Dans une clairière de la forêt, Zarathoustra rencontre des jeunes filles qui dansent et Cupidon endormi. La danse est pour Nietzsche la quintessence de l’existence, l’élan vital vers le ciel, le pied léger pour jauger la glaise dont nous sommes faits. La figure du danseur est celle du sage qui, les pieds sur terre, ne songe qu’à s’élever dans les airs, pris par la joie de vivre.
« Un air de danse qui moque l’esprit de lourdeur, ce démon très-haut et tout-puissant dont ils disent qu’il est le ‘maître du monde’. » Cupidon le petit dieu danse avec les jeunes filles et tous célèbrent la vie. Mais qu’est donc la vie ? « Je ne suis que changeante, farouche, femme en toutes choses, mais non pas une femme vertueuse », dit la vie à Zarathoustra. La sagesse est d’aimer la vie, la vertu (u sens moralisateur des bourgeois du XIXe, époque de Nietzsche) n’est que pruderie qui inhibe la sagesse. « Tu veux, tu désires, tu aimes la vie, c’est pourquoi tu la loue ! »
Mais qu’est donc la sagesse ? « On a soif d’elle et l’on ne peut s’en rassasier, on cherche à voir sous son voile, on voudrait l’atteindre à travers les filets. (…) Elle est changeante et entêtée (…) Peut-être est-elle mauvaise et perfide et femme en toutes choses ; mais c’est lorsqu’elle parle mal d’elle-même qu’elle séduit le plus. » Au fond, la sagesse, c’est la vie ; on la désire comme d’une femme. Elle est le vital, la volonté vers la puissance, le lotus qui enfonce ses racines dans la vase au fond de l’étang et qui élève sa tige vers la lumière pour fleurir à la surface, au soleil. Il y a du bouddhisme en Nietzsche. Du bon sens aussi : nous, êtres vivants, célébrons la vie parce que sans elle nous ne serions pas. Pourquoi le nier ? Pourquoi nier la vie ? Pourquoi réprimer cet élan ? La sagesse est de l’accepter, de vivre puisque nous sommes vivants. La sagesse est la vie.
Ce qui n’empêche pas les êtres vivants parfois, le soir venu, las d’avoir dansé, joué avec Cupidon et les jeunes filles à des jeux vitaux, de se poser des questions sur le sens de la vie. Ainsi Zarathoustra : « Il y a quelque chose d’inconnu atour de moi qui me regarde d’un œil pensif. Comment ! tu vis encore, Zarathoustra ? » Eh oui. Par habitude. Par énergie intime. Mais « pourquoi ? A quoi bon ? De quoi ? Dans quelle direction ? Où ? Comment ? N’est-ce pas folie que de vivre encore ? » Tel est le sentiment du soir, celui de la perte d’énergie, celui qui est las de la vie. Le contraire du printemps, de Cupidon et des jeunes filles ; Le contraire de la sagesse.
(J’utilise la traduction 1947 de Maurice Betz au Livre de poche qui est fluide et agréable ; elle est aujourd’hui introuvable.)
Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1884, traduction Geneviève Bianquis, Garnier Flammarion 2006, 480 pages, €4,80 e-book €4,49
Nietzsche déjà chroniqué sur ce blog
Commentaires récents