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Gustave Flaubert, Trois contes

Du moderne, du Moyen Âge et de l’Antiquité, voilà ce qui préside à l’ordre des trois contes voulu par Flaubert. Un cœur simple se passe de nos jours autour de Pont-L’Evêque, La légende de saint Julien l’Hospitalier dans un mythique Moyen Âge chrétien et Hérodias dans l’antiquité romaine aux tout débuts du christianisme, avec la tête de Iaokanann sur un plateau – nom hébreux de Jean-Baptiste dont Flaubert affectionnait les sonorités barbares.

J’ai étudié Un cœur simple en troisième et cela m’avait rebuté : pas d’histoire, un style plat, des personnages insignifiants. Je suis revenu de ce jugement sommaire une fois adulte et j’ai relu le conte plusieurs fois au fil des années. Il m’apparaît aujourd’hui comme l’une des plus belles proses de la langue française avec un style adapté aussi parfaitement que possible au personnage principal et à son bonheur sans histoire né du malheur populaire : « la misère de son enfance, la déception du premier amour, le départ de son neveu, la mort de Virginie », la fille de sa maîtresse à laquelle elle s’était attachée en nounou, chap.4 p.241 Pléiade. Car Félicité, la servante illettrée et inculte, est heureuse. De petits riens lui suffisent et sa vie se déroule presque sans heurts jusqu’à la fin. Les phrases sont balancées, le style rythmé comme un métronome. C’est que Félicité « semblait une femme de bois, fonctionnant d’une manière automatique », écrit l’auteur au chapitre 1 p.218. Seul son neveu, rencontré par hasard lors d’un périple à la côte avec sa maîtresse et ses deux enfants, vient lui montrer qu’il existe un autre monde que le sien.

Victor est en effet l’antithèse de Félicité. Jeune, il a dans les 10 ans en « petit mousse » lorsqu’elle le rencontre à Trouville et 14 ans lorsque son père l’emmène en cabotage, 15 ou 16 lorsqu’il part comme mousse sur un paquebot. Le garçon voyage, voit du pays, ramène des souvenirs à cette tante ancrée dans sa glèbe provinciale et affairée dans la maison. Garçon alors qu’elle est femme, vitalité sensuelle alors qu’elle se consume et se dessèche, grand large alors qu’elle est réduite à son canton normand – tout les oppose et tout les attire l’un vers l’autre. « Il arrivait le dimanche après la messe, les joues roses, la poitrine nue, et sentant l’odeur de la campagne qu’il avait traversée. Tout de suite, elle dressait son couvert » chap.3 p.228. Victor part jusqu’à La Havane où il meurt de fièvre jaune en « pauvre gars » loin de tous. Félicité héritera du perroquet du sous-préfet devenu préfet et livré par son Nègre ; Loulou lui rappellera les pays exotique et Victor mort trop jeune. Le perroquet lui-même décédé, elle le fera empailler et poser dans sa chambre, au-dessus d’une gravure du Saint-Esprit avec lequel elle finira par le confondre. Cette façon païenne de voir Dieu n’est pas si sotte, parce que ce c’est bien l’Amour que Félicité adore ainsi, passant à la Platon du corps jeune du neveu à son cœur affectionné avant de concevoir l’abstrait de l’amour pur.

