Col péruvien de Warmihumynusqua à 4180 m

Au matin, le spray antimoustiques que Gusto se pulvérise sur les jambes intrigue les jeunes porteurs qui le regardent faire avec attention. Les autres, plus vieux qui en ont vu d’autres rient, même s’ils n’en savent pas plus. Toute la nuit les ânes ont brouté l’herbe autour des tentes (« scroutch ! scroutch ! ») en butant des pattes dans les tendeurs. Des coqs idiots ont cocoricoté à la lune, les chiens aboyés aux bruits, les dindes gloussé. Il n’y a que les gamins qui se soient tenus tranquilles. Ce matin, c’est la course. Il faut ranger vite, vite, ses affaires pour que nos porteurs puissent partir en avant des autres groupes et planter les tentes aux seuls endroits agréables. La place est limitée. Aussitôt l’Occident retrouvé, aussitôt la compétition renaît.

Le programme notait pour aujourd’hui « montée difficile » : c’est pire. Il faut grimper raide sur la pente, traverser un rio, entrer dans la forêt aux essences tropicales. Il fait chaud, humide, nous dégoulinons de sueur. Lianes et lichens, hautes plantes de serre, poussent dans la semi-obscurité sous la canopée. Lorsque coulent des cascades il fait frais, presque froid. Mais l’air chargé d’eau est doux aux narines habituées jusqu’ici à la sécheresse de la haute altitude. Une grimpée encore, plus raide s’il en est. Alors poussent du sol des marches incas. Elles sont hautes, épuisantes, et les porteurs, pratiques, ont creusé un minuscule sentier à côté, pour les éviter. Beaucoup de monde sur cette portion du chemin inca qui est décrite dans tous les guides anglo-saxons. On parle toutes les langues, même le japonais. La suite, hors de la forêt, est moins pentue, mais l’altitude raréfie l’air et fait souffler. Soleil, peu de vent. Ce sont des volées de marches antiques, de loin en loin, qui cassent le rythme. Je m’arrête de nombreuses fois pour une minute ou deux, afin de reprendre souffle et apaiser les battements du cœur.

Gisbert arrive en premier en haut du col. Peter le suit. Je les rejoins. Nous sommes à 4180 m et nous avons mis un peu moins de trois heures depuis le camp de ce matin. Nous sommes assis face au sentier où monte la lente théorie des trekkeurs. L’inca-trail est comme un pèlerinage pour les protestants nord-américains qui composent la majeure partie des voyageurs, sac au dos et bible Lonely Planet à la main. La vue est impressionnante sur la vallée en V à l’horizon de laquelle émerge un glacier. Le porteur au casque de cheveux noir s’appelle Victor ; il monte sa charge le pull ôté roulé sous les épaules pour adoucir le mouvement des courroies, offrant une plastique juvénile couleur caramel. Il double les touristes à la montée de son pas élastique et régulier. Le nom du col est long et compliqué à nos oreilles. Warmihumynusqua signifie « le col de la femme morte ». Il ne s’agirait pas d’une touriste, même si certaines arrivent dans un drôle d’état. Perchés sur le col, les touristes assis et pépiant de joie font penser à des corbeaux sur un rocher. Ils semblent guetter la proie que l’altitude fera agoniser. Un couple d’Américains, vieux, gros, ahanant, avance à pas précautionneux sur le sentier. On croirait les voir s’écrouler à chaque pas tant leur souffle est rauque et leur démarche cacochyme. Point du tout : ils avancent tels les escargots, avec une obstination gluante. Il s’agit d’expier le gros bœuf et les gras burgers enfrités qu’ils n’ont cessé d’avaler depuis tout petit.

Descente d’un quart d’heure pour un pique-nique sur une terrasse herbeuse protégée du vent du col. Nous dévorons le fromage et saucisson habituel, puis du poulet au vin avec du riz préparé par Nieve, la sœur de Ruben. En face de nous en contrebas s’installe Nouvelles Frontières : ils ont table et chaises mais n’ont à manger qu’une salade de tomates et concombres avec du riz, comme nous l’apprend Juan qui est allé fourrer son muffle là-bas pour saluer un copain accompagnateur.

Il nous reste une demi-heure à descendre sur un chemin inca bien pavé (et restauré), pour parvenir au camp dont on aperçoit au loin les tentes violettes comme autant de fleurs sur un parterre. Le chemin serpente du col que l’on vient de passer à un autre col que nous passerons demain, perdu dans les méandres de la vallée. De l’autre côté, à mi-pente, une forteresse qui se confond avec la montagne le commande. Aujourd’hui avait bien lieu « l’étape la plus éprouvante de tout le séjour » !

Le mystère des trois garçons d’hier est éclairci par Lorrain. Il s’agit d’une famille belge de Namur qui a pris un guide et des porteurs en individuel. Autour des tentes évoluent le père, la mère, la fille aînée et le plus jeune des garçons. Le blond de 15 ans revient de se laver à la rivière en short et sandales, la serviette au cou. Il n’y a plus d’hypothèses à formuler : ce sont de belles vacances en famille qui sont passées dans ces paysages andins.

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2 réflexions sur “Col péruvien de Warmihumynusqua à 4180 m

  1. Merci, c’est long, parfois dur mais tellement beau ! Les gens, les paysages, et les monuments incas intemporels.

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  2. Bonjour, quelle jolie randonnée mais pas évidente. La première photo est magnifique avec le sentier, c’est impressionnant.
    Bonne journée.

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