finance partout ailleurs qu’en France. Ou par une taxe aux frontières sur les produits polluants ou immoraux « en matière sociale, sanitaire ou environnementale ». Ou encore par une loi d’orientation tous les trois ans sur l’accueil des migrants. Le monde s’arrête aux frontières de l’Hexagone, c’est bien connu depuis l’imbécile de Tchernobyl. Qui croirait qu’il y a un socialiste français à la tête du FMI et un autre à la tête de l’OMC ? Le parti n’en tient pas compte, ses intellos sont en majorité fonctionnaires hexagonaux.

L’Europe ? Elle n’est évoquée que pour « proposer » une communauté des énergies (qui en veut ?), des droits de douane sur l’immoralité déjà vue (les Allemands sont-ils pour ?), des emprunts Eurobonds pour investissement (les Allemands sont radicalement contre). Rien à dire sur les obligations de l’euro, les écarts de fiscalité, la ponction plus forte qu’ailleurs de l’État français sur la production nationale. Bien que le mot « compétitivité » figure en titre, elle se résume à encore plus d’État avec une « banque d’investissement » – comme si l’État (c’est bien connu) était le meilleur à créer l’innovation ! Se souvient-on à gauche du Plan calcul, du Concorde, des PC Thomson massivement financés pour les écoles et collèges, du succès planétaire du Minitel, de la centrale nucléaire de dernière génération beaucoup trop chère, du Rafale que personne n’achète, du TGV copié par les Chinois et les Coréens ?

Les vrais problèmes des Français ? Ils ne datent pas de 2007… mais des années 1980 : chômage, marge des PME, logement, immigration, insécurité des banlieues, financement des prestations sociales, déclassement, inadaptation persistante de l’école, empilement des lois et règlements, misère de la justice, montée du Front national. Tout cela est né sous Mitterrand et n’a fait que proliférer depuis. Il ne suffit pas de dire « Sarkozy dehors » pour que, par magie, tout devienne rose. Les Français savent bien qu’ils ne vont pas entrer chez Disney s’ils votent rose en 2012. Que « propose » donc le parti pour régler tout ça ? De surveiller et punir : le vieux travers caporaliste de la gauche morale. Les inégalités existent, peut-être moins qu’ailleurs en France, mais pires qu’avant à cause du chômage persistant depuis trente ans. Mais surveiller et punir ne suffit pas à régler les inégalités : les vrais riches iront s’installer ailleurs, les vrais pauvres seront réduits à l’assistanat d’État délivré par des fonctionnaires revêches, mal payés et qui ne feront jamais plus de 35 heures en répétant comme une litanie que c’est pas moi c’est l’autre, qu’il faut le bon papier, que le dossier est en cours, que le service est en sous-effectif, et autres prétextes habituels aux administrations.

  • Il y a un effort de modération pour rassembler les éléphants qui ont une fâcheuse tendance à se tirer dans les pattes.
  • Il y a un maquillage de communication qui vise l’attrape-tout pour les primaires ouvertes à toute la gauche.
  • Il y a un grave déficit d’idées sur l’avenir d’un pays moyen dans un monde désormais global.

Les propositions sont financées… mais en remettant en cause la fiscalité instaurées depuis 2007 par Sarkozy, avec les effets pervers de changer une fois encore les prévisions de risque de ceux qui investissent : les entreprises de la restauration (dont la TVA réduite serait supprimée), les entreprises à transmettre (qui seraient moins exonérées et dont les dirigeants s’exileront aux frontières pour ne payer ni plus-value ni l’ISF), les particuliers qui préparent leur retraite amaigrie par des investissements locatifs (leurs loyers seront bloqués). Certes il faut réformer la fiscalité, devenue complexe et difficilement lisible, mais n’avoir pour projet affiché que taxer encore et encore est d’une indigence rare.

Comment un État qui prélève déjà 43% des salaires et assure par la dépense publique 55% du PIB peut-il dire qu’il manque de moyens ? C’est plus que la plupart des États européens qui nous entourent. La démagogie consiste donc à dire qu’on ne touche surtout pas aux zacquis, malgré des classes de 35 alors que les effectifs de l’Éducation nationale comptent 1 prof pour 16 élèves, malgré le taux de flics par habitant plus élevé qu’ailleurs seraient engagés 10 000 de plus ? Tout comme les emplois-jeunes, ces impasses crées dans le secteur non-marchand qui vont servir à rester sous-payé et sous-formé en associations et collectivités, sans pouvoir valoriser son CV par une quelconque expérience et formation utile à l’économie. Ce genre d’emploi de proximité ou écolo pourrait être assuré aux seniors chômeurs, ils n’ont plus guère d’avenir en entreprise – mais les jeunes ! C’est les parquer dans l’assistanat à vie, avec vote PS obligatoire pour maintenir les zacquis.

La démagogie se poursuit avec les vieilles lunes qui datent du Programme commun : la Banque d’investissement, l’encadrement des loyers, le plafonnement des salaires des PDG d’entreprises publiques, la retraite à 60 ans (mais pas à taux plein, ce n’est pas dit n’est-ce pas ?…). L’idée profonde est que « le capitalisme » est immoral, illégitime, et que le but de la politique française est d’en débarrasser le monde. Ben voyons… Le pays est fatigué, vieillissant, le budget perclus de dettes, le chômage massif, la croissance très molle. Il faudrait réformer l’État-providence, devenu intenable en raison de la concurrence mondiale et de l’endettement accumulé dans un contexte de prélèvements maximum – ce qu’ont fait les pays scandinaves et le Canada. Réformer l’organisation réglementaire et diminuer le coût du travail pour donner de l’air aux emplois (un chômeur ne peut pas donner des cours à l’université par exemple, selon un décret de 1987 signé Chirac) – ce qu’a fait l’Allemagne dont le coût relatif diminue depuis les années 1990. Encourager les entreprises à faire comme les PME allemandes, qui exportent malgré l’euro fort et les délocalisations industrielles et créent -elles – de l’emploi. Et ne surtout pas accentuer le travers français de l’innovation d’État avec ses gros machins invendables, seulement négociables par les politiques (donc transférables et copiables à merci) comme le TGV, Airbus, les centrales nucléaires. La gauche comprend-elle le monde actuel ?

Que peut-on faire quand on ne peut pas changer le monde tout seul ? Faire semblant. Se replier sur le socialisme dans un seul pays (comme Staline). Le PS a accouché d’un pessaire, cet appareil qui maintient un organe en place. Quelle révolution !

Catégories : Economie, Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,