La légende de saint Julien l’Hospitalier est « une petite niaiserie », confie-t-il à George Sand, inspirée d’un vitrail de la cathédrale de Rouen. Après une enfance de tueur en série ponctuée de massacre d’animaux, à commencer par une petite souris sous l’autel même de l’église dont il jouit de la mort brutale, le jeune Julien, à qui l’on passe tout au motif qu’il serait prédestiné, se prend d’engouement pour la chasse où il tue tout ce qui se présente, dans une rage destructrice sans limites. Une soir de chasse sauvage, il descend le faon, la biche, puis le cerf qui, avant de tomber, le maudit et lui prédit qu’il tuera père et mère. Il s’en effraie et bannit la chasse, mais sa vitalité ne peut tenir et il part du château pour se faire mercenaire ; il massacre ainsi des hommes et finit par se tailler une réputation. Un seigneur prisonnier des Maures est délivré et lui donne sa fille. Julien se refuse toujours à chasser mais sa belle le convainc qu’il est de son rang de reprendre ce divertissement. Il se laisse aller à sa passion mais, un soir, de retour d’un carnage, il monte à sa chambre pour y retrouver son épouse ; il tâte un corps et touche de la barbe. Pris de fureur, croyant sa femme au lit avec un autre, il tue et la femme et l’amant. Sauf que c’étaient ses père et mère qui, le cherchant depuis des années, l’avaient enfin retrouvé et que sa femme faisait dormir pour les honorer dans son propre lit. Désespéré, Julien cède ses biens à son épouse et part sur les routes, en mendiant pour expier ce crime abominable ; il se fait passeur sur un fleuve et, un soir, un vieillard lépreux le hèle depuis l’autre rive. Il le passe non sans multiples dangers dans la tempête, l’abreuve, le nourrit, le chauffe, le couche, mais le lépreux affreux à voir, suintant et puant, lui demande de venir le réchauffer tout nu de son corps tout entier. Prêt à toutes les humiliations pour expier, y compris coucher avec un homme (petite ironie flaubertienne à l’encontre de la religion), Julien s’exécute – et se trouve transporté au ciel dans les parfums les plus doux. C’était Jésus venu le prendre pour enfin le sauver. C’est en effet un peu niais, mais joliment écrit.

Hérodias raconte le jour de l’anniversaire d’Hérode, le Tétrarque de Palestine, qui s’achève par la décapitation de Jean-Baptiste, le prophète véhément de la venue du Christ. Flaubert se plaît dans cet orientalisme de mythe et se vautre dans la luxure du temps, tout en savourant comme des sucres les mots barbares qui chantent sur sa langue. Hérodias est l’épouse d’Hérode après avoir épousé son frère, et mère de Salomé. Le Baptiste tonne contre cette infraction à la loi mosaïque et Hérodias veut sa mort tandis qu’Hérode tergiverse par peur des troubles populaires alors que les armées arabes menacent. Mais il est piégé par sa promesse à Salomé qui danse, de lui donner ce qu’elle veut. Ce sera la tête du Baptiste, qu’elle offre à sa mère sur un plateau.

Trois contes, trois saints, dont Félicité est la plus sympathique car la plus humaine. Il faut en retenir la première phrase, admirablement ciselée : « Pendant un demi-siècle, les bourgeoises de Pont-L’évêque envièrent à Mme Aubain sa servante Félicité. »

Gustave Flaubert, Trois contes, 1877, Folio 2003, 224 pages, €2,70

Gustave Flaubert, Un coeur simple, 1877, Livre de poche 2€, 1994, 94 pages, €2.00

DVD Un coeur simple, Marion Laine, avec Sandrine Bonnaire, France Télévision 2008, 1h45, €64,35

Gustave Flaubert, Oeuvres complètes tome V – 1874-1880 (La tentation de saint Antoine, Trois contes, Bouvard et Pécuchet, Dictionnaire des idées reçues), Gallimard Pléiade, 2021, 1711 pages, €73,00

Gustave Flaubert chroniqué sur ce blog

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Dans le delta de l’Orénoque

Le bus traverse une zone industrielle pour rejoindre le port où un bac fait traverser le fleuve. La ville a exporté longtemps le minerai de fer de la région vers les Etats-Unis. Elle produit en 2004 de l’acier et de l’aluminium. L’Orénoque roule ses eaux rapides et jaunes sous la coque. Un petit garçon, curieux de nous entendre parler étranger, s’installe sur le bastingage à côté de nous, silencieux. C’est à peine s’il consent un sourire. Sa mère qui le rejoint à l’arrivée a les traits un peu africains tandis que son père conduit un vieux taxi Chevrolet. Dans une famille typique de la classe très moyenne du pays, le petit aspire au grand large et à la modernité. A ses yeux, nous l’incarnons et c’est pourquoi il nous dévore ainsi du regard, toutes oreilles ouvertes.

Il nous reste une heure de route dans la plaine. Une brume grise s’élève-t-elle au loin ? De près, c’est de la fumée qui monte d’une vaste étendue d’herbes, comme un gros nuage à ras de terre. Le soleil en devient une boule toute rouge au travers avant de disparaître complètement par moment. La seule conversation suivie a lieu tout à l’arrière du bus. Françoise et José sont assis côte à côte et ils parlent des métiers manuels.

Nous parvenons à Boca de Uracoa où nous quittons le Mercedes et le 4×4 à bagages pour nous entasser dans une longue pirogue métallique munie d’un tau. Passent, sur ce bras de l’Orénoque, des radeaux de jacinthes d’eau qui descendent joliment le courant. Quelques oiseaux, ibis blancs, martin-pêcheur, s’envolent à notre approche. Les deux moteurs Yamaha Enduro de 60 CV nous font foncer dans un gros vrombissement durant près d’une heure sur l’eau plate. Le ciel se fonce, le soleil disparaît complètement sur l’horizon, laissant les arbres de la rive en ombres chinoises. Les étoiles s’allument.

Nous arrivons dans l’obscurité complète sur l’île de Zagaray où sera notre base pour explorer cette région amphibie et leurs conviviaux Amérindiens. Des pots à pétrole enflammés, disséminés dans les allées, nous éclairent jusqu’à un bloc de chambres protégées des moustiques par un couloir-sas et des portes grillagées. Les lits sont munis de moustiquaires individuelles comme des baldaquins. Nous sommes deux ou trois par chambre. Jean-Claude sort sa lampe torche car il déclare « craindre les serpents et les mygales ». José, lui, s’attend à dormir avec une « nanaconda », s’il s’en trouve une offerte. Une délicate fillette aux pieds nus s’introduit dans notre chambre ; elle vient allumer. Mais pas de fantasmes grossiers : elle se contente de la bougie fichée sur une bouteille de bière et du tortillon anti-moustiques. A la lumière de la flamme, elle a un beau visage pensif.

Nous dînons dans une grande salle aussi grillagée que le reste, pour mettre les moustiques en prison je suppose. Le cocktail est agréable, correctement dosé cette fois : avec le temps, Javier prend conscience des bonnes mesures. Le riz et la salade sont, ce soir, accompagné de poisson d’eau douce, ce qui nous change des pâtes de montagne et du bœuf de savane.

Nous n’avons pas entendu de singe hurler cette nuit : Julien a dormi paisiblement et les autres – les vrais – se cachent encore de nous. En revanche, les querelles de perroquets, à l’aube, nous réveillent par leur accent acariâtre. Je sors jusqu’à la paillote-douches, pas très loin. L’eau est fraîche mais agréable avant tout petit-déjeuner qui se prend en terrasse, au-dessus du fleuve. Un coco tout vert (en France les Cocos sont rouge vif…) se confond avec les feuilles de l’arbre qui pousse juste à côté. C’est un jeune perroquet apprivoisé à qui l’on a rogné les ailes. Mais parfois il l’oublie, comme ce matin, et tente de rejoindre ses petits camarades sauvages. Las ! L’eau traîtresse l’attire immanquablement et il chute. Par réflexe de survie, il bat désespérément des ailes et réussit à se maintenir hors de l’eau suffisamment pour agripper un radeau de jacinthes qui dérive lentement au bord de la rive. Le voilà sauvé. Sa maîtresse, placide, qui se hâte lentement pour aller le chercher, ne réussit qu’à le sortir des herbes pour qu’il s’ébouriffe sur son avant-bras. Eût-il été plus loin que les secours se seraient fait attendre ! Il revient tout mouillé et fort en colère. Nous l’entendrons s’ébrouer et cracher sur sa branche initiale pendant plusieurs minutes. Sa voix acariâtre se fait encore entendre un long moment après.

En voyant une fournée fraîche de touristes, des femmes du village d’en face sont venues en masse en pirogue pour ouvrir leurs ballots. Tout l’artisanat indien s’y trouve : sarbacanes, colliers, oiseaux de bois, vannerie. Joseph, entre autres, y réalise quelques emplettes pour offrir. D’adorables petits enfants ont accompagné les mères. Les fillettes jouent les femmes ; les garçonnets les aventuriers. Une partie de la nichée caresse du ventre et de la poitrine le tronc d’un arbre ou explorant du pied nu les jacinthes échouées par plaques le long de la rive.

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Au pays du grand nuage blanc

Article repris par Medium4You.

Hiata, de Tahiti, est allée se promener en janvier de cette année en Nouvelle-Zélande avec ses amis tahitiens. voici le récit de son voyage, en plusieurs épisodes.

La Nouvelle-Zélande est l’un des pays les plus isolés au monde. Les Maoris, premiers arrivants, la nommèrent Aotearoa « la terre du long nuage blanc ». Les îles de la Nouvelle-Zélande s’étirent entre 34° et 47° de latitude Sud et se situent sur le passage des 40ème rugissants, nommés ainsi pour ces vents qui balaient ces régions australes. La mer de Tasmanie, large de 1600 km, les sépare de la terre la plus proche, l’Australie. La fougère argentée (ponga) l’un des symboles du pays apparaît sur le maillot des All Blacks ! Il y a environ 180 millions d’années, la Nouvelle-Zélande appartenait à un vaste continent le Gondwana, avec les actuels Antarctique, Australie, Inde, Afrique et Amérique du Sud. La Nouvelle-Zélande se situe dans le Pacifique Sud à 1600 km de l’Australie et à 10 000 km de San Francisco et de Tokyo.

Deux îles principales (île du Nord et île du Sud), superficie 270 530 km², population 4,2 millions d’habitants. Les deux tiers des Néo-Zélandais habitent l’île du Nord. La capitale administrative et politique, Wellington, se trouve à la pointe méridionale de l’île du Nord, au centre géographique du pays. Le détroit de Cook, large de 20 km, sépare les deux îles. La Nouvelle-Zélande est une nation d’immigrants et la dernière terre à avoir été peuplée par l’homme. Il y a environ 1000 ans les Maoris s’y installèrent, les Européens il y a 350 ans seulement !

La Nouvelle-Zélande est subtropicale au nord, tempérée ou fraîche au sud, arrosée à l’Ouest et sèche à l’Est. Les volcans sont au centre de l’île du nord. Les paysages de Nouvelle-Zélande sont très variés. Sur son socle rocheux vieux de 600 millions d’années, des plissements, des éruptions volcaniques, des tremblements de terre ont façonné les paysages. La formation des Southern Alps ne date que de 3 millions d’années ! Le littoral s’étire sur 18 200 km, la lande couvre 10% du territoire, la Bay of Islands renferme 144 îles, les fjords au Sud-ouest du pays entaillent la côte sur 1000 km. Le plus profond descend à 420 m et le plus long mesure 40 km.

Faune et flore fascinent le visiteur : kauri aux immenses troncs rectilignes dans le Northland, kiwi au long bec fouisseur, ponga ou fougère argentée, gecko, manuka ou tee-tree, nestor kea, espèce de perroquets réputés pour leur intelligence, albatros royal à l’envergure majestueuse, pohutukawa ou arbre de noël des néo, otarie à fourrure…

62% des terres du pays sont consacrées à l’élevage et à l’agriculture et assurent 50% des revenus à l’exportation : pommes, poires, pêches et autres fruits à noyaux, raisins, pamplemousses, avocats, pepino, kaki, tamarillo, framboises, fraises, mûres, cerises ; des céréales : blé, avoine et orge ; autres ail, lavande, tournesol peignent la campagne. L’élevage ovin (40 millions de moutons, bovin (9 millions) donne laine, viande, produits laitiers, peaux. Le cerf est élevé dans 5000 fermes pour sa viande et ses bois très recherchés en Asie. Chèvres, autruches, émeus complètent le tableau.

Les vins de Nouvelle-Zélande sont renommés. La plantation des premières vignes remonte à 1830 et des Français ont planté en vigne la presqu’île de Banks dans le Canterbury (île du Sud) dès 1840. Le Northland élève le merlot, les environs d’Auckland le cabernet sauvignon. Le Marlborough (île du Sud) est la plus importante région viticole de Nouvelle-Zélande. Il produit des sauvignons blancs, des chardonnay et des mousseux. Le Wairarapa (Sud de l’Ile du Nord) offre son pinot noir. L’Otago (île du Sud) domine le marché mondial du pinot noir malgré ou grâce à une saison de maturation courte. Des Croates de Dalmatie sont à l’origine de la modernisation de la viticulture près du centre d’Auckland (île du Nord). Note personnelle : le pinot noir a été de loin mon préféré parmi les vins que j’ai goûtés ! J’attribuerai – avec beaucoup de modestie vu mes capacités de goûteur- une meilleure note aux vins Nouvelle-Zélande qu’à leurs cousins australiens.

Hiata de Tahiti

